Aller au contenu

Projet de loi no 2 sur l'allègement du coût de la vie (soutien ciblé aux ménages)

Deuxième lecture

3 novembre 2022


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-31, Loi concernant des mesures d’allègement du coût de la vie relatives aux soins dentaires et au logement locatif.

J’aimerais remercier les sénateurs Yussuff, Seidman, Omidvar et Simons pour leurs interventions qui nous ont permis d’en savoir plus sur les soins dentaires au Canada.

Comme beaucoup d’entre vous le savent, j’ai consacré 48 ans de ma vie au dossier de la prestation de soins dentaires. Les soins dentaires me tiennent à cœur et, par mon travail, j’ai donné à la dentisterie la place qu’elle mérite.

En ce qui concerne ce projet de loi, chers collègues, je suis préoccupée par l’absence de réponses adéquates aux questions soulevées par moi-même et par d’autres professionnels de la santé dentaire. Je m’inquiète de cette approche à court terme alors que la prévention et la gestion efficaces de la plupart des maladies dentaires exigent une vision à long terme. Par ailleurs, nous avons déjà des modèles provinciaux de santé dentaire publique qui fournissent des soins. Ces cliniques doivent être mieux soutenues et financées pour leur permettre de fournir d’autres soins sur le long terme.

La plupart des systèmes de soins dentaires sont encore structurés autour de la prestation de services de soins aigus, c’est-à-dire de soins d’urgence comme le soulagement de la douleur. Cette approche traditionnelle basée sur un traitement individuel à haut risque est coûteuse et la recherche a prouvé sa faible efficacité.

Honorables sénateurs, j’ai vu les programmes pour les soins dentaires des enfants qui existaient dans les provinces du Manitoba et de la Saskatchewan dans les années 1970 et 1980. Ils offraient des soins dentaires dans les écoles aux enfants d’âge scolaire, principalement dans les secteurs ruraux. La majorité des enfants dans les villages ruraux de la Saskatchewan ont fini par recevoir des soins préventifs, ce qui coûtait au gouvernement et aux contribuables environ 80 $ par année par élève. Malgré les résultats éloquents dans ces deux provinces, les programmes ont été progressivement éliminés en raison des pressions exercées par les associations dentaires de ces provinces. On peut constater les tiraillements entre le modèle de prestation de soins dentaires public et le modèle de prestation privé. Quel modèle la proposition à l’étude favorisera-t-elle?

Chers collègues, j’ai également remarqué dans le projet de loi que les dentothérapeutes ne sont pas inclus dans la définition de « services de soins dentaires ». Or, en Saskatchewan et au Manitoba, les dentothérapeutes formés à l’échelle fédérale ou provinciale sont des professionnels de la santé autorisés qui, de nos jours, fournissent la majorité des soins aux enfants dans les cabinets dentaires. Par contre, au Manitoba, certains dentothérapeutes formés à l’échelle fédérale ne sont pas reconnus par l’Association dentaire du Manitoba. Ils continuent de travailler dans les réserves sans permis d’exercice et sans assurance contre la faute professionnelle, à leurs propres dépens. Ces dentothérapeutes formés à l’échelle fédérale ont été formés à la faculté dentaire de l’Université de Toronto. J’ai communiqué avec l’Association dentaire du Manitoba pour savoir pourquoi l’autorisation de ces deux groupes diffère, mais je n’ai pas reçu de réponse.

Il y a également des travailleurs de l’Initiative en santé buccodentaire des enfants embauchés dans le cadre d’un programme fédéral qui sont formés pour travailler dans les communautés, mais qui travaillent sans détenir de diplôme. Ils sont autorisés à appliquer le traitement au fluor, alors que les assistants dentaires qualifiés, eux, n’ont pas le droit de le faire au titre des normes de soins de leur province. Il est inimaginable que des fournisseurs de soins non reconnus, n’ayant ni licence ni assurance contre la faute professionnelle, soient autorisés à travailler avec des enfants simplement parce qu’ils vivent dans une réserve. C’est ce qu’on appelle du racisme sanitaire géographique et systémique.

Par conséquent, une grande question demeure : le projet de loi sera-t-il amendé pour inclure les dentothérapeutes, d’autant plus que ces derniers délivrent des permis et réglementent leur propre profession en Saskatchewan et qu’ils veulent faire la même chose au Manitoba?

Honorables sénateurs, le démantèlement du Programme de soins dentaires pour enfants a notamment eu comme contrecoups la fermeture en 2011 de l’École nationale de dentothérapie, à Prince Albert, en Saskatchewan. L’École nationale de dentothérapie, qui était supervisée par des dentistes de l’Université de Toronto, était située au départ à Hay River, dans les Territoires du Nord-Ouest. Toutefois, comme les dentothérapeutes avaient réussi à traiter tous les habitants de la ville, on a dû déplacer l’école à Prince Albert. Je crois comprendre qu’une nouvelle école de dentothérapie rattachée à la Faculté de médecine dentaire de l’Université de la Saskatchewan ouvrira ses portes à La Ronge. Je sais également que des discussions ont lieu avec différentes écoles pour former des hygiénistes dentaires afin qu’ils deviennent des dentothérapeutes.

La question de la main-d’œuvre durable s’étend aussi à d’autres professions liées à la santé dentaire. On a de la difficulté à recruter et à retenir des cliniciens en santé buccodentaire pour prodiguer des soins. Quand j’étais à Winnipeg, j’ai demandé à des dentistes s’ils seraient en mesure de prendre en charge l’afflux de jeunes patients que le projet de loi risque de créer. J’ai aussi demandé qui indiquerait aux clients quels cabinets leur fourniraient des soins. Il y a plus de 650 cabinets à Winnipeg, mais il manque l’infrastructure adéquate pour traiter la charge accrue qu’ils devront accepter. De plus, je ne sais pas qui dirigerait une telle initiative. Beaucoup de dentistes donnent déjà rendez-vous plusieurs mois à l’avance à leurs patients existants. Les dentistes seront-ils disposés à déplacer les rendez-vous de certains de leurs patients pour accommoder les bénéficiaires d’un programme provisoire qui comporte un niveau indéterminé d’exigences administratives?

Chers collègues, sous la rubrique « Demande », à l’article 8, il est précisé que la demande doit contenir les nom, adresse et numéro de téléphone du dentiste, denturologiste ou hygiéniste dentaire — c’est ici que manque la mention de dentothérapeute — auprès duquel la personne à l’égard de laquelle la demande est présentée a reçu ou recevra des services de soins dentaires. Il faudra également préciser dans la demande le mois au cours duquel les services ont été reçus ou, selon l’intention du demandeur, seront reçus.

Compte tenu de ce que j’ai vu lorsque je travaillais dans le domaine, je peux dire que très peu de dentistes fourniront des soins en sachant qu’ils seront payés à une date ultérieure, en dépit de ce qui a été dit hier soir lors de la séance du Comité des finances. Qui plus est, les membres de nombreuses Premières Nations se voient refuser des services dentaires faute de pouvoir payer à l’avance.

Dans d’autres cas, il arrive que des compagnies d’assurance envoient par mégarde le chèque au patient plutôt qu’au fournisseur du service. En pareille situation, le fournisseur n’a aucun recours pour réclamer le paiement si le patient ne lui transmet pas le chèque.

Que se passe-t-il si le demandeur décide de faire appel à un autre prestataire — ce qui est son droit — ou s’il reçoit ce chèque mais ne le dépense pas pour les soins prévus? C’est une possibilité bien réelle, car bon nombre de ces gens pourraient avoir à choisir de dépenser l’argent qu’ils reçoivent pour acheter de la nourriture ou des vêtements afin de répondre aux besoins essentiels de leurs enfants.

Comme nous l’avons vu, le même cas de figure s’est présenté avec la PCU, que de nombreuses personnes qui n’y avaient pas droit ont demandée parce qu’elles en avaient besoin pour répondre à leurs besoins essentiels. Il s’agit de préoccupations importantes dont il faut tenir compte.

Honorables sénateurs, j’aimerais parler d’un autre programme de soins dentaires qui fonctionne bien et qui est offert aux enfants de la deuxième à la sixième année dans les écoles participantes de la division scolaire de Winnipeg, qui compte une forte proportion de ménages à faible revenu. La prestation de ce programme est assurée par des étudiants en médecine dentaire de la Faculté de médecine dentaire de l’Université du Manitoba, de concert avec Variety, un organisme de bienfaisance pour les enfants du Manitoba.

Les étudiants en médecine dentaire de troisième et de quatrième année, qui sont au nombre de 70, travaillent aux côtés d’hygiénistes dentaires et d’assistants dentaires sous la supervision de dentistes pour sensibiliser et examiner les enfants à l’école. En général, la moitié des enfants examinés nécessitent un traitement. Au début des années 2000, j’étais moi-même l’une des instructrices dans le cadre de ce programme et j’ai pu constater de mes propres yeux les besoins considérables de ces enfants en milieu urbain.

Dans le rapport de 2021-2022, on peut lire que 17 écoles ont participé au programme, que 2 053 élèves ont été examinés et que 21 % d’entre eux ont reçu un traitement. Les étudiants en médecine dentaire ont dispensé 733 traitements, améliorant ainsi la qualité de vie de 199 enfants au total.

Marsha Missyabit, vice-principale de l’école Niji Mahkwa, a dit ceci :

Cette année, notre école s’est sentie très soutenue par le programme de sensibilisation aux soins dentaires. Les élèves qui ont participé au programme étaient très à l’aise et avaient des choses agréables à dire. La communication était efficace et nos besoins ont été pris en considération avec respect. Merci de tout votre soutien!

En 2019, Variety a commencé à appuyer SMILE plus, un partenariat entre l’Université du Manitoba et l’Office régional de la santé de Winnipeg qui fournit des soins dentaires gratuits aux enfants de la maternelle et de la première année dans certaines écoles. Ces soins sont dispensés grâce à des dons privés.

Honorables sénateurs, j’attire votre attention sur ces programmes qui fonctionnent parce qu’ils peuvent servir de modèles de mise en œuvre. Les universités elles-mêmes sont d’excellents sites pour la prestation de soins dentaires selon un modèle de santé publique.

Pourtant, chers collègues, un élément du projet de loi C-31 qui me préoccupe grandement découle de mes discussions avec divers groupes et personnes qui s’inquiètent de l’inadéquation du montant de 650 $. On a dit que ces enfants n’avaient besoin que pour 650 $ de traitements. Ce montant permettrait de faire un examen, de réaliser des radiographies et d’effectuer seulement deux ou trois réparations. Si c’est tout ce dont ils ont besoin, ces enfants n’ont vraiment pas besoin de beaucoup de soins. Toutefois, je ne crois pas que ce soit le cas. Comme l’ont dit certains sénateurs, ces enfants auront besoin de soins buccaux complets, surtout les groupes qui ont eu très peu d’accès, voire aucun, aux soins buccodentaires.

Lorsque j’ai témoigné devant le Comité de la santé de la Chambre des communes, en 2003, ce comité se penchait sur le montant offert dans le cadre du Programme des services de santé non assurés. À l’époque, il s’agissait de 800 $. Le comité avait indiqué que c’était insuffisant et avait eu un rôle à jouer dans le fait qu’il soit finalement porté à 1 000 $, un montant qu’il considérait toujours comme inadéquat.

De nombreux professionnels de la santé ont admis que les soins dentaires sont inaccessibles pour bien des gens, et cela englobe tous les groupes d’âge au pays. Qui est le plus à risque et que va-t-on faire pour offrir une certaine égalité et une certaine équité à ces groupes?

Beaucoup de gens n’ont pas accès à des soins dentaires appropriés en temps opportun pour les motifs énoncés par le Collège de médecine dentaire de l’Université du Manitoba, dont ceux-ci : l’accessibilité, la disponibilité, l’accommodement, la sensibilisation et l’acceptabilité.

Comme je l’ai déjà dit auparavant, l’écart entre les tranches de revenus de 70 000 $ et de 30 000 $ est énorme et il existe des répercussions négatives possibles pour la tranche de revenus de 30 000 $ à 40 000 $. Ce groupe manque de ressources comme Internet, des téléphones, des places en garderie, le transport, ainsi que des compétences pour naviguer à travers le nouveau système bureaucratique qui limitait déjà l’accès aux soins lorsque j’étais dentiste il y a 20 ans. Il continue de le limiter encore aujourd’hui.

Outre la bureaucratie, l’Agence du revenu du Canada risque de constituer un autre obstacle majeur, en particulier pour ceux qui n’ont pas accès à un ordinateur ou qui ne sont pas inscrits au dépôt direct.

Dans le discours d’hier, j’ai appris que les Canadiens recevront un paiement initial afin de pouvoir compter sur l’aide plus rapidement. Cela allège une partie du fardeau des personnes qui ne peuvent pas payer d’avance.

Cependant, qu’en est-il des parents qui n’ont pas de compte bancaire ni de connaissances en matière de finances? Comment le gouvernement veillera-t-il à ce que ces gens aient accès aux soins dentaires de manière équitable par rapport aux familles dans la tranche des 70 000 $ de revenus, qui auront plus de ressources?

Honorables sénateurs, je tiens à vous faire part de mon profond malaise par rapport à la vitesse accélérée avec laquelle ce projet de loi a franchi les étapes jusqu’à maintenant. Est-ce parce qu’il est à l’origine d’un risque de déclenchement d’une élection générale s’il n’est pas adopté avant décembre, ou parce que l’Agence du revenu du Canada veut qu’il soit adopté d’ici le 18 novembre?

Je dois souligner que faire notre travail sous la contrainte n’est pas la bonne manière de lancer le régime universel de soins dentaires. Dépenser les deniers publics est une responsabilité que nous devons prendre au sérieux, sans nous précipiter.

[Note de la rédaction : La sénatrice McCallum s’exprime en cri.]

Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)

Haut de page