La Loi sur le directeur des poursuites pénales
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat
19 juin 2025
Propose que le projet de loi S-224, Loi modifiant la Loi sur le directeur des poursuites pénales, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-224, Loi modifiant la Loi sur le directeur des poursuites pénales. Je tiens encore une fois à souligner l’énorme quantité de travail, le dévouement et la persévérance dont ont fait preuve les Manitoba Keewatinowi Okimakanak, ou MKO, en étroite collaboration avec le Conseil consultatif des terres dans le cadre de ce projet de loi et du projet de loi connexe, le projet de loi S-223.
J’ai eu le privilège de collaborer avec les MKO et le Conseil consultatif des terres dans le cadre à l’élaboration de ces projets de loi, puis de les soumettre au Sénat en leur nom.
Chers collègues, le projet de loi S-224 modifiera la Loi sur le directeur des poursuites pénales afin d’y inclure la définition suivante de « texte législatif de première nation ». Ce terme s’entend :
a) soit d’un règlement administratif pris en vertu de la Loi sur les Indiens;
b) soit d’un texte législatif de la première nation au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations;
c) soit d’un texte de nature législative édicté par un conseil, un gouvernement ou une autre entité autorisés à agir pour le compte d’une première nation en vertu d’un accord sur l’autonomie gouvernementale mis en œuvre par une loi fédérale.
Le projet de loi S-224 est une loi importante qui est nécessaire pour clarifier et confirmer de façon concluante que le Service des poursuites pénales du Canada a la compétence et le mandat d’engager et de mener des poursuites pour des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire en vertu des lois des Premières Nations, ainsi que tout appel ou toute autre procédure liée à une telle poursuite, au nom de la Première Nation qui a adopté ou promulgué le texte législatif en question.
Comme je l’ai mentionné dans mon précédent discours sur le projet de loi C-223, lorsqu’il a adopté le projet de loi C-49, Loi sur la gestion des terres des premières nations, en 1999, et le projet de loi C-428, Loi sur la modification et le remplacement de la Loi sur les Indiens, en 2014, le Parlement avait l’intention de créer des pouvoirs législatifs nouveaux et accrus pour appuyer l’autodétermination des Premières Nations.
Dans un résumé officiel du projet de loi C-49, on peut lire :
Le projet de loi C-49 élargirait la portée des pouvoirs que la première nation pourrait exercer et ne les laisserait plus à la discrétion du gouverneur en conseil ou du ministre.
Selon un résumé du projet de loi C-428 préparé par le ministère, cette mesure :
[...] élimine le pouvoir de supervision du ministre sur la présentation, l’entrée en vigueur et l’annulation des règlements administratifs, et confère aux Premières Nations l’autonomie et la responsabilité relativement à la rédaction, l’adoption et l’entrée en vigueur des règlements administratifs.
En dépit de l’intention du Parlement d’accroître les pouvoirs législatifs des Premières Nations à des fins d’autodétermination, les projets de loi C-49 et C-428 ont créé des « régimes en suspens » où les lois des Premières Nations ne sont pas appliquées par la GRC et ne peuvent pas donner lieu à des poursuites de la part du Service des poursuites pénales du Canada. Ces refus vont à l’encontre de l’objectif et de l’intention des projets de loi C-49 et C-428.
Honorables sénateurs, dans le rapport de juin 2021 du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes intitulé Démarches collaboratives en matière d’application des lois dans les collectivités autochtones, le comité indique que depuis que des modifications à la Loi sur les Indiens en 2014 ont retiré au ministre le pouvoir de rejeter un règlement administratif, il n’y a plus d’examen ministériel obligatoire des règlements administratifs.
Alors que le Service des poursuites pénales du Canada n’engage des poursuites que pour les règlements qui ont été examinés par Services aux Autochtones Canada, ce ministère examine maintenant les projets de règlement pour commentaires seulement. Pourquoi cette question n’a-t-elle pas été abordée immédiatement en 2014? Pourquoi le procureur général, le Service des poursuites pénales du Canada et Services aux Autochtones Canada n’ont-ils pas soulevé cette question en 2014 auprès du gouvernement fédéral?
Le 6 mai 2021, lors de son témoignage devant le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes, Jeff Richstone, directeur général et avocat général principal du Bureau du directeur des poursuites pénales, a déclaré :
Il existe depuis de nombreuses années une lacune concernant les poursuites reliées à des violations des lois des communautés autochtones. Ces lois sont adoptées par les communautés en vertu d’un certain nombre d’autorités législatives, mais le thème commun est la relation de nation à nation que les communautés autochtones partagent avec le Canada.
Les poursuites relatives à ces lois ne font pas partie du mandat du SPPC.
M. Jeff Richstone, ainsi que M. Stephen Harapiak, conseiller juridique aux Services juridiques du ministère de la Justice, ont expliqué ceci au comité :
Nous avons examiné certains projets de règlements administratifs à la demande des Premières Nations, pour les guider et les aider. Ce sont les règlements administratifs qui sont appliqués. Sans pouvoir de désaveu...
— par Services aux Autochtones Canada —
[...] certains des problèmes qui peuvent se poser sont de savoir si un règlement est conforme à la portée de la Loi sur les Indiens ou s’il est conforme à la Charte, comme cela est prévu depuis 2011.
Honorables sénateurs, ma question est la suivante. Pourquoi le pouvoir de désaveu de Services aux Autochtones Canada a-t-il été supprimé sans qu’un processus soit mis en place pour garantir la reconnaissance, le respect, l’application et l’exécution efficaces des lois des Premières Nations?
Surtout, pourquoi le gouvernement a-t-il placé les Premières Nations dans une position qui les empêche de faire le travail nécessaire pour protéger leur population et réduire la violence dans leurs communautés?
Pourquoi une mesure fédérale visant à supprimer le pouvoir de désaveu est-elle alors devenue, en soi, un obstacle à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale?
Jeff Richstone a fourni l’explication suivante :
Malgré son mandat limité, le SPPC s’engage à travailler avec ses partenaires pour explorer les options et élaborer des solutions à long terme. À cette fin, avant la pandémie, le SPPC avait entamé des discussions avec d’autres intervenants afin de voir comment mettre cette question à l’avant-plan, de manière à trouver des solutions adaptées aux besoins des communautés autochtones.
Voici ce que dit le rapport du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord :
Le SPPC a conclu des protocoles d’entente avec certaines Premières Nations pour instituer des poursuites en vertu des règlements administratifs établis sous le régime de la Loi sur les Indiens adoptés pour lutter contre la pandémie de COVID-19. Le Comité a été informé que seuls les règlements administratifs qui ont été passés en revue pour s’assurer qu’ils respectent la Loi sur les Indiens et la Charte canadienne des droits et libertés peuvent faire l’objet de poursuites; or, ce ne sont pas tous les articles de la Loi sur les Indiens elle-même qui sont conformes à la Charte.
N’est-ce pas là un paradoxe en soi? Les articles de la Loi sur les Indiens qui ne sont pas conformes à la Charte ont-ils été relevés et les dispositions qui devraient alors avoir préséance ont-elles été établies? Les limites de l’examen représentent, encore une fois, un obstacle de taille. Comment le Service des poursuites pénales du Canada a-t-il choisi les protocoles d’entente qu’il accepterait d’appuyer?
Le rapport du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes indique ceci :
Les Premières Nations autonomes peuvent promulguer des lois en vertu de l’autorité législative prévue dans leur entente sur l’autonomie gouvernementale ou leur traité moderne. En outre, les Premières Nations qui ont adopté un code foncier en vertu de l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations (rendu exécutoire en vertu de la Loi sur la gestion des terres des premières nations) peuvent élaborer des lois concernant leurs terres, notamment sur le développement, la protection et la possession de celles-ci. Ces lois autorisent les Premières Nations à ne plus être régies par les dispositions concernées en matière de gestion des terres de la Loi sur les Indiens.
L’Accord-cadre prévoit des dispositions relatives à l’application des codes fonciers et des lois des Premières Nations. Cela ne signifie toutefois pas que les lois adoptées en vertu des codes fonciers sont appliquées.
Comme l’explique le Conseil consultatif des terres dans son mémoire :
Malheureusement, les règlements administratifs de la Loi sur les Indiens font l’objet d’une sous-application chronique. Une grande partie de la difficulté à asseoir une application efficace des lois des Premières Nations au titre de l’Accord-cadre remonte à la difficulté à surmonter la série d’échecs essuyés sous le régime de la Loi sur les Indiens.
Dans le cadre de l’étude du projet de loi C-32 par le Sénat en décembre 2022, le Grand Chef Garrison Settee, du Manitoba Keewatinowi Okimakanak, ou MKO, a clairement expliqué par écrit au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et au Comité sénatorial permanent des finances nationales pourquoi la section C de la partie 4 du projet de loi C-32 aurait dû être amendée afin de préciser l’application par les forces de l’ordre et le système de justice des lois des Premières Nations adoptées en vertu de l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations.
Bien que le MKO n’ait pas été invité à comparaître devant l’un ou l’autre des comités au sujet du projet de loi C-32, plusieurs sénateurs ont pris la parole au Sénat et se sont joints à moi pour exprimer leur soutien à la demande du MKO de comparaître devant le Comité des finances nationales.
J’ai aussi pris la parole au Sénat pour appuyer les amendements proposés par le MKO et attirer l’attention sur leur importance. De plus, lors de l’étude par le comité, le sénateur Loffreda a posé la question suivante à la vice-première ministre et ministre des Finances :
[...] le MKO a également présenté un mémoire à notre comité des peuples autochtones pour faire part de préoccupations concernant cette partie du projet de loi et demander des modifications corrélatives à la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada et à la Loi sur le directeur des poursuites pénales.
J’aimerais entendre vos observations et votre point de vue sur ces demandes et ces préoccupations.
Voici ce que la ministre des Finances a répondu au sénateur Loffreda :
Vous avez soulevé de très nombreux points. Je ne pourrai pas tout aborder pendant les quelques minutes que le sénateur Mockler nous accorde. Je vais me contenter de dire que j’en prends bonne note.
Je suis convaincue que la réconciliation et la relation de nation à nation avec les peuples autochtones au Canada font partie des dossiers les plus importants de notre gouvernement. C’est omniprésent dans le travail accompli par tous les ministères. C’est une chose que nous prenons très au sérieux. M. Jovanovic et moi-même prenons bonne note de vos commentaires.
Le mémoire des MKO concernant le projet de loi C-32 faisait aussi allusion à la déclaration faite le 25 mai 2021 par Robert Louie, président du Conseil consultatif des terres des Premières Nations, devant le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord :
De nombreuses Premières Nations qui ont un code foncier se sont heurtées au refus de forces policières lorsqu’elles ont demandé de l’aide, ces forces évoquant des préoccupations au sujet de la validité des dispositions législatives sur les codes fonciers et de la responsabilité pouvant être imputée aux policiers, ou bien une incertitude quant aux parties qui prendraient en charge les poursuites si des accusations étaient portées. Il a été difficile jusqu’ici de se mettre d’accord avec des procureurs fédéraux ou provinciaux pour aborder les lois des Premières Nations au titre de l’Accord-cadre.
Voici ce que Robert Louie, président du Conseil consultatif des terres des Premières Nations, a indiqué au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones le 22 novembre 2022, dans le cadre de l’examen du projet de loi C-32 :
Les 20 dernières années nous ont permis de comprendre que le Canada et la GRC n’appliquent pas et n’appuient pas les lois qui ont été adoptées par les Premières Nations.
C’était il y a 26 ans.
C’est un problème de plus en plus sérieux. Nous n’avions pas anticipé cet accroc au départ, mais nous essayons d’y remédier en collaboration avec les gouvernements et les procureurs généraux au niveau fédéral et provincial.
La lettre de la commissaire Brenda Lucki de la GRC au Grand Chef Settee des MKO, datée du 17 février 2020, a permis de confirmer les propos de Robert Louie, président du Conseil consultatif des terres des Premières Nations, selon lesquels les Premières Nations qui ont un code foncier se heurtaient au « refus de forces policières » et que la GRC « n’appliqu[ait] pas et n’appu[yait] pas les lois qui ont été adoptées par les Premières Nations ».
La commissaire de la GRC a déclaré ce qui suit au Grand Chef Settee :
La GRC reconnaît l’autorité des Premières Nations en vertu de la Loi sur la gestion des terres des Premières Nations (LGTPN). Toutefois, on se demande si les codes fonciers de la LGTPN confèrent le pouvoir d’adopter des lois liées à la COVID-19. En attendant d’autres directives, la GRC continuera de suivre les processus en place en ce qui concerne l’application des règlements administratifs liés à la COVID adoptés en vertu de la Loi sur les Indiens, ainsi que l’application des lois provinciales applicables.
Le 15 mars 2021, la sous-ministre adjointe, Terres et développement économique, Services aux Autochtones Canada, a écrit ce qui suit au président Robert Louie :
Je comprends la frustration ressentie par les Premières Nations qui ont assumé des aspects aussi fondamentaux de leur gouvernance par l’adoption d’un code foncier, pour être ensuite forcées de s’en remettre aux pouvoirs de la Loi sur les Indiens pour lutter contre la pandémie actuelle de COVID-19.
Bien que d’autres analyses doivent être effectuées, j’ai demandé à mon équipe de collaborer avec vous sur les options qui s’offrent à nous pour élargir et clarifier les pouvoirs dans le cadre des prochaines modifications à l’accord-cadre.
Chers collègues, vous vous rappellerez sans doute que le projet de loi C-32 ne propose aucune modification visant à corriger les lacunes relatives à l’application concrète des lois ayant trait au code foncier ni les lacunes relatives aux poursuites en cas d’infractions à ces lois.
Le 31 mai 2023, M. Michael Foote, procureur fédéral en chef pour le Manitoba, a déclaré ceci, alors qu’il faisait référence aux dirigeants et aux représentants des MKO :
Je suis procureur depuis 25 ans au fédéral et j’ai été procureur au provincial pendant 3 ans. Or, je sais que, pendant tout ce temps, nous n’avons engagé aucune poursuite. Il s’agit donc manifestement de quelque chose qui remonte à plus loin que le début de ma carrière de procureur. Je crois que Michael Anderson a évoqué une affaire datant de 1996, époque où le ministère de la Justice était responsable des poursuites. Or, comme je l’ai indiqué dans mon intervention, c’est quelque chose qui ne s’est jamais répété depuis.
En réponse à une question posée le 1er juin 2023 par le Chef Hubert Watt de la Première Nation de God’s Lake, lors de la deuxième journée du symposium, le procureur fédéral en chef pour le Manitoba a également déclaré ce qui suit :
En ce qui concerne votre question, et plus particulièrement les règlements administratifs pris en vertu de la Loi sur les Indiens, le Service fédéral des poursuites a toujours refusé d’engager des poursuites à l’égard de ces règlements. Je suppose que la GRC en déduit que, puisque la Couronne n’engage pas de poursuites, elle n’a pas non plus à le faire.
Cependant, le 11 mai 2021, Jeff Preston, inspecteur de la GRC et agent responsable du détachement de Campbell River, en Colombie-Britannique, a déclaré ce qui suit au Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de l’autre endroit :
En général, les règlements administratifs des bandes sont traités comme des lois fédérales qui peuvent être appliquées par la GRC, le service de police compétent ou les agents d’application des règlements administratifs des bandes.
Dans une déclaration faite le 11 mai 2021 au Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de l’autre endroit, le sergent d’état-major Ryan Howe, du détachement de Meadow Lake de la Division F de la GRC, en Saskatchewan, a affirmé que la GRC avait cessé d’appliquer les lois des Premières Nations dans le Nord de la Saskatchewan après 2014.
Dans un échange avec Michael Anderson, le conseiller des MKO en matière de maintien de l’ordre et de sécurité publique, à la suite de la déclaration du sergent d’état-major Howe devant le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord, ce dernier a écrit ce qui suit aux MKO, le 6 mai 2021 :
Après les changements apportés à la loi en décembre 2014, les directives et les orientations données aux détachements de la GRC qui desservent les Premières Nations dans le Nord de la Saskatchewan voulaient qu’en l’absence de poursuites, la police ne procède plus à des arrestations ni à des inculpations.
Honorables sénateurs, comme vous pouvez le constater, les déclarations de la GRC provenant de différentes régions se contredisent. Nous avons demandé des informations à la GRC en Colombie-Britannique afin de savoir si les règlements municipaux qui ont été appliqués étaient alors applicables. Nous attendons toujours une réponse.
Le 27 mai 2021, les MKO ont déposé une demande d’accès à l’information officielle afin d’obtenir une copie des directives adressées à la GRC pour qu’elle cesse d’appliquer les lois des Premières Nations après décembre 2014 en l’absence de poursuites. Plus de deux ans plus tard, les MKO continuent de réclamer une réponse de la GRC à leur demande d’accès à l’information concernant cette directive. Quand mon bureau sénatorial a demandé à la GRC de lui fournir cette réponse, avec le consentement des MKO, on lui a répondu qu’il faudrait encore un an et demi pour obtenir ces renseignements; un avocat spécialiste de la protection des renseignements personnels m’a fait comprendre qu’il s’agissait d’un refus.
Honorables sénateurs, partout au pays, les Premières Nations vivent une crise en matière de sécurité publique et de bien-être qui est alimentée en grande partie par un trafic de drogue et des activités de contrebande qui sévissent presque impunément tout en apportant leur lot de problèmes complexes aux communautés. Le fait que la GRC et le Service des poursuites pénales refusent et négligent d’assumer leurs responsabilités en ce qui concerne l’application des lois des Premières Nations et les poursuites aux termes de ces lois, notamment en ce qui a trait aux substances intoxicantes, aux interdictions, aux intrusions et aux couvre-feux, contribuent directement à cette crise nationale.
Voici ce que dit l’auteur d’un article intitulé « La solution au problème de l’application des règlements administratifs sous le régime de la Loi sur les Indiens : engager des poursuites », article qui a été publié sur le site du cabinet Olthuis Kleer Townshend LLP :
De nombreux corps policiers au pays font fi des règlements administratifs des Premières Nations parce qu’ils savent que, la plupart du temps, il n’existe aucune façon efficace de poursuivre ou condamner les contrevenants à ces règlements. Si l’article 81 de la Loi sur les Indiens autorise les bandes à prendre des règlements administratifs pour les réserves dans des domaines tels que le contrôle de la circulation, la résidence, la santé publique et les boissons alcoolisées, et même si certains de ces règlements peuvent prévoir des sanctions comme des amendes ou des peines d’emprisonnement, la Loi sur les Indiens ne précise pas si les poursuites à intenter contre les contrevenants relèvent des provinces, des territoires, du gouvernement fédéral ou des Premières Nations elles-mêmes.
L’auteur ajoute :
De nombreux corps policiers estiment que les règlements administratifs sous le régime de la Loi sur les Indiens n’ont la même légitimité que les règlements fédéraux, provinciaux, territoriaux ou municipaux et qu’il ne vaut pas la peine de risquer d’engager la responsabilité et d’y consacrer les ressources nécessaires pour les faire respecter.
L’auteur en conclut ceci.
Le fait que la Loi sur les Indiens ne précise pas qui des provinces/territoires, du gouvernement fédéral et des bandes sont responsables d’intenter des poursuites pour les infractions aux règlements administratifs a pour résultat qu’autant le gouvernement fédéral que les gouvernements provinciaux disent que ce n’est pas leur problème. Malheureusement, ce sont les Premières Nations qui doivent subir le mépris des lois et l’insécurité qui découlent de cette situation.
N’oubliez pas que cette situation dure depuis 26 ans maintenant.
Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent intervenir, prendre au sérieux la sécurité et le bien-être des communautés des Premières Nations et veiller à ce que les règlements administratifs soient appliqués et qu’ils donnent lieu à des poursuites judiciaires. C’est particulièrement vrai pour les Autochtones avec qui ils ont une relation de fiduciaires.
Honorables sénateurs, le Chef Robert Louie de la Première Nation de Westbank, agissant en sa qualité de président du Conseil consultatif des terres, a écrit au Grand Chef Settee des MKO le 5 avril 2023 pour appuyer le type de modifications à la Loi sur le directeur des poursuites pénales que les MKO avaient proposées dans leur mémoire sur le projet de loi C-32. Ces modifications figurent maintenant dans le projet de loi dont nous sommes saisis, le projet de loi S-224, avec l’aval du Conseil consultatif des terres.
Agissant en tant que Chef de la Première Nation de Westbank, le Chef Louie a également écrit au Grand Chef Settee des MKO pour lui demander :
J’aimerais que toute modification de la loi fédérale englobe les règlements administratifs pris sous le régime de la Loi sur les Indiens, l’accord-cadre et d’autres accords d’autonomie gouvernementale comme l’Accord d’autonomie gouvernementale de la Première Nation de Westbank.
Chers collègues, en plus de régler la question des régimes actuellement « en suspens » des règlements administratifs pris en vertu de la Loi sur les Indiens et des lois du code foncier, l’adoption du projet de loi S-224 vise à préciser avec une certitude concluante que le Service des poursuites pénales du Canada a le devoir d’engager des poursuites à l’égard :
[...] d’un texte de nature législative édicté par un conseil, un gouvernement ou une autre entité autorisés à agir pour le compte d’une première nation en vertu d’un accord sur l’autonomie gouvernementale mis en œuvre par une loi fédérale.
Le projet de loi S-224 précise également que le Service des poursuites pénales du Canada n’engagera ni ne mènera aucune poursuite :
[...] dans les cas où la première nation qui a pris ou édicté le texte législatif a nommé ou désigné un poursuivant ou a conclu une entente avec un gouvernement provincial ou territorial relativement à la poursuite de ces infractions.
L’adoption du projet de loi S-224 rendra limpide la volonté du Parlement concernant l’engagement de poursuites, au nom du procureur général, par le Service des poursuites pénales du Canada dans le cas d’infractions aux lois adoptées en bonne et due forme par les Premières Nations, à moins que la Première Nation ait conclu une entente relativement à la poursuite des infractions.
L’organisation Manitoba Keewatinowi Okimakanak a également participé récemment à un exercice de rédaction conjointe de mesures législatives avec le ministre de la Justice du Manitoba pour assurer la présentation, l’examen et l’adoption, le 30 mai 2023, de modifications proposées à la Loi sur les infractions provinciales du Manitoba, qui créeront, pour la première fois au Manitoba, un régime de contravention pour les lois des Premières Nations.
Des lois provinciales qui visaient elles aussi à créer un régime de contravention pour les lois des Premières Nations avaient déjà été proposées par les Premières Nations et adoptées par l’Alberta le 9 décembre 2020 et par la Saskatchewan le 11 mai 2023.
Avec l’adoption des modifications apportées au projet de loi et au projet de loi S-223, ces régimes de contravention pour les lois des Premières Nations rendront le Service des poursuites pénales du Canada beaucoup mieux à même de poursuivre, le cas échéant, les auteurs d’infractions aux lois des Premières Nations en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba.
J’ai mentionné hier qu’il existe un projet pilote de deux ans dans le cadre duquel le directeur des poursuites pénales collabore avec le Manitoba pour l’application des règlements pris en vertu de la Loi sur les Indiens et la poursuite des contrevenants à ces règlements, au-delà de ceux liés à la pandémie de COVID-19. Ce type de projet pilote ne constitue pas une solution permanente, mais plutôt une occasion commune d’élargir la portée du travail accompli à ce jour au-delà de la crise provoquée par la pandémie.
De plus, c’est l’occasion de recueillir des données et d’acquérir une expérience qui pourraient servir à la mise au point de solutions dans le but de mieux servir les communautés à long terme. Ce projet pilote de 2 ans est unique au Canada et il concerne 23 Premières Nations, représentées par l’organisation Manitoba Keewatinowi Okimakanak, qui exercent des pouvoirs législatifs et qui ont fait le choix d’y participer.
Honorables sénateurs, les Premières Nations se sont battues pour changer l’histoire déclarée et imposée par le Canada. Les effets néfastes de la suppression de l’autodétermination et les conséquences horribles qui en ont découlé sont le reflet d’un environnement qui les a rendues vulnérables. Les Premières Nations fonctionnaient très bien avant.
Chers collègues, au début des années 1980, la Charte des droits et libertés comportait une section prévoyant la protection constitutionnelle des droits ancestraux ou issus de traités.
En novembre 1983, le Comité spécial de la Chambre des communes sur l’autonomie politique des Indiens présentait ses conclusions et demandait d’étendre les pouvoirs des gouvernements des Premières Nations, ce qui, dans certains cas, irait au-delà du modèle municipal classique. Dans les années 1990, le ministère des Affaires indiennes annonçait une politique sur le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. En 2023, nous avons eu la Loi sur la gestion des terres des premières nations.
Il est temps de mettre fin aux 247 années de gestion formelle des Indiens, laquelle est encore aux prises avec une question indienne qu’on a créée de toutes pièces et soutenue et qui, en fin de compte, était une loi raciste qui a laissé dans son sillage des gouvernements enlisés aux Premières Nations.
Honorables sénateurs, comme je l’ai dit au début, je suis profondément honorée d’avoir eu le privilège de collaborer avec des représentants des MKO et du Conseil consultatif des terres des Premières Nations, qui ont joué un rôle majeur dans l’élaboration de la version actuelle de ce projet de loi. Il s’agit là d’un exemple concret d’élaboration conjointe d’un projet de loi touchant les Premières Nations.
Cet exercice d’élaboration conjointe de mesures législatives est conforme aux articles 19 et 38 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et, par conséquent, il est conforme à la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. J’invite tous les sénateurs à appuyer pleinement l’autodétermination et les pouvoirs législatifs accrus de toutes les Premières Nations du Canada que le Parlement prévoyait dans le projet de loi C-428 de même que pour les Premières Nations qui choisissent d’exercer le pouvoir législatif prévu par l’ancien projet de loi C-49.
J’exhorte mes collègues à appuyer pleinement et à adopter le projet de loi S-224, qui modifie la Loi sur le directeur des poursuites pénales et qui précise et confirme de manière concluante le pouvoir du Service des poursuites pénales du Canada d’engager et de mener des poursuites visant des infractions punissables prévues par les textes législatifs de Premières Nations au nom du procureur général du Canada.
Le fait de renvoyer sans tarder les projets de loi S-223 et S-224, qui vont de pair, au comité afin qu’il se penche sur le bourbier qui continue de susciter l’incertitude dans la vie des Premières Nations contribuerait à redonner ce qui n’aurait jamais du être retiré.
Kinanâskomitinawow. Merci.