La Loi sur l'Agence du revenu du Canada
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
16 mai 2023
Je vous félicite de votre nomination, Votre Honneur. Il est formidable de vous voir au fauteuil.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en tant que porte-parole pour le projet de loi du sénateur Downe, le projet de loi S-258, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (rapports concernant l’impôt sur le revenu impayé), mais je dois admettre qu’il n’y a pas grand-chose à critiquer dans ce projet de loi.
Comme la plupart d’entre vous le savent, le sénateur Downe travaille sur ce dossier depuis plusieurs années. Il a présenté son premier projet de loi de cette nature en avril 2015, le projet de loi S-226. Le projet de loi est mort au Feuilleton lors du déclenchement des élections de 2015, mais le sénateur Downe l’a présenté de nouveau en tant que projet de loi S-243, en 2018. Ce projet de loi a été adopté au Sénat, avec quelques amendements mineurs proposés par le comité, et il s’est rendu jusqu’à l’étape de la deuxième lecture à la Chambre des communes. Cette fois, j’espère que le projet de loi franchira toutes les étapes dans les deux Chambres.
Comme ses versions précédentes, le projet de loi S-258 vise à modifier la Loi sur l’Agence du revenu du Canada pour faire trois choses. Premièrement, il exigera que l’Agence du revenu du Canada énumère toutes les condamnations pour évasion fiscale, y compris celles pour évasion fiscale internationale, dans le rapport qu’elle soumet chaque année au ministre du Revenu national.
Deuxièmement, le projet de loi S-258 prévoit que, tous les trois ans, l’agence doit fournir des statistiques sur le manque à gagner fiscal.
Troisièmement, le projet de loi exige que le ministre fournisse au directeur parlementaire du budget des données sur le manque à gagner fiscal.
La valeur de ces modifications est évidente, mais permettez-moi d’expliquer brièvement l’importance de ce que fera le projet de loi, en commençant par l’écart fiscal.
C’est simple, l’écart fiscal correspond à la différence entre le montant que le gouvernement devrait percevoir en impôts et le montant qu’il perçoit réellement. Il ne s’agit pas d’une science exacte, car l’écart fiscal existe en partie à cause de revenus, d’actifs et d’activités économiques qui sont intentionnellement cachés et d’erreurs qui peuvent être difficiles à repérer. Cependant, il est possible d’établir une fourchette approximative de l’écart fiscal à l’aide d’une des deux méthodes suivantes.
Étant donné que l’écart fiscal est une estimation, il est présenté sous forme de fourchette; par exemple, en 2022, l’Agence du revenu du Canada a estimé que l’écart fiscal brut total était de 35 à 40 milliards de dollars, soit environ 9 % des recettes fédérales. L’Agence du revenu du Canada prévoit que ses efforts de recouvrement lui permettront de récupérer 17 milliards de dollars, ce qui laisserait un écart fiscal net de 23 milliards de dollars.
Chers collègues, il est essentiel de calculer cet écart parce qu’il nous donne un point de repère indispensable. Sans ce chiffre, nous n’avons pas d’image claire du fonctionnement de notre régime fiscal et nous n’avons aucun moyen de mesurer l’efficacité de nos efforts en matière de respect et d’application de la loi. Nous agissons essentiellement à l’aveuglette.
Bien que le simple calcul de l’écart fiscal ne règle rien en soi, il s’apparente à la vérification des signes vitaux d’une personne. Il révèle si quelque chose ne va pas et si la situation s’améliore ou s’aggrave. Si votre écart fiscal est élevé, vous savez que vous avez un problème. S’il augmente, le problème s’aggrave. En revanche, s’il diminue, cela signifie que vous faites quelque chose de bien.
Cette information est un outil crucial. Avec cette information, le gouvernement peut améliorer la perception des recettes, évaluer les politiques fiscales, veiller à ce que le régime fiscal soit équitable, attribuer des ressources efficacement et développer des stratégies pour promouvoir le respect de la loi. Pourtant, jusqu’à tout récemment, le manque à gagner fiscal n’était pas calculé.
La situation a commencé à changer en 2016, quand l’Agence du revenu du Canada a commencé à publier des rapports sur divers éléments qui expliquent le manque à gagner fiscal du gouvernement fédéral, y compris les budgets principaux des dépenses et leurs méthodologies sous-jacentes. En 2022, l’Agence du revenu du Canada a publié le Rapport sur l’écart fiscal fédéral global: Estimations et principales constatations concernant l’inobservation pour les années d’imposition 2014 à 2018 — le premier rapport sur ce sujet —, qui examinait toutes les sources de recettes fiscales du gouvernement fédéral. Ce rapport est utile et reconnu, mais il présente des lacunes à bien des égards.
D’abord, il n’existe aucune exigence législative obligeant l’Agence du revenu du Canada à poursuivre cet examen. Comme cette information est essentielle pour les parlementaires, il faut en faire une obligation légale. Les données doivent être mises à jour régulièrement afin de suivre l’évolution de la situation au fil du temps. Le projet de loi S-258 propose des solutions pour remédier aux lacunes, notamment en rendant obligatoire de présenter un rapport sur le manque à gagner fiscal à tous les parlementaires, aux trois ans.
Ensuite, l’Agence du revenu du Canada n’est assujettie à aucune obligation de fournir des données sur le manque à gagner fiscal au directeur parlementaire du budget. L’absence de cette information crée une grave lacune en matière de reddition des comptes parce que le directeur parlementaire du budget n’est pas en mesure d’analyser et de vérifier lui-même les estimations de l’Agence du revenu du Canada sur le manque à gagner fiscal. Le projet de loi S-258 propose aussi une solution pour corriger cette lacune.
Troisièmement, bien que l’Agence du revenu du Canada publie une liste de certaines condamnations pour évasion fiscale, cette liste n’est pas exhaustive et contient peu de renseignements sur les cas d’évasion fiscale à l’étranger. L’absence de ces renseignements a pour effet de réduire la reddition de comptes de l’Agence du revenu du Canada au sujet des efforts qu’elle déploie pour réprimer l’évasion fiscale à l’étranger. Le projet de loi S-258 remédierait à cette situation en obligeant le gouvernement du Canada à énumérer toutes les condamnations pour évasion fiscale à l’étranger.
Au fond, ce projet de loi n’est qu’une étape dans la lutte contre l’évasion fiscale, mais c’est une étape importante, car l’évasion fiscale peut grandement influencer la confiance de la population envers l’équité du système fiscal. Lorsque des particuliers ou des entreprises se soustraient à l’impôt, ils se soustraient à leur obligation de payer leur juste part pour le financement des services et des programmes publics qui bénéficient à l’ensemble de la société. Cela crée un sentiment d’injustice et de ressentiment parmi ceux qui paient leurs impôts et peut donner l’impression que le système est pensé pour favoriser les riches et les puissants. Ainsi, la population n’est plus aussi convaincue que le gouvernement est en mesure d’appliquer les lois fiscales de manière équitable et de garantir que tout le monde sera traité de la même manière au regard de la loi.
En outre, l’évasion fiscale a des conséquences concrètes, comme la perte de recettes pour le gouvernement, ce qui peut mener à des compressions dans les programmes et les services publics ou à l’alourdissement du fardeau fiscal de ceux qui, eux, paient leurs impôts. Cette situation peut exacerber encore plus les sentiments d’injustice et d’iniquité et entraîner une rupture du contrat social entre les citoyens et le gouvernement.
Le projet de loi S-258 ne corrige pas tous ces problèmes, mais c’est un pas nécessaire dans la bonne direction. Il permettra de combler une grave lacune au niveau de l’information dont les parlementaires ont besoin pour bien faire leur travail. Il contribuera à accroître la responsabilité publique de l’Agence du revenu du Canada. Il encouragera une meilleure application de la loi et de meilleures politiques publiques. Finalement, il permettra d’améliorer l’observation volontaire de la loi grâce à une plus grande sensibilisation du public, et aidera la population à croire davantage en l’équité de notre système fiscal.
Honorables sénateurs, il n’existe pas de système fiscal parfait, mais nous pouvons améliorer et renforcer le nôtre en adoptant le projet de loi S-258. Je vous encourage à appuyer le renvoi du projet de loi au comité pour une étude plus approfondie.