Projet de loi visant l'égalité réelle entre les langues officielles du Canada
Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Débat
15 juin 2023
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-13, Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada.
J’appuie la vision et l’intention de ce projet de loi, mais pas dans sa forme actuelle.
Rappelons-nous que je suis un fier Québécois. Je suis fier de vivre dans une province où le français est la langue commune du peuple ainsi que la langue officielle.
Comme je l’ai expliqué lors de mon intervention à la deuxième lecture, je crains tout simplement que l’inclusion de la référence à la Charte de la langue française du Québec soit hautement problématique d’un point de vue bureaucratique et juridique. Les membres de la communauté anglophone du Québec partagent également mon inquiétude.
Bien des gens croient que l’inclusion de la Charte de la langue française du Québec, qui a récemment été modifiée par l’adoption de la loi 96 l’an dernier, est un grave défaut du projet de loi dont nous sommes saisis. Je ne vais pas répéter tout ce que j’ai dit dans le discours que j’ai prononcé à l’étape de la deuxième lecture. Mes opinions ont été consignées, et je les maintiens.
Ce qui m’inquiète, c’est qu’une fois que ce projet de loi aura reçu la sanction royale, la Charte de la langue française fera partie de la Loi sur les langues officielles. Cela m’inquiète, car nous savons tous que la Charte inclut l’utilisation préventive de la disposition de dérogation. Je continue de croire que l’utilisation préventive de la disposition de dérogation n’est pas une bonne façon de gouverner.
Je crois que notre ancienne collègue, l’ex-sénatrice Joan Fraser, a résumé la situation de manière élégante lorsqu’elle a témoigné devant le Comité des langues officielles la semaine dernière. Voici ce qu’elle a dit :
Comme vous le savez, la Charte de la langue française a été modifiée l’année dernière par la loi 96. À présent, les dispositions « de dérogation » de la Charte des droits et libertés et de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec sont invoquées à titre préventif. Cela a seulement été fait une fois avant, au Québec, avec la loi 21. L’inclusion de références à la Charte de la langue française dans le projet de loi C-13 équivaut donc à accepter tacitement l’utilisation préventive de la clause « nonobstant », et à mon avis, tous les Canadiens devraient trouver cela préoccupant.
Elle a ajouté ceci :
Nous savons que, selon certains arguments qui ont été avancés, le fait d’inclure la Charte de la langue française dans la Loi sur les langues officielles ne diminuerait pas les droits des Québécois anglophones. Je dirais que ces arguments ont peut-être été formulés avant que le projet de loi C-13 ne soit modifié pour inclure un renvoi à une loi québécoise, dans la disposition de déclaration d’objet de la Loi sur les langues officielles. Notre évaluation juridique a toujours été que ce serait effectivement dangereux pour les droits de notre communauté que la Charte de la langue française du Québec soit mentionnée dans la Loi sur les langues officielles. Cela est d’autant plus clair dans la version actuelle du projet de loi. Le doyen de l’une des facultés de droit les plus respectées du monde vous a dit que l’inclusion de cette référence pourrait avoir des effets graves et durables sur les droits linguistiques.
Comme je l’ai demandé avec insistance dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture et comme la sénatrice Fraser l’a déclaré devant le comité :
[...] le fait de retirer les références dans le projet de loi C-13 à la Charte de la langue française ne diminuerait ou n’abrogerait d’aucune façon les droits des communautés francophones en situation minoritaire ni le soutien qui leur est accordé. Cependant, les conserver présente un danger, un danger pour la communauté anglophone du Québec, et aussi le danger d’établir un régime de langue officielle créant un précédent en vertu duquel les autres provinces pourront imposer des restrictions à leurs propres minorités linguistiques, comme l’a fait le Québec.
En réponse à une question du sénateur Cormier, Marion Sandilands, avocate et membre du Quebec Community Groups Network, a expliqué que le fait que la Charte de la langue française soit :
[...] mentionnée dans la Loi sur les langues officielles fédérale, dont l’objectif avant le projet de loi C-13 était de protéger et de faire respecter les droits des minorités linguistiques, est contradictoire.
Mme Sandilands pose la question suivante :
Comment une loi provinciale qui porte atteinte aux droits linguistiques constitutionnels peut-elle être mentionnée et maintenue dans la Loi sur les langues officielles fédérale?
Elle fait valoir que :
[...] citer une loi provinciale qui utilise de manière préventive et radicale la disposition de dérogation [...] rendra très difficile pour un tribunal d’accepter les observations du procureur général du Canada, si celui-ci décide un jour de s’opposer à l’utilisation de la disposition de « dérogation » de cette façon. C’est contradictoire de la rejeter d’une part et de l’approuver dans ce projet de loi, d’autre part.
Avec tout le respect que je dois à la ministre des Langues officielles, la réponse qu’elle a donnée au sénateur Gold la semaine dernière, lors de sa comparution devant le Comité des langues officielles, n’était pas du tout rassurante, malgré ses nombreux efforts.
La ministre nous a dit ce qui suit :
Le fait de faire référence à la Charte de la langue française dans le projet de loi comme tel est tout simplement une description de la loi du Québec. En aucun temps nous ne disons que nous sommes d’accord ou non avec la Charte de la langue française.
Cela n’inspire pas confiance.
À mon avis, le gouvernement fédéral approuve la charte et son contenu, en l’incluant dans la Loi sur les langues officielles, même si certains avancent que ce n’est pas une référence par renvoi.
Je ne crois pas à l’argument selon lequel il s’agit simplement d’une description de la réalité québécoise. Justement, c’est la réalité au Québec, et l’utilisation de la disposition de dérogation par le gouvernement provincial est très préoccupante et pose un problème pour les anglophones du Québec.
La ministre mentionne aussi « qu’il y a eu beaucoup de confusion lors des débats sur ce projet de loi. » J’en conviens, et l’inclusion de la charte ne fait que perpétuer cette confusion.
Pour éviter cette confusion, je pense que la référence devrait être éliminée complètement. En fait, je n’ai entendu aucun argument à ce jour qui justifierait son inclusion dans la loi fédérale. On nous répète qu’elle ne diminue pas les droits des anglophones, mais on ne dit pas comment elle va aider ou avantager les francophones du Québec.
Pourquoi le gouvernement fédéral insiste-t-il pour qu’on garde les références à la charte? En réponse à une question de la sénatrice Mégie, le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, a expliqué qu’il partageait les préoccupations de la communauté anglophone du Québec et qu’il percevait cette inquiétude par rapport à l’avenir.
Il a dit qu’il existait beaucoup de spéculation. Il a posé la question suivante :
Si on change la charte à un certain moment, est-ce qu’il faudra changer la Loi sur les langues officielles?
C’est une question très légitime qui continue de semer la confusion et l’incertitude.
Le commissaire reconnaît que les anglophones du Québec ont de quoi être inquiets. Ils s’inquiètent réellement des impacts qu’aura le projet de loi sur la communauté et il n’est absolument pas question de nuire à la promotion ou à la protection du français au Québec.
Comme l’a dit Eva Ludvig, présidente du Quebec Community Groups Networks, au Comité des langues officielles : « Les Québécois anglophones comprennent le défi que représentent la protection et la promotion du français et soutiennent les efforts qui visent réellement à atteindre cet objectif. »
Dans l’ensemble, les allophones et les anglophones sont bien intégrés dans la société québécoise et ils sont nombreux à faire de grands efforts pour améliorer leur connaissance du français et à avoir adopté la culture.
Dans une lettre d’opinion que j’ai lue récemment au sujet d’un autre dossier, j’ai été inspiré par ce que les auteurs ont écrit au sujet de notre responsabilité en tant que sénateurs d’user de nos pouvoirs législatifs à bon escient. Ils ont écrit ceci :
En tant que législateurs, nous croyons que toute approche législative ou réglementaire ou toute politique doit nécessairement avoir pour objectif d’accroître la portée des droits plutôt que de la restreindre.
Je suis bien d’accord.
Pourtant, nous nous apprêtons à adopter un projet de loi fédéral qui, en somme, avalise une loi provinciale que plusieurs considèrent comme néfaste pour la minorité anglophone du Québec, car elle restreint les droits de cette minorité. Pourquoi les minorités allophones et anglophones de Montréal et du reste du Québec n’auraient-elles pas les mêmes droits que les autres minorités?
Encore une fois, je veux que ce soit clair : j’appuie les objectifs du projet de loi C-13. Ils sont valables et méritent d’être appuyés. Je souhaite simplement que soient supprimées les mentions de la Charte, qui inquiètent de nombreux membres de la minorité anglophone du Québec.
Si nous savons que les mentions de la Charte ne contribueront pas à la protection de la langue française au Québec ou n’apporteront pas de droits supplémentaires aux francophones, tout en sachant que la communauté anglophone s’y oppose totalement et estime que ses droits sont bafoués et restreints, pourquoi ne pas supprimer purement et simplement ces mentions?
Cela me rappelle ce que le doyen Robert Leckey, de la faculté de droit de l’université McGill, a dit au comité au sujet de l’inclusion de la disposition de dérogation dans la Charte de la langue française du Québec. Il a expliqué que :
[…] la Charte de la langue française, dans sa forme actuelle, [...] permet de déroger à tous les droits de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Charte québécoise des droits et libertés auxquels il est possible de déroger. C’est ce que la Charte de la langue française signifie désormais.
Monsieur Leckey nous a tous interpellés, en disant que, si nous ne voulons pas approuver l’adoption du projet de loi C-13 et si nous ne nous sentons pas à l’aise avec cela, nous devrions peut-être réfléchir à ces mentions.
Pour ma part, cela ne m’apparaît pas acceptable. J’ai beaucoup réfléchi à ces mentions. Les mentions de la Charte québécoise n’offrent aucune protection supplémentaire à la langue française dans la loi fédérale. Au lieu de cela, si nous adoptons le projet de loi tel quel, j’ai l’impression que le Parlement apposerait son timbre d’approbation sur une loi provinciale qui est actuellement contestée devant les tribunaux en raison de son invalidité constitutionnelle et de son emploi préventif de la disposition de dérogation. Personnellement, je ne peux pas voter en faveur d’un projet de loi qui prévoit une telle approche et une telle approbation, qu’elle soit implicite ou non.