Affaires sociales, sciences et technologie
Motion tendant à autoriser le comité à étudier la mise en œuvre et la réussite d’un cadre fédéral relatif à l’état de stress post-traumatique--Suite du débat
17 novembre 2020
Honorables sénateurs, avant d’entrer dans le vif du sujet de la motion à l’étude, je veux profiter de l’occasion pour remercier tous les Canadiens qui travaillent en première ligne jour après jour, en particulier dans la lutte contre la pandémie qui fait rage. Les premiers intervenants et les travailleurs de première ligne du secteur de la santé au pays mettent leur santé en danger, pas seulement en raison du risque de contracter la COVID-19, mais aussi en raison du risque accru qui vient avec les quarts de travail interminables et les tragédies qui surviennent au quotidien.
Nous savons qu’en raison de cette pandémie et des mesures qui sont prises pour y faire face, les appels en matière de santé mentale sont à la hausse, tout comme les incidents de violence conjugale et de violence envers les enfants. Or, ce sont nos premiers répondants qui répondent à l’appel en premier lieu.
À ceux qui souffrent en ce moment de stress post-traumatique, je tiens à dire ceci : « Nous vous voyons, nous vous remercions et nous voulons nous assurer que vous serez pris en charge également. »
Aux héros disparus qui ont succombé à cette maladie mentale pernicieuse, nous ne vous oublions pas et nous vous remercions d’avoir servi votre pays et votre prochain avec autant de dévouement. Je pense aussi aux familles éplorées — des familles comme celle de nos amis Mary et Stephen Rix, qui nous accompagnaient à toutes les étapes lorsque nous avons adopté le projet de loi C-211 il y a quelques années. Je veux dire à tous ceux qui, comme Mary et Stephen, ont perdu un proche à cause des troubles de stress post-traumatique que leur fils, leur fille, leurs parents, leur sœur et leur frère étaient des héros et que cela ne tombera jamais dans l’oubli.
Le 21 juin 2018, le projet de loi C-211, Loi concernant un cadre fédéral relatif à l’état de stress post-traumatique, a reçu la sanction royale. Chers collègues, vous vous en souvenez peut-être, il s’agissait d’un projet de loi d’initiative parlementaire parrainé par le député Todd Doherty. Je suis moi-même devenu le parrain de ce projet de loi au Sénat après avoir entendu le discours passionné de M. Doherty au caucus national et avoir discuté avec lui à mon bureau. J’ai compris tout le poids qui pesait sur lui lorsque, un soir, nous avons discuté des ravages causés par les troubles de stress post-traumatique chez les premiers répondants et nos proches. J’avais compris que cet enjeu le touchait personnellement.
Le député Doherty a rédigé ce projet de loi après le décès de l’un de ses chers amis, Darren Anderson. M. Anderson était un ancien pompier qui avait lutté pendant 17 ans contre un trouble de stress post-traumatique et qui, malheureusement, a perdu sa bataille. Le 15 septembre 2018, Darren s’est suicidé, laissant dans le deuil sa femme et ses trois enfants. Il était considéré par de nombreux membres de sa communauté comme un héros, mais même un héros peut parfois souffrir; malheureusement, lorsqu’ils n’ont pas l’aide dont ils ont besoin, il leur arrive de s’effondrer.
Cette histoire est tragique, mais elle est loin de constituer un cas isolé. Partout dans ce grand pays, nos premiers intervenants ont un besoin urgent d’aide, mais cette dernière n’est pas toujours constante.
Le projet de loi C-211 visait à établir un cadre pour le trouble de stress post-traumatique, afin de garantir que chaque premier intervenant ait accès aux mêmes ressources pour s’occuper de sa santé mentale, quel que soit l’endroit où il se trouve. Un habitant de Winnipeg, du Saguenay ou de Toronto devrait avoir accès à des traitements adéquats pour lui et pour ses proches.
Ces hommes et ces femmes se mettent en danger pour aider leurs concitoyens dans les moments où ils sont les plus vulnérables. Le minimum que nous puissions faire pour eux est de leur fournir des soins adéquats lorsqu’ils se retrouvent eux-mêmes dans le besoin.
Il est inconcevable que les gens que nous appelons à juste titre des héros soient livrés à eux-mêmes. Chaque matin, ces personnes mettent leurs uniformes en sachant qu’il s’agit peut-être du dernier moment qu’elles pourront passer avec leurs proches. Elles sont prêtes à tout risquer parce qu’elles sentent qu’il est de leur devoir de servir et d’aider les autres. Les actions de ces gens sont la quintessence de l’altruisme, et ils méritent d’être traités avec dignité. Nous avons donc la responsabilité de nous assurer qu’ils reçoivent tout le soutien dont ils pourraient avoir besoin.
Ils sont témoins d’événements tellement tragiques qu’en lire une description nous remplit d’horreur. Ils arrivent les premiers sur des scènes terribles, et ils doivent faire de leur mieux pour sauver ce qui peut être sauvé dans des situations traumatisantes et trop souvent irrémédiables.
Pour vous donner une idée de la détresse que ressentent souvent les premiers répondants, voici des extraits du témoignage de Natalie Harris, ancienne paramédicale en soins avancés en Ontario. Elle a comparu devant le comité le 16 mai 2017 :
Ce n’est pas normal qu’une personne coincée dans une voiture vous supplie de lui couper une jambe et un bras parce qu’elle ne peut plus endurer la souffrance que lui causent ses multiples fractures ouvertes sur tout le corps. Ce n’est pas normal d’apprendre que le patient qui s’est pendu la veille avait une deuxième corde qui aurait servi à sa femme, si son fils n’avait pas composé le 911 au bon moment. Ce n’est pas normal de voir une jeune femme, enceinte de sept mois, qui se flatte le ventre avec le seul membre qu’elle arrive à bouger, car elle vient de subir un AVC qui la laissera handicapée pour le reste de ses jours. Ce n’est pas normal de voir un automobiliste mort, écrasé entre la chaussée et sa voiture, à côté de son téléphone cellulaire, parce qu’il textait au volant [...]
Mme Harris a ensuite ajouté ceci :
Ce n’est pas normal de voir toutes les atrocités qu’ont dû subir deux femmes innocentes assassinées [...] Ce n’est pas normal de voir autant de personnes mourir sous nos yeux; elles sont si nombreuses qu’on ne peut même pas les compter.
Sachant ce dont ces héros sont témoins chaque jour, il n’est pas du tout étonnant que bon nombre d’entre eux souffrent profondément du syndrome de stress post-traumatique. Selon une étude réalisée par Stuart Wilson, Harminder Guliani et Georgi Boichev, de l’Université de Regina, publiée dans le Journal of Community Safety & Well-Being, on estime qu’il pourrait y avoir jusqu’à 32 % des policiers, 26 % des ambulanciers paramédicaux et 17 % des pompiers du Canada qui souffrent du syndrome de stress post-traumatique. À titre de comparaison, le taux de prévalence du syndrome de stress post-traumatique dans la population générale est d’environ 9 %.
Ces taux élevés n’ont rien d’étonnant compte tenu des situations dans lesquelles les premiers intervenants sont plongés chaque jour. Ils souffrent énormément et ils continueront de souffrir en silence si nous ne faisons pas notre travail.
Plus de deux ans se sont écoulés depuis l’adoption de ce projet de loi. Le gouvernement a publié un rapport sur les mesures qu’il envisage de prendre pour veiller à ce que nos héros disposent des ressources nécessaires pour composer avec l’état de stress post-traumatique.
Malheureusement, presque un an s’est écoulé depuis la publication de ce rapport, mais pas grand-chose n’a changé. On continue d’observer des inégalités dans les ressources disponibles pour aider les premiers intervenants canadiens. On s’attendrait à ce que le bien-être des gens qui consacrent leur vie à nous protéger soit notre principale priorité, surtout en période de pandémie quand on leur demande de subir encore plus de stress tous les jours.
Selon CBC News, les ambulanciers paramédicaux et les pompiers de Winnipeg reçoivent seulement une somme maximale annuelle de 350 $ pour leurs rendez-vous avec un psychologue, dans le cadre de leurs avantages sociaux. Une telle somme ne couvrirait même pas deux séances complètes avec un psychologue puisque le tarif recommandé pour les psychologues au Canada, en 2020, est de 195 $ pour une séance de 50 minutes. De toute évidence, le montant prévu n’est tout simplement pas suffisant. Par contre, la direction de la santé publique de la Saskatchewan précise que les ambulanciers paramédicaux de la province peuvent toucher jusqu’à 2 000 $ par année pour le même type de rendez-vous. À Toronto, cette somme peut s’élever à 3 500 $ par année.
Les pompiers éprouvent le même problème. Un pompier de Regina aura droit à 500 $ par année. Si le même pompier vivait à Calgary, cette somme s’élèverait à 1 000 $ et, à Halifax, à 1 500 $. Comme pour les ambulanciers paramédicaux de Toronto, les pompiers de cette ville ont droit à 3 500 $.
Cette situation est inacceptable, chers collègues. Les gens méritent d’être traités également, peu importe où ils habitent au pays. Après tout, ils occupent des emplois semblables et sont témoins d’événements traumatisants similaires. Ils devraient donc tous obtenir la même aide.
Ce manque de ressources est en train de provoquer une épidémie de suicides chez les premiers intervenants canadiens. Josh Klassen, un pompier de deuxième génération ayant quitté son emploi en 2020, après avoir servi sa collectivité à Winnipeg, a fait une constatation très troublante. En parlant de ses années de service, il a dit ceci :
[…] j’ai connu plus de gens qui se sont suicidés que de gens qui sont décédés lors d’opérations de lutte contre les incendies.
Ces décès auraient pu être évités. Ces gens auraient dû avoir accès aux mêmes ressources que celles que l’on a fournies à Toronto, à Halifax et à Calgary. Leurs vies n’avaient pas moins de valeur du fait qu’ils servaient à Winnipeg. Nos héros ont assez souffert. Ils ont donné tout ce qu’ils pouvaient pour assurer notre sécurité. Le mieux que nous puissions faire, c’est d’en prendre soin à notre tour, et de nous assurer que chacun d’entre eux est traité avec respect.
Honorables sénateurs, le gouvernement doit rendre des comptes pour s’assurer que cette situation ne persiste pas. C’était là tout l’intérêt de ce projet de loi, qui a été adopté dans les deux Chambres avec le soutien unanime de tous les partis politiques. Le gouvernement est tenu, par la loi, de remédier à ces insuffisances et à ces iniquités.
Comme je l’ai dit, cela fait plus de deux ans que le projet de loi a reçu la sanction royale et près d’un an que le rapport a été publié. Pourtant, chers collègues, la situation demeure, de toute évidence, insatisfaisante. Le gouvernement s’est-il donc acquitté de ses obligations en application de la loi? Si oui, pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas? Est-ce parce que le système a besoin de plus de temps pour se rajuster ou pouvons-nous et devons-nous faire plus pour aider ceux qui sont censés être là pour nous aider? Voilà des questions auxquelles nous avons le pouvoir, les ressources et, bien franchement, l’obligation de répondre.
Pour cette raison, je demande que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, la mise en œuvre par le gouvernement du Canada et la réussite d’un cadre fédéral relatif à l’état de stress post-traumatique en ce qui concerne les quatre domaines prioritaires définis en ciblant principalement la collecte des données, soit une meilleure surveillance du taux d’état de stress post-traumatique parmi les premiers intervenants et les coûts économiques et sociaux qui y sont associés.
Chers collègues, tout comme vous avez appuyé la mesure législative initiale — à l’unanimité, d’ailleurs — qui portait sur cette question très importante et très urgente, j’espère que vous appuierez la motion. À mon avis, nous le devons aux hommes et aux femmes à qui nous demandons tant, eux qui demandent si peu en retour. Honorables sénateurs, il y a quelques années, les deux Chambres ont adopté cette motion dans un geste de solidarité. Il nous incombe, en tant que parlementaires, de faire le suivi dès maintenant pour découvrir où se trouve le goulot d’étranglement. En définitive, nous sommes au beau milieu d’une pandémie, et les besoins des premiers intervenants n’ont jamais été aussi grands qu’ils le sont actuellement.
J’exhorte mes collègues à appuyer la motion, à entamer le travail le plus rapidement possible et à faire toute la lumière sur certains des écarts qui existent relativement à l’état de stress post-traumatique dont souffrent de nombreux premiers intervenants. Merci.
Le sénateur accepterait-il de répondre à une question? Merci beaucoup.
Ce que je n’ai pas saisi dans votre discours d’aujourd’hui, c’est si on s’était engagé à mener un examen lors du dernier cycle, si on avait fait une promesse ou si le projet de loi prévoyait initialement quelque chose du genre.
Ce que le projet de loi demandait au gouvernement, c’était d’organiser une conférence nationale. Il y a eu une conférence nationale. Un rapport a été présenté il y a environ un an, mais depuis lors, certains des objectifs relatifs à la création d’un cadre national n’ont manifestement pas été atteints. Voilà pourquoi je suis de retour un an plus tard et je demande ce qui est arrivé. La conférence a eu lieu. Toutes les parties prenantes y ont été invitées. Le ministère a évidemment été le fer de lance de la conférence. On aurait pu penser que les choses auraient avancé plus rapidement, surtout dans le contexte actuel de la pandémie.
Je suis très heureuse que vous ayez parlé des pompiers. C’est un sujet d’une importance capitale. Mon père était pompier volontaire. À ce titre, il n’avait ni salaire ni avantages sociaux. Je pense que la majeure partie du Canada est desservie par des pompiers volontaires dans les régions rurales qui n’ont aucun avantage social. Ce que vous proposez est d’une importance capitale.
Que pensez-vous d’inclure la santé mentale des travailleurs de la santé et des médecins dans le mandat du comité sur la surveillance qui se penchera sur les leçons apprises durant la COVID-19? Le comité pourrait également examiner le genre d’avantages sociaux dont ils bénéficient et leur pertinence. En ce moment, Twitter est inondé d’infirmiers qui disent avoir très peur d’aller travailler, de ne pas vouloir mourir parce qu’ils vont au travail. Je pense que c’est très important. Qu’en pensez-vous?
Nous avons eu ce débat la première fois que le Sénat a été saisi de ce projet de loi. À l’époque, le gouvernement affirmait catégoriquement qu’il n’accepterait pas d’amendements visant à élargir la portée de cette mesure pour inclure les travailleurs sociaux, les infirmières ou d’autres personnes. Nous n’avons donc pas apporté cet amendement au projet de loi, mais nous avons élargi le champ des possibilités autant qu’il était possible de le faire dans le préambule.
Pour ce qui est de la conférence qu’ils ont organisée, je crois qu’ils y avaient invité des gens qui n’étaient pas des premiers répondants, c’est-à-dire des policiers, des ambulanciers paramédicaux, des pompiers et ainsi de suite. La conférence avait donc une portée aussi vaste que possible, à ma connaissance. Dans le préambule, nous avons aussi ajouté le plus de professions possible. Je crois que, pendant le processus d’examen, notre comité pourra facilement viser une portée aussi restreinte ou aussi vaste que le souhaiterait le Comité des affaires sociales.