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Projet de loi sur la lutte contre l’ingérence étrangère

Troisième lecture--Débat

19 juin 2024


L’honorable Tony Dean [ - ]

Propose que le projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère, soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-70, Loi sur la lutte contre l’ingérence étrangère. Mon discours sera plus court aujourd’hui, et je partage votre soulagement, à la fois collectif et individuel, à cet égard.

Le projet de loi C-70 est une initiative législative importante qui touche à trois lois existantes et qui en crée une nouvelle, importante elle aussi, toutes dans le domaine de la sécurité nationale et de la défense au Canada.

Lorsque nous réfléchissons à des initiatives d’intérêt public, c’est généralement parce que des occasions se présentent — des occasions d’affaires, des débouchés à l’exportation — ou dans le but de remédier à des préjudices. Certains de ces enjeux sont complexes et nécessitent des interventions multidimensionnelles. Dans ce cas, le gouvernement s’efforce d’élaborer une série d’approches pour tenter de saisir la nature du problème auquel nous sommes confrontés. Des fonctionnaires dans cette enceinte, les sénateurs Harder, Cotter et McNair ainsi que les sénatrices Oudar et Saint-Germain, peuvent en témoigner.

En l’occurrence, le projet de loi C-70 vise à relever le défi complexe de la protection des Canadiens et des autres personnes qui vivent au Canada contre les États étrangers cherchant à s’ingérer dans la démocratie canadienne et à exercer une influence sur ses principales institutions et communautés, notamment sur le Parlement, les diasporas et le milieu universitaire. Ces activités sont déloyales, menaçantes et, dans bien des cas, illégales.

L’ingérence étrangère, et plus précisément l’ingérence étrangère dans un dessein malveillant, diffère des voies de dialogue légales et légitimes telles que le lobbying, la défense de droits et d’intérêts et l’activité diplomatique ordinaire. L’ingérence étrangère prend des formes complexes et est, de par sa nature, élusive.

Des rapports et des études nous ont appris la présence d’ingérence étrangère. Il est donc nécessaire d’élaborer des approches multidimensionnelles pour contrecarrer son action. C’est un élément de la Loi sur la lutte contre l’ingérence étrangère.

À l’étape de la deuxième lecture, j’ai évoqué les initiatives antérieures visant à revoir la réponse du Canada, et j’aimerais faire de même, quoique plus brièvement, aujourd’hui.

En 2019, avant les élections générales canadiennes, le gouvernement a annoncé le plan pour protéger la démocratie canadienne, qui comprenait, entre autres mesures, le Protocole public en cas d’incident électoral majeur ainsi que le Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements visant les élections.

En 2022, des fuites provenant du Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS, ont allégué que la Chine s’était livrée à de l’ingérence étrangère dans les élections de 2019 et 2021. Cela a conduit des comités de la Chambre des communes à effectuer des études sur l’ingérence étrangère.

En mars 2023, le premier ministre a demandé la réalisation de deux études indépendantes sur la question. L’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement a été chargé de mener un examen axé sur la production et la diffusion de renseignements sur l’ingérence étrangère, mais aussi sur la manière dont ces renseignements sont communiqués au sein du gouvernement.

Dans un rapport parallèle publié il y a quelques semaines, le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement a conclu que :

Des États étrangers ont recours à des mesures d’ingérence sophistiquées [...] qui ciblent particulièrement les processus et institutions démocratiques du Canada; qui sont employées avant, pendant et après les élections; et qui visent tous les ordres de gouvernement. Ces activités continuent de faire peser une menace considérable sur la sécurité nationale et l’intégrité globale de la démocratie du Canada.

La Chine, l’Inde et l’Iran ont été mentionnés en tant que principaux acteurs à ce chapitre.

À l’automne 2024, le gouvernement a mis en place la Commission sur l’ingérence étrangère afin de répondre aux préoccupations croissantes à ce sujet. Les témoins ont insisté sur la nécessité de s’attaquer à cette menace grave et ont signalé des cas où des acteurs étatiques étrangers les surveillaient, les intimidaient ou les harcelaient, eux et leur famille. Bien entendu, nous savons que ce problème est encore plus pressant chez les membres de diasporas.

Il y a un an, le gouvernement a également organisé des consultations publiques pour guider la création du registre des agents étrangers, ainsi que des consultations distinctes portant sur d’éventuelles modifications à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, au Code criminel, à la Loi sur la protection de l’information et à la Loi sur la preuve au Canada.

Je reviens sur tout cela pour vous rappeler, chers collègues, que ce projet de loi n’est pas tombé du ciel. Il n’a pas été créé en vase clos. En effet, il est le résultat de plus d’un an de consultations et de conseils d’experts.

Je vais résumer une nouvelle fois, mais brièvement, les principaux changements apportés par cette loi, sans revenir sur les nombreux détails abordés à l’étape de la deuxième lecture.

Tout d’abord, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité est modifiée de façon à donner à ce service de nouveaux pouvoirs afin qu’il puisse conseiller ses partenaires non fédéraux, y compris les autres ordres de gouvernement, pour leur permettre de renforcer leur résilience face aux menaces. Les modifications prévoient aussi la tenue d’un examen parlementaire quinquennal de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité; elles accordent un éventail de pouvoirs en matière de mandat adaptés aux exigences des enquêtes et, surtout, elles permettent au Service canadien du renseignement de sécurité de recueillir, depuis le Canada, des renseignements à l’étranger.

Le projet de loi modifierait également la Loi sur la protection de l’information afin de créer des infractions d’ingérence étrangère ciblée, notamment une infraction générale d’ingérence étrangère commise pour une entité étrangère, un acte criminel commis pour une entité étrangère et une ingérence politique pour une entité étrangère. Il modifierait l’infraction existante de menaces ou de violence exercées pour le compte d’une entité étrangère, soit l’article 20, en éliminant la nécessité de prouver que l’acte a réellement aidé les acteurs de l’État étranger ou nuit au Canada. Il ferait passer la peine pour les infractions liées à l’accomplissement d’actes préparatoires de deux à cinq ans si elles sont commises en relation avec une infraction au titre de la Loi sur la protection de l’information, qui est passible d’une peine d’emprisonnement d’au moins 10 ans. Le projet de loi modifierait également la définition de « renseignements opérationnels spéciaux » afin de lutter contre la transmission inappropriée de technologies et de connaissances militaires.

Les modifications proposées au Code criminel renforceraient la réponse juridique au sabotage en créant une infraction de sabotage axée sur les actes visant les infrastructures essentielles et en précisant les catégories d’infrastructures essentielles protégées. Les modifications préciseraient aussi expressément que les infractions de sabotage ne s’appliqueraient pas aux gens qui prennent part à des revendications, à des protestations ou à des manifestations d’un désaccord légitimes et qui n’ont pas l’intention de causer les préjudices graves mentionnés dans la mesure législative. Elles créeraient une infraction de fabrication, de possession, de vente ou de distribution d’un dispositif permettant de commettre une infraction de sabotage, comme un logiciel malveillant ou un robot.

Un amendement adopté à la Chambre des communes inclut également une référence aux infrastructures essentielles en construction.

Enfin, chers collègues, la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère créerait un registre des agents étrangers, qui serait administré et mis en œuvre par un commissaire à la transparence en matière d’influence étrangère. Ce commissaire indépendant serait nommé par le gouverneur en conseil, ce qui, soit dit en passant, distingue le projet de loi de la législation de l’Australie et de la Grande-Bretagne, où le pouvoir revient au ministre responsable.

La nomination du commissaire exigerait la consultation des principaux groupes et partis à la Chambre des communes et au Sénat, ainsi que l’approbation finale des deux Chambres.

L’arrangement visant une influence étrangère est défini comme une entente au titre de laquelle une personne s’engage à exercer, sous l’autorité d’un commettant étranger ou en association avec lui, diverses activités à l’égard d’un processus politique ou gouvernemental au Canada, notamment communiquer avec le titulaire d’une charge publique; communiquer ou diffuser des renseignements relatifs au processus politique ou gouvernemental; distribuer de l’argent ou des objets de valeur, fournir des services ou mettre à disposition des installations.

Je souligne que cette liste n’est pas exhaustive et que le terme « processus politique » englobe non seulement les élections et les courses à l’investiture, mais aussi, et c’est essentiel, les courses à la direction des partis.

Voici les trois critères pour établir s’il y a arrangement : une personne doit agir sous l’autorité d’un commettant étranger ou en association avec lui; elle doit être engagée dans au moins une des activités d’influence étrangère énumérées dans la définition; et l’activité doit être exercée en lien avec un processus politique ou gouvernemental au Canada.

Je rappelle qu’on définit le terme « commettant étranger » ainsi :

L’entité économique étrangère, l’entité étrangère, l’État étranger ou la puissance étrangère, au sens [...] de la Loi sur la protection de l’information.

Chers collègues, il vaut la peine de le répéter : le projet de loi ne vise pas à interdire les arrangements avec des commettants étrangers au Canada, mais il précise que ces arrangements doivent être transparents.

Ne pas enregistrer l’arrangement ou l’activité dans les 14 jours pourrait entraîner des sanctions, comme un procès-verbal ou des sanctions administratives pécuniaires pour favoriser le respect de la loi. Dans les cas plus graves, le commissaire aurait la possibilité de traiter ces violations comme des infractions criminelles, pour lesquelles le service de police compétent pourrait mener une enquête.

Enfin, en raison d’un amendement à l’autre endroit, l’examen parlementaire des dispositions de cette loi a été modifié. Au lieu d’être entrepris tous les cinq ans, il devra être mené un an après une élection générale fédérale. Le projet de loi définit ainsi des freins et des contrepoids supplémentaires.

Chers collègues, je veux aussi parler brièvement de l’étude préalable du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants, dont les réunions ont été présidées par notre collègue le sénateur Dagenais, vice-président du comité, parce qu’en tant que parrain du projet de loi, je me suis retiré de la présidence. Je tiens à remercier et à féliciter le sénateur Dagenais de sa diligence, lui qui a géré un nombre considérable d’audiences intensives sur des enjeux très délicats.

En même temps, je félicite mes collègues du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Ils forment un groupe de parlementaires brillants qui non seulement fournissent de bons conseils, mais posent des questions difficiles tout en exerçant leur jugement avec diligence et bonne volonté. C’est un comité dont je suis fier de faire partie et que je suis fier de présider.

Merci, chers collègues.

Le comité s’est réuni pendant un total de 10 heures sur 3 jours — les 10, 12 et 13 juin — et il a entendu 35 témoignages. Les témoins ont dit qu’ils appuyaient le projet de loi et qu’ils s’attendaient à ce qu’il soit adopté rapidement.

Daniel Stanton, un ancien agent du Service canadien du renseignement de sécurité, a déclaré que le projet de loi C-70 :

[...] non seulement renforcera la sécurité nationale du Canada, mais accroîtra la confiance des Canadiens à l’égard de la résilience de nos institutions démocratiques.

Il a poursuivi ainsi :

Sans ces modifications déterminantes à la Loi sur la protection de l’information, il n’y aura pas de conséquences sévères pour l’ingérence étrangère et la répression transnationale. Ces modifications, ainsi que la mise en place du registre des agents étrangers, contribueront grandement à atténuer la menace importante qui pèse sur la sécurité nationale de notre pays.

Balpreet Singh Boparai de l’Organisation mondiale des sikhs du Canada, a déclaré ceci :

[...] le projet de loi confère au SCRS le pouvoir de communiquer, s’il le juge pertinent, des renseignements à toute personne ou à toute entité. Ce serait un pas dans la bonne direction, car des membres de la communauté sikhe ont été contactés conformément au devoir de mise en garde, sans toutefois obtenir de détails sur la nature des menaces en cause ni les ressources nécessaires pour se protéger.

Mehmet Tohti, directeur général du Projet de défense des droits des Ouïghours, a dit ceci :

Étendre la portée des dispositions pour que l’on puisse communiquer l’information à toute personne concernée, et non seulement à un fonctionnaire, si on le juge essentiel pour des raisons d’intérêt public, permettra d’accroître la transparence de l’appareil de l’État.

Il a dit également que cela :

[...] renforcera la confiance des Canadiens à l’égard de l’organisme et de sa capacité à détecter, à prévenir et à contrer les menaces que posent les agents étrangers [...]

Trevor Neiman, du Conseil canadien des affaires, a dit que « les gens d’affaires du Canada sont largement favorables à l’ensemble des mesures du projet de loi C-70 ».

Il a ajouté ceci :

Même si le SCRS possède à la fois le savoir et l’expertise nécessaires pour aider les entreprises canadiennes à résister aux menaces grandissantes, la désuétude des dispositions législatives qui encadrent ses activités fait en sorte que les entreprises sont laissées à elles-mêmes.

Il a aussi dit ce qui suit :

Grâce aux nouveaux pouvoirs d’échange de renseignements sur les menaces, le SCRS pourrait communiquer des renseignements plus précis et plus pertinents aux entreprises canadiennes. Les chefs d’entreprise auraient ainsi une idée claire de la menace croissante et des mesures de protection à envisager pour mieux protéger leurs employés, leurs clients et les collectivités où ils exercent leurs activités.

Nous avons également entendu le témoignage de nombreux groupes de défense des libertés civiles, qui sont profondément préoccupés par la lenteur du processus législatif et par certains effets négatifs potentiels du projet de loi sur les droits et libertés individuels. Nous devons également prêter une oreille attentive à ces groupes.

Parmi les observations annexées au rapport, on retrouve la nécessité de doter la GRC de ressources suffisantes pour faire appliquer les dispositions du projet de loi, l’incertitude créée pour les universités dans leurs relations et partenariats avec les établissements étrangers, la nécessité pour le commissaire au registre canadien pour la transparence en matière d’influence étrangère d’établir un dialogue avec ces groupes ainsi que de fournir des conseils et des précisions sur leurs obligations aux termes de la loi, les effets involontaires potentiels sur les communautés de la diaspora et les droits individuels, y compris la liberté d’expression et la liberté d’association, et, enfin, la reconnaissance du fait qu’il aurait été souhaitable pour le comité d’avoir plus de temps pour étudier ce projet de loi.

Chers collègues, des sénateurs nous ont dit que nous aurions tous aimé disposer de plus de temps pour étudier un projet de loi aussi complexe et pour en examiner les amendements.

Je voudrais vous faire part d’un aspect de nos travaux. J’espère que mes collègues du comité comprendront où je veux en venir. À la fin de la réunion et même après, les membres du comité étaient préoccupés — je crois qu’on peut dire que c’était unanime —, ce qui les a poussés à chercher des approches appropriées. L’une d’entre elles consistait à ne pas conclure l’étude et à ne pas mettre un terme à son mandat pour plutôt envisager la possibilité de demander un nouvel ordre de renvoi afin de continuer à suivre la création et l’évolution de l’institution, des processus et des règlements à la suite de l’établissement du registre.

Chers collègues, je suis sensible à toutes les réserves qui ont été exprimées, mais je tiens à affirmer très clairement ma conviction que le temps presse et qu’il faut agir sans attendre.

L’ingérence étrangère est une menace grave et croissante pour la sécurité nationale. Nous en faisons déjà tous les frais. Hier, David Eby, le premier ministre de la Colombie-Britannique, a justement dit ce qui suit dans une lettre adressée au premier ministre : « De graves allégations d’ingérence étrangère à l’échelle fédérale font les manchettes en Colombie-Britannique. »

La lettre se poursuit ainsi :

[...] le gouvernement que je dirige ne dispose pas de l’information nécessaire pour intercepter ou contrer la moindre allégation d’ingérence étrangère à l’échelle provinciale.

Selon des reportages, il y a de fortes raisons de croire que des acteurs étrangers tentent d’interférer avec les Britanno-Colombiens ayant des liens ou de la famille en Chine, en Iran, en Ukraine, en Inde et en Russie. Nous sommes très préoccupés par les activités de la criminalité transnationale organisée, sur la base de notre enquête sur le blanchiment d’argent. L’avis d’experts à la suite d’un récent incident de sécurité informatique touchant des courriels du gouvernement provincial nous a donné des raisons de soupçonner l’implication d’un État étranger.

Chers collègues, nous savons que ce n’est pas le seul cas où des acteurs étrangers sont intervenus dans l’infrastructure électronique et numérique d’organisations du secteur privé et du gouvernement, car nous avons vu des rapports à ce sujet également.

La lettre du premier ministre se poursuit ainsi :

Une fois la loi adoptée, je vous prie de la faire entrer en vigueur immédiatement afin que nous puissions prendre toutes les mesures nécessaires ici, en Colombie-Britannique.

Chers collègues, ce n’est pas une question à prendre à la légère. Les provinces, les municipalités, les diasporas, les entreprises, les universités et d’autres groupes comptent sur nous pour que ce projet de loi soit adopté rapidement, et il est de notre devoir de les protéger.

Nous devons nous préoccuper des membres des diasporas. J’ai parlé à des gens de Toronto — tout comme vous avez parlé à des gens de chez vous — dont l’identité a été volée en ligne et remplacée par des représentations calomnieuses de leur comportement et de leurs éventuelles activités. C’est odieux. Tous ces éléments sont en jeu, et nos diasporas en subissent les conséquences au quotidien.

Chers collègues, avant de conclure, je tiens à revenir sur les discussions que nous avons eues hier au Comité de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants et sur le large consensus selon lequel nous devrons demander en automne ou plus tôt l’autorisation de continuer à jouer un rôle de surveillance dans l’examen du processus d’engagement en cours, du processus d’élaboration de la réglementation et d’autres questions de politique et de conception clés liées au projet de loi C-70.

Merci, chers collègues. C’est un privilège, comme toujours, de participer avec vous à ce travail extrêmement important, et j’ai hâte que ce projet de loi soit adopté.

Merci beaucoup.

L’honorable Marty Deacon [ - ]

Le sénateur accepterait-il de répondre à une question? Merci beaucoup. Comme vous l’avez dit, un thème commun qui est certainement ressorti des réunions de notre comité et des séances d’information est le manque de temps pour examiner ces dispositions législatives corrélatives. L’examen obligatoire aura lieu après les élections, qui sont actuellement prévues pour la fin de 2025.

Vous avez parlé de ce point. Si le projet de loi est adopté, pouvez-vous préciser le rôle important que le Sénat et notre comité pourraient jouer à l’automne dans la poursuite de l’examen de ces mesures pour déterminer, franchement, s’il y a quelque chose qui nous a échappé ou qui pourrait être corrigé?

Le sénateur Dean [ - ]

Tout d’abord, je vous remercie pour la question, car elle me permet de parler davantage de ce sujet. Or, je suis peut-être déjà allé trop loin. Je dirai ceci : on a clairement abordé et compris la nature du problème. Tout le monde ici convient que nous n’avons pas eu le temps de nous pencher sur les enjeux complexes soulevés autant que nous l’aurions souhaité, qu’il s’agisse des avantages du modèle proposé — et ils sont nombreux — ou de certains des défis qu’il pose.

Je n’ai pas parlé à notre comité directeur, mais j’imagine — et nous pouvons toujours formuler des hypothèses à cet égard — que le comité pourrait chercher à obtenir un mandat, ou que le Sénat dans son ensemble pourrait vouloir faire quelque chose, pour examiner davantage les problèmes, les questions et les perspectives que les sénateurs jugent ne pas avoir eu le temps de suffisamment prendre en considération, à cause de la rapidité du processus.

Étant donné la rapidité de ce processus et le peu de temps dont nous disposons, je tiens à féliciter tous les sénateurs du travail remarquable qu’ils ont fait. Ils se sont bien acquittés de leur tâche, comme ils le font souvent lorsque le temps presse. Cependant, sénatrice Deacon, il nous faut un ordre de renvoi de portée très générale afin de nous permettre d’examiner les choses que nous n’avons pas couvertes de manière suffisamment détaillée pour nous donner à tous l’assurance que nous avons bien fait notre travail et que nous l’avons achevé de la manière désirée.

L’honorable Andrew Cardozo [ - ]

Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Dean [ - ]

Oui, bien sûr.

Le sénateur Cardozo [ - ]

Tout d’abord, sénateur Dean, je tiens à vous remercier de votre leadership en tant que parrain du projet de loi et de nous avoir fourni tous les renseignements dont nous avions besoin au cours du processus.

Assurément, comme vous le dites, l’ingérence étrangère est une menace grave et grandissante, tant en ce qui concerne les pays qui veulent interférer dans le système politique canadien que les personnes qui souhaitent intimider les membres des diasporas relativement à la situation politique d’un autre pays.

Vous avez parlé de l’équilibre en termes de libertés civiles. L’une des questions pressantes était la nécessité… La raison pour laquelle nous voulons adopter ce projet de loi maintenant, c’est pour que le registre soit établi d’ici les prochaines élections, prévues à l’automne 2025. Pensez-vous que nous disposons de suffisamment de temps pour y parvenir? Je fais appel à votre expérience de haut fonctionnaire. Pensez-vous avoir le temps de franchir les étapes nécessaires pour mettre en place le registre bien avant les élections?

Le sénateur Dean [ - ]

Compte tenu du fait que nous ne connaissons manifestement pas la date des prochaines élections fédérales, je dirais que si elles ont lieu au moment où elles doivent avoir lieu — à la date anniversaire appropriée —, avec beaucoup de travail, la recherche proactive d’un commissaire et une diligence raisonnable en matière de consultation, je crois que le gouvernement devrait pouvoir agir rapidement. Les commissions peuvent agir rapidement quand on le leur demande. Le gouvernement travaille bien quand il se concentre sur une priorité et qu’on lui donne un mandat bien clair, ce qui vaut pour les politiciens comme pour les fonctionnaires.

C’est un des défis les plus pressants au Canada en ce moment, et il mérite une réponse rapide, mais diligente.

Le nouveau commissaire et les personnes qui participeront à la création de cette nouvelle organisation devront trouver un juste équilibre entre la rapidité, un bon jugement, le recrutement du talent approprié — un facteur de succès absolument essentiel dans tout cela —, les bonnes responsabilités et un échéancier aussi fiable que convenable.

En tenant compte de tous ces facteurs, la chose est possible, sénateur Cardozo, et j’ajouterais qu’elle doit être faite. Je crois que vous en conviendrez tous. Merci.

L’honorable Leo Housakos [ - ]

Le sénateur Dean accepte-t-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Dean [ - ]

Oui.

Le sénateur Housakos [ - ]

Merci, sénateur Dean, et merci pour votre travail à titre de parrain du projet de loi. Nous avons vu à quelle vitesse les choses peuvent évoluer quand le gouvernement s’engage à faire quelque chose. Bien sûr, comme vous le savez tous dans cette enceinte, il me répugne, par principe, de voir des lois adoptées à la hâte.

Mais ne convenez-vous pas, sénateur Dean, que nous sommes en retard par rapport à d’autres alliés du groupe des Cinq en ce qui concerne l’ingérence étrangère? Plus important encore, étant donné que nous avons un regain d’intérêt pour la question, seriez-vous d’accord pour dire qu’il n’y a absolument rien qui empêche le Sénat, au cours des prochains mois et des prochaines années, de confier à certains de ses comités — le Comité des affaires étrangères et du commerce international; le Comité de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants; le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, par exemple — la tâche de poursuivre sur cette lancée pour que la sécurité nationale soit véritablement une priorité et de déterminer la meilleure voie à suivre? Ne pourrions-nous pas jouer un rôle dans toutes ces facettes de la question?

Le sénateur Dean [ - ]

C’est là une question pour laquelle je vais m’en remettre à la Chambre. Je ne vais pas devancer mes collègues. Il s’agit d’une discussion que vous devriez avoir. Je ne vais pas me prononcer là-dessus.

Pour le moment, je ne peux que vous dire quelles étaient les dispositions de certains de mes collègues au sein du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants.

L’honorable Michael L. MacDonald

Honorables sénateurs, je suis heureux d’intervenir aujourd’hui à propos du projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère. Je croyais, au départ, que nous en parlerions demain. Vous serez donc heureux de savoir que mon discours sera plus court qu’il le serait normalement.

Quoi qu’il en soit, on attendait ce projet de loi sur l’ingérence étrangère depuis longtemps, et je soutiens son objectif consistant à rendre plus transparent le comportement des acteurs étrangers. Cela dit, ce projet de loi prouve une fois de plus que le gouvernement ne répond aux problèmes urgents que lorsqu’il y est contraint par l’attention croissante du public, qui entraîne des baisses dans les sondages.

Je note que le sénateur Housakos a présenté le projet de loi S-237 en février 2022. Le gouvernement aurait très bien pu agir contre l’ingérence étrangère à ce moment-là, ou même avant. Le premier ministre aurait dû prendre des mesures dès qu’il a eu connaissance de l’ingérence étrangère, et non attendre que la nouvelle soit rendue publique. En n’agissant pas, il a mis en péril la sécurité des Canadiens. Les Canadiens veulent que nous fassions quelque chose, et ce, le plus tôt possible.

Le fait est que le premier ministre a eu d’innombrables occasions de faire quelque chose au sujet de l’ingérence étrangère et qu’il a refusé d’agir jusqu’à ce que la pression publique rende impossible de fermer les yeux sur la situation. Le rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, déposé au début de juin, lui a forcé la main. J’espère sincèrement que le projet de loi à l’étude pourra commencer à combattre ce qui est devenu un risque existentiel pour le processus démocratique au Canada.

Quoi qu’il en soit, j’appuie le projet de loi C-70. Il s’est fait attendre longtemps, mais mieux vaut tard que jamais. Il faut absolument veiller à ce qu’il n’y ait pas d’ingérence étrangère lors des prochaines élections.

Le projet de loi C-70 compte de nombreux éléments positifs. Je pense notamment à l’obligation d’évaluer l’ingérence étrangère sur les campus universitaires canadiens. L’obligation prévue dans le projet de loi C-70 d’enregistrer les subventions de recherche accordées par des institutions représentant les intérêts d’un gouvernement étranger empêchera les établissements universitaires canadiens d’être redevables à des organisations étrangères. Ces subventions et ces liens pourraient mettre en péril la sécurité nationale ou même encourager des recherches qui portent atteinte au tissu identitaire de notre pays.

Le vol de propriété intellectuelle par des acteurs étrangers a suscité de vives inquiétudes. Ce type de vol met en péril la sécurité nationale, et le manque de mesures de protection fait en sorte que le Canada est actuellement un endroit moins attrayant pour les entreprises multinationales qui souhaitent mener des recherches. En outre, les recherches menées par des Canadiens peuvent être transmises à des pays étrangers. Il y a eu l’incident très médiatisé où deux scientifiques du Parti communiste chinois, à la solde de Pékin, ont pu travailler dans le laboratoire de recherche en maladies infectieuses de Winnipeg au profit de la Chine, un acte qui aurait très bien pu mettre en péril la sécurité des Canadiens.

Exiger des chercheurs, tant sur les campus qu’à l’extérieur, qu’ils enregistrent leur financement est une mesure préventive importante contre ces violations massives de la sécurité.

Je m’inquiète également des efforts déployés par des pays non alliés pour financer des recherches universitaires qui délégitiment le Canada ou nos alliés. Ce projet de loi fournit un cadre pour atténuer mes préoccupations en exigeant des universitaires qu’ils déclarent leur financement étranger.

J’aimerais souligner que, lorsque ce projet de loi a été étudié à la Chambre des communes — suis-je autorisé à dire cela? —, un mémoire a noté que les manifestations antisémites actuelles sur les campus universitaires pourraient être financées par des acteurs étrangers. Je serais certainement intéressé — comme vous tous, je l’espère — de voir si les professeurs qui participent actuellement à ces manifestations finissent par déclarer avoir reçu des subventions étrangères de pays qui soutiennent ce comportement aberrant dans nos campus.

Un autre point positif est que le projet de loi C-70 permet aux Canadiens de savoir qui les parlementaires qui les représentent rencontrent et avec qui leurs représentants ont cultivé des relations étroites. Le Sénat a entendu des témoignages sur les horribles violations des droits de la personne commises à l’encontre de la minorité ouïghoure en Chine ainsi que sur la répression brutale des libertés individuelles par les gouvernements de l’Iran et de la Russie. Je pense que la plupart des Canadiens voudraient savoir si leurs parlementaires développent des relations personnelles avec ces régimes autoritaires ou, surtout, si les intérêts de ces acteurs étrangers commencent à l’emporter sur les intérêts des Canadiens.

Il est évident que les titulaires d’une charge publique qui entretiennent des relations avec ces agents étrangers doivent faire preuve de transparence, de la même manière qu’ils doivent faire preuve de transparence, comme nous, au sujet de leurs rencontres avec des lobbyistes.

À cet égard, j’ai souvent remarqué que certains d’entre nous semblent parfois oublier que nous sommes ici pour représenter les Canadiens et les intérêts canadiens, et non ceux de puissances étrangères. Les membres des communautés de la diaspora sont libres, ici au Canada, de faire entendre leur voix, un privilège qu’ils n’avaient peut-être pas dans leur pays d’origine. Cela n’est pas remis en question, et il n’est pas question non plus de les empêcher de parler de sujets importants pour leur communauté. Ce n’est pas de cela qu’il est question dans le projet de loi — en fait, c’est tout le contraire. Le projet de loi C-70 a été demandé par des membres des communautés de la diaspora qui sont réellement préoccupés par le comportement des gouvernements des pays qu’ils ont fuis.

Je partage cependant certaines des préoccupations exprimées par le sénateur Housakos à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi au Sénat. Je ne suis pas convaincu que ce projet de loi sera pleinement mis en œuvre avant les prochaines élections et, pour cette raison, je suis sincèrement préoccupé par l’intégrité des prochaines élections. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis favorable à l’adoption de ce projet de loi le plus rapidement possible. La sécurité nationale n’est pas un enjeu partisan. Il s’agit plutôt d’une question qui concerne tous les Canadiens et qui transcende les clivages politiques.

J’ai également quelques préoccupations quant à l’indépendance du commissaire à la transparence en matière d’influence étrangère proposé, étant donné que cette personne sera nommée par le gouvernement, même si la nomination aura lieu après consultation des partis de l’opposition. Cependant, je suis d’accord avec le sénateur Housakos pour dire que le projet de loi est mieux que rien et que le vide législatif actuel est attribuable à de nombreuses années d’inaction de la part du gouvernement.

J’invite tous les sénateurs à voter en faveur du projet de loi C-70 pour lui donner la meilleure chance d’être pleinement mis en œuvre avant les élections, à moins que le gouvernement libéral n’en retarde la mise en œuvre. Il est question de la sécurité nationale du Canada et du risque que le statu quo, qui consiste actuellement à ne disposer d’aucune mesure, représente pour les fondements d’un Canada libre et démocratique. Merci.

L’honorable Peter M. Boehm [ - ]

Honorables sénateurs, j’interviens au sujet du projet de loi C-70, Loi sur la lutte contre l’ingérence étrangère.

Beaucoup a déjà été dit, mais compte tenu du sérieux de la question et de son incidence sur un élément fondamental de la société canadienne, à savoir notre démocratie, je souhaite participer à cet important débat.

Les révélations contenues dans le Rapport spécial sur l’ingérence étrangère dans les processus et les institutions démocratiques du Canada, publié récemment par le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, sont troublantes. Le rapport démontre que les Canadiens, et plus particulièrement le gouvernement et les parlementaires, ne peuvent plus fermer les yeux sur l’ingérence d’États étrangers dans nos processus démocratiques.

Comme le révèle le rapport, des élus, anciens et actuels, ont sciemment collaboré avec des gouvernements étrangers au détriment de l’intérêt national du Canada. Le problème de l’ingérence étrangère dans les affaires du Canada et d’autres pays fait la manchette ces derniers temps, mais il existe depuis des décennies.

Le moment choisi pour la présentation du projet de loi dont nous sommes saisis a suscité beaucoup de débats et de frustration, car le gouvernement ne l’a présenté que récemment, après avoir ignoré pendant des années un danger clair et bien réel. Qui plus et, il demande au Parlement de l’adopter à la hâte en quelques semaines seulement.

Les parlementaires et les Canadiens conviennent que le Canada doit enfin commencer à prendre au sérieux l’importante menace pour la sécurité nationale que représente l’ingérence étrangère. Voilà l’objectif du projet de loi C-70.

Ce projet de loi n’est pas parfait — je n’ai encore jamais vu un projet de loi qui l’était —, mais il s’agit d’un premier pas très concret dans la lutte contre l’ingérence étrangère dans nos processus démocratiques, surtout dans le contexte où nous nous dirigeons vers les prochaines élections fédérales.

Alors qu’il est nécessaire de définir clairement ce qu’on entend par « ingérence étrangère », nous devons aussi comprendre son incidence sur nos processus démocratiques et savoir quels processus outre les élections elles-mêmes elle touche. Dans son rapport, le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement énonce les processus clés suivants :

l’élection en tant que telle;

les processus de mise en candidature, y compris les courses à la chefferie;

les travaux parlementaires, y compris les motions parlementaires et les processus législatifs;

les campagnes;

les activités de financement.

Quand il est question d’ingérence étrangère, nous devons reconnaître, surtout en tant que parlementaires, qu’une démocratie fonctionnelle ne se limite pas à l’acte de voter.

Pour comprendre comment les acteurs étrangers malveillants cherchent à influencer ces processus, le Comité précise que l’ingérence étrangère :

[...] sape les droits démocratiques et les libertés fondamentales des Canadiens; l’équité et l’ouverture des institutions publiques du Canada; la capacité des Canadiens de prendre des décisions éclairées et de participer aux débats publics; l’intégrité et la crédibilité du processus parlementaire du Canada; et la confiance du public envers les décisions de politiques publiques qui sont prises par le gouvernement.

Par conséquent, chers collègues, il ne s’agit pas seulement du risque pour un candidat d’être élu avec l’aide d’un État étranger, ce qui est certainement très grave. On parle ici des agressions continues et pendant de longues périodes envers un élément fondamental de notre société et la confiance du public nécessaire pour assurer sa survie.

En plus de créer un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère et d’aider le SCRS à mieux faire son travail grâce à des modifications à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et à des investissements accrus, le projet de loi C-70 joue un rôle important dans le débat public entourant l’ingérence étrangère.

La semaine dernière, le Comité de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants a consacré plus de 11 heures à l’étude préalable du projet de loi C-70, et on nous a dit que, même s’il y a de vives préoccupations, notamment par rapport aux répercussions possibles sur la protection des renseignements personnels, au droit de manifester et au fait d’adopter le projet de loi à la hâte, on s’entend généralement pour dire que ces mesures sont absolument nécessaires et qu’il est grand temps de les adopter.

Le problème, à mon avis, c’est que les parlementaires et leur personnel n’ont pas les connaissances nécessaires pour détecter des tentatives d’ingérence étrangère. En tant que parlementaires, nous rencontrons souvent des ambassadeurs, des hauts-commissaires et d’autres diplomates, tout comme les membres de notre personnel. Cela fait partie de la diplomatie et de notre rôle dans cette enceinte.

Tout comme les diplomates canadiens à l’étranger tentent d’influencer des gouvernements et des législateurs pour promouvoir les priorités et les intérêts nationaux du Canada, des diplomates étrangers accrédités au Canada sont envoyés par leur pays pour tenter d’exercer une influence sur nos propres politiques. Cependant, il y a des limites que les diplomates ne dépassent pas et ne peuvent pas dépasser. Comme dans n’importe quel domaine, il y a des zones grises, mais il est important de reconnaître les différences entre l’influence étrangère et l’ingérence étrangère.

Dans ma vie antérieure d’agent du service extérieur, qui a duré 37 ans et pendant laquelle j’ai surtout été en poste à l’étranger, j’ai établi des relations avec d’autres personnes, je les ai influencées et parfois même courtisées en vue de promouvoir les intérêts du Canada. Cependant, peu importe les objectifs que je tentais d’atteindre, je n’ai dépassé aucune limite.

Une conduite diplomatique acceptable implique que les États s’engagent dans des interactions ouvertes, transparentes et convenues de part et d’autre afin de promouvoir leurs valeurs et leurs intérêts nationaux respectifs, de bâtir des alliances et de favoriser la coopération internationale. Ces activités sont menées dans le cadre du droit international et des normes établies en vertu de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 et de son complément, la Convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963.

Le Canada exerce une influence active sur d’autres pays de diverses façons. Par exemple, il préconise la ratification d’accords de libre-échange, la désescalade des conflits et des tensions dans le monde et l’avancement de ses objectifs et de ses valeurs stratégiques, y compris les droits de la personne, l’autonomisation politique des femmes et les droits des personnes LGBTQI+.

L’interaction avec des fonctionnaires étrangers, ici à Ottawa et lors de mes affectations à l’étranger, est un élément essentiel de mon ancienne vie et de ma vie actuelle. C’est la norme pour la plupart, voire la totalité, d’entre nous dans cette enceinte, ainsi que pour notre personnel. Toutefois, outrepasser les activités diplomatiques normales pour tenter de miner la démocratie et la société d’un pays souverain, c’est franchir la ligne qui sépare l’influence de l’ingérence. Voilà pourquoi il est tellement important de reconnaître la différence entre les deux. Malheureusement, il existe encore un manque de connaissances à cet égard.

Le projet de loi C-70 pourra changer les choses, mais il irait encore plus loin si les parlementaires et leur personnel disposaient des connaissances nécessaires pour faire la différence entre l’influence étrangère et l’ingérence étrangère, et ainsi pouvoir reconnaître et gérer les enjeux.

Avec toute l’attention et les sollicitations que nous recevons, en tant que parlementaires, de la part de représentants de pays étrangers aussi bien ici que lors de nos voyages à l’étranger, il serait dans notre intérêt — et dans celui de nos agences de renseignement — d’assister à des séances d’information détaillées. Que les parlementaires assistent à des séances d’information classifiées ou même non classifiées, des séances d’information non classifiées en matière de sécurité devraient à tout le moins être offertes au personnel des sénateurs, qui est également susceptible de faire l’objet de tactiques d’influence et d’ingérence.

Je sais que le Service canadien du renseignement de sécurité est disposé à fournir ces séances d’information. Il devrait également être possible d’obtenir des séances d’information non classifiées sur un pays en particulier, selon les besoins.

Au cours de ma carrière précédente, j’ai souvent lu et fourni des analyses de sécurité et de renseignement, et j’y ai parfois contribué. Je sais que savoir, c’est pouvoir, chers collègues, et je pense que les parlementaires peuvent jouer un rôle dans la lutte contre l’ingérence étrangère si on leur en donne les moyens.

Le milieu d’affaires canadiennes — en particulier le Conseil canadien des affaires — préconise également que le Service canadien du renseignement de sécurité communique des informations plus spécifiques et plus tangibles aux entreprises canadiennes. Tout comme les parlementaires et leur personnel, les chefs d’entreprise doivent comprendre l’évolution des menaces afin de mieux protéger leurs employés, leurs clients et leurs milieux.

Les modifications apportées à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité par le projet de loi C-70 permettront au Service canadien du renseignement de sécurité d’en dire davantage aux entreprises que ce qui est actuellement autorisé.

Des efforts sont déployés pour lutter contre l’ingérence étrangère dans nos processus démocratiques, non seulement au Canada, mais aussi au niveau mondial avec nos partenaires et nos alliés. Chers collègues, l’ingérence étrangère n’est pas un problème propre au Canada. C’est un problème qui touche toutes les démocraties libérales du monde. Si l’insatisfaction concernant la réaction du Canada à l’ingérence visant notre pays est justifiée, il est important de comprendre que le Canada n’est pas la seule cible. C’est pourquoi nous devons travailler avec nos partenaires et alliés dans le monde entier pour combattre la menace à laquelle nous faisons tous face.

À titre d’exemple, le Canada a travaillé avec ses partenaires du G7 sur une approche unifiée pour contrer les activités étrangères malveillantes lors du sommet du G7 qui s’est tenu la semaine dernière en Italie. Dans le communiqué des dirigeants du G7 publié la semaine dernière à l’issue du sommet, les dirigeants ont reconnu la menace que pose la manipulation de l’information et l’ingérence étrangère, qui est désormais désignée par l’acronyme FIMI en anglais.

Les dirigeants du G7 se sont engagés à renforcer leurs efforts coordonnés en vue de mieux prévenir et détecter l’ingérence étrangère et d’y répondre, et ils demanderont à leurs ministres concernés de renforcer le Mécanisme de réponse rapide du G7 de Charlevoix en créant d’ici à la fin de 2024 un cadre d’intervention collective pour contrer les menaces venant de l’étranger qui planent sur la démocratie, y compris en exposant publiquement les opérations étrangères de manipulation de l’information.

Les efforts déployés à l’échelle nationale et internationale pour lutter contre les activités d’ingérence étrangère sont louables, mais il est essentiel que nous puissions examiner les mesures prises pour déterminer leur efficacité ou leur manque d’efficacité. Le projet de loi C-70 a été amendé par le Comité de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes afin d’exiger un examen parlementaire complet de cette loi et de son fonctionnement non seulement après chaque période de cinq ans, comme c’était prévu à l’origine, mais aussi au cours de la première année qui suit des élections générales. C’est important, chers collègues, surtout si l’on considère la gravité de la menace qui pèse sur notre démocratie, la nécessité de voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, et les préoccupations des communautés de la diaspora et des organismes de défense des libertés civiles.

Comme j’ai déjà présidé un comité qui a mené un examen quinquennal exhaustif et obligatoire de mesures législatives, à savoir la loi de Magnitski et la Loi sur les mesures économiques spéciales, je sais que les examens législatifs n’ont pas nécessairement lieu uniquement parce qu’ils sont inscrits dans la loi. J’espère que les parlementaires et les Canadiens peuvent compter sur les points suivants : que, dans le contexte de l’application de la loi dans le cas d’un examen postélectoral, le comité désigné du Sénat ou de la Chambre des communes devra recenser tous les cas d’ingérence qui ont pu se produire et indiquer comment ils ont été traités; que les membres de ce comité reçoivent toutes les séances d’information sur le renseignement et les habilitations de sécurité nécessaires; et que les rapports soient rédigés de manière à être accessibles aux Canadiens, qui méritent la transparence, en particulier pour les questions qui ont une incidence sur le fonctionnement de nos processus démocratiques fondamentaux.

Enfin, nous devons comprendre clairement comment le succès, ou l’échec, de la loi et de son application seront mesurés, sans attendre de voir ce qui se passera lors des prochaines élections. Le Comité sénatorial de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants peut jouer un rôle important en examinant la mise en œuvre du projet de loi C-70 au-delà des examens obligatoires, en particulier en ce qui concerne son incidence sur les communautés de la diaspora et les organismes de défense des libertés civiles.

Chers collègues, l’ingérence étrangère ne doit pas faire l’objet d’une hyperpartisanerie, car nous avons tous convenu qu’il s’agit d’une question d’une importance grave et durable. Elle exige également des solutions créatives et modernes, capables de s’adapter à des menaces et à des tactiques en constante évolution.

Malheureusement, le Canada a longtemps fait preuve de complaisance en matière de sécurité nationale. Il y a 100 ans déjà, l’ancien sénateur québécois Raoul Dandurand déclarait à la Société des Nations que les Canadiens « vivent dans une maison à l’épreuve du feu, loin des matières inflammables ». Malgré les guerres et les conflits dans le monde, les attaques terroristes et les cyberattaques, ainsi que les nombreuses crises humanitaires survenues au cours du siècle dernier, le Canada n’a pas renoncé à son sentiment d’invulnérabilité.

Le projet de loi C-70 se fait attendre depuis longtemps, chers collègues, mais il reconnaît peut-être enfin que le Canada n’est pas invincible et que nous sommes, en fin de compte, responsables de la sécurité de notre propre pays. Si nous ne sauvegardons pas le cœur de notre société, de notre démocratie, il n’y aura pas de pays à défendre.

Merci.

L’honorable Yuen Pau Woo [ - ]

Honorables sénateurs, permettez-moi tout d’abord de remercier mon ami le sénateur Dean pour sa sage gestion du projet de loi et mon ami le sénateur Dagenais pour m’avoir permis d’assister à titre d’observateur aux réunions du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants au cours de l’étude préalable.

Chers collègues, plus tôt dans la journée, on vous a avisé que je proposerais un amendement au projet de loi C-70 afin de supprimer les mots « en association avec » et « en collaboration avec ». Avant de le faire, permettez-moi de prendre quelques minutes afin d’expliquer pourquoi je pense que cette suppression est nécessaire.

Il y a six références à ces mots dans les parties 2 et 4 du projet de loi. Par exemple, les mots « en association avec » font partie de la définition d’un « arrangement » dans la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère. Cette loi exige que les personnes s’inscrivent et fournissent des renseignements :

… relatifs à des arrangements conclus avec des États étrangers ou des puissances étrangères et leurs intermédiaires au titre desquels des personnes s’engagent à exercer certaines activités liées à des processus politiques et gouvernementaux au Canada.

Elle définit un « arrangement » comme « Tout arrangement au titre duquel une personne s’engage à exercer, sous l’autorité d’un commettant étranger ou en association avec lui… »

Des fonctionnaires nous ont précisé qu’un « arrangement » comprend non seulement les contrats officiels, mais aussi d’autres types d’accords moins explicites. Voici ce qu’a déclaré un fonctionnaire de Sécurité publique Canada :

Un arrangement ne devrait pas nécessairement être un contrat écrit. Il ne serait pas nécessairement sur papier. Il pourrait s’agir d’une entente verbale. Au bout du compte, il appartiendrait au commissaire, en fonction des faits dont il dispose, de déterminer s’il y a une entente, un arrangement, un accord pour mener ces activités d’ingérence. La disposition est délibérément rédigée de façon à ne pas limiter l’arrangement à un seul contrat stipulant que X paie Y pour faire Z.

Autrement dit, le concept d’« arrangement » est déjà très élastique. C’est très bien parce que nous avons déjà le Registre des lobbyistes qui exige d’une personne qui représente officiellement un pays étranger qu’elle s’inscrive en application de cette mesure. Le nouveau registre de transparence en matière d’influence étrangère viendrait combler les lacunes du Registre des lobbyistes en augmentant le nombre d’activités ciblées et en élargissant la définition d’« arrangement ».

Quelle est l’utilité d’ajouter les mots « en association avec » à la définition d’« arrangement »? D’où cette formulation vient-elle? Elle est tirée du Code criminel et elle est liée aux infractions commises au profit d’une organisation criminelle.

Le paragraphe 467.12(1) du Code criminel se lit comme suit :

Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque commet un acte criminel prévu à la présente loi ou à une autre loi fédérale au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle, ou en association avec elle.

Il existe des précédents relativement à l’expression « en collaboration avec ». En 2001, dans l’arrêt R. c. Ruzic, la Cour suprême a expliqué qu’il existe une exigence implicite selon laquelle l’accusé a commis l’infraction principale avec l’intention de le faire au profit ou sous la direction d’un groupe dont il savait qu’il avait la composition d’une organisation criminelle, ou en association avec lui.

En 2012, dans l’arrêt R. c. Venneri, la Cour suprême a fait ressortir les principes qui sous-tendent les expressions « en association avec », « au profit de » et « sous la direction de ». La cour affirme qu’elles ont le même objectif :

« Elles ont pour objectif commun d’éliminer le crime organisé. À cette fin, elles ciblent spécifiquement les infractions qui sont liées aux organisations criminelles et en servent les intérêts. »

Dans ces arrêts, il est question de l’élimination du crime organisé et des activités des organisations criminelles. La Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère ne propose pas un registre du crime organisé et d’organisations criminelles. Il s’agit d’un registre pour la transparence qui vise à encourager les particuliers et les entités exerçant des activités de lobbying au nom d’un commettant étranger à faire preuve de transparence quant à leurs activités. Ces activités ne sont pas illégales; elles ne sont certainement pas criminelles. Après tout, le registre prévu dans la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère n’est pas censé constituer une liste noire, mais plutôt une liste blanche. En fait, l’une des caractéristiques du projet de loi C-70 est que toute personne qui se conforme au registre peut légitimement mener les activités d’ingérence politique énumérées dans la partie 2 du projet de loi C-70.

Les mots « en collaboration avec » peuvent avoir une certaine utilité pour poursuivre des personnes impliquées dans des gangs criminels, mais ne sont pas utiles aux fins de la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère. Au contraire, l’utilisation de ce critère obligera le commissaire à chercher une influence étrangère analogue à celle du crime organisé.

Comment va-t-il s’y prendre? Je crois que cela se résumera à un examen des points de vue exprimés par la personne soupçonnée d’être « en collaboration avec » l’agent étranger, même si le but du registre n’est pas de vérifier si les points de vue sont bons ou mauvais. Cette approche a déjà été perçue comme problématique dans les affaires criminelles où l’expression « en collaboration avec » a permis de criminaliser un comportement n’ayant qu’un lien ténu avec une organisation criminelle.

Prenez l’étude de cas sur la soi-disant ingérence étrangère malveillante qui est mise en évidence dans le document de consultation du ministre de la Sécurité publique sur le registre qui figure à présent dans le projet de loi C-70. Ce document décrit un scénario dans lequel un universitaire canadien est invité par une personne employée par un gouvernement étranger à rédiger un article d’opinion s’opposant à une position adoptée par le gouvernement fédéral, sans que la demande de l’acteur étranger soit divulguée. Cet exemple m’a fait froid dans le dos. Il laisse entendre que les Canadiens qui ont des interactions avec des gouvernements étrangers sont des dupes serviles qui n’ont aucune capacité de jugement individuel ou d’action. Comment savoir si le Canadien ne partageait pas déjà les opinions du gouvernement étranger ou s’il n’a pas, en fait, influencé l’agent étranger plutôt que l’inverse?

En réalité, le commissaire responsable du registre aurait du mal à déterminer si l’agent étranger a donné des instructions à l’universitaire. Le commissaire peut disposer d’informations sur les contacts entre l’agent et l’universitaire, mais, en l’absence de renseignements sur les directives, il devra deviner si l’universitaire était « en collaboration avec » l’agent étranger.

Le point de départ probable d’une telle évaluation sera le point de vue exprimé par l’universitaire. Le gouvernement renvoie la balle au commissaire pour déterminer comment définir un terme vague et problématique, et il compte sur les tribunaux pour corriger tout excès.

Cependant, nous devrions éviter de nous engager dans cette voie en invitant le commissaire à faire une telle tâche. Nous pouvons le faire en supprimant les mots « en association avec lui » dans la définition d’un « arrangement » avec un commettant étranger.

Honorables sénateurs, si vous pensez que cette étude de cas est marginale, permettez-moi de vous donner un exemple plus près de nous.

Lorsque les députés et les sénateurs se rendent dans un autre pays en tant que membres d’une association interparlementaire, ils rencontrent immanquablement des commettants étrangers, lesquels veulent porter à l’attention de leurs homologues canadiens des questions politiques qui leur tiennent à cœur. Très souvent, à leur retour à Ottawa, les parlementaires canadiens transmettent ces messages au ministre responsable, à un haut fonctionnaire ou au caucus d’un parti. J’ai entendu des collègues de la Colline défendre la réduction des droits de douane s’appliquant aux fromages après une visite au Royaume-Uni; un changement aux quotas d’importation de vin après une visite à Wellington; le besoin d’investir dans des installations d’exportation de gaz naturel liquéfié après une visite à Berlin; ou la nécessité d’appuyer la participation de Taïwan à l’Assemblée mondiale de la santé après un voyage parrainé à Taïwan. Les députés et les sénateurs sont-ils alors « en association avec » le pouvoir étranger et doivent-ils s’inscrire au registre prévu dans la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère? Après tout, ils font partie d’une association qui cherche explicitement à leur permettre d’influencer leurs homologues et d’être influencés par eux.

Vous souscrivez peut-être aux politiques préconisées par les Britanniques, les Allemands, les Néo-Zélandais, les Taiwanais, et vous êtes donc enclins à ne pas tenir compte de la nécessité de l’enregistrement. Cependant, que se passerait-il si une délégation parlementaire revenait de Pékin et plaidait en faveur d’une augmentation des vols entre la Chine et le Canada? Si elle faisait pression pour que le Canada ne suive pas l’exemple des États-Unis en imposant de lourds droits de douane sur les véhicules électriques chinois? Ces exemples vous inciteraient-ils à insister sur l’enregistrement?

À première vue, les députés et les sénateurs ne sont pas exemptés de l’obligation d’enregistrement aux termes de la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère. Le commissaire décidera peut-être de nous donner tous un passe-droit, mais qu’en sera-t-il de nos employés?

Qu’en sera-t-il des centaines d’associations commerciales bilatérales et multilatérales au Canada qui font un travail très semblable à celui de nos associations interparlementaires, et dont les représentants rencontrent régulièrement des dirigeants étrangers pour entendre leurs opinions sur les questions politiques qui touchent les relations bilatérales? Les membres des associations et des conseils commerciaux Canada-Union européenne, Canada-Japon, Canada-États-Unis ou Canada-Afrique devront-ils s’enregistrer s’ils remplissent l’un des trois critères énoncés dans la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère, simplement parce qu’ils sont « en collaboration avec » la puissance étrangère?

Pas plus tard que la semaine dernière, le Conseil canadien des affaires a envoyé une lettre au premier ministre, l’avertissant que le Canada risquait « l’isolement diplomatique » au sein de l’OTAN s’il n’atteignait pas son objectif de 2 % de dépenses en matière de défense. Je suppose que M. Hyder, le PDG du Conseil canadien des affaires, pense que nous serons isolés sur le plan diplomatique parce qu’il s’est entretenu avec des dirigeants de gouvernements de l’OTAN, qui lui ont dit cela. Je suis certain que M. Hyder n’est pas « chargé » par ces gouvernements de faire pression sur Ottawa, mais ne peut-on pas dire que lui et son organisation sont « en collaboration avec » les gouvernements de l’OTAN lorsqu’ils transmettent un tel message?

Qu’en est-il des centaines d’organisations culturelles, claniques et de la société civile au Canada qui ont des liens intrinsèques avec des gouvernements étrangers et qui, de temps à autre, pourraient établir des relations avec des fonctionnaires? Que ce soit bien clair : si l’un de ces groupes a conclu un « arrangement » ou agit « sur l’ordre » d’une puissance étrangère, il devrait certainement s’enregistrer, mais si ces critères ne sont pas remplis, est-il judicieux d’utiliser le terme plus vague « en association avec » pour les obliger à s’enregistrer?

On pourrait penser que ce n’est pas grave si les parlementaires, les associations commerciales ainsi que les groupes culturels et de la société civile doivent être enregistrés. Qu’arrivera-t-il alors si le terme « en association avec » englobe un très large éventail de personnes et de groupes? Je vous fais remarquer que l’expression « en association avec » se retrouve aussi dans la partie 2 du projet de loi qui porte sur l’ingérence politique, dont les conséquences ne sont pas banales. L’utilisation du terme « en association avec » pourrait piéger les Canadiens dans les affaires criminelles liées à l’ingérence politique en raison de leurs points de vue ou de leurs liens, d’où le risque d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité.

La nature non limitative du terme « en association avec » incitera le commissaire et les enquêteurs à examiner les antécédents et les points de vue exprimés par les agents soupçonnés, sous prétexte qu’ils sont « en association avec ». Même si le commissaire et les enquêteurs ne vont pas particulièrement dans cette direction, ils subiront de la pression de la part du public, y compris sous forme de dénonciation et de commérage, pour prendre des décisions à propos des entités qui devraient être enregistrées en raison de leurs opinions et des groupes avec qui elles ont des liens.

C’est ainsi que le maccarthysme est né.

Si vous doutez qu’une telle chose puisse se produire, je vous propose une étude de cas. J’ai appris hier qu’un groupe qui s’intéresse aux violations des droits de la personne commises par le Parti communiste chinois, le Chinese Canadian Concern Group on the Chinese Communist Party’s Human Rights Violations, avait écrit à la commissaire responsable de l’Enquête publique sur l’ingérence étrangère pour mettre en doute ma loyauté et celle de notre ancien collègue, le sénateur Victor Oh. Plus précisément, le groupe a exhorté la commissaire à réexaminer ma participation à la commission afin de tenir compte de mes « commentaires et collaborations passés ».

Dans un sens, je devrais remercier ce groupe de me fournir, juste au bon moment, un terrible exemple de stigmatisation sur la base de mes « commentaires et collaborations passés ». Vous pouvez être sûrs que, si le projet de loi C-70 est adopté, ce groupe et d’autres intervenants tireront parti de l’expression « en collaboration avec » pour stigmatiser beaucoup d’autres Canadiens qui bénéficient de beaucoup moins de protections que moi. En fait, dans sa lettre, le groupe a nommé d’autres Canadiens d’origine chinoise et les a présentés comme de possibles agents étrangers, sans aucune preuve et sans se soucier des conséquences.

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