Aller au contenu

Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Adoption des amendements des Communes

3 octobre 2024


L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition)

Propose :

Que, en ce qui concerne le projet de loi S-205, Loi modifiant le Code criminel et une autre loi en conséquence (mise en liberté provisoire et engagement en cas de violence familiale), le Sénat accepte les amendements apportés par la Chambre des communes;

Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du message de la Chambre des communes sur le projet de loi S-205, Loi modifiant le Code criminel et une autre loi en conséquence (mise en liberté provisoire et engagement en cas de violence familiale).

Le projet de loi a été présenté par l’ancien sénateur Pierre-Hugues Boisvenu le 24 novembre 2021. La plupart des sénateurs ici présents connaissent bien la mission essentielle du sénateur Boisvenu de défendre et d’améliorer les droits des victimes d’actes criminels au Canada. Dans le cadre de cette mission de toute une vie, le sénateur Boisvenu est aussi déterminé à lutter contre la violence faite aux femmes et à modifier les lois pour préserver et améliorer la sécurité publique.

Cette mission découle de la tragédie que sa famille et lui ont vécue le 23 juin 2002, lorsque sa fille Julie a été enlevée, agressée sexuellement et assassinée par un récidiviste de Sherbrooke. Depuis ce jour, et tout au long de son mandat au Sénat, le sénateur Boisvenu s’est battu sans relâche pour défendre les droits des victimes d’actes criminels. Grâce à lui, le Canada dispose aujourd’hui d’une Charte canadienne des droits des victimes, et nous lui en sommes reconnaissants.

Aujourd’hui, nous examinons encore une fois le projet de loi S-205, qui a franchi diverses étapes parlementaires au Sénat et à la Chambre des communes depuis sa présentation il y a trois ans. Nous sommes maintenant saisis d’un message de la Chambre sur le projet de loi S-205 avec les amendements apportés par nos collègues de l’autre endroit. Je reviendrai plus tard sur les amendements apportés au projet de loi.

Honorables sénateurs, le projet de loi S-205 est une mesure législative importante qui vise à combattre le fléau de la violence familiale. Au cours des dernières années, nous avons observé une augmentation considérable et alarmante de ce type de violence, particulièrement contre les femmes. J’aimerais vous faire part de quelques statistiques figurant dans le plus récent rapport de Statistique Canada sur ce sujet.

En 2022, Statistique Canada a révélé que le nombre d’incidents de violence familiale et de violence entre partenaires intimes avait augmenté de 19 % entre 2014 et 2022, alors qu’il y avait eu une tendance générale à la baisse entre 2009 et 2014.

Les femmes et les jeunes filles constituent la grande majorité des victimes, soit 8 sur 10. Les femmes sont également surreprésentées dans les homicides. Je voudrais citer un passage de ce rapport sur le sujet :

De 2009 à 2022, les services de police ont dénombré 6 920 victimes d’homicides résolus […] au Canada. Le tiers (32 %) de ces victimes ont été tuées par un membre de la famille, tandis que près du cinquième (18 %) ont été tuées par un partenaire intime. Ces proportions étaient beaucoup plus prononcées chez les femmes et les filles (59 % ont été tuées par un membre de la famille et 46 %, par un partenaire intime) que chez les hommes et les garçons (20 % ont été tués par un membre de la famille et 6 %, par un partenaire intime).

Selon l’Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation, 184 femmes ont été tuées au Canada en 2022, dont 60 % par un partenaire intime ou ex-partenaire intime. Je vous rappelle que cela correspond à une femme tuée tous les deux jours au Canada.

Honorables sénateurs, les statistiques que je viens de vous communiquer doivent nous inciter à agir pour lutter contre ce fléau qui fait beaucoup trop de victimes chaque année, dont la grande majorité sont des femmes.

Le sénateur Boisvenu a souligné à maintes reprises dans ses discours antérieurs que la vulnérabilité des victimes de violence conjugale se situe souvent au début du processus judiciaire, quand une personne décide de signaler la violence qu’elle vit aux autorités judiciaires. Il existe de nombreux cas attestés de meurtre, de tentative de meurtre ou de voies de fait graves pendant la période suivant la mise en liberté provisoire par voie judiciaire ou pendant celle où une personne est visée par un engagement de ne pas troubler l’ordre public prévu à l’article 810.

Le projet de loi S-205 a été présenté pour renforcer la sécurité des victimes à ces étapes du processus judiciaire en proposant des mesures importantes comme le bracelet de surveillance électronique et l’imposition par le tribunal d’une thérapie obligatoire.

Chers collègues, permettez-moi d’étayer mon propos. Une partie du projet de loi S-205 propose la création d’un nouvel engagement de ne pas troubler l’ordre public en application de l’article 810 qui s’appliquerait précisément aux cas de violence contre un partenaire intime ou son enfant. À l’heure actuelle, le Code criminel prévoit différents types d’engagements de ne pas troubler l’ordre public en application de l’article 810, mais aucun ne convient adéquatement aux situations de violence familiale. Pourtant, comme je l’ai expliqué au début de mon discours, les statistiques prouvent que la magnitude de ce genre de violence est indéniable. Il est nécessaire de commencer à préciser cette catégorie dans le Code criminel et de prévoir des mesures qui seront réellement efficaces. Le projet de loi propose donc la création d’un nouvel engagement de ne pas troubler l’ordre public, assorti de certaines conditions.

Premièrement, il sera possible d’imposer le port d’un bracelet de surveillance électronique à la personne assujettie au nouvel engagement de ne pas troubler l’ordre public. Le bracelet permet de surveiller le comportement de l’agresseur et dissuade ce dernier de s’approcher de sa victime. S’il s’en approche, son bracelet électronique alertera à la fois la victime et les autorités de son emplacement. Ce dispositif permet à la victime de se mettre à l’abri et permet aux autorités d’intervenir. Il s’agit d’un outil technologique important qui doit être employé au service de la justice.

J’aimerais citer un extrait du témoignage de Martine Jeanson, une victime et survivante que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a entendue dans le cadre de son étude du projet de loi S-205 :

Les bracelets électroniques seraient également un outil à mettre en place pour protéger les femmes et leur permettre d’être averties de la venue de leur agresseur près de leur domicile pour qu’elles puissent se cacher avant son arrivée. Cet outil permettrait aussi de prévenir les policiers.

Le bracelet électronique m’aurait permis d’être protégée de cette tentative de meurtre par mon ancien conjoint. Actuellement, il est impossible de se protéger adéquatement de nos anciens conjoints violents, car nous ne sommes pas prévenues de leur présence. Les victimes n’osent plus dénoncer leur agresseur. Elles ne font plus confiance au système de justice, car elles ne se sentent pas protégées. Lorsque nous dénonçons les abuseurs et que nous ne sommes pas protégées, nous mettons encore plus nos vies en danger.

Deuxièmement, l’engagement de ne pas troubler l’ordre public peut exiger des délinquants qu’ils suivent un programme de traitement, notamment un programme de désintoxication ou un programme de counseling sur la violence familiale. La thérapie est de plus en plus considérée comme une approche privilégiée pour réduire la violence d’une personne en l’aidant à comprendre et à modifier son comportement. Le projet de loi établit un équilibre entre les mesures de contrôle et la réadaptation.

Le sénateur Boisvenu a initialement proposé une durée de deux ans pour ce nouvel engagement de ne pas troubler l’ordre public et de trois ans dans le cas des personnes ayant des antécédents criminels. À l’heure actuelle, le code prévoit une durée d’un an, et cette durée augmente à deux ans pour les récidivistes dans le contexte de la violence familiale. Lors des consultations auprès des victimes, le sénateur Boisvenu a constaté qu’une période d’un an n’était pas suffisante pour mettre fin à tout contact.

Malheureusement, les députés libéraux, néo-démocrates et bloquistes ont proposé des amendements qui ont réduit la durée de ces nouveaux engagements de ne pas troubler l’ordre public pour tenir compte des périodes actuellement prévues par la loi. Ainsi, la durée maximale est réduite à un an, et à deux ans dans le cas des récidivistes. Ces modifications affaiblissent l’intention initiale de l’engagement de ne pas troubler l’ordre public en réduisant la protection prolongée que le sénateur Boisvenu cherchait à offrir aux victimes qui avaient indiqué au cours des consultations qu’une période d’un an n’était pas suffisante pour rompre complètement le contact.

Honorables sénateurs, l’engagement de ne pas troubler l’ordre public comprend également une mesure importante pour les droits des victimes : aucune condition ne peut être changée sans que le juge de paix consulte la victime au sujet de ses besoins en matière de sécurité. Il s’agit d’une disposition cruciale qui garantit le respect des droits à la protection et à la participation prévus dans la Charte canadienne des droits des victimes.

Le projet de loi comprenait également une autre disposition importante concernant la mise en liberté provisoire par voie judiciaire, comme je l’ai mentionnée tout à l’heure dans mon discours. Le projet de loi proposait des modifications à l’article 515 du Code criminel pour permettre l’imposition de la surveillance à distance et la consultation des victimes à propos de leurs besoins en matière de sécurité par le système de justice, à la demande du procureur général. Ces deux dispositions ont été supprimées dans l’autre endroit à l’étape de l’étude en comité, ce qui est très regrettable pour les victimes de violence familiale. Tout d’abord, c’est regrettable parce que la consultation des victimes était une mesure importante pour mieux protéger leurs droits dans le Code criminel et pour leur donner la possibilité de définir les mesures appropriées pour leur propre sécurité. En outre, cette mesure renforçait les droits énoncés dans la Charte canadienne des droits des victimes, que j’ai déjà mentionnée.

Cette disposition avait été ajoutée à la suite des vastes consultations menées par le sénateur Boisvenu et elle était appuyée par diverses organisations, par exemple l’Association des femmes autochtones du Canada. J’aimerais citer un passage du témoignage de Sarah Niman, conseillère juridique, directrice adjointe des services juridiques de l’Association des femmes autochtones du Canada :

Le projet de loi S-205 tient compte des préoccupations des victimes en matière de sécurité dès les premières étapes des procédures en matière de violence familiale. L’AFAC est favorable au fait que le projet de loi prévoit des consultations obligatoires [...]

J’aimerais également parler du retrait des bracelets antirapprochement à cette étape du processus judiciaire. Le projet de loi C- 233 du sénateur Dalphond, qui a reçu la sanction royale le 27 avril 2023, prévoyait, lui aussi, le recours à la surveillance électronique en vertu du paragraphe 515(4.2) du Code criminel, mais la disposition s’appliquait uniquement à un certain nombre d’infractions. Le sénateur Boisvenu avait souligné que ce cadre plus restrictif posait problème, car des infractions graves pouvant être en lien avec la violence familiale risquaient de ne pas être couvertes par cet article, comme l’intimidation, prévue à l’article 423, les introductions par effraction, prévues à l’article 348, et la présence illégale dans une maison d’habitation, prévue à l’article 349.

Lorsqu’on étudie les cas de violence familiale et qu’on écoute les témoignages des victimes, on se rend rapidement compte que la présence illégale dans un domicile et l’introduction par effraction sont des infractions auxquelles on fait souvent allusion en contexte de violence familiale.

J’aimerais citer le témoignage de Khaoula Grissa, une victime et une survivante qui a témoigné à propos du projet de loi S-205 devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles :

Un jour, une procureure m’a dit qu’il me fallait déménager. Ma réponse a été « non ». Non, parce que j’avais déjà fait l’impossible. J’ai été hébergée dans une maison pour femmes victimes de violence conjugale. Puis, j’ai changé d’appartement, de modèle et de couleur d’auto, selon mes moyens, j’ai fait couper mes cheveux et les ai fait teindre et j’ai changé mes lunettes. En l’espace d’un mois, ma fille avait fréquenté cinq garderies différentes. Mon employeur a pris tous les moyens nécessaires pour me protéger. On avait établi tout un scénario pour me rendre à ma voiture en toute sécurité.

J’ai dit à madame la procureure que, cette fois-ci, c’était au système de justice de me protéger. J’avais déjà fait une vingtaine de signalements aux policiers et, malgré tous mes efforts, cela n’a pas empêché le pire d’arriver. Mon ex-conjoint s’était caché dans ma garde-robe pour tenter de m’enlever la vie ainsi que celle de ma fille. J’ai été violée et séquestrée et, par la suite, il s’est enlevé la vie dans ma chambre, devant mes propres yeux.

Le projet de loi S-205 contenait une disposition sur la surveillance électronique qui devait être incluse dans le paragraphe 515(4) du Code criminel, ce qui aurait permis aux juges d’imposer cette mesure pour un plus grand nombre d’infractions. Cette approche donnait aux juges une plus grande latitude pour imposer la surveillance électronique, y compris dans les cas où les infractions souvent associées à la violence familiale n’étaient pas explicitement énumérées au paragraphe 515(4.2). Il s’agissait d’une mesure efficace qui a été supprimée depuis, ce que je regrette également.

Honorables sénateurs, malgré ces amendements, le projet de loi S-205 demeure une mesure législative importante pour les victimes de violence conjugale et familiale. Je veux remercier mes collègues de la Chambre des communes d’avoir appuyé le projet de loi, en particulier la marraine du projet de loi à la Chambre, la députée Raquel Dancho, qui a soutenu le sénateur Boisvenu pendant tout son combat et qui est à l’écoute des victimes de violence conjugale. Sa détermination inébranlable à assurer la sécurité des victimes et son dévouement ont été essentiels pour l’avancement du projet de loi, et nous lui en sommes extrêmement reconnaissants.

Pour conclure, j’aimerais lire ce message de l’honorable Pierre-Hugues Boisvenu :

Honorables sénateurs, le projet de loi S-205, que nous avons adopté la première fois, visait essentiellement les centaines de femmes victimes de violence conjugale dont la sécurité et la vie étaient menacées. Ce projet de loi est attribuable au courage que ces femmes ont eu lorsqu’elles ont décidé un jour de reprendre le contrôle de leur vie et de dire : « Assez, c’est assez. » Je dis merci à toutes ces femmes. Je vous remercie de croire...

Son Honneur la Présidente [ + ]

Votre temps est écoulé. Demandez-vous à obtenir plus de temps?

Seulement pour finir de lire le message.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le consentement est-il accordé?

Merci.

Je vous remercie de croire au Sénat et en vous-mêmes, et de continuer à défendre le droit de ces gens à la sécurité en adoptant le projet de loi S-205 dont vous êtes saisis aujourd’hui. Merci, chers collègues.

Il reste encore une section, que j’ai omise.

Son Honneur la Présidente [ + ]

La permission a été accordée, alors vous disposez encore de quatre minutes.

Merci. Certes, j’ai fini de lire la note personnelle que le sénateur Boisvenu nous a adressée et je conclus ainsi.

Le sénateur Boisvenu a collaboré avec de nombreuses victimes de violence familiale pour rédiger ce projet de loi. Après un long parcours au Parlement, il est temps de l’adopter au nom de toutes les victimes qui ont travaillé si dur pour sa concrétisation.

Ainsi, je vous demande, honorables sénateurs, d’adopter le message de la Chambre des communes concernant le projet de loi S-205 modifié.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Haut de page