Le Code criminel
Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Débat
10 février 2021
Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet du projet de loi C-7. Je présenterai un amendement.
Je sais que tous les sénateurs ont de profondes convictions au sujet de la mesure à l’étude. Malgré ces divergences d’opinions, que je respecte, je crois que nous avons en commun le désir d’agir dans l’intérêt des patients et des familles qui traversent un moment terriblement difficile, c’est-à-dire la fin de leur propre vie ou le décès d’un être cher.
Comme l’examen promis cinq ans après la mise en œuvre du projet de loi C-14 n’a pas eu lieu, et comme nous n’avons entendu qu’un petit nombre de témoins et de témoignages — beaucoup plus, toutefois, que ne l’a fait la Chambre des communes pendant son examen du projet de loi C-7 —, la plupart d’entre nous n’ont pas vu comment se déroulent toutes les étapes de l’aide médicale à mourir. De toute évidence, aucun d’entre nous n’a reçu l’aide médicale à mourir et n’est donc en mesure de comprendre pleinement son essence et la multitude d’aspects complexes, de tensions et de pressions qui entourent une fin de vie associée à l’aide médicale à mourir.
Je trouve très préoccupant que, dans le contexte où nous cherchons à élargir l’accès à l’aide médicale à mourir, nous éliminons des mesures de sauvegarde sans prévoir des protections suffisantes pour garantir que la volonté du patient sera respectée tout au long du processus, jusqu’au dernier instant. Après tout, alors qu’il est possible de changer de médicament en cas d’effet indésirable ou de rectifier un geste médical erroné, recevoir l’aide médicale à mourir est un geste irrémédiable.
Si nous examinons les principes inhérents de ce projet de loi et du projet de loi C-14, qui avait été adopté durant la législature précédente, on constate qu’ils mettent l’accent sur le fait que l’aide médicale à mourir doit toujours être à l’initiative des patients. Le projet de loi C-14 contient de solides mesures de sauvegarde, notamment :
« […] l’irrévocabilité de l’acte consistant à mettre fin à la vie d’une personne sont essentielles pour prévenir les erreurs et les abus lors de la prestation de l’aide médicale à mourir. »
Le préambule du projet de loi que nous avons devant nous, le projet de loi C-7, réitère ce principe en énonçant que, parmi les intérêts et valeurs sociétales entre lesquels il faut établir un équilibre, il y a « la protection des personnes vulnérables contre toute incitation à mettre fin à leur vie ».
Chers collègues, je suis d’avis que ces principes sont encore plus importants aujourd’hui, étant donné la portée des dispositions sur lesquelles nous débattons, en raison des amendements qui ont été adoptés jusqu’à maintenant.
Honorables sénateurs, certains d’entre vous ont raconté vos histoires personnelles avec vos êtres chers dans le contexte de la fin de la vie, et j’ai été émue aux larmes. J’ai moi-même vécu quelques histoires de ce genre. L’atmosphère est très chargée d’émotions. Les patients ne sont pas toujours conscients de ce qui se passe, ou, parfois, ils ne sont pas conscients du tout. Ils peuvent être présents en partie, mais leurs paroles peuvent être imprécises, leurs gestes difficiles à bien comprendre. Les personnes présentes dans la chambre, que ce soit les membres de la famille ou le personnel médical, peuvent interpréter différemment les désirs et les réactions des patients.
Je me souviens clairement du moment avant que mon père, alors en soins palliatifs, pousse son dernier souffle et du moment où il a poussé son dernier souffle, et de la charge émotionnelle de l’instant. C’est pourquoi nous devons veiller à ce que la mesure législative qui régit l’aide médicale à mourir respecte la volonté du patient à la lettre pendant le processus lui-même et jusqu’à la toute dernière minute.
J’aimerais rappeler une nouvelle fois à mes collègues que nous parlons de quelque chose d’irréversible. Compte tenu de cette dure réalité, il est vital que nous essayions, au moins, de faire en sorte que la volonté du patient reste primordiale. Je pense que la mesure législative doit pêcher par excès de prudence dans l’interprétation de la volonté du patient au cours du processus de l’aide médicale à mourir. C’est pour cette raison que la disposition concernant la « précision » qui figure dans le projet de loi en ce moment me fait tiquer à chaque fois que je la lis.
L’article (3.3) stipule que :
Il est entendu que des paroles, des sons ou des gestes involontaires en réponse à un contact ne constituent pas une manifestation de refus ou de résistance pour l’application de l’alinéa (3.2)c).
Ce qui me préoccupe dans cet article, c’est la nature hautement subjective de ce qui y est expliqué. Même des gens qui ont connu une personne toute leur vie auront des interprétations différentes de ce qui pourrait être une affirmation lourde de sens par opposition à des paroles involontaires. La dernière chose que nous voulons, c’est rajouter une polémique à la confusion quant à la nature légale et au caractère adéquat d’une décision irréversible.
Le fait que la disposition en question comprend une présomption me préoccupe aussi. Elle stipule ceci :
[...] des paroles, des sons ou des gestes involontaires en réponse à un contact ne constituent pas une manifestation de refus ou de résistance pour l’application de l’alinéa (3.2)c).
Assurément, chaque cas est différent l’un de l’autre, tout comme les patients sont différents les uns des autres. Il serait tout à fait inacceptable qu’une seule interprétation de la réalité soit inscrite dans la loi.
Quand le professeur Trudo Lemmens a comparu au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, il a abordé la question du consentement préalable et de la réaction contradictoire des patients lorsque ces derniers se font administrer l’aide médicale à mourir. Il a fait allusion à un cas très troublant aux Pays-Bas, où une personne atteinte de démence avait présenté une directive anticipée pour l’aide médicale à mourir, mais a résisté au traitement lorsqu’est venu le temps de le lui administrer. En dépit de cela, la personne a reçu l’aide médicale à mourir. Certains croient que les mouvements du patient étaient involontaires, mais d’autres ont une interprétation bien différente de l’affaire. Cela a donné lieu à des poursuites judiciaires contre le médecin en question.
Selon un article paru dans le Journal of Medical Ethics, ce conflit quant à la volonté du patient peut être décrit comme le dilemme du « le moi d’avant contre le moi d’aujourd’hui ». Comment peut-on interpréter les gestes et les mouvements d’une personne qui subit les effets de sa maladie, des procédures médicales et des circonstances très mortelles du processus d’aide médicale à mourir?
Parmi ces circonstances médicales figure l’effet que peuvent avoir les médicaments sur différents patients. À cet égard, il y a tant de choses que nous ignorons. Toutefois, ce que nous savons, c’est que l’effet d’un médicament donné varie d’un patient à l’autre.
Par exemple, mon père a eu une réaction exceptionnelle à tous les médicaments et à toutes les procédures qui lui ont été administrés au cours de ses 18 mois d’hospitalisation. Chaque jour, l’équipe de professionnels de la santé participant aux soins complexes qui lui étaient prodigués dans plusieurs établissements se penchait sur son cas. Il a eu des réactions graves et faisait inévitablement partie de la tranche de 1 à 5 % des patients risquant de subir un effet secondaire dangereux à la suite d’une procédure.
Je suis la fille de mon père. Je suis, moi aussi, un cas exceptionnel. La dose normale d’un médicament qui relaxe la plupart des gens provoque assurément chez moi un effet nuisible.
En Colombie-Britannique, le Medical Assistance in Dying Protocols and Procedures Handbook de Comox Valley propose plusieurs scénarios possibles. Il reconnait que les sédatifs peuvent « provoquer de l’agitation ». Il affirme qu’à de rares occasions les médicaments ne réussiront pas à provoquer chez le patient un coma artificiel. Le protocole présente aussi un plan de secours au cas où l’aide médicale à mourir ne serait pas efficace.
Ce qui semble clair d’après les témoignages que j’ai entendus en comité est que les professionnels de la santé ne sont pas toujours du même avis sur les nombreuses questions touchant l’administration de médicaments et des effets des mêmes médicaments sur différents patients. En fait, les interprétations et les analyses peuvent être nettement différentes.
D’un côté, certains médecins ont témoigné que les médicaments utilisés dans l’aide médicale à mourir provoquent essentiellement une mort paisible. Certains ont même qualifié le processus de l’aide médicale à mourir d’« élégant », tandis que d’autres ont dressé un portrait très différent.
Le Dr Joel Zivot, professeur à l’Université Emory, anesthésiologiste en exercice et médecin spécialiste en soins intensifs, a expliqué que ce qu’on perçoit à première vue peut être trompeur. Voici ce qu’il en dit :
Par contre, je tiens aussi à préciser que la méthode qu’on emploie pour provoquer la mort dans le cadre de l’aide médicale à mourir consiste en une combinaison de propofol et, surtout, de curarisant. Le propofol est administré en très grande quantité, soit 10 fois ce que j’utilise dans la salle d’opération.
On ne peut pas affirmer qu’il s’agit d’une mort paisible paisible, car c’est soit faux, soit impossible à savoir. J’imagine qu’on pourrait dire qu’il s’agit d’une mort qui semble en apparence paisible. C’est toutefois une illusion créée par les médicaments utilisés [...]
Comme le professeur Zivot a administré des anesthésiques et des sédatifs à plus 50 000 personnes, son témoignage ne devrait pas être ignoré.
Comme mentionné précédemment, nous n’avons pas procédé à un examen approfondi du régime d’aide médicale à mourir, ni des protocoles en vigueur. Je sais que chaque province a mis en place son propre protocole et possède des expériences différentes, et qu’il y aura peut-être même une certaine collaboration à l’avenir, mais un examen approfondi doit être mené dans tout le pays. Il n’existe actuellement pas de normes cohérentes, que ce soit à l’échelle nationale ou provinciale. On observe à travers le pays beaucoup d’incompréhension ainsi que des divergences par rapport à la dimension pharmacologique impliquée dans le régime d’aide médicale à mourir. De plus, pour ajouter à la complexité de tous ces enjeux, élargir l’aide médicale à mourir pendant une pandémie mettrait à rude épreuve un système de soins de santé déjà fragilisé.
Lorsque le projet de loi C-14 a été adopté, on nous a dit que le Parlement procéderait à l’examen des répercussions de la mesure législative après cinq ans. On nous dit maintenant qu’il faut approuver et adopter un élargissement majeur de l’aide médicale à mourir avant même que cet examen soit mené. Le gouvernement affirme que nous devons donner suite au jugement d’un tribunal inférieur dans l’affaire Truchon. Au lieu de réaliser une évaluation attentive, fondée sur des données probantes, de la manière dont l’aide médicale à mourir a été mise en œuvre jusqu’à maintenant, c’est l’échéance d’un tribunal inférieur qui dicte cet élargissement précipité de l’aide médicale à mourir. Si c’est la voie que le gouvernement veut emprunter, nous devrions au moins privilégier la prudence pour protéger les patients.
Compte tenu de toutes les inconnues dans ce dossier et de l’absence de l’examen quinquennal qu’on nous avait promis, le processus d’administration de l’aide médicale à mourir doit minimiser le risque d’erreur lorsqu’il s’agit de respecter la volonté du patient au moment d’administrer l’aide médicale à mourir. Autrement, nous imposerions une détresse morale extrême aussi bien aux membres de la famille qu’aux fournisseurs de soins de santé.
Nous avons entendu des témoignages contradictoires, ce qui est à la fois déroutant et inquiétant. La Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées affirme que « toutes les personnes sont égales devant la loi et en vertu de celle-ci et ont droit sans discrimination à l’égale protection et à l’égal bénéfice de la loi ». Même si quelqu’un perd ses capacités, cela n’a aucune incidence sur les droits fondamentaux et ces derniers doivent être protégés. Selon moi, cela signifie que nous devons nous assurer de ne pas ignorer délibérément et de manière évidente les gestes ou les signes qui peuvent indiquer qu’une personne a changé d’avis.
Honorables sénateurs, il reste encore beaucoup d’éléments inconnus en ce qui concerne le processus d’aide médicale à mourir, et nous sommes tous encore en train d’apprendre ce qu’une personne à cette étape du processus veut ou vit vraiment. Tant que nous ne serons pas convaincus au-delà de tout doute raisonnable de faire le bon choix, nous ne devrions pas mettre en place une disposition aussi radicale.