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Le Tarif des douanes

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

24 février 2022


L’honorable Leo Housakos [ + ]

Propose que le projet de loi S-204, Loi modifiant le Tarif des douanes (marchandises en provenance du Xinjiang), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour aborder le projet de loi S-204, Loi modifiant le Tarif des douanes.

Ce projet de loi est très simple. Il vise à modifier le Tarif des douanes afin d’interdire l’importation de tous les biens produits dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang de la République populaire de Chine.

Certains d’entre vous se demandent peut-être pourquoi je propose que le Parlement du Canada prenne cette mesure; d’autres se demandent si elle est nécessaire compte tenu de la loi actuelle; et d’autres encore s’interrogent sur d’éventuelles représailles. J’aimerais donc aborder chacune de ces questions.

Premièrement, pourquoi est-ce que je propose cette interdiction? La réponse est simple : en raison des preuves de plus en plus nombreuses que le Parti communiste chinois est en train de commettre un génocide dans cette région, et que la seule et unique raison de ce génocide est que les habitants de cette région sont musulmans. Ils sont violés, réduits en esclavage, torturés et assassinés simplement en raison du fait qu’ils sont musulmans.

Ce génocide s’accompagne de preuves irréfutables que des centaines de milliers, peut-être même un million, de membres de la minorité ouïghoure sont contraints au travail forcé au profit des autorités communistes et des entreprises impliquées dans ces activités.

À mon avis, en n’agissant pas, en demeurant silencieux devant ce tollé, nous devenons leurs complices, même si c’est involontairement, et ce n’est pas dans la nature des Canadiens. Ce projet de loi est nécessaire pour dénoncer et exposer davantage ce qui constitue peut-être actuellement la plus grave violation des droits de la personne au monde.

Je commencerai mon intervention en citant quelques-uns des nombreux témoins oculaires de la situation au Xinjiang.

Rukiye Turdush est une citoyenne canadienne qui a immigré au Canada de la Chine dans les années 1990. Elle a affirmé que son frère a été tué par des soldats chinois en 1992 et elle a parlé de sa décision courageuse de quitter la Chine dans les années 1990. Elle a raconté comment on l’avait expulsée, avec son bébé, de sa chambre d’hôtel à Pékin sous la menace d’une arme à feu, uniquement parce qu’elle est ouïghoure.

Elle a parlé ouvertement du harcèlement constant qu’elle a subi, même ici au Canada, aux mains de gens au service, ou de partisans, des autorités communistes chinoises.

Elle a été harcelée parce qu’elle a osé parler de ces répressions et dire qu’elles s’étaient intensifiées depuis 2017. Je la cite :

Depuis 2017, [le gouvernement chinois] a commencé à arrêter tout le monde au Turkestan oriental [aussi connu sous le nom de Xinjiang] [...] J’ai demandé à mon père combien de membres de ma famille étaient détenus. Il a dit que je devrais plutôt demander combien ne l’étaient pas, et la réponse est zéro.

L’histoire racontée par Mme Turdush n’a rien d’unique.

La BBC a fait état de viols et de torture systématiques dans ces camps, et des organisations de défense des droits de la personne ont également rapporté d’innombrables cas de viols et d’agressions sexuelles.

L’ex-ministre de la Justice et procureur général du Canada, Irwin Cotler, soutient que la République populaire de Chine a commis, selon lui, les cinq crimes mentionnés dans la Convention des Nations unies sur le génocide. M. Cotler a affirmé ceci :

Les Ouïghours vivent dans des conditions atroces et sont victimes de torture et de violence sexuelle dans ces camps. Ils sont assujettis à l’esclavage institutionnalisé dans toute la Chine. Depuis 2017, le gouvernement chinois déplace de force les enfants ouïghours — dont plusieurs sont devenus « orphelins » parce que leurs parents sont détenus ou victimes du travail forcé — au sein d’un réseau d’établissements de l’État où la culture han est dominante.

Autrement dit, une population minoritaire est forcée de servir la majorité ethnique de la Chine.

M. Cotler ajoute :

Le gouvernement contraint les Ouïghours à la stérilisation forcée de masse et applique également des politiques coercitives de prévention des naissances, anéantissant ainsi la capacité de reproduction de ce groupe.

De hauts fonctionnaires ont émis des décrets dans lesquels on parlait « d’éradiquer les tumeurs », « d’arrêter tout le monde », « de les éliminer complètement » [...]

D’autres Canadiens ont également été témoins de ce qui se passe au Xinjiang.

Les Canadiens Gary et Andrea Dyck ont habité dans la région du Xinjiang de 2007 à 2018. Ils ont raconté à l’Agence France-Presse ce qu’ils ont vu dès leur arrivée en Chine.

Ils ont constaté que les quartiers traditionnels Ouïghours ont commencé à être démantelés et leurs habitants relogés dans des immeubles loin de leurs communautés, puis les mesures ont commencé à s’intensifier. En 2016, le couple a dit avoir noté un accroissement de la présence policière, avec des points de contrôle à toutes les principales intersections et une multiplication des caméras de sécurité dans les villes.

L’honorable Peter M. Boehm [ + ]

Le sénateur Housakos accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Housakos [ + ]

Certainement.

Le sénateur Boehm [ + ]

Merci beaucoup de votre discours à la fois intéressant et, ma foi, complet. Je m’inquiète aussi de la façon dont la minorité ouïghoure est traitée au Xinjiang. Je me suis intéressé à ce dossier pendant quelques années, notamment pour la célèbre affaire Hussein Jalil. C’était en 2006.

Quoi qu’il en soit, ma question est très pointue. Si je pose la question, c’est parce que je ne connais tout simplement pas la réponse. Vous avez parlé de certaines lois américaines et de mesures que d’autres pays ont prises. Je sais que le Parlement européen a fait une déclaration, parce que je me souviens aussi de l’avoir lue. Je me demande si vous avez une idée des effets de cette loi américaine — autrement dit, de la façon dont elle a été appliquée —, parce qu’elle soulève selon moi quelques questions en ce qui a trait aux ressources. Je n’ai d’ailleurs pas les réponses. Cette mesure serait-elle appliquée par l’entremise de l’Agence des services frontaliers du Canada ou d’autres organismes, ou par l’entremise des missions et des consulats du Canada en Chine? C’est par simple curiosité. Je vous remercie.

Le sénateur Housakos [ + ]

Comme vous le savez, une loi bannissant tous les produits provenant du Xinjiang a été adoptée il y a quelques mois aux États-Unis. Honnêtement, je ne sais pas comment cette loi américaine s’applique. Je suis loin d’être un expert des relations commerciales des États-Unis.

Je sais une chose, par contre : ce projet de loi allégerait énormément le fardeau bureaucratique de l’Agence des services frontaliers du Canada et lui ferait économiser beaucoup de temps, car il lui permettrait de refuser tous les envois de marchandises à destination de ports canadiens. Cette mesure législative est une façon de reconnaître, comme l’ont déjà révélé une tonne de preuves fournies à l’international par plusieurs groupes, qu’en ce moment précis, toutes les activités de l’industrie alimentaire, de l’industrie du coton et d’autres secteurs impliquent le travail forcé d’Ouïghours.

Voilà le portrait le plus simple que nous pouvons dresser de la situation. Maintenant, nous avons devant nous un projet de loi complexe qui impose le fardeau de la preuve à l’Agence des services frontaliers du Canada en exigeant que celle-ci présente des preuves que les produits provenant du Xinjiang ont été fabriqués ou assemblés au moyen du travail forcé.

Le projet de loi simplifie la mise en application de ce que nous tentons de faire, c’est-à-dire qu’aucun produit issu du travail forcé n’entre au pays. Personne ne me fera croire que dans les deux ou trois dernières années, avec les lois dont nous disposons actuellement, il a été établi qu’un seul conteneur transportant des produits issus du travail forcé au Xinjiang est arrivé ici. À mon avis, c’est scandaleux. Compte tenu de toutes les preuves de ce qui se passe dans cette région, il est hypocrite de notre part de présumer que, parmi les nombreux produits importés — comme je l’ai dit, des tomates de l’industrie agricole, du coton de la région, des plateformes solaires et de l’équipement industriel —, rien d’autre ne vient du Xinjiang. Tout ceci est bien connu partout dans le monde. Personne ne nie que ces produits sont construits, fabriqués et produits au moyen du travail forcé de la population ouïghoure.

J’espère avoir répondu à votre question. Je pense que le projet de loi simplifie notre façon de gérer les risques d’accepter des produits importés qui sont issus du travail forcé.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Sénateur Housakos, deux autres sénateurs voudraient poser des questions. Acceptez‑vous de répondre à d’autres questions?

Le sénateur Housakos [ + ]

Bien sûr.

Sénateur Housakos, j’aimerais vous féliciter de votre détermination à aborder le sort réservé aux Ouïghours en Chine, ainsi que de votre dévouement à cette cause.

Ma question porte sur l’utilisation de termes appartenant en principe au domaine des droits de la personne, soit « génocide » et « crimes contre l’humanité ». Quand j’ai discuté de votre projet de loi avec d’autres parlementaires, cette question a été soulevée. J’ai une deuxième question à vous poser, si le temps le permet.

Environ un mois après votre dépôt de ce projet de loi au Sénat, le président Biden a signé la Uyghur Forced Labor Prevention Act, comme vous l’avez mentionné. Or, cette loi ne fait pas mention expressément de génocide. Nous savons que vous croyez qu’il faudrait qualifier de « génocide » le sort réservé aux Ouïghours en Chine. Cependant, pourriez-vous nous aider à mieux comprendre pourquoi vous avez choisi d’utiliser ce terme dans votre projet de loi?

Le sénateur Housakos [ + ]

J’ai utilisé le terme « génocide » pour décrire la situation actuelle au Xinjiang parce que c’est le qualificatif employé par des experts comme Amnistie internationale et Irwin Cotler du Centre Raoul Wallenberg. Quand ils auront terminé leur évaluation de tous les éléments de preuve fournis, ils vous diront que le traitement réservé aux Ouïghours répond à tous les critères de génocide.

Bien sûr, mon projet de loi ne porte pas tant sur cette réalité, mais davantage sur l’utilisation actuelle de camps de travaux forcés dans cette région. Je pense que ce projet de loi est la meilleure façon de faire comprendre que le Canada ne tolérera pas ce type d’acte odieux. Il ne tolérera pas que des hommes, des femmes et des enfants soient condamnés aux travaux forcés, pour quelque raison que ce soit. Je crois qu’il n’y a rien d’ambigu dans ce projet de loi. Il n’offre pas d’échappatoire. Il fait comprendre clairement au régime que nous ne serons pas complices des mauvais traitements qu’il inflige à ces gens, que ce soit en ce qui concerne ses industries au Xinjiang, ses centres agricoles, ses importations ou ses exportations.

La loi ratifiée par le président Biden en décembre dernier mentionne explicitement la coordination avec le Mexique et le Canada pour la mise en œuvre de l’article 23.6 de l’Accord États-Unis—Mexique—Canada sur l’interdiction d’importer des produits issus, en entier ou en partie, du travail forcé ou obligatoire.

Pourriez-vous commenter la nature de votre projet de loi en relation avec le projet de loi américain à ce sujet?

Le sénateur Housakos [ + ]

Ce projet de loi est très semblable. Évidemment, la loi qui est en place présentement et qui a été adoptée il y a à peine quelques années l’a été en réponse à l’accord de libre-échange Canada—États-Unis—Mexique. Elle avait été produite de façon machinale dans le but de se conformer à l’accord. Encore une fois, que cela a été fait ou non par le gouvernement canadien — implicitement ou explicitement, je ne sais pas —, mais cette loi ne permet pas de lutter contre le travail forcé. La loi américaine qui vient d’être adoptée est beaucoup plus robuste que ce que nous avons présentement.

Pardonnez mon ignorance, mais je ne connais pas la position du Mexique à ce sujet. À mon avis, cela tombe simplement sous le sens : pourquoi demande-t-on aux agents de l’Agence des services frontaliers du Canada de mettre en œuvre les règles actuelles, alors qu’elles sont impossibles à mettre en œuvre? Ils l’ont affirmé de bonne foi. J’ai discuté avec des gens de l’agence et ils m’ont dit qu’ils considèrent que cette loi n’est vraiment que de la poudre aux yeux, parce que le gouvernement sait bien qu’ils ne peuvent l’appliquer de façon efficace. C’est aux fruits qu’on juge l’arbre; la loi est en vigueur depuis un an et demi et les agents ont confisqué et arrêté un conteneur contenant ce que je suspecte être une grande quantité de produits importés de cette région.

L’honorable Julie Miville-Dechêne [ + ]

Tout d’abord, sénateur Housakos, je vous remercie pour cette initiative. Comme vous, je trouve que le Canada doit en faire plus pour aider les Ouïghours. Toutefois, je veux vous poser une question plus précise sur votre projet de loi et le comparer au projet de loi américain qui a été adopté en décembre dernier.

Aux États-Unis, comme pour votre projet de loi, on interdit l’importation de toutes les marchandises fabriquées en totalité ou en partie dans la province du Xinjiang. Cependant, le projet de loi américain contient une exception importante : cette interdiction est levée si la compagnie importatrice est capable de prouver aux douaniers que les marchandises n’ont pas été fabriquées grâce à du travail forcé. C’est un projet de loi qui est considéré comme très agressif aux États-Unis et qui a suscité un débat très difficile. On en est arrivé à ce compromis, c’est-à-dire qu’on donne la chance à la compagnie importatrice de se défendre avec des arguments solides. Pourquoi n’essayez-vous pas d’inclure une telle disposition dans votre projet de loi? Je comprends que la loi actuelle est complexe et qu’elle n’est pas mise en pratique. Cependant, il s’agit là de renverser le fardeau de la preuve.

Le sénateur Housakos [ + ]

Merci de votre question, sénatrice. Premièrement, mon objectif n’est pas d’imiter la loi américaine. Je voulais que ce projet de loi soit assez rigide.

Comme je l’ai mentionné dans mon discours, je suis très ouvert à l’idée d’étudier d’autres options ou des amendements qui pourraient ajouter quelque chose aux objectifs de ce projet de loi. Je suis très ouvert à l’idée que vous soumettiez un amendement, afin que le projet de loi soit étudié et renvoyé au comité pour étude. Le seul problème avec cela, c’est que, selon mon expérience avec les Chinois, ils utilisent toujours des façons de contourner les règles et les lois.

Par exemple, depuis quelques mois maintenant, je crois qu’ils ont compris que les Canadiens, les Américains, les Anglais et les Australiens sont en train de prendre des mesures difficiles. Selon de nombreuses sources, les Chinois sont en train de déplacer les Ouïghours du Xinjiang à d’autres endroits en Chine pour les utiliser encore une fois pour du travail forcé. En même temps, ils sont assez habiles pour dire qu’on est en train de mettre en place des conditions qui vont réduire l’importation de produits qui provenant du Xinjiang.

Je ne suis pas fermé à votre proposition. Toutefois, il faut se rappeler que le gouvernement chinois est très innovateur lorsqu’il s’agit de contourner les lois de différents pays et à différents moments.

La sénatrice Miville-Dechêne [ + ]

Merci beaucoup de cette réponse, sénateur Housakos.

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