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Le Code criminel—La Loi sur les Indiens

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture

30 mai 2024


L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition)

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur le projet de loi S-268, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les Indiens.

Sénateurs, ce projet de loi vise à modifier le Code criminel du Canada afin de permettre au corps dirigeant d’une Première Nation d’avoir :

[...] compétence exclusive pour mettre sur pied et administrer des loteries dans sa réserve et pour délivrer des licences autorisant d’autres personnes ou entités à y mettre sur pied et à y administrer des loteries [...]

Pour ce faire, le corps dirigeant doit donner avis de son intention aux gouvernements fédéral et provincial où se trouve la réserve. Le projet de loi vise également à modifier la Loi sur les Indiens afin de conférer au conseil de la bande le pouvoir de prendre des règlements administratifs concernant la mise sur pied, l’exploitation et l’administration des loteries proposées.

Au Canada, les loteries commerciales sont réglementées par les provinces et le fédéral. La loi fédérale interdit certains types de loteries en vertu du Code criminel, tandis que la loi provinciale réglemente les types de loteries autorisées. Cette répartition a été établie par la Loi constitutionnelle de 1867.

La réglementation et la législation en matière de loteries sont propres à chaque province canadienne. Ces dernières ont le pouvoir d’adopter des lois régissant les loteries dans la province, comme la Gaming Control Act de la Colombie-Britannique et son règlement, la Loi de 1997 sur la réglementation des boissons alcoolisées et des jeux de hasard de la Saskatchewan, ou le régime de réglementation de l’Ontario, qui regroupe la Loi de 1992 sur la réglementation des jeux et la Loi de 1999 sur la Société des loteries et des jeux de l’Ontario.

Les provinces sont actuellement tenues de mettre sur pied et d’exploiter toutes les activités de jeu offertes et doivent s’occuper de la mise sur pied et de l’exploitation, même dans le cadre de partenariats avec des exploitants d’établissements étrangers comme ceux qui participent au nouveau régime des jeux en ligne de l’Ontario. Les provinces ne peuvent pas modifier unilatéralement le Code criminel du Canada pour changer qui peut mettre sur pied et exploiter les jeux au Canada, car le Code criminel est une mesure législative fédérale.

Le Code criminel du Canada rend les jeux et les paris illégaux au Canada, sauf si les activités de jeu sont mises sur pied et exploitées par un gouvernement provincial, sous réserve de certaines exceptions. Afin de se conformer aux dispositions du Code criminel, toute loterie au Canada doit être mise sur pied et exploitée par un gouvernement provincial. Par conséquent, aux termes de la loi actuelle, les Premières Nations ne peuvent pas proposer, même dans leurs propres réserves, de produits de jeu tels que des loteries si la province ne s’occupe pas de leur mise sur pied et de leur exploitation.

Le projet de loi S-268 mettrait fin au monopole des gouvernements provinciaux sur l’exploitation et la gestion des loteries au Canada.

Dans son discours comme parrain du projet de loi, le sénateur Scott Tannas a dit que le projet de loi S-268 a deux objectifs principaux : reconnaître l’autodétermination des Premières Nations concernant la gestion des jeux sur leur territoire, et favoriser la réconciliation économique. Je félicite le sénateur Tannas de son premier discours comme parrain du projet de loi, et j’attends avec impatience ses prochaines interventions dans le cadre des travaux du comité.

Comme l’a souligné le sénateur Tannas, le projet de loi S-268 a le potentiel de générer énormément de richesse pour les Premières Nations. Ce projet de loi vise également à favoriser la dignité, l’autodétermination et la résurgence culturelle. Lorsque les peuples autochtones sont maîtres de leur destin économique, ils peuvent revitaliser leurs langues, leurs traditions et leurs modes de vie. L’autonomie économique renforce les collectivités et leur capacité à relever les défis sociaux, qu’ils soient liés au logement, aux soins de santé, à l’éducation ou à l’autonomisation des jeunes.

Bien que le projet de loi S-268 puisse présenter des avantages, il y a des questions et des préoccupations qui doivent être — et qui le seront, j’en suis sûre — examinées à l’étape de l’étude en comité par notre très compétent comité.

Je demanderai des éclaircissements sur un certain nombre de questions. Par exemple, il y a peu de détails sur ce à quoi ressemblera un régime de jeu administré ou exploité par une Première Nation si le projet de loi S-268 est adopté. Les détails concernant l’organisme de réglementation des jeux pour les Premières Nations, notamment s’il y aura un organisme de réglementation autochtone central, ne sont pas connus. Dans ce contexte, à quoi ressemblera la coopération entre les Premières Nations? Quels types de ressources seront nécessaires, comment seront-elles mises en commun et partagées, et le seront-elles?

En vertu de l’alinéa 1(5)e), les Premières Nations offriraient « de[s] lots, [des] cartes ou [des] billets d’une loterie qui [...] est autorisée dans cette autre province [...] ». Les Premières Nations coopéreraient-elles avec les sociétés de jeu provinciales ou leur feraient-elles concurrence? Si tel est le cas, les provinces et les titulaires de licences de jeu auraient-ils l’obligation de consulter les Premières Nations avec lesquelles ils pourraient être en concurrence?

Les activités de jeu proposées dans le projet de loi S-268 incluraient-elles le droit d’exploiter des jeux en ligne? Les Premières Nations pourraient-elles prendre des paris d’un joueur situé à l’extérieur de la réserve, dans une autre province ou dans un autre pays, à condition que la loterie soit exploitée et gérée dans la réserve?

Même si le préambule du projet de loi fait référence aux « peuples autochtones », les Inuits et les Métis sont potentiellement exclus de ce projet de loi. Comme nous le savons tous au Sénat, il y a une différence entre les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Le terme « Premières Nations » désigne un groupe de peuples autochtones que le gouvernement fédéral canadien reconnaît officiellement comme une unité administrative en vertu de la Loi sur les Indiens, ou qui fonctionne comme telle sans statut officiel. Ce terme exclut les Inuits et les Métis.

Bien que le projet de loi reconnaisse les droits inhérents et les droits issus de traités de tous les peuples autochtones, il propose d’accorder au corps dirigeant d’une Première Nation la compétence exclusive décrite ci-dessus. Si un corps dirigeant autochtone inuit ou métis souhaite mettre sur pied des loteries, l’absence de terres de réserve interdit-elle sa participation? Doit-on penser que les revendications territoriales et les accords d’autonomie gouvernementale ont préséance, ce qui crée des conditions inégales, particulièrement pour les Inuits? Nous devons nous pencher sur ces questions, car le projet de loi ne suggère clairement pas qu’il s’agit de nouveaux droits, mais qu’il s’agit en fait de droits inhérents à tous les peuples autochtones.

En Saskatchewan, à la suite des acquittements du Bear Claw Casino, le gouvernement provincial et la Fédération des nations autochtones souveraines ont conclu un accord prévoyant la création de la Saskatchewan Indian Gaming Authority, une organisation à but non lucratif chargée d’exploiter six casinos dans la province. Les bénéfices de la Saskatchewan Indian Gaming Authority sont répartis de la manière suivante : 50 % vont à une fiducie pour les Premières Nations de la Saskatchewan, 25 % vont à la province et 25 % vont au développement des communautés où les casinos sont situés.

Dans ma province, la Colombie-Britannique, les Premières Nations et le gouvernement provincial ont conclu une entente de 25 ans en 2018 afin de créer le partenariat limité de partage des revenus issus du jeu pour obtenir une source de financement à long terme qui permettra d’investir dans les priorités de leur collectivité. En vertu de l’accord, 7 % du revenu net de la British Columbia Lottery Corporation, la société des loteries de la province, seront partagés avec les Premières Nations.

Qu’advient-il de ces accords et de tous les autres au Canada? Plus important encore, qu’en est-il des organismes de bienfaisance et des organismes sans but lucratif qui dépendent de ces fonds?

Nombre de sociétés des loteries provinciales consacrent une part de leurs revenus au soutien d’organismes de bienfaisance et d’initiatives communautaires. Ces fonds sont souvent dirigés vers la recherche sur les soins de santé, les programmes d’éducation, le développement des sports, des événements culturels et d’autres causes louables, ce qui est profitable pour l’ensemble de la société. Est-ce que l’argent généré par les changements proposés dans le projet de loi S-268 visera à poursuivre cette longue tradition au Canada? En reconnaissant les droits des Autochtones à l’autodétermination, qui sera déterminée par la Première Nation, cela n’ouvre-t-il pas la voie à un avantage injuste pour les établissements de jeux qui ne sont pas tenus de rediriger une part de leurs profits dans la collectivité?

Allons-nous voir apparaître des casinos partout au pays qui passent outre les règlements de la santé publique en matière de tabagisme, comme on le constate dans les casinos exploités dans les réserves et qui relèvent de la Saskatchewan Indian Gaming Authority, la société autochtone des jeux en Saskatchewan? La réglementation sur la consommation d’alcool sera-t-elle modifiée? Le projet de loi S-268 va-t-il perpétuer un avantage injuste pour les casinos administrés par les Premières Nations partout au pays?

Je ne sais pas quelles pourraient être les réponses à toutes ces questions. Le projet de loi S-268 doit faire l’objet d’un examen complet en comité, où des experts du domaine des jeux en ligne et conventionnels pourront nous faire part de leurs réflexions.

Nous devons entendre les Premières Nations qui sont pour et contre le projet de loi, et nous devons entendre les autorités sanitaires, les organismes de bienfaisance, les provinces et les juristes au sujet des ramifications du projet de loi S-268.

Il est de notre devoir, en tant que parlementaires, d’examiner minutieusement les projets de loi dont nous sommes saisis, et j’ai hâte d’avoir l’occasion de le faire au comité.

Merci, chers collègues.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)

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