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Question de privilège

Report de la décision de la présidence

3 décembre 2024


Son Honneur la Présidente [ - ]

Conformément à l’article 13-5(2) du Règlement, le Sénat examinera maintenant la question de privilège de l’honorable sénatrice McCallum.

Honorables sénateurs, conformément au préavis que j’ai donné hier au greffier du Sénat et au greffier des Parlements, et conformément à l’article 13-3(1) du Règlement du Sénat du Canada, je prends la parole aujourd’hui au sujet d’une question de privilège concernant la motion d’ajournement qui a été présentée lors de la dernière séance du Sénat.

Pour donner un peu de contexte et davantage d’explications au préavis que le greffier a distribué il y a peu de temps à tous les sénateurs, lors de la séance du jeudi 28 novembre dernier, on a demandé l’ajournement du Sénat pendant le débat sur le projet de loi S-218. Cela s’est produit quelques minutes avant 18 heures. Il ne restait qu’une poignée de points à aborder au Feuilleton. Dans la mesure où il n’y avait aucune raison légitime d’ajourner la séance à ce moment-là, et comme la sénatrice McPhedran et moi-même étions toujours inscrites au plumitif pour prendre la parole ce jour-là, nous avons toutes les deux dit « non » de façon catégorique lorsque Son Honneur a soumis la question sur l’ajournement aux sénateurs.

Cependant, malgré nos objections, la motion d’ajournement a été adoptée sans entrave. Voyant cela, juste avant que ne retentisse la sonnerie, la sénatrice McPhedran s’est levée pour s’adresser à Son Honneur et indiquer que deux sénatrices avaient dit « non » à cette motion d’ajournement. En réponse à cette affirmation, Son Honneur a simplement dit : « Oui, et j’ai dit qu’elle était adoptée », en référence à l’adoption de la motion d’ajournement, même si elle reconnaissait que deux sénatrices avaient dit « non ». Non seulement la motion a ensuite été adoptée, mais elle n’a même pas été consignée comme ayant été adoptée avec dissidence.

Honorables sénateurs, selon l’article 13-2(1) du Règlement du Sénat, une question de privilège doit remplir quatre critères pour que la priorité lui soit accordée. Comme je vais l’expliquer, je considère que cette question de privilège remplit les quatre critères.

En réponse au critère a), la question de privilège a été soulevée à la première occasion, puisque cette affaire s’est produite au moment de l’ajournement de la dernière séance du Sénat et que j’ai produit un préavis écrit avant la séance d’aujourd’hui.

En réponse au critère b), la question se rapporte directement aux privilèges de plusieurs sénateurs, en particulier les deux sénatrices qui se sont opposées à la motion, ainsi que les sénateurs qui avaient préparé un discours et qui n’ont pas pu le prononcer à cause de l’ajournement hâtif.

En réponse au critère c), cette question de privilège est soulevée pour corriger une grave violation du Règlement, des procédures et des pratiques habituelles du Sénat, car le fait de ne pas avoir reconnu correctement les sénatrices qui s’opposaient à une motion a eu un effet domino, puisque cela a empêché la tenue d’un vote de vive voix en bonne et due forme et, de surcroît, la tenue d’un vote par appel nominal.

En réponse au critère d), cette question de privilège est soulevée pour obtenir une véritable réparation que le Sénat est habilité à accorder et qui ne peut vraisemblablement être obtenue par aucune autre procédure parlementaire afin de rectifier la mauvaise application des règles et des procédures qui a eu pour résultat de réduire au silence des sénatrices dans le cadre d’un vote en plus de les empêcher de prononcer les discours qu’elles auraient possiblement faits plus tard au cours de la séance, selon le résultat du vote par appel nominal.

Chers collègues, l’article 9-2(1) du Règlement du Sénat se lit comme suit :

Le Président met une question aux voix en demandant qui dit oui et qui dit non; il décide ensuite si la question est adoptée ou rejetée.

Cette procédure n’a pas été suivie correctement dans le cas de la motion d’ajournement, puisque celle-ci a été considérée comme adoptée sans tenir compte des objections. Cette décision a ensuite été maintenue sans égard au signalement, par la sénatrice McPhedran, que deux sénatrices s’étaient opposées à la motion.

De plus, l’article 9-3 du Règlement du Sénat du Canada stipule :

Le Président ouvre un vote par appel nominal lorsqu’au moins deux sénateurs en font la demande après le vote de vive voix, à condition que le Sénat n’ait pas encore abordé une autre question.

Le droit des sénatrices de prendre part à ce vote a été violé lorsque, durant le vote de vive voix, la présidence n’a pas reconnu comme il se doit leur opposition à la motion.

Honorables sénateurs, après avoir exposé les faits, j’aimerais maintenant vous demander à tous de réfléchir à la question, de réfléchir à la signification, à l’esprit et à l’objet du privilège dont nous jouissons tous supposément. Le Règlement du Sénat définit le privilège de la façon suivante :

Droits, pouvoirs et immunités particuliers à chaque Chambre collectivement, et aux membres de chaque Chambre individuellement, faute desquels il leur serait impossible de s’acquitter de leurs fonctions.

Ces mots ont non seulement un grand poids, mais aussi une grande légitimité. Comme certains sénateurs le savent peut-être, ces mots et cette définition ont été rédigés pour la première fois en 1946 par le grand expert et spécialiste des affaires parlementaires Erskine May dans la 14e édition de son ouvrage Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament.

Ce concept de privilège a également été examiné dans un rapport de 1996 du Comité sénatorial permanent des privilèges de l’Australie. Ce comité australien a décrit le privilège comme suit :

Les privilèges parlementaires sont les immunités accordées aux parlementaires à titre de représentants élus pour qu’ils puissent s’acquitter de leurs fonctions […] sans entraves indues […]

Surtout, chers collègues, j’aimerais citer notre propre document d’orientation, La procédure du Sénat en pratique. À la page 224, on peut y lire ceci :

Le but du privilège est de permettre au Parlement et, par extension, à ses membres de remplir leurs fonctions sans ingérence ou obstruction injustifiée [...] Les parlementaires ne peuvent l’invoquer que dans la mesure où « une atteinte à leurs droits [...] risquer[ait] d’entraver le fonctionnement de la Chambre ».

Chers collègues, nous devons reconnaître que l’atteinte aux droits de plusieurs sénateurs dans ce cas-ci a également entravé le fonctionnement de la Chambre, puisque la mauvaise application du Règlement a non seulement interrompu le débat, mais aussi mis inutilement un terme à la séance de jeudi dernier plus tôt que prévu.

Honorables sénateurs, La procédure du Sénat en pratique indique également ceci :

[...] le but premier du privilège parlementaire est de permettre au Parlement de contrôler ses délibérations sans ingérence indue [...] et de permettre aux parlementaires de s’acquitter de leurs fonctions parlementaires.

Dans la liste des droits collectifs dont disposent les sénateurs, ce document d’orientation inclut explicitement « le droit de réglementer ses travaux ou délibérations ». Dans sa liste des privilèges dont les sénateurs disposent individuellement, La procédure du Sénat en pratique inclut « la liberté de parole au Parlement et dans ses comités » et « la protection contre l’obstruction ».

Honorables sénateurs, j’avancerais que le point de vue et la position qui sont fréquemment adoptés à propos du concept de privilège sont souvent trop étroits et trop restrictifs pour être utiles en pratique. Le privilège est souvent lié à l’idée d’une immunité par rapport au droit commun. Cette vision limitée ne nous nuit-elle pas considérablement? Ne sommes-nous pas en train de permettre délibérément que nos privilèges et nos droits soient entravés, perturbés et gênés par nos propres procédures mal appliquées, que cette mauvaise application soit intentionnelle ou non? Soyons clairs. D’après les passages de l’ouvrage d’Erskine May, du rapport d’un comité parlementaire australien et de notre ouvrage La procédure du Sénat en pratique que j’ai cités, il est évident que le privilège sert à nous prémunir contre l’obstruction, l’ingérence et l’entrave à nos fonctions parlementaires.

Pourquoi voudrions-nous assurer la protection de nos privilèges contre des forces extérieures alors que nous fermons les yeux sur les violations de nos privilèges qui sont le produit de nos propres mécanismes internes?

Notre privilège est soit un droit pleinement garanti qui nous permet de remplir nos fonctions, soit un privilège de façade. Il faut savoir laquelle de ces deux possibilités s’applique. Comment puis‑je avoir la liberté d’expression alors que je n’ai pas le droit de m’exprimer?

Honorables sénateurs, nous savons tous que le temps pour les débats est très limité au Sénat, principalement en raison de considérations liées aux déplacements et de responsabilités associées aux comités. En règle générale, la séance du mercredi ne dure pas plus de deux heures. Nous levons généralement la séance relativement tôt les jeudis pour faciliter les déplacements. Normalement, nous ne nous réunissons pas du tout les lundis et vendredis. Il ne reste donc que les mardis où nous siégeons habituellement jusqu’à l’épuisement de l’ordre du jour. Cependant, lorsqu’une centaine de sénateurs veulent s’exprimer sur des dizaines d’affaires inscrites au Feuilleton, le temps devient précieux. Nous ne pouvons pas nous permettre de bafouer les privilèges des uns et des autres en refusant délibérément à certains le droit d’être entendus lors d’un vote ou de prononcer un discours, pour ensuite agir comme si cette décision était moins une violation de nos privilèges qu’elle ne le serait s’il s’agissait d’une force extérieure qui aboutissait au même résultat.

Par conséquent, honorables sénateurs et Votre Honneur, je nous exhorte tous à réfléchir à la notion de privilège et à l’intention derrière celle-ci. Nos droits en matière de privilège — nos droits d’exercer nos fonctions parlementaires sans entrave, obstruction ou ingérence — sont-ils aliénables ou inaliénables? Nos privilèges sont-ils garantis ou conditionnels?

Chers collègues, compte tenu de la situation soulevée dans cette question de privilège et de ce que j’estime être un obstacle et une restriction légitimes à ma capacité et à celle de plusieurs de mes collègues d’effectuer notre travail de sénateurs, je soutiens que cette question de privilège est fondée de prime abord et qu’elle justifie un examen plus approfondi de la part du Sénat.

Pour terminer, je note également que la motion d’ajournement en question de jeudi dernier a eu lieu alors que le sénateur Plett participait au débat sur mon projet de loi, le projet de loi S-218, qui vise à mettre en œuvre l’analyse comparative entre les sexes de manière plus équilibrée au sein du gouvernement.

Par conséquent, sénateur Plett, j’attends avec impatience que vous concluiez vos remarques à l’appui de ce projet de loi lorsque vous utiliserez le reste de votre temps de parole.

Kinanâskomitinawow. Merci.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Les honorables sénateurs souhaitent-ils intervenir au sujet de cette question de privilège?

Merci, sénatrice McCallum, d’avoir attiré notre attention sur cette question importante. Je la prendrai en délibéré.

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