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Le Sénat

Motion concernant le système des pensionnats indiens--Suite du débat

30 novembre 2021


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion no 10, qui porte sur les répercussions néfastes et les séquelles laissées par le système des pensionnats autochtones.

[…] les séquelles laissées par les pensionnats ne se limitent pas seulement au passé; pour certains Autochtones, cette institution est une histoire vivante et une expérience vécue qu’ils sont encore en train d’apprivoiser.

Il s’agit d’une citation de Natahnee Nuay Winder qui est tirée de la page 143 du livre intitulé Residential Schools and Indigenous Peoples: From Genocide via Education for Processes of Truth, Restitution, Reconciliation, and Reclamation.

Natahnee Nuay Winder, qui est membre de la nation Duckwater Shoshone, est Paiute, Ute, Navajo et Afro-Américaine. Dans son article intitulé Colliding Heartwork qui porte sur sa recherche sur des étudiants universitaires intergénérationnels, elle dit ceci :

Lorsque d’anciens membres ont le courage de partager leurs expériences dans les pensionnats [indiens], le récit peut devenir une source d’émotion et de détresse tant pour la personne qui partage son expérience que pour les personnes qui l’écoutent […] C’est dans la nature humaine d’offrir du réconfort et du soutien et de soulager la douleur. C’est dans le cadre de ces actions que nos cœurs se tendent pour offrir du soutien, ce qui crée un espace où nos cœurs se rencontrent.

Honorables sénateurs, ce débat sur les pensionnats autochtones témoigne de la tradition de cette Chambre de nous permettre de nous exprimer sur les divers aspects de l’héritage des pensionnats autochtones, par l’entremise d’un processus que nous appellerons « le choc des cœurs au Sénat ». Nous avons eu la permission de la Mme Winder d’utiliser cette expression. L’espace sacré où nos cœurs entrent en collision accueillera nos alliés, c’est-à-dire vous, les sénateurs.

Dans son livre publié en 2015 et intitulé Strong Helpers’ Teachings: The Value of Indigenous Knowledges in the Helping Professions, Cyndy Baskin, une auteure d’origine mi’kmaq et celte, cite Patton et Bondi, à la page 490, comme suit :

Les alliés de la justice sociale reconnaissent l’interrelation des structures oppressives et des partenariats avec les personnes marginalisées pour créer des coalitions de justice sociale. Ils aspirent à aller au-delà des actes individuels et à diriger leur attention sur les processus et systèmes oppressifs. Leur but n’est pas seulement d’aider les personnes opprimées, mais de créer un monde juste sur le plan social qui soit bénéfique pour tous.

Au final, l’objectif du choc des cœurs au Sénat serait d’aider à trouver une forme de conclusion pour les siècles de deuils non résolus, y compris les découverte récentes et à venir des corps des enfants qui ne sont jamais retournés à la maison.

À quoi ressemblera notre avenir, en tant que sénateurs et Canadiens, lorsque nos cœurs entreront en collision? Ce travail nous incitera à la réflexion et à comprendre comment différentes histoires et expériences, tant autochtones que non autochtones, rejoignent les travaux du Sénat. Nous avons l’occasion de réfléchir à la façon dont d’anciens étudiants, leur famille et leur communauté ont été touchés par les répercussions de cette « éducation » colonisatrice.

Comment peut-on favoriser la compréhension, l’harmonie et l’esprit de communauté entre différentes races? L’une des méthodes consiste à communiquer et à écouter nos récits réciproques dans un contexte sûr. La Commission royale sur les peuples autochtones a fourni un espace où les anciens élèves pouvaient enfin cesser de faire semblant et parler publiquement des nuits noires de leur âme — ce que nous n’avions jamais eu le sentiment de pouvoir faire en toute sécurité. Grâce à ce contexte, des gens extraordinaires ont décidé qu’il était temps d’entrer courageusement dans toute la plénitude de leur vie. Toutefois, lorsqu’on partage des histoires et qu’elles sont remises en question, ridiculisées et ignorées sur la place publique, comme ce fut le cas au Sénat à partir de 2017, les blessures demeurent béantes.

Dans ses recherches avec des étudiants universitaires intergénérationnels, Mme Winder nous apprend qu’une peine historique non résolue transformera la vie de n’importe qui.

Les auteurs Brave Heart, M.Y.H. et DeBruyn ont déclaré ceci :

Un deuil historique non résolu découle de la perte de vies et de territoires, de l’abandon forcé d’une culture, de l’interdiction de célébrer des cérémonies et de parler des langues traditionnelles, ainsi que d’autres aspects essentiels de la culture autochtone qui ont été détruits lorsque les colons ont conquis l’Amérique du Nord.

Les étudiants autochtones qui ont participé à la recherche ont fait preuve de résilience à la suite de la période des pensionnats : ils ont rendu hommage à leurs ancêtres, réappris leur langue, fabriqué des objets ayant une valeur culturelle, affirmé leur identité, protégé leur histoire et intégré à leur vie différents aspects de leur culture [...] dont l’importance de prier et de continuer de prier.

Honorables sénateurs, le fait de raconter nos histoires relève d’une intention de notre âme et de notre esprit qui vise à accroître non seulement notre propre conscience, mais aussi la vôtre. Les expériences qui restaient autrefois dans l’ombre sont ainsi illuminées pour nous comme pour vous. Mettre ainsi nos histoires dans la lumière, c’est faire un premier pas pour mettre fin à une relation sombre.

En tant qu’iskwêw, ou femme, des Premières Nations cries, je savais que je n’adopterais pas une mentalité de victime. J’étais destinée à un meilleur destin que celui que d’autres humains imaginaient à mon intention. C’est pourquoi je souhaite revenir sur les attaques à l’endroit d’anciens élèves des pensionnats autochtones qui ont été faites — et protégées — sous le couvert du privilège parlementaire. À quoi servaient le racisme ciblé et le profilage racial à l’endroit des Premières Nations mis de l’avant par une ancienne sénatrice?

Chers collègues, dans les critères d’évaluation appliqués par l’Université du Manitoba après que l’ancienne sénatrice ait terminé la formation qui lui a été offerte, il est indiqué ceci :

Nous avons pris le temps d’examiner de près la notion de racisme, et nous avons expliqué en quoi le racisme est systémique et comment il est ancré dans les institutions sociales, politiques et juridiques.

Après avoir réfléchi aux gestes qu’elle avait posés, elle a affirmé sa conduite n’était pas digne de ses obligations à titre de sénatrice en ce qui a trait au racisme. Je cite :

Elle a noté que sa conduite avait fait du tort aux peuples et communautés autochtones. Elle a exprimé ses regrets, sachant que sa conduite était déplacée.

[...] la sénatrice a indiqué qu’elle assumait entièrement les conséquences de sa conduite antérieure et qu’elle reconnaissait avoir enfreint les articles 7.1 et 7.2 du Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs.

Jonathan Black-Branch a déclaré :

Elle repart avec des connaissances, des idées et une compréhension nouvelles, armée de nouveaux outils pour s’acquitter de son rôle professionnel et forger ses convictions personnelles.

Toutefois, d’anciens étudiants, dont moi-même, avaient plutôt l’impression qu’elle quittait le programme passablement dans le même état qu’elle l’avait amorcé, ce qu’a confirmé son entrevue de départ.

Dans son compte rendu de la séance qui portait sur le contexte historique des relations Couronne-Autochtones au Canada, Mme Miller, une survivante de la rafle des années 1960, dit :

Elle a demandé notamment pourquoi il était fautif de présenter, sur son site Web, des lettres d’anciens pensionnaires qui n’avaient pas connu de mauvais traitements dans les pensionnats. J’ai parlé du déni des pensionnats et expliqué que le fait de ne présenter que ces lettres puisse être perçu par certains comme un appui au discours négationniste. J’ai aussi indiqué que, puisque le régime des pensionnats a pris fin depuis peu, il reste encore un bon nombre de nos collègues, sans parler des aînés, dont la vie a été profondément troublée par cette expérience et qui subissent encore vivement le traumatisme. La sénatrice a répondu : « Oh! Il est donc simplement trop tôt. »

Mme Miller poursuit en disant :

[...] j’ai eu la ferme impression que les quelques récits de réussite servaient de justification pour la douloureuse expérience des pensionnats et de la rafle des années 1960, en particulier. J’espère ne pas être la seule à penser que le fait qu’une personne ait pu survivre à une épreuve et réussir sa vie par la suite ne justifie pas la douleur infligée ni ne démontre que cette souffrance ait constitué une condition de cette réussite.

D’ailleurs, selon la recherche sur les traumatismes historiques, le refus de reconnaître ou de valider le traumatisme agit comme élément déclencheur susceptible d’approfondir le traumatisme. À mon avis, cette question est en relation directe avec les problèmes liés à son site Web.

Du point de vue de la formation de l’ancienne sénatrice, qui est axée sur le privilège, la fragilité, les microagressions, les éléments déclencheurs et les pratiques antiracistes, Mme Miller déclare :

Nous avons discuté du privilège et du fait qu’il occulte les oppressions subies par ceux qui ne jouissent pas des mêmes privilèges [...]

Mme Miller a ajouté :

Nous avons aussi étudié en détail comment le colonialisme, comme idéologie, s’appuie toujours sur un racisme systémique pour justifier les déplacements, les extractions, le vol et la violence psychologique ou physique. Le racisme peut exister sans le colonialisme, mais celui-ci s’accompagne toujours d’un discours préjudiciable, souvent encodé juridiquement, pour justifier l’acquisition coloniale.

Comme le déclare James Minton, l’éditeur du livre dont j’ai parlé tout à l’heure :

Je crois qu’il n’est pas du tout justifié de rejeter sur les démunis et les défavorisés la responsabilité de remédier aux problèmes et aux manifestations endémiques d’impuissance et de disparité des privilèges qui touchent la société et certaines personnes.

Il poursuit ainsi :

Nous devons être bien conscients que les crimes commis dans le réseau des pensionnats autochtones ne se limitent pas aux blessures subies par les personnes qui ont survécu à ce réseau, car celui-ci visait non pas des personnes, mais des peuples.

Dans le dernier chapitre, intitulé « Réflexions », les auteurs invitent le lecteur à trouver ses propres vérités dans ces histoires et à entamer un processus de réparation, de réconciliation et de réappropriation. Bien que ces histoires soient tragiques, notre histoire ne demeurera pas ainsi, car ce serait manquer de respect et de considération pour les connaissances, le mode de vie et le savoir-faire que nos ancêtres ont transmis pendant des millénaires afin d’assurer un avenir prospère à nos peuples.

Reconnaître cela impliquerait également que le Sénat trouve une façon de tourner la page en prenant l’engagement de ne plus porter préjudice aux Premières Nations. Les sénateurs n’en seraient que mieux informés, plus compatissants et donc plus forts. Notre soutien envers les anciens pensionnaires et leur famille les rendrait aussi plus forts. Ce serait un exemple de conciliation.

Quelles sont les vérités des sénateurs? Nos excuses ne devront pas s’inscrire dans une tentative de prolonger l’histoire de la colonisation ni de nous exonérer de tout blâme pour les graves injustices et la violence coloniale, dont les pensionnats autochtones font partie intégrante.

Nous présenterons nos excuses du point de vue des « cœurs qui s’entrechoquent ».

Honorables sénateurs, je vous invite à vous joindre à moi dans des débats visant à mieux comprendre le racisme, la discrimination, la violence et les sévices qui ont été provoqués par l’établissement des pensionnats autochtones et les impacts négatifs de ces derniers, impacts qui sont encore ressentis aujourd’hui par d’innombrables peuples et communautés autochtones. Ce sera l’occasion de reconnaître les méfaits causés par ces pensionnats et de travailler à changer les choses. Ce changement découlera de la reconnaissance par les sénateurs des effets encore présents de l’oppression des peuples autochtones et de la nécessité de changements plus vastes au sein de la société et de la sphère politique.

Je vous invite à prendre la parole au sujet de cette motion et à l’appuyer en vue de la présentation d’excuses visant à corriger une bonne partie des torts causés par le Sénat à ce sujet, autant dans le passé que plus récemment. Merci. Kinanâskomitin.

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