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Projet de loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

7 mars 2023


L’honorable Wanda Thomas Bernard [ + ]

Honorables sénateurs, je reconnais que nous nous trouvons actuellement sur le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe. Je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.

Je comprends le sentiment exprimé par la ministre Qualtrough et par le parrain au Sénat, le sénateur Cotter, quant au besoin urgent de sortir les personnes handicapées de la pauvreté; cependant, je ne pense pas que le projet de loi couvre les angles nécessaires pour garantir que les personnes handicapées soient en mesure de passer de la pauvreté à un revenu adéquat. Comme l’a déclaré notre collègue la sénatrice Kim Pate lors de son débat :

Malheureusement, le gouvernement veut faire adopter à la hâte un projet de loi qui n’a de prometteur que le nom.

Je comprends que le projet de loi est un cadre et qu’on prévoit établir les détails à la prochaine étape. Bien que je respecte cet idéal, j’ai des réserves et je pense qu’il est de notre responsabilité de veiller à ce que le cadre aborde les trois questions suivantes avant la prochaine étape.

Je signale que je partage bon nombre des préoccupations soulevées par la sénatrice Petitclerc dans le discours convaincant qu’elle a prononcé plus tôt dans la soirée.

Premièrement, le projet de loi doit garantir que le cadre offre des prestations suffisantes aux personnes handicapées; deuxièmement, il doit prémunir les prestataires contre la récupération des prestations d’aide sociale provinciale; troisièmement, il devrait viser l’équité pour les personnes qui ont des facteurs identitaires multiples.

J’aborderai brièvement chacun de ces trois aspects.

Chers collègues, ma préoccupation première quant à ce projet de loi concerne la suffisance du supplément de revenu. Comme l’a dit la porte-parole, la sénatrice Seidman, dans son discours, elle voit un problème avec :

[...] le caractère suffisant de la prestation pour les personnes handicapées et la nécessité de définir clairement que la prestation elle-même doit être supérieure au seuil de pauvreté.

Je suis d’accord avec ma collègue.

J’ai consulté Vince Calderhead, un avocat néo-écossais spécialisé en droits de la personne qui a travaillé en Nouvelle-Écosse pendant plus de 30 ans et qui est un ardent défenseur des droits des personnes handicapées et des questions liées à la pauvreté depuis des décennies. Voici ce qu’il a dit :

Avec le projet de loi C-22, le gouvernement fédéral est sur le point, pour la première fois en 40 ans, de fournir une aide au revenu adéquate aux personnes handicapées au Canada. Il n’y a jamais eu de meilleure occasion pour les parlementaires d’assurer un soutien adéquat pour les personnes handicapées. En matière de droits de la personne, nous devons inclure le « droit à un revenu convenable », parce s’en remettre au Cabinet pour s’assurer d’un revenu convenable n’est pas suffisant. Oui, il faut lui faire confiance, mais il faut également des protections en matière de droits fondamentaux de la personne et de responsabilité. La Constitution canadienne exige des gouvernements fédéral et provinciaux, à l’article 36, qu’ils s’engagent à « fournir à tous les Canadiens, à un niveau de qualité acceptable, les services publics essentiels ». Grâce au projet de loi C-22, c’est maintenant l’occasion de remplir les exigences de l’article 36 en ce qui a trait au revenu convenable pour les personnes handicapées au Canada.

L’objectif principal du projet de loi est de sortir les personnes handicapées de la pauvreté. Dans sa forme actuelle, rien ne garantit qu’il y parviendra.

La deuxième préoccupation que j’ai au sujet de ce projet de loi concerne le fait que le cadre fédéral doit empêcher les provinces d’aller récupérer les sommes versées pour des prestations existantes. Si on permet aux provinces de récupérer l’argent versé dans le cadre des programmes sociaux existants, le projet de loi ne servira à rien. Les personnes handicapées seront toujours aussi pauvres et, là encore, le projet de loi n’atteindra pas son objectif.

Ma troisième et dernière critique au sujet de l’efficacité du projet de loi C-22 porte sur la capacité de fournir des mesures d’aide équitables aux personnes aux prises avec des formes d’oppression interreliées. Par exemple, on dispose d’un nombre insuffisant de données sur l’expérience des Canadiens d’origine africaine ayant un handicap. Cependant, il existe un groupe de défense des droits dans ce domaine, l’organisme ASE Community Foundation for Black Canadians with Disability. La mission de cet organisme est de réduire les inégalités qui touchent les personnes noires, handicapées et les questions de genre.

L’organisme a publié un rapport intitulé The Intersection of Blackness & Disability in Canada, qui examine la racialisation de la pauvreté et les liens avec la situation de personne handicapée. L’organisme a conclu que 12,5 % des Canadiens noirs vivent dans la pauvreté comparativement à 7,3 % des personnes non racialisées. L’organisme décrit comment un écart salarial causé par le handicap et l’origine ethnique prend naissance en raison des barrières systémiques du capacitisme et du racisme, car ces barrières excluent les personnes handicapées, les Noirs et les personnes racialisées. Cette inégalité salariale a des répercussions sur la santé et le bien‑être des membres de ce groupe, ce qui contribue par le fait même à perpétuer le cycle de la pauvreté.

J’ai assisté à une assemblée publique de l’organise ASE au mois de février. Chaque Canadien noir présent a raconté son parcours parsemé d’embûches liées à la race et au handicap, deux réalités interreliées.

La combinaison du capacitisme et du racisme est une question que nous avons abordé en Nouvelle-Écosse. Les personnes handicapées sont stigmatisées, ce qui est un problème important, et l’accès aux ressources est difficile pour de nombreux Canadiens noirs. Dans le cadre d’un projet de recherche auquel j’ai participé, nous avons interrogé des Néo-Écossais africains handicapés. Mon équipe de recherche a constaté que les personnes victimes à la fois de racisme anti-Noirs et de capacitisme sont moins susceptibles de connaître les mesures de soutien et les services et d’y accéder. Elles sont victimes de stigmatisation et vivent dans la honte et le silence, ce qui les empêche de chercher à obtenir des services. En outre, de nombreux participants à l’étude ont déclaré que le fait d’être victime de racisme anti-Noirs au moment d’accéder à des services de soutien est un autre moyen de les maintenir en dehors de ces systèmes.

Ces réalités mettent en évidence quelques-unes des raisons pour lesquelles il est nécessaire d’inclure dans le cadre la prise en compte de l’équité à partir d’une perspective intersectionnelle.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi ne peut être considéré comme exhaustif et capable d’améliorer la vie de toutes les personnes handicapées. Les personnes handicapées ne sont pas un monolithe, et les politiques qui les concernent ne doivent pas être considérées comme ayant des répercussions égales. Chers collègues, il est temps que les luttes particulières des Afro‑Canadiens handicapés et des autres personnes handicapées racialisées soient prises en compte lors de l’élaboration d’un tel projet de loi, et non pas après-coup. Les solutions de politique équitables représentent un pas important vers une société équitable.

Honorables sénateurs, je souscris à l’objectif du projet de loi, soit d’offrir un supplément de revenu aux personnes handicapées pour les sortir de la pauvreté. En fait, je suis très enthousiasmée par ses possibilités. Cependant, je ne crois pas que le projet de loi, dans son libellé actuel, atteindra cet objectif très important. Il ne prévoit rien pour que la prestation soit suffisante, compte tenu de la réduction des prestations provinciales, et ne tient pas compte des difficultés particulières aux personnes handicapées racisées qui ont besoin d’un soutien équitable.

J’attends avec impatience les témoignages d’experts pendant l’étude du projet de loi par le comité et j’invite mes collègues à réfléchir de manière critique à la mise en œuvre de ce cadre pour soutenir tous les Canadiens handicapés de façon mesurable.

Merci. Asante.

L’honorable Patricia Bovey [ + ]

Honorables sénateurs, j’interviens moi aussi au sujet du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.

Je serai brève, car j’ai écouté mes collègues s’exprimer. Je pense que mes propos feront écho aux leurs et je ne vais pas répéter tout ce qu’ils ont dit. Tout d’abord, je voudrais remercier le sénateur Cotter d’avoir parrainé le projet de loi et tous les sénateurs qui ont exprimé leur appui et leurs préoccupations.

Je suis favorable à ce que le projet de loi soit renvoyé à un comité le plus rapidement possible. Le projet de loi C-22 vise l’objectif louable de réduire la pauvreté de personnes comptant parmi les plus vulnérables au Canada. L’esprit dans lequel le projet de loi a été élaboré a donné de l’espoir à des personnes qui vivent des situations très difficiles. Comme la sénatrice Petitclerc l’a dit tout à l’heure, 6,2 millions de Canadiens, dont 41 % ont l’âge de travailler, sont sans emploi.

Au cœur du projet de loi se trouvent les mesures visant à créer une société plus inclusive. Comme l’a dit le sénateur Cotter, la sécurité financière de base joue un grand rôle à cet égard. J’ai déjà parlé au Sénat des problèmes liés à la récupération des prestations par les provinces et, comme beaucoup d’entre nous, je trouve la situation très préoccupante. En l’absence d’accords avec les provinces et les territoires, il se peut que nous placions les prestataires dans une situation où ils font un pas en avant et deux pas en arrière, ce qui signifie que le projet de loi n’atteindra pas ses objectifs.

La semaine dernière, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec David Kron, directeur exécutif de l’association de la paralysie cérébrale du Manitoba, une personne qui a vécu toute sa vie avec un handicap et qui aide beaucoup d’autres personnes. Ce qui préoccupe M. Kron le plus au sujet du projet de loi, c’est le risque de voir les provinces récupérer les prestations versées aux personnes visées par le projet de loi C-22. Il craint aussi que les provinces se déchargent de leurs responsabilités à l’égard des services de soutien aux personnes dans le besoin.

En ce qui concerne le projet de loi C-22, il m’a dit ceci :

[Le projet de loi] représente un changement générationnel dans la manière dont nous soutenons les adultes handicapés au Canada, à condition qu’il n’y ait pas de récupération.

M. Kron est très favorable au grand pas en avant que cette mesure législative représente. Il a également souligné qu’il espérait que les règlements qui la sous-tendent ne serviraient pas de prétexte aux provinces et aux autres administrations pour supprimer des services comme les fauteuils roulants, l’aide au loyer et d’autres mesures de soutien en santé pour les personnes handicapées.

Cette prestation fiscale est une étape essentielle et elle pourrait permettre — je l’espère — de sortir beaucoup de personnes de la pauvreté. Je trouve encourageant que le sénateur Cotter estime que des ententes seront conclues, mais je suis aussi préoccupée par le temps que prendront ces négociations. Pour les personnes qui luttent pour l’inclusion depuis longtemps, l’idée d’un système disparate à l’échelle du pays n’a rien de rassurant en ce qui concerne les questions d’équité.

M. Kron m’a dit que le projet de loi répond à un grand besoin, et que l’association de la paralysie cérébrale et lui appuient vraiment son objectif : améliorer la vie des personnes en situation de handicap, qui, comme nous le savons, coûte très cher. Il est encouragé que le projet de loi inclut un mécanisme d’appel. Il a dit ce qui suit :

L’aspect le plus important du projet de loi C-22, c’est qu’il s’applique à tout le Canada, ce qui permet aux gens de déménager dans d’autres régions pour vivre près de leur famille sans avoir à attendre plusieurs années avant de présenter une nouvelle demande de prestation. Il semble que, dans certains cas, pour recevoir le soutien aux personnes handicapées de sa nouvelle province, les listes d’attente sont de cinq ans, ce qui oblige des gens à rester là où ils sont, souvent loin de leur famille.

À son avis, l’aspect pancanadien du projet de loi permettra aux gens de déménager sans ces délais d’attente.

Je souligne les dispositions du projet de loi qui semblent fournir des mesures de protection, par exemple, la publication des résultats des négociations fédérales-provinciales. La mesure la plus importante se trouve sous la rubrique « Collaboration », à l’article 11.1, qui prévoit ce qui suit :

Le ministre est tenu d’offrir à des personnes handicapées issues de milieux variés des possibilités réelles et exemptes d’obstacles de collaborer à l’élaboration et à la conception des règlements, notamment en ce qui concerne le processus de demande, les critères d’admissibilité, le montant de la prestation et le processus d’appel.

Il s’agit d’une étape très importante, et qui connaît mieux les problèmes de la communauté des personnes handicapées que ceux qui vivent avec un handicap?

Permettez-moi de vous donner un exemple : mon bureau a récemment embauché Gemma, une jeune femme qui a vécu toute sa vie avec des handicaps et qui a été aux prises avec de véritables difficultés économiques. Elle est forte et déterminée, et elle a pris sa vie en main dans toute la mesure du possible. Elle embauche ses propres aidants. Elle a rédigé pour nous un document, que nous publierons bientôt, intitulé Se lancer dans l’embauche en toute confiance : guide à l’intention des personnes handicapées pour l’embauche d’aidants. Bien qu’elle y parle ouvertement de ses difficultés financières et physiques, son document offre des conseils et une vue d’ensemble du processus d’embauche.

Titulaire d’un diplôme en gestion des loisirs et en développement communautaire de l’Université du Manitoba, Gemma fait du bénévolat depuis trois ans au centre St. Amant, qui est une maison pour personnes gravement handicapées. Ses collègues, qui ont obtenu leur diplôme du même programme en même temps qu’elle, ont été rémunérés pour leurs services. Plus récemment, elle a signé un contrat avec l’association de la paralysie cérébrale du Manitoba pour diriger et organiser deux journées de mouvement pour ses membres. Tout comme David Kron, Gemma appuie fermement le projet de loi C-22. Cependant, elle s’inquiète de la possibilité de récupération des prestations, ayant fait face à cette réalité dans le cadre du projet qu’elle a mené à mon bureau.

Le projet de loi améliorera la vie de nombreuses personnes, et j’espère qu’il permettra de les aider considérablement à long terme. J’espère vraiment que l’article 11.1 sera respecté, et que les personnes handicapées pourront contribuer à l’élaboration de règlements qui étofferont cette mesure législative. C’est essentiel pour répondre aux besoins des gens qui seront le plus touchés par celle-ci.

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie étudiera bientôt le projet de loi, et les questions soulevées dans cette enceinte seront abordées. J’ai hâte à ces discussions et à ces témoignages.

En terminant, je veux vous remercier tous d’avoir fait part de vos commentaires et de vos inquiétudes, alors que notre comité s’apprête à étudier cette mesure législative.

L’honorable Diane Bellemare [ + ]

Honorables sénateurs, je voudrais tout d’abord reconnaître que nous sommes réunis sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe.

J’aimerais, d’entrée de jeu, vous dire pourquoi je tiens à prendre parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu. Même si je ne suis pas membre du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, je voudrais souligner certains éléments sur lesquels je suis d’avis que le comité devrait se pencher.

Je voudrais ensuite faire un parallèle avec une période historique que le Canada a traversée durant la première moitié du XXe siècle et vous parler de certains points sur lesquels j’aimerais que le comité s’interroge en ce qui a trait au titre du projet de loi.

Pourquoi est-ce que je tiens tant à parler de ce projet de loi? C’est parce que le sujet m’interpelle en tant que parent. Je n’ai pas d’enfant handicapé, mais si j’en avais eu un, comment serais-je aujourd’hui? Je serais très angoissée par rapport à l’avenir. Ce projet de loi me réjouirait, parce que, comme l’a dit la sénatrice Petitclerc, il est plein d’espoir. Comme l’ont dit plusieurs d’entre vous, ce projet de loi est très imprécis. Je n’ai jamais vu de projet de loi comme celui-là. Il a comme objectif principal de réduire la pauvreté et de renforcer la sécurité financière. On n’a aucune idée du montant qui sera alloué et on n’a aucune idée de la manière dont la prestation sera versée. On laisse au Cabinet le pouvoir d’en décider, ce qui ne garantit aucunement la pérennité de la mesure ni l’uniformité des objectifs visés.

Ne craignez rien, je vais voter en faveur de ce projet de loi, mais je vais demander au comité de faire son travail, comme il l’a déjà fait par le passé.

C’est vraiment le discours de la sénatrice Seidman qui m’a interpellée quand je l’ai relu... En fait, j’ai lu plusieurs discours dans lesquels on mentionnait que le Sénat a dit, en 2008 ou en 2009 ainsi qu’en 2018, que pour régler le problème de pauvreté des personnes en situation de handicap au Canada, il faut un revenu de base, pas un supplément de revenu. Cela a remis toutes mes idées en place.

Quand j’ai lu ce discours avec la référence au professeur Prince, je suis allée lire ses travaux et mes idées sont devenues claires. Le Sénat doit mettre la main à la pâte. Pourquoi? Parce qu’en lisant les propos de la ministre, qui nous a expliqué ce qu’elle voulait faire, j’ai constaté que l’on mettait l’accent sur un supplément de revenu à l’aide sociale.

On ne peut pas interpréter cela autrement. La ministre veut créer une prestation qui serait un supplément aux prestations d’aide sociale que reçoivent les personnes handicapées en âge de travailler. Les personnes vivant avec un handicap ne reçoivent plus ou alors perçoivent peu d’aide sociale après l’âge de 65 ans. Si elles en reçoivent, c’est pour d’autres raisons. Au Québec, en général, après 65 ans, plus personne ne reçoit de prestations d’aide sociale. Pourquoi? Parce qu’il y a la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti, qui sont deux programmes fédéraux.

Si on parle d’un supplément de revenu pour les personnes en situation de handicap, on pense que ces personnes en âge de travailler continueront de recevoir de l’aide sociale et que l’on va bonifier la prestation d’aide sociale. On va essayer de négocier avec les provinces pour ne pas qu’il y ait de récupération, mais elles vont encore bénéficier de l’aide de dernier recours. C’est là où il y a un malentendu, et j’espère que le comité va essayer de travailler sous cet angle. Les provinces ont pour mission d’assurer une aide de dernier recours. C’est en dernier recours qu’on se tourne vers la province. Le gouvernement fédéral ne peut pas se mettre dans une situation où il va suppléer l’aide de dernier recours. Il faut donc changer d’approche.

Comment peut-on sortir les personnes en situation de handicap de l’aide sociale et de la pauvreté, si on les maintient dans les programmes d’aide sociale? Poser la question, c’est y répondre.

J’espère que le comité se penchera sur cette question.

Je me suis dit : « Va donc voir, Diane, ce que tu as écrit dans les années 1979 et 1980, quand tu préparais ta thèse de doctorat. » Je suis retournée à ma thèse de doctorat de 800 pages, qui portait sur l’évolution des programmes sociaux au Canada. Dans ma thèse, j’ai peu traité des personnes en situation de handicap, mais j’ai examiné avec beaucoup d’attention comment on a réussi à sortir de l’aide sociale les personnes âgées de plus de 70 ans et, aujourd’hui, celles de plus de 65 ans.

Vous savez, je ne m’en souvenais plus, mais je me suis rappelé que j’avais beaucoup regardé les travaux du Sénat pendant que je rédigeais ma thèse de doctorat. Le Sénat a joué un rôle majeur dans l’adoption des programmes visant à sortir les personnes âgées de l’aide sociale. Cela a commencé assez tôt. Pour résumer en capsule, très rapidement, le gouvernement fédéral, poussé par la théorie macroéconomique de Keynes, a décidé d’investir dans la sécurité du revenu pour les familles nombreuses afin de les sortir de l’aide sociale, et ce, grâce à la création de l’allocation familiale universelle en 1945.

En 1951, il a adopté la Loi sur la sécurité à la vieillesse pour sortir les personnes de 70 ans et plus qui dépendaient toutes de l’aide sociale. Cela a fait son temps. Au début, cela a fonctionné. Toutes les personnes de 70 ans et plus touchaient une pension universelle et, dans les années 1960, l’urbanisation a fait que les personnes âgées bénéficiaient encore de l’aide sociale.

Les gouvernements ont rapidement décidé d’adopter le Régime de rentes du Québec et le Régime de pensions du Canada. On se disait qu’avec ces régimes contributifs, on pourrait sortir les personnes âgées de l’aide sociale, mais qu’en attendant, avec les prestations de la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti, ces personnes pourraient avoir un revenu de base. Aujourd’hui, ce revenu de base se situe autour de 20 000 $ pour une personne ayant peu de revenus, ce qui permet d’échapper à la pauvreté.

Mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de technologie, vous qui allez hériter de ce projet de loi, j’aimerais que vous regardiez plus en détail la possibilité de créer un programme et même de vous pencher sur cette question. Le gouvernement fédéral a déjà des mécanismes en place avec lesquels il pourrait travailler, dont le crédit d’impôt non remboursable pour les personnes en situation de handicap. En bonifiant ce crédit d’impôt et en le rendant remboursable, on pourrait permettre à toutes les personnes en situation de handicap sévère de toucher un revenu. Cela amène à la question suivante : comment allons-nous définir la situation de handicap? Je pense que le comité aura du travail à faire.

Je vous invite à examiner ce que font les provinces et le Québec à cet égard. Pendant longtemps, au Québec, on ne voulait pas définir les personnes en situation de handicap comme des personnes handicapées. On ne voulait pas non plus les traiter comme des personnes inaptes, alors on a adopté la notion de « personnes en âge de travailler avec des contraintes sévères ou légères à l’emploi ». Cela permet, du moins au Québec, aux personnes qui ont des contraintes sévères et permanentes à l’emploi de bénéficier du Programme de solidarité sociale et aux personnes ayant des contraintes légères et temporaires à l’emploi de bénéficier du Programme d’aide sociale. Les barèmes et les incitatifs à l’emploi sont différents pour ces deux programmes.

Je vous invite à examiner cette question et à étudier ce projet de loi sous l’angle du plan d’action formidable qu’a déposé la ministre Qualtrough en faveur de l’intégration à l’emploi des personnes en situation de handicap qui sont en âge de travailler. Le professeur Prince a proposé, lui aussi, un plan d’action qui rejoint ce que la ministre a proposé.

Je vous invite à examiner le problème sous un autre angle. En effet, rappelez-vous que l’angle d’un supplément à l’aide sociale veut dire que les personnes restent à l’aide sociale.

Le deuxième point dont je voulais parler est le suivant : évidemment, la collaboration fédérale-provinciale sera nécessaire pour se doter d’un plan qui ne fournit pas seulement une aide financière, mais qui assure également une intégration. Ce n’est peut-être pas l’objectif du projet de loi, mais, de toute manière, il s’agit d’une occasion d’agir pour atteindre un objectif commun. Par ailleurs, qui peut s’opposer à cet objectif de réduire la pauvreté pour les personnes en situation de handicap? Je pense qu’aucune province ne pourrait faire cela. Le gouvernement a peut-être ici la possibilité de tenir des rencontres plus régulières avec les provinces pour réaliser un objectif commun.

C’est gros comme proposition; ce n’est peut-être pas aux membres du comité de le faire, mais je tenais à le dire, car voilà une occasion de créer des institutions fédérales-provinciales qui pourront instaurer un fédéralisme plus collaboratif en matière sociale.

Mon dernier point a trait au changement du titre. Pourquoi changer le titre? Parce que, comme il n’est pas acceptable en anglais de parler de handicapped people, il n’est pas plus acceptable en français, dans le langage courant, de parler de personnes handicapées. Pourtant, on trouve ces mots dans la traduction du projet de loi. Cela m’a surprise. Quand j’ai lu le plan d’action de la ministre, on ne parle nulle part en français de personnes handicapées; on parle de personnes en situation de handicap. Il s’agit donc de quelque chose d’important.

En terminant, sur la question du titre du projet de loi, j’ai deux éléments à mentionner pour vous faire rire. J’ai oublié de vous lire quelque chose. Il s’agit d’un rapport du Sénat qui, en 1963, parlait des personnes âgées; vous pourrez faire un parallèle avec les personnes en situation de handicap. Le rapport du Sénat, présidé par le sénateur Croll, disait ce qui suit :

Après étude, le Comité est d’avis que le point de vue de ceux qui préconisent le revenu garanti face au problème du revenu des personnes âgées est très bien fondé. En plus de sa simplicité administrative (par comparaison avec l’assistance publique) et du niveau peu considérable des dépenses publiques que cela supposerait (par comparaison avec une augmentation équivalente de la pension de sécurité de la vieillesse), la proposition, selon nous, a deux grands avantages : elle évite l’évaluation des besoins qui n’est guère prisée et à laquelle nous n’aimerions pas astreindre plusieurs centaines de milliers de personnes à la retraite et, bien plus, elle comporte les moyens les plus efficaces que nous ayons trouvé pour remédier à l’inégalité avec laquelle nous traitons actuellement ceux qui sont déjà à la retraite ou qui sont sur le point de prendre leur retraite; c’est un point qui nous a causé beaucoup de soucis.

Je voulais le mentionner. Je voulais aussi vous lire une petite note de traduction de Renée Canuel-Ouellet.

Son Honneur le Président [ + ]

Sénatrice Bellemare, votre temps de parole est écoulé; demandez-vous cinq minutes de plus pour terminer?

La sénatrice Bellemare [ + ]

Oui.

Son Honneur le Président [ + ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

La sénatrice Bellemare [ + ]

Merci.

Je poursuis avec la citation de la note de traduction :

L’expression person with a disability a le fâcheux effet de semer le désarroi chez les traducteurs appelés à la rendre en français. La crainte d’offusquer en ne respectant pas la terminologie politiquement correcte est bien sûr à l’origine de ce sentiment, du reste fort compréhensible. Au fait, doit-on parler de personnes handicapées? À moins qu’il ne faille dire personnes ayant une incapacité… ou une déficience? Comment faire pour démêler toutes ces notions? C’est l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui vient à notre rescousse. Sa Classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps propose trois définitions [...]

Je vous laisse avec ceci; j’espère que le comité pourra étudier cette question, parce que je pense qu’elle mérite notre considération.

Merci beaucoup.

Honorables sénateurs, je souhaite me joindre aux collègues qui ont pris la parole précédemment pour exprimer ma reconnaissance au sénateur Cotter pour son leadership sur ce projet de loi, mais aussi pour partager mon avis sur un certain nombre de points très importants qui ont été soulevés.

En tant que sénatrice du Manitoba, je tiens à souligner que je viens du territoire visé par le Traité n° 1, le territoire traditionnel des peuples anishinabe, cri, oji-cri, dakota et déné, ainsi que la patrie des Métis de la Rivière-Rouge.

Je tiens à souligner que le Parlement du Canada est situé sur un territoire algonquin anishinabe non cédé et non restitué.

Chers collègues, le projet de loi dont nous sommes saisis est extrêmement important. En disant cela, je ne cherche en aucun cas à enlever quoi que ce soit aux autres projets de loi dont nous sommes saisis, mais ce projet de loi revêt un caractère particulièrement urgent. Les personnes en situation de handicap au Canada continuent d’être confrontées à une exclusion économique et sociale disproportionnée. Elles sont nombreuses à vivre sans les ressources et le soutien suffisants pour répondre à leurs besoins les plus élémentaires.

Les spécialistes de la condition des personnes en situation de handicap s’accordent indéniablement à dire qu’une mesure législative fédérale destinée à fournir du soutien au revenu est nécessaire et qu’elle aurait dû être adoptée il y a bien longtemps. Le projet de loi C-22 a été qualifié de mesure historique — comme on n’en voit qu’une fois par génération — visant à corriger des torts ancrés depuis trop longtemps.

Le sénateur Cotter a déclaré que cette prestation est la pierre angulaire du Plan d’action pour l’inclusion des personnes en situation de handicap du Canada et qu’elle représente « l’engagement d’une génération ». Il s’agit donc d’un problème urgent, mais le caractère urgent de ce problème ne signifie pas uniquement qu’il faut agir rapidement. Cela signifie également que nous devons répondre à la nécessité fondamentale, persistante et pressante de résoudre ce problème urgent. En bref, cela se résume à ceci : il faut agir rapidement, mais il est préférable d’agir de façon à la fois efficace et rapide.

C’est ce type d’urgence que je souhaite aborder. Dans notre empressement à trouver une solution rapide, je crains que nous ne passions à côté de l’essentiel, qui consiste à s’attaquer correctement au besoin persistant lui-même, ce que le projet de loi C-22 ne permet malheureusement pas de faire.

J’attends une consultation qui devait avoir lieu aujourd’hui, mais qui aura maintenant lieu demain. Je veux être absolument sûre que les points que je souhaite soulever concordent avec ceux qui seront soulevés au cours de cette consultation. Si vous me le permettez, j’aimerais ajourner le débat pour le reste du temps de parole dont je dispose.

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