DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS — Le discours Lamentation sur la Confédération
26 juin 2020
Voici le discours Lamentation sur la Confédération, qui a été prononcé par le chef Dan George en 1967 :
À quand remonte notre rencontre, ô, Canada? À une centaine d’années? Oui, à une centaine d’années, et à beaucoup plus de mois lunaires. Aujourd’hui, à l’occasion de ton 100e anniversaire, ô, Canada, je suis triste pour tous les Indiens de ce territoire.
J’ai connu l’époque où tes forêts étaient miennes, où elles me permettaient de me nourrir et de me vêtir. J’ai connu l’époque où tes ruisseaux et rivières étaient gorgés de poissons qui virevoltaient sous le soleil, où les eaux s’exclamaient : « Venez vous nourrir de mon abondance. » J’ai connu l’époque où tes vents soufflaient la liberté. Mon esprit, tout comme les vents, sillonnait tes riches terres.
Or, depuis l’arrivée de l’homme blanc, il y a 100 longues années, j’ai vu ma liberté disparaître comme le saumon qui prend mystérieusement le large. Les étranges coutumes de l’homme blanc, qui m’étaient incompréhensibles, se sont abattues sur moi jusqu’à l’asphyxie.
Lorsque j’ai lutté pour protéger mes terres et mon chez-moi, on m’a traité de sauvage. Quand je n’ai pas compris ce mode de vie et que je l’ai refusé, on m’a traité de paresseux. Quand j’ai tenté de diriger mon peuple, on m’a dépouillé de mon autorité.
On a fait abstraction de ma nation dans vos livres d’histoire — dans l’histoire du Canada, on lui a accordé à peine un peu plus d’importance que le bison qui traverse les plaines. On m’a ridiculisé dans votre théâtre et votre cinéma. Lorsque j’ai bu votre eau qui brûlait la gorge, je me suis enivré — je suis devenu ivre, très ivre. Et j’ai oublié.
Ô, Canada, comment puis-je célébrer avec toi ce centenaire, cette centaine d’années? Devrais-je te remercier pour les réserves, ces parcelles de mes magnifiques forêts que tu m’as laissées? Pour le poisson en conserve qui vient de mes rivières? Pour la perte de ma fierté et de mon autorité, même au sein de mon propre peuple? Pour mon manque de volonté à combattre? Non! Je dois oublier cette époque qui appartient au passé et qui est complètement révolue.
Ô, Dieu tout puissant! Donnez-moi le courage des chefs d’antan. Permettez-moi de lutter contre les circonstances qui m’entourent. Permettez-moi, comme autrefois, de dominer les éléments. Permettez-moi d’accepter humblement cette nouvelle culture et de m’en servir pour poursuivre ma route.
Ô, Dieu! Comme l’oiseau-tonnerre d’antan, je surgirai à nouveau de la mer; je vais me servir des instruments du succès de l’homme blanc — son éducation, ses compétences. Armé de ces nouveaux outils, je vais faire de ma race l’un des éléments les plus fiers de votre société. Avant de rejoindre les grands chefs disparus, Ô Canada, je serai témoin de ces événements.
Nos jeunes braves et nos chefs pourront siéger aux institutions juridiques et parlementaires, en gouvernant et en étant gouvernés en fonction des connaissances et des libertés de notre merveilleux pays. Nous ferons ainsi éclater les barrières de notre isolement. Les 100 prochaines années écriront donc le plus grand chapitre de la fière histoire de nos tribus et de nos nations.