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Projet de loi d'exécution de l'énoncé économique de 2020

Troisième lecture

5 mai 2021


L’honorable Frances Lankin [ + ]

Propose que le projet de loi C-14, Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique déposé au Parlement le 30 novembre 2020 et mettant en œuvre d’autres mesures, soit lu pour la troisième fois.

— Honorables sénateurs, je suis ravie de parler de ce projet de loi. Je n’ai pas l’intention de parler longuement, mais j’aimerais d’abord remercier certaines personnes. Je remercie le personnel du bureau du leader du gouvernement au Sénat, qui m’a mise en communication avec les personnes-ressources adéquates pour obtenir les renseignements dont j’avais besoin afin de bien comprendre ce projet de loi. Je remercie aussi le président et les membres du Comité sénatorial permanent des finances nationales ainsi que le personnel de soutien, qui ont tous travaillé fort pour examiner le projet de loi. Bien entendu, je remercie la sénatrice Marshall en sa qualité de porte-parole. D’ailleurs, je crois que nous aurons l’occasion de l’entendre aujourd’hui.

Je vais commencer par ce que ce projet de loi permet de faire. Les mesures comprises dans le projet de loi C-14 mettent en œuvre certains éléments de l’énoncé économique de l’automne, présenté en novembre dernier. Le projet de loi C-14 propose de fournir une aide immédiate aux familles à revenu faible ou à revenu moyen ayant de jeunes enfants, dans le cadre d’une nouvelle Allocation canadienne pour enfants. Il s’agit d’un supplément pour jeunes enfants qui sera versé aux familles admissibles à l’Allocation canadienne pour enfants. Ainsi, les familles dont le revenu net est égal ou inférieur à 120 000 $ recevraient ce paiement non imposable totalisant 1 200 $ par enfant. Quant à elles, les familles dont le revenu net est supérieur à 120 000 $ recevraient des paiements non imposables totalisant 600 $ par enfant. Cette aide temporaire permettra d’aider directement plus de 1,5 million de familles et plus de 2 millions d’enfants en cette période où, comme nous le savons, plusieurs sont encore aux prises avec les conséquences financières de la pandémie. Les paiements de janvier et d’avril correspondant à cette mesure seraient versés dans les semaines suivant la sanction royale. Il s’agit d’une disposition importante que les Canadiens attendent.

Ce projet de loi aiderait aussi les étudiants en éliminant les intérêts sur le remboursement de la partie fédérale du Programme canadien de prêts aux étudiants ou du Prêt canadien aux apprentis en 2021 et en 2022. Cela procurera plus de 329 millions de dollars d’aide à des Canadiens qui sont à la recherche d’un emploi ou qui en sont au début de leur carrière.

Le projet de loi C-14 ferait également passer de 1,168 milliard de dollars à 1,831 milliard de dollars la limite d’emprunt énoncée dans la Loi autorisant certains emprunts. Ce plafond rehaussé laisse une marge suffisante pour absorber les emprunts extraordinaires effectués le printemps dernier pour lutter contre la pandémie. Vous vous souviendrez peut-être que, lorsque j’ai pris la parole à l’étape de la deuxième lecture, j’ai mentionné que de l’argent avait été mis de côté pour certains des projets de loi prévoyant des mesures d’urgence en réponse à la COVID-19. Cet argent est maintenant intégré aux emprunts autorisés. En outre, on a rehaussé le montant de crédits encore non approuvés dans le cadre du processus budgétaire dont on prévoit avoir besoin, notamment pour d’éventuels projets de loi prévoyant des mesures d’urgence supplémentaires.

Vous n’êtes pas sans savoir que cette autorisation d’emprunt est assortie d’une limite et que le gouvernement doit tout de même obtenir l’approbation du Parlement dès qu’il dépense des deniers publics, ce qui se fait par la voie de projets de loi d’exécution du budget et, plus particulièrement, par la voie du Budget principal des dépenses et des budgets supplémentaires des dépenses. Nous aurons l’occasion d’examiner les dispositions précises concernant les dépenses afin d’approuver ces dernières au préalable. J’y reviendrai dans un instant, puisque cette question est pertinente concernant l’une des dispositions du projet de loi C-14.

Je ne vais pas aller dans le détail des autres mesures proposées dans le projet de loi C-14, mais elles facilitent l’accès des entreprises à la subvention pour le loyer. Vous vous souviendrez que l’idée initiale était de verser la subvention à la réception du paiement du loyer. Les entreprises et les associations d’entreprises ont été très nombreuses à répondre que leur flux de trésorerie était tel, en raison de la pandémie, qu’elles ne voyaient pas dans quelle mesure cette disposition pourrait leur être bénéfique. Le gouvernement a décidé, à juste titre, je pense, que ce paiement pourrait être effectué dès réception de l’avis de loyers dus. C’est très important pour aider les entreprises.

Il y a aussi des dispositions qui visent à prévenir et à gérer les pénuries de médicaments sur le marché canadien, en augmentant les Fonds d’aide et de relance régionale prévus dans les budgets destinés à la diversification de l’économie partout au pays. On parle du financement de toute une série de mesures, des mesures cruciales en matière de santé, toutes liées à la pandémie, mais aussi liées à la recherche ou encore à l’information du public, à l’aide publique et aux lignes d’écoute sur la santé mentale et autres.

Il y a aussi deux dispositions en lien avec le versement de paiements correspondant à la défunte Prestation canadienne d’urgence. Rappelez-vous qu’il y avait une date à partir de laquelle on pouvait en faire la demande. Même si la Prestation canadienne d’urgence a été maintenant remplacée par d’autres mesures, il y a encore des demandes en cours de traitement. Certaines font encore l’objet de vérification pour en assurer la légitimité et d’autres nécessitent davantage d’informations. Une certaine partie de ces fonds devra être versée; c’est donc une disposition qui le permet.

J’aimerais parler brièvement de ce que nous avons entendu au Comité des finances nationales, que je remercie une fois de plus pour son travail au sujet de ce projet de loi. Les sénateurs devraient être au courant des points qui ont été soulevés au comité. Je dirais que le projet de loi d’exécution du budget occupe maintenant la majeure partie du temps du comité. Quelques points très intéressants ont néanmoins été soulevés. Ils étaient en fait tous intéressants, mais je vais en souligner quelques-uns. Par exemple, la sénatrice Duncan a demandé, en examinant toutes les mesures de soutien contenues dans le projet de loi C-14, si elles convenaient à toutes les situations. Les témoins ont répondu que, dans un monde idéal, les nouvelles mesures de soutien n’auraient pas les mêmes limites pour tous les secteurs, car certains secteurs auront besoin de plus de temps pour remonter la pente. Nous avons beaucoup entendu parler du secteur du tourisme et de l’hôtellerie. Comme le sénateur Plett et le sénateur Gold l’ont dit plus tôt cet après-midi, nous sommes tous très conscients des défis que ce secteur doit relever. Certaines entreprises, comme les hôtels et d’autres commerces liés au tourisme, auront besoin de plus de temps pour remonter la pente que d’autres entreprises d’autres secteurs, alors des dates limites adaptées au contexte pourraient être nécessaires.

Cependant, nous avons constaté que dans les projets de loi précédents en réponse à la COVID, certaines mesures d’urgence ont été prolongées au besoin, d’autres ont pris fin et d’autres encore ont été remplacées par une formule plus appropriée aux facteurs et à la réalité du jour. Voilà un message dont il faut certainement tenir compte. Il n’y a pas de demande de changement visant ce projet de loi en particulier, mais un message à garder en tête en vue de la relance qui se profile à l’horizon.

Le sénateur Klyne a posé des questions sur les défis que doivent relever les Premières Nations et les entreprises autochtones. Il a notamment demandé si elles pouvaient elles aussi bénéficier des mesures de soutien comme la subvention pour le loyer dont nous venons de parler. Nous avons entendu dire que, en dépit de certaines complications — des efforts sont apparemment mis en œuvre pour remédier à ces complications —, des programmes bien précis, comme le Fonds d’appui aux entreprises communautaires autochtones, ont aidé à combler l’écart, mais il reste encore du travail à faire.

La sénatrice Marshall a posé une question sur la structure même de la subvention pour le loyer. J’en ai déjà parlé, mais je tiens à examiner la question de plus près. Cependant, avant d’entrer dans le vif du sujet, je me permets de dire que les témoignages entendus confirment le bien-fondé de l’ajustement apporté à l’application de cette mesure. Les témoins estiment néanmoins qu’il serait souhaitable que le loyer soit payé en entier pour ouvrir droit à la subvention. Cependant, il pourrait alors être plus difficile pour les locataires commerciaux de négocier une réduction de loyer, mais il pourrait par contre y avoir une possibilité de payer moins d’impôt. Ces éventualités ne sont pas prévues dans le projet de loi dont nous sommes saisis, mais elles ont été portées à notre attention et à celle du gouvernement. Nous espérons que le gouvernement en tiendra compte.

En ce qui concerne ce que nous avons entendu, le projet de loi d’exécution du budget n’est pas parfait, pas plus que l’ensemble du budget fédéral. Cependant, beaucoup de préoccupations soulevées par la population font l’objet de mesures contenues dans ce projet de loi. Je ne vous dirai pas si je pense que ces mesures soient suffisantes ou non, mais de nombreux groupes représentant des citoyens et le monde des affaires ont exprimé leur soutien.

J’aimerais revenir au point que la sénatrice Marshall a soulevé dans les travaux du comité, c’est-à-dire le changement administratif et le moment choisi pour verser la subvention pour le loyer. C’est un point intéressant parce que, selon l’annonce initiale du gouvernement dans l’énoncé économique de l’automne, et compte tenu de l’objectif et de la forme de départ de la subvention pour le loyer, elle était censée être versée aux entreprises une fois qu’elles avaient payé leur loyer aux propriétaires et qu’ils en avaient la preuve.

Ce changement, qui a été applaudi par de nombreux Canadiens, surtout dans le milieu des affaires, a été effectué et annoncé en novembre dernier, je crois. La ministre Freeland a annoncé qu’il s’agissait d’une solution administrative jusqu’à ce qu’un projet de loi soit adopté qui permettrait à la subvention pour le loyer d’être versée lorsque le loyer est dû, ce qui, comme je l’ai dit, est important pour les entreprises, qui ont besoin de liquidités. Il faut toutefois se demander comment le gouvernement peut mettre en œuvre une solution administrative lorsqu’aucune loi ne lui donne le pouvoir de le faire.

Le comité a été informé qu’il s’agit d’une pratique de longue date, qui n’est toutefois pas utilisée fréquemment. On nous a donné un exemple qui remontait à 1985, je crois. Il n’en demeure pas moins que nous voulons maintenant que le projet de loi soit adopté et obtienne la sanction royale, alors que ses dispositions ont déjà été mises en œuvre.

Par conséquent, quel pouvoir les parlementaires ont-ils de permettre à l’exécutif d’agir unilatéralement comme il vient de le faire? Qu’est-ce que cela implique pour notre fonction de surveillance parlementaire? D’après mon expérience et mes antécédents à l’Assemblée législative et au Cabinet de l’Ontario, je sais que, lorsque le gouvernement a l’intention de présenter, par exemple, un projet de loi d’exécution du budget qui contient d’importantes mesures fiscales, il peut en interdire la divulgation jusqu’au moment où le discours du budget est prononcé, afin que les mesures n’aient pas d’incidence néfaste sur les marchés et le commerce. Parfois, les dispositions sont mises en œuvre à une date ultérieure. Parfois, elles sont mises en œuvre sur-le-champ, et ce, pour les mêmes raisons que je viens d’énoncer. Ainsi, il s’agit d’une pratique à laquelle les gouvernements ont recours, mais nous ne savons pas si la question a fait l’objet d’un examen. Nous ne savons pas non plus où cette pratique pourrait nous mener en ce qui concerne la surveillance et la gouvernance parlementaires et la reddition de comptes du pouvoir exécutif.

Je pense que tous les membres du comité sont d’accord avec la sénatrice Marshall pour dire qu’il s’agit d’une question importante. Le comité a accepté qu’elle ne soit pas abordée dans le projet de loi qui nous occupe, mais elle devrait certainement être examinée un moment donné. Nous pourrions envisager une mini-étude, et il faudrait décider ce que nous allons conseiller au gouvernement dans ce dossier : des modifications, pas de modifications, une solution au choix.

La sénatrice Marshall en parlera davantage, et elle sait parler de ces questions avec beaucoup plus d’éloquence que moi. Son expérience lui confère une expertise qui est importante pour nous tous, et nous apprécions son travail sur les questions financières et budgétaires de ce genre.

Je pense donc qu’il s’agit d’une question importante à explorer, mais selon moi, elle ne fait pas partie de la portée du projet de loi pour l’instant, et le comité est d’accord. Le projet de loi a été adopté par le comité sans qu’aucun amendement soit proposé, et il nous est renvoyé aujourd’hui pour que nous en poursuivions l’étude. Je me réjouis du débat que la question suscite. J’ai hâte d’entendre vos observations. Merci beaucoup, chers collègues.

Merci infiniment, sénatrice Lankin. Honorables sénateurs, je vais tâcher de ne pas être trop redondante, mais il y a des moments où je n’aurai pas le choix. Comme le disait la sénatrice Lankin, le projet de loi C-14 mettrait en vigueur certaines des initiatives annoncées dans l’énoncé économique de l’automne du gouvernement, qui a été présenté à la Chambre des communes à la fin de novembre.

Ce texte compte sept parties. Je vais commencer par la fin pour finir par le début, car comme j’estime que la partie 7 est la plus controversée, je tiens à commencer par elle. C’est cette partie-là qui propose d’augmenter substantiellement le plafond d’emprunt du gouvernement du Canada, qui passerait de 1,168 billion à 1,831 billion de dollars. Ce n’est pas rien, car on parle ici d’une augmentation de 57 % sur trois ans.

Pour que cette hausse devienne réalité, il faut modifier la Loi autorisant certains emprunts, qui date de 2017 — je faisais d’ailleurs partie du Comité des finances à l’époque où elle a été adoptée. C’est cette loi qui permet au ministre des Finances d’emprunter de l’argent, avec l’autorisation du gouverneur en conseil. Elle établit aussi le plafond ou montant maximal qui peut être emprunté.

Certaines dispositions de la loi prévoient aussi des circonstances où le ministre peut faire des emprunts sans qu’ils soient comptabilisés dans le montant plafonné, mais comme l’indiquait la sénatrice Lankin, cela va changer.

En 2017, on avait fixé la limite à 1,168 billion de dollars. Cette limite incluait l’État fédéral comme tel ainsi que toutes les sociétés d’État. Elle s’échelonnait sur une période de trois ans et comportait une réserve de 5 % pour les éventualités.

En plus de fixer des limites d’emprunt conformément à la Loi autorisant certains emprunts, le gouvernement avait établi ses prévisions annuelles d’emprunts pour chaque année dans sa Stratégie de gestion de la dette. Celle-ci est assortie d’un rapport annuel sur la gestion de la dette, qui présente en détail les activités d’emprunt réel.

En outre, en vertu de la Loi autorisant certains emprunts, la ministre doit présenter un rapport triennal au gouvernement afin de divulguer des renseignements précis sur la dette du gouvernement ainsi qu’une évaluation pour déterminer si la limite des emprunts doit être augmentée ou réduite. Puisqu’il n’avait présenté aucun budget depuis deux ans, le gouvernement a présenté la Stratégie de gestion de la dette pour l’exercice 2020-2021 et le Portrait économique et budgétaire en juillet. Quant à l’énoncé économique de l’automne, il l’a présenté au mois de novembre.

Si je vous mentionne ces documents, c’est qu’ils contiennent de l’information pour ceux qui souhaitent faire le suivi de la dette fédérale. L’information n’est pas complète, mais c’est un bon point de départ.

Dans l’énoncé économique de l’automne, le gouvernement décrit les modifications qu’il souhaite apporter à la Loi autorisant certains emprunts. Il fournit également une analyse qui montre comment il a établi la nouvelle limite de 1,831 billion de dollars qu’il propose.

Comme je l’ai mentionné dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, l’analyse qui montre le calcul du nouveau plafond d’endettement dans l’énoncé économique de l’automne porte quelque peu à confusion. Lorsque la ministre a comparu à la Chambre des communes, la ministre a constamment fait référence à cette analyse, qui se trouve à la page 162, je crois. J’ai du mal à comprendre, car le graphique utilise comme point de départ le montant de la dette au milieu de l’exercice financier, en octobre, plutôt que celui du début de l’exercice financier. Il est donc vraiment difficile de s’y retrouver. De plus, la composition de certains nombres utilisés pour arriver à la nouvelle limite est difficile à suivre.

La hausse de 663 milliards de dollars du plafond d’endettement comprend une réserve d’urgence de 87 milliards de dollars équivalant à 5 % du total des emprunts autorisés, c’est-à-dire pas seulement l’augmentation, mais l’ensemble de la dette prévue du gouvernement. On n’explique pas pourquoi le gouvernement inclut une réserve d’urgence de 5 % dans la dette déjà contractée. J’ai bien posé la question au fonctionnaire du ministère des Finances au comité, mais j’estime que la réponse que j’ai obtenue ne fournit pas d’explication raisonnable.

La limite des emprunts autorisés établie en 2017 prévoyait déjà une réserve d’urgence de 5 %. Pourquoi, donc, prévoit-on de nouveau une réserve d’urgence de 5 % pour la même dette? On aurait dû l’appliquer seulement sur la portion ajoutée, les 663 milliards de dollars, ce qui représenterait 33 milliards de dollars, et non 87 milliards de dollars. Or, la réserve d’urgence de 87 milliards de dollars équivaut en fait à 13 % de la hausse projetée du plafond d’endettement, c’est-à-dire les 663 milliards de dollars de nouveaux emprunts autorisés. Ainsi, le gouvernement a été vraiment généreux dans son calcul de la réserve d’urgence. J’ai l’impression qu’il cherche à se munir d’un coussin financier. Il est vrai qu’il aura peut-être besoin de cette réserve, mais le montant de 87 milliards de dollars est assez substantiel.

Le gouvernement doit donc s’occuper des autres problèmes liés à la forte hausse du plafond de la dette. Par exemple, quelle part de cette augmentation de la dette sera acquise par la Banque du Canada? Les fonctionnaires du ministère des Finances nous ont dit que, jusqu’à maintenant, depuis le début de la crise, la Banque du Canada a acquis 240 milliards de dollars de la dette du gouvernement. En outre, la Banque du Canada a récemment indiqué qu’elle allait dorénavant limiter ses achats de la dette du gouvernement à 3 milliards de dollars par semaine. C’est intéressant, parce que le gouvernement a indiqué que son solde budgétaire pour 2021-2022 serait de 155 milliards de dollars. Cela revient à 3 milliards par semaine. La question est donc la suivante : est-ce la Banque du Canada qui achètera l’ensemble de cette dette supplémentaire?

La sénatrice Lankin a mentionné que l’information a été quelque peu occultée par ce qui se trouve dans le budget de 2021. Or, lorsque je regarde le budget de 2021, je vois que les estimations d’emprunts pour l’exercice sont maintenant plus élevées que ce qui était projeté dans l’énoncé économique de l’automne produit en novembre. Si vous suivez les chiffres, vous constaterez qu’ils augmentent. Par exemple, l’énoncé de novembre indiquait que 121 milliards de dollars seraient empruntés pour le solde budgétaire, alors que, dans le budget de 2021, le chiffre a augmenté pour atteindre 155 millions de dollars.

De plus, lors de la réunion du Comité des finances tenue la semaine dernière, on a demandé aux fonctionnaires du ministère des Finances de faire une mise à jour de l’analyse qui se trouve à la page 162 de l’énoncé économique de l’automne à laquelle la ministre faisait constamment référence. On leur a demandé s’ils pouvaient revoir le graphique afin d’y inscrire les chiffres actuels. Lorsque nous avons fait les calculs, nous avons constaté que le plafond de la dette serait plus élevé de 5 milliards de dollars que le montant qui est proposé dans le projet de loi C-14. Il y a donc une tendance à la hausse. Les chiffres ne diminuent pas et ne restent pas au même niveau. Ils augmentent.

Nous avons beaucoup parlé de l’augmentation de la dette et de la très forte hausse proposée du plafond de la dette. Nous avons aussi beaucoup discuté des risques associés à la possibilité d’une hausse des taux d’intérêt. La Banque du Canada et d’autres parties prenantes ont indiqué que les taux d’intérêt sont susceptibles de demeurer faibles, mais ce ne sont là que des prévisions. Il n’existe aucune garantie. En fait, les taux d’intérêt ont augmenté — seulement légèrement, mais ils ont tout de même augmenté — depuis la présentation de l’énoncé économique de l’automne. On constate ces augmentations quand on compare les prévisions relatives aux frais de la dette publique incluses dans l’énoncé économique de l’automne, présenté en novembre, avec celles incluses dans le budget de 2021. Rappelez-vous que ces augmentations projetées sont survenues sur une très courte période, soit quatre mois et demi.

Dans le budget de 2021, on précise également que les frais de la dette publique ont augmenté pour tenir compte des coûts d’intérêt plus élevés sur la dette portant intérêt en raison de la hausse des taux d’intérêt, ainsi que pour tenir compte des besoins financiers révisés. Nous n’avons pas encore eu de réunion sur le budget, mais je crois qu’il y est question de « besoins financiers révisés » parce que le gouvernement devra emprunter de l’argent plus tôt qu’il ne l’avait prévu.

Pour vous donner une idée des sommes astronomiques dont il est question quand on parle de l’intérêt prévu, j’ai les données pour les cinq exercices financiers inclus par le gouvernement dans le budget de 2021. J’en mentionnerai seulement quelques-unes. Pour l’exercice en cours, le service de la dette avait d’abord été estimé à 20,3 milliards de dollars, mais ce chiffre a grimpé à 22,1 milliards de dollars, une augmentation de 1,8 milliard. Si on regarde l’exercice financier de 2023-2024, dans deux ans, l’intérêt prévu est passé de 25,7 milliards à 30,5 milliards de dollars, une augmentation d’environ 4,8 milliards.

Bien que le taux d’intérêt n’ait que légèrement augmenté, l’intérêt augmente de plusieurs milliards de dollars en raison de l’envergure de la dette. Il s’agit d’une augmentation considérable, et c’est un risque qu’il faut avoir à l’esprit quand la dette augmente.

Outre la possibilité d’une hausse des taux d’intérêt, le plafond de la dette subit d’autres pressions. Les charges de programmes qui avaient été projetées dans l’énoncé économique de l’automne sont plus élevées dans le budget de 2021. À titre d’exemple, pour l’exercice en cours, elles étaient estimées à 421 milliards de dollars. Cette somme est passée à 475 milliards de dollars, parce qu’on semble avoir accordé la priorité à une partie des fonds de relance.

Bien que l’on prévoit une diminution de 475 à 403 milliards de dollars des charges de programme l’an prochain, des dirigeants du monde des affaires qui ont témoigné devant le Comité des finances nationales la semaine dernière ont indiqué que les soutiens financiers liés à la COVID, dont bon nombre prendront fin en septembre, seront nécessaires durant l’exercice financier 2022-2023 et peut-être même plus longtemps. La sénatrice Lankin l’a mentionné dans son intervention.

Par exemple, Susie Grynol, présidente de l’Association des hôtels du Canada, nous a dit que, bien que l’on ait bon espoir que la vaccination ramènera l’économie à la normale d’ici la fin de l’exercice financier, ce ne sera pas le cas pour ses membres avant, au plus tôt, l’automne 2022. Elle affirme que beaucoup de ses membres ne prévoient pas un rétablissement avant l’année 2024-2025. Selon elle, les programmes créés en réponse à la COVID ne devraient pas prendre fin en septembre, parce qu’essentiellement, cela causera un effondrement des industries de l’hôtellerie et du voyage.

Dan Kelly, de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, a aussi témoigné devant le Comité des finances nationales. Selon lui, même lorsque les clients reviendront et que les entreprises pourront rouvrir et reprendre leurs activités normales, elles auront tout de même à régler la dette liée à la pandémie de COVID. Il affirme que bon nombre de ses membres ont accumulé une dette de plus de 100 000 $. Celle-ci devra être remboursée et ce sera difficile.

Par conséquent, même si le gouvernement a indiqué les dépenses et les emprunts prévus pour cette année et plus tard, il y aura des pressions pour engager d’autres dépenses liées à la COVID-19, et cela aura probablement une incidence sur le niveau d’endettement et le plafond d’endettement proposé.

Comment pourra-t-on alors rembourser cette nouvelle dette en entier? Je suppose qu’il faudra hausser le fardeau fiscal. Le gouvernement a prévu de nouvelles hausses d’impôt dans le budget de 2021. Il s’agit d’un budget préélectoral, mais si le gouvernement obtient un nouveau mandat, les Canadiens devraient s’attendre à payer plus d’impôt.

Voilà pour mes observations sur le plafond de la dette. Je vais passer maintenant à la partie 1 du projet de loi. Je vais parler des parties 1, 2 et 3. Mes observations seront brèves dans la plupart des cas, jusqu’à ce que je traite de la surveillance parlementaire dont la sénatrice Lankin a parlé dans ses observations.

La première partie du projet de loi C-14 prévoit une aide supplémentaire pour les familles avec des enfants de moins de 6 ans qui sont admissibles à l’Allocation canadienne pour enfants. J’ai fait des observations sur cette partie du projet de loi pendant mon discours à l’étape de la deuxième lecture, et comme la sénatrice Lankin a très bien expliqué de quoi il est question il y a quelques minutes, je n’ai rien à ajouter là-dessus.

La partie 1 modifie aussi la Subvention d’urgence pour le loyer du Canada afin que les dépenses de loyer puissent être admissibles lorsqu’elles sont dues plutôt qu’au moment où elles sont payées. Je vais revenir un peu en arrière pour vous faire un portrait des différentes versions de ce programme qui a connu des ratés depuis sa création. Je parle toujours d’un parcours « mouvementé ». Le programme initial de subvention pour le loyer a été annoncé en avril de l’an passé. Il était administré par la Société canadienne d’hypothèques et de logement, et l’objectif était de réduire le coût des loyers pour les petites entreprises. On a d’abord évalué que le programme allait coûter 3 milliards de dollars, mais les demandes se faisaient attendre. À l’époque, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante — qui critique vertement le programme — a dit que le programme était trop compliqué, trop dépendant de la bonne volonté des propriétaires commerciaux et trop restrictif en ce qui concerne la baisse de revenu que devaient subir les entreprises pour y être admissibles.

Ainsi, nous savions l’été dernier que le programme avait des lacunes. Lorsque le projet de loi C-20 a été renvoyé au Sénat en juillet dernier pour prolonger la subvention salariale, il n’a pas réglé les aspects problématiques du programme de subvention pour le loyer. Je me souviens d’avoir pris la parole au sujet de ce projet de loi et d’avoir dit que le gouvernement avait raté une occasion de modifier le programme.

Puis, en décembre, le projet de loi C-9 a permis de régler certains problèmes liés au programme. Par contre, il est vite devenu évident que ce projet de loi aussi causait des problèmes, et que les entreprises devaient payer leur loyer avant de pouvoir faire une demande et obtenir l’argent du gouvernement. Ce problème était considérable pour les entreprises qui ne disposaient pas des liquidités nécessaires pour payer leur loyer d’avance. Cette modification proposée à la Loi de l’impôt sur le revenu permet donc au gouvernement de rembourser leur loyer aux propriétaires d’entreprise avant même qu’ils l’aient payé.

Dan Kelly, de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, a affirmé que, bien que le programme de subvention du loyer se soit avéré utile pour certains, l’ensemble du programme fonctionne plutôt mal. Selon lui, seul un quart des entreprises qui sont membre de cette association ont utilisé le programme de subvention du loyer. Il dit qu’un problème persiste, même avec cet amendement proposé au projet de loi C-14. Il affirme que pour obtenir la subvention, une entreprise doit démontrer que le loyer a été payé en totalité. Ainsi, si la subvention couvre 50 % du loyer, l’autre portion de 50 % doit être payée en même temps. Le programme ne permet pas à un propriétaire de réduire le loyer de 50 % ou de reporter le paiement de la deuxième portion de 50 %. M. Kelly indique qu’une entreprise doit payer le loyer intégral pour obtenir la subvention du loyer, et que cela pose un problème du point de vue des liquidités des entreprises qui demandent la subvention.

L’Agence du revenu du Canada administre maintenant le programme de subvention du loyer. Comme je l’ai dit, c’était d’abord la SCHL, mais c’est maintenant l’Agence du revenu du Canada. Des fonctionnaires ont livré des témoignages intéressants au Comité des finances.

Ils nous ont dit que même si cet amendement n’a pas encore été adopté par le Parlement, il a déjà été mis en œuvre. Ils nous ont aussi dit qu’il est courant d’appliquer les lois fiscales avant qu’elles soient adoptées par le Parlement.

La ministre des Finances a confirmé que le gouvernement a pour politique d’appliquer des mesures fiscales proposées avant qu’elles soient approuvées par le Parlement. Je trouve cela intéressant. J’ai été surprise quand les fonctionnaires ont dit cela au Comité des finances. Puis, j’ai pensé : « Eh bien, nous allons recevoir une loi d’exécution du budget, qui proposera des modifications fiscales. » J’attends donc maintenant de voir quelles modifications fiscales prévues dans cette loi seront incluses dans le projet de loi d’exécution du budget et adoptées.

On nous a dit essentiellement qu’il n’était pas nécessaire d’obtenir l’approbation du Parlement pour mettre en œuvre des mesures fiscales proposées. Autrement dit, ces mesures fiscales sont mises en œuvre par le gouvernement sans l’approbation du Parlement, mais on s’attend à ce que ce dernier les approuve sans discussion. La sénatrice Lankin a utilisé l’expression « solution administrative ». Je dois la garder à l’esprit, mais je parle toujours d’« approbation sans discussion » quand je fais référence à ce type d’approche.

Cela soulève un autre point intéressant, car cela a été dit dans le contexte des changements fiscaux proposés. Cependant, lorsque le fonctionnaire nous a dit cela, j’ai commencé à repenser au Budget supplémentaire des dépenses (C). Nous examinons habituellement ce budget de mars vers la fin de l’exercice. Je me souviens que l’étude du Budget supplémentaire des dépenses (C) a eu lieu, un certain nombre de fois, aux alentours du 20 mars. J’ai demandé aux fonctionnaires s’ils étaient sûrs de pouvoir mettre en œuvre ce changement au cours de l’exercice en cours. Maintenant, réflexion faite, je me dis qu’ils l’avaient peut-être déjà fait. Peut-être avaient-ils déjà dépensé l’argent. C’est donc quelque chose sur lequel nous devons nous pencher, avec le Comité des finances, et je demanderai aux fonctionnaires du ministère des Finances si les changements fiscaux proposés ont déjà été mis en œuvre. Je demanderai, c’est certain, aux fonctionnaires du Conseil du Trésor s’ils dépensent l’argent du Budget supplémentaire des dépenses (C) avant qu’il ne soit approuvé.

En résumé, je trouve que cette politique est très inquiétante et qu’elle mine l’autorité du Parlement.

Je vais maintenant vous parler des parties 2, 3 et 4. Il y est question de réduire la dette étudiante en supprimant les intérêts sur la partie fédérale des prêts aux étudiants et des prêts canadiens aux apprentis pour l’exercice en cours. J’ai parlé brièvement de ces amendements dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture.

Selon l’énoncé économique de l’automne, cette mesure coûtera environ 329 millions de dollars. Pour mettre les choses en perspective, à la fin du dernier exercice — soit au 31 mars 2020, car je ne dispose pas des chiffres pour 2021 —, le portefeuille du Programme canadien de prêts aux étudiants s’élevait à 22 milliards de dollars, tandis que celui des prêts canadiens aux apprentis était de 271 millions de dollars. Selon le témoignage de représentants d’Emploi et Développement social Canada, les radiations devraient diminuer cette année grâce aux mesures de soutien additionnelles consenties par le gouvernement dans ce projet de loi et à d’autres programmes de soutien. Je crois d’ailleurs que d’autres programmes de soutien sont prévus dans le budget de 2021. Cela devrait être évident lorsque le Parlement présentera un projet de loi de crédits supplémentaires pour radier des prêts étudiants. L’an dernier, le Parlement a approuvé la radiation de 188 millions de dollars en prêts aux étudiants lorsqu’il a approuvé le projet de loi C-26, la loi de crédits supplémentaires. C’est d’ailleurs sur cela que le Comité des finances nationales se concentre habituellement.

J’ai toujours soutenu que nous avons omis quelque chose, que nous devrions nous pencher sur d’autres radiations et d’autres renonciations afin d’obtenir le tableau complet de ce qui se passe avec le Programme canadien de prêts aux étudiants. Par exemple, 26 millions de dollars supplémentaires ont été radiés en 2019-2020 en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, et on a renoncé à 371 millions de dollars en vertu de la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants. Le Comité des finances a examiné une somme de 188 millions de dollars, mais il ne s’est jamais penché sur les 371 millions de dollars radiés conformément à une autre mesure législative.

Comme je l’ai dit, le Comité des finances se concentre traditionnellement sur les prêts canadiens aux étudiants radiés aux termes de projets de loi de crédits, mais nous devons avoir une image complète de l’ensemble du portefeuille — tous les montants radiés et faisant l’objet d’une dispense — ainsi que les répercussions financières de tout programme de soutien supplémentaire fourni par le gouvernement.

Je veux faire une brève observation sur la partie 5 du projet de loi. La sénatrice Lankin en a fait mention dans son discours à l’étape de la deuxième lecture. La partie 5 est un peu différente des autres parties, car il s’agit d’une mesure réglementaire. Il est question de prévenir ou d’atténuer les pénuries d’aliments, de drogues, d’instruments ou de cosmétiques au Canada et, une fois le projet de loi adopté, les personnes et les organisations devront fournir des renseignements au ministre de la Santé si cela est jugé nécessaire. Les dispositions figuraient à l’origine dans le projet de loi C-13, mais celui-ci a été abrogé, et cette modification accordera le pouvoir législatif de façon permanente.

J’en suis maintenant à la partie 6 du projet de loi, qui prévoit le financement de nombreuses initiatives réparties en trois catégories. La première catégorie correspond au Fonds d’aide et de relance régionale pour les six agences de développement régional et est assortie d’une enveloppe de 206 millions de dollars. Nous en avons abondamment discuté. Il s’agit d’un programme pour lequel on avait prévu au départ une enveloppe de 962 millions de dollars qui a été portée à 1,5 milliard de dollars en octobre, puis à 2 milliards de dollars dans l’énoncé économique de l’automne. Le programme ayant été très populaire, la demande a dépassé les capacités, mais on s’attend à ce qu’il ne soit pas renouvelé.

La partie 6 vise en deuxième lieu à financer de nombreux programmes liés à la santé, notamment dans les secteurs des soins de longue durée, de la santé mentale, du traitement de la toxicomanie, des soins virtuels et de la recherche médicale. Pour ce qui est du financement des soins de longue durée, les autorités concernées ont indiqué que, à ce jour, dans les discussions avec les provinces et les territoires, il n’est pas question de lier le financement à l’obligation de respecter des normes. J’ai été un peu étonnée de cette observation faite au Comité des finances.

La partie 6 prévoit en troisième lieu 500 millions de dollars pour faire les versements au titre de la Prestation canadienne d’urgence, ou PCU, comme on l’appelle. Cette prestation a pris fin le 3 octobre 2020, mais il était possible d’en faire la demande jusqu’au 2 décembre. Certaines demandes légitimes ont été retardées et le 500 millions de dollars est censé permettre d’y donner suite.

Avant de terminer, je tiens à mentionner à mes collègues que le directeur parlementaire du budget a publié ce matin un rapport sur le budget de 2021. Selon un article de Bill Curry qui est paru dans le Globe and Mail, le budget libéral sous-estime l’ampleur des déficits fédéraux, ce qui entraînera des décennies de dette élevée. Je veux simplement indiquer que nous allons suivre ces chiffres pour voir dans quelle direction ils se dirigent.

Honorables sénateurs, cela conclut mes commentaires à la troisième lecture du projet de loi C-14. Bon nombre de ces questions seront soulevées à nouveau au cours de l’étude du budget de 2021 et de la loi d’exécution du budget. Je remercie encore une fois la sénatrice Lankin et mes collègues du Comité des finances nationales des excellentes questions qu’ils ont posées pendant nos réunions, ainsi que le personnel qui rend ces réunions possibles en ces temps très difficiles.

Merci beaucoup.

Son Honneur le Président [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)

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