PÉRIODE DES QUESTIONS — Question de privilège
Report de la décision de la présidence
19 juin 2019
Honorables sénateurs, avant de passer à l’ordre du jour, j’ai reçu une demande d’une autre personne pour étudier davantage la question de privilège soulevée par la sénatrice Marshall. Bien que cela ne corresponde pas à la pratique courante, ce n’est pas sans précédent, et je vais accéder à la demande en l’occurrence. Par conséquent, nous allons maintenant entendre tout nouvel argument sur la question de privilège.
Merci, Votre Honneur. Je prends la parole au sujet de la question de privilège soulevée par la sénatrice Marshall concernant les courriels fournis au conseiller sénatorial en éthique dans le cadre d’une enquête en vertu du Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs. Dans l’intérêt de tous les sénateurs, à titre de présidente du Comité sénatorial permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts, je prends la parole au nom du comité afin de fournir des renseignements sur le code qui sont pertinents dans le contexte de cette question de privilège.
Nous effectuons cette démarche pour souligner que le processus d’enquête en vertu du code doit demeurer confidentiel pour préserver son intégrité et protéger toutes les personnes concernées, y compris le sénateur ou la sénatrice qui fait l’objet de l’enquête. Puisque des renseignements concernant une enquête ont été rendus publics, la confidentialité requise n’a pas été maintenue.
Permettez-moi d’abord de déclarer que ni moi, ni les membres du comité ne savons précisément quels courriels ont été demandés ou reçus par le conseiller sénatorial en éthique, quel est le processus au moyen duquel les courriels ont été fournis, ou à quel escient ces courriels pourront être utilisés dans le cadre de l’enquête du conseiller. De plus, ni moi ni le comité ne cherchons à présumer ou à préjuger du résultat de toute enquête du conseiller sénatorial en éthique ou de la décision de Votre Honneur relativement à la question de privilège. Je signale que le comité sera saisi du rapport d’enquête pertinent une fois que ce dernier sera achevé et qu’il n’en connaît aucunement le contenu à l’avance.
Sénateurs, le Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, qui lie tous les sénateurs ainsi que le conseiller sénatorial en éthique et toute personne participant à un processus d’enquête, exige que tout le monde respecte les règles de confidentialité. Plus précisément, le paragraphe 48(8) du code prévoit que :
[q]uiconque participe au processus d’enquête est tenu d’en respecter la nature confidentielle et de collaborer avec le conseiller sénatorial en éthique.
En outre, quand il mène une enquête, le conseiller sénatorial en éthique est tenu, au titre du paragraphe 48(6) du code de :
[mener]l’enquête de manière confidentielle et aussi rapidement que les circonstances le permettent.
Le paragraphe 48(4) du code, quant à lui, habilite le conseiller sénatorial en éthique à :
[…] exiger la comparution de personnes et la production de documents […]
Ces documents peuvent inclure des courriels de sénateurs stockés sur des serveurs de l’Administration du Sénat. Il existe un processus par lequel le comité directeur du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration peut remettre au conseiller sénatorial des documents relevant de l’Administration du Sénat.
Dans l’article 9(1) du Règlement administratif du Sénat, section 2:00, chapitre 2.06, on peut lire ceci :
L’Administration du Sénat renvoie au comité directeur toute demande visant la communication de documents ou de renseignements non publiés :
a) soit concernant le Sénat, un sénateur ou un ancien sénateur;
b) soit susceptibles d’identifier un sénateur ou un ancien sénateur.
Ce processus n’est pas administré par le conseiller sénatorial en éthique ou le Comité sénatorial permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs.
Le comité est d’avis que les privilèges que les sénateurs peuvent avoir à l’égard de leurs courriels peuvent être limités par le Code. L’intérêt qu’a un sénateur de savoir si ses dossiers sont partagés doit être comparé à l’obligation du conseiller sénatorial en éthique de mener une enquête rapidement et confidentiellement et à la nécessité de protéger le sénateur qui fait l’objet d’une enquête.
Lorsque le prochain rapport d’enquête du conseiller sénatorial en éthique sera terminé, le comité pourra examiner les détails de toute question de procédure. D’ici là, j’encourage tous les sénateurs à examiner le Code et leurs obligations en vertu de celui-ci, notamment en ce qui concerne la confidentialité.
Votre Honneur, j’espère que ces renseignements vous seront utiles dans l’examen de cette question de privilège.
Merci, Votre Honneur. J’aimerais réagir à cela. Je n’étais pas ici au début de l’intervention, mais j’ai pris connaissance de l’annonce sur le site web du conseiller sénatorial en éthique, qui dit ceci : « Dans le cadre de son enquête, le conseiller sénatorial en éthique peut exiger la comparution de personnes et la production de documents [...] » C’est exactement ce qu’il m’a demandé, donc c’est ce que je lui ai fourni. Je lui ai même donné des documents qu’il ignorait que j’avais en ma possession. Je lui ai remis tout ce que j’avais.
Si les courriels entrent dans la catégorie des documents qui peuvent être exigés, j’espère que les sénateurs tiendront compte de cette information à l’avenir et qu’ils seront conscients que leurs courriels pourraient être examinés librement.
Votre Honneur, chers collègues, je voudrais aussi signaler que je suis déçue d’avoir appris ce qui se passait entre les branches. Je ne sais pas si la personne en question fait partie des leaders au Sénat ou de l’Administration du Sénat, mais je trouve tout à fait honteux qu’il ait fallu qu’elle m’annonce la nouvelle de manière subreptice, et de savoir que mes collègues étaient déjà au courant de la situation.
Il a beau être le conseiller sénatorial en éthique, il n’en demeure pas moins que la manière dont il effectue son enquête est contraire à l’éthique. Il aurait dû me le dire. Je collaborais, il aurait donc dû me le dire. Dans le dernier courriel que j’ai reçu du Bureau du conseiller sénatorial en éthique, on me remerciait de ma collaboration et de mon aide dans ce dossier.
Chers collègues, même si je ne peux rien faire d’autre pour moi-même, je peux vous avertir que vos courriels sont accessibles au conseiller sénatorial en éthique. Maintenant, j’oserais même dire qu’ils peuvent être lus par d’autres bureaux du Parlement. Merci, Votre Honneur.
Votre Honneur, je vais, moi aussi, être bref. Ce que je trouve particulièrement préoccupant dans toute cette affaire, c’est que, dans le cadre d’une enquête sur un sénateur, le conseiller sénatorial en éthique ait pris l’initiative de demander des courriels et des documents. En tant que sénateurs, nous le savons tous : quand le conseiller sénatorial en éthique enquête sur un sénateur, il l’en informe. Ça, c’est une chose. Par contre, quand, au cours d’une enquête sur un sénateur, le conseiller sénatorial en éthique accède aux courriels d’une autre sénatrice, qui s’est montrée coopérative et qui a rencontré le conseiller sénatorial en éthique, puis qu’il choisit malgré tout d’aller demander au comité directeur du Comité de la régie interne l’autorisation d’accéder aux courriels de n’importe quel sénateur non visé officiellement par l’enquête, c’est tout autre chose, parce que, d’après ce que je crois comprendre de la question de privilège soulevée par la sénatrice Marshall, le conseiller sénatorial en éthique ne l’a pas informée qu’elle faisait l’objet d’une enquête.
Nous devrions être tous très inquiets de ce que le conseiller sénatorial en éthique puisse s’appuyer sur le code pour consulter nos courriels personnels, les courriels associés à notre adresse du Sénat, alors que nous ne sommes pas visés par une enquête.
Je vous remercie, Votre Honneur. J’aimerais traiter la question sous un angle légèrement différent.
À mon avis, il est important de ne pas perdre de vue, si je comprends bien ce que nous a expliqué initialement la sénatrice Marshall, que celle-ci a été contactée dans le cadre d’une enquête en cours. Je pense que nous devons également garder à l’esprit qu’au sein d’une institution autoréglementée comme le Sénat, pour qu’une enquête soit approfondie et complète, il convient de se conformer rigoureusement aux normes et aux procédures.
Permettez-moi d’établir un parallèle avec d’autres institutions autoréglementées. Par contraste avec le Sénat, toutes les autres organisations professionnelles autoréglementées doivent généralement se conformer aux lois publiques qui définissent les procédures autorisées. Lorsqu’on s’efforce de recueillir des preuves afin d’approfondir une enquête, il ne convient pas de donner un préavis à qui que ce soit; ce n’est pas raisonnable.
Nous sommes des humains. Avant d’être des sénateurs, nous sommes d’abord des humains. Il y a trop de risques que... et je ne m’adresse pas à vous plus qu’aux autres, sénatrice Marshall. Pour qu’une enquête soit rigoureuse, il faut suivre une série de procédures bien précises et il faut avoir accès aux faits et aux données — à la preuve, quoi. Les exemples ne manquent pas. Les responsables de l’application de la loi ou de toute réglementation pourraient le confirmer : dans une institution autoréglementée, il arrive souvent que, si on annonce d’avance qu’une enquête de cette nature aura lieu, les preuves disparaissent, pour toutes sortes de raisons.
Pour des considérations d’ordre pratique, nous devons donc pouvoir dire que le Sénat s’est doté de procédures permettant la tenue d’enquêtes aussi complètes que possible.
Je crois que nous devons aussi garder en tête que, la majeure partie du temps, nous employons des mécanismes financés et fournis par l’État pour nos communications. Quand nous agissons de la sorte, c’est à titre de sénateurs. Pour que le Sénat puisse mener des enquêtes complètes et équitables, l’accès à nos dossiers et à nos communications au moyen de mécanismes financés et fournis par l’État me semble tout à fait raisonnable.
Puis-je poser une question à la sénatrice McPhedran?
Je regrette, sénatrice Marshall, mais j’ai besoin de toute l’information susceptible de m’aider à trancher votre question de privilège. Nous ne pouvons pas nous lancer dans un débat, car le contexte ne s’y prête pas. Si, à un moment ou un autre, vous souhaitez ajouter quoi que ce soit qui puisse m’éclaire, sénatrice Marshall, je vous invite à m’en faire part.
Je suis désolée, mais j’aimerais ajouter quelque chose. Ce qui me préoccupe le plus dans cette affaire, c’est que, au Sénat, des gens étaient au courant de la situation, mais ils ne me l’ont jamais dit. Il a fallu que l’apprenne entre les branches. Je pense que, pour une grande institution comme le Sénat, c’est une façon honteuse de faire les choses. Aucune des personnes en position d’autorité n’a eu la délicatesse de me dire : « Excusez-moi, sénatrice Marshall, mais je pense que vous devriez être au courant de ceci. »
Au lieu de cela, tout le monde a continué son petit bonhomme de chemin et n’a rien dit, jusqu’à ce que quelqu’un ait l’amabilité de m’apprendre quelque chose entre les branches.
Merci, Votre Honneur. Je serai très bref. J’ai été troublé hier lorsque la sénatrice Marshall a soulevé cette question pour la première fois. D’entrée de jeu, elle a parlé du ton de l’enquête, au début. Puis, elle nous a fait part de ce qui lui est arrivé. Je ne connaissais pas non plus l’existence de cette politique. Nous pourrions peut-être nous pencher sur les règles et les restrictions en la matière. Si tous les courriels peuvent être divulgués, peut-on tous les examiner? Comment fait-on le tri?
Par exemple, je reçois des courriels confidentiels d’employés de l’Agence du revenu du Canada concernant des situations qu’ils jugent scandaleuses à l’agence, afin que je puisse en faire le suivi au nom du public. Ce sont des dénonciateurs, si vous voulez. Certains communiquent avec moi sous le couvert de l’anonymat et d’autres ouvertement. Ce sont des gens très courageux parce que, dans bien des cas, ils perdraient leur emploi.
Ils ne me donnent pas de renseignements fiscaux confidentiels; ils parlent de mauvaises politiques au sein de l’agence. S’il faut commencer à contourner la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, comme bon nombre de fonctionnaires fédéraux le font, en prenant des notes jetables, en évitant de prendre des notes et en se servant de deux BlackBerry, c’est très préoccupant. Il s’agit d’un grave problème.
Je suis très préoccupé par ce que la sénatrice Marshall a dit. Elle n’a pas besoin de moi pour défendre son intégrité et ses compétences professionnelles, mais tous les sénateurs devraient savoir qu’elle est une comptable agréée d’expérience. Elle est l’ancienne vérificatrice générale de Terre-Neuve-et-Labrador, une ancienne députée provinciale et une ancienne ministre. J’ai siégé avec elle pendant des années au Comité de la régie interne. Elle est une femme de la plus haute intégrité possible et je suis profondément troublé d’apprendre aujourd’hui ce qui lui est arrivé.
Je vous remercie, Votre Honneur. Je ne parlerai pas des détails de la situation, puisque je suis tenu à la confidentialité au sujet du comité directeur. Je dirai toutefois que, si une demande de documents est soumise au Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration, au comité directeur ou à l’Administration, nous commençons par demander conseil à un légiste. Ensuite, le comité directeur voit à respecter scrupuleusement les règles prévues par le Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts. Ce sont, fondamentalement, les deux principes que nous appliquons.
Pour ce qui est d’informer les sénateurs, nous devons respecter les règles de confidentialité prévues par le Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts. Si cela nous déplaît, nous ne devrions pas débattre de cette question, mais tout simplement mettre le code à jour pour y supprimer les éléments qui nous déplaisent ou nous semblent déraisonnables.
Merci.
Je tiens à remercier les sénateurs de leurs observations à propos de cet enjeu crucial soulevé par la sénatrice Marshall. Je continue de le prendre en délibéré.