Projet de loi sur la Journée nationale de Thanadelthur
Deuxième lecture--Suite du débat
29 octobre 2024
Honorables sénateurs, je tiens à souligner que je viens du Manitoba, territoire visé par le Traité no 1, et qu’il s’agit de la patrie de la Nation métisse de la rivière Rouge.
Je tiens à souligner que le Parlement du Canada est situé sur un territoire algonquin anishinabe non cédé et non restitué.
Je remercie la sénatrice McCallum d’avoir présenté ce projet de loi au Sénat du Canada. Le projet de loi S-274 rend hommage à la vie et au legs de Thanadelthur, ambassadrice de la paix au début du XVIIIe siècle. Thanadelthur était une jeune femme autochtone forte, résiliente et farouchement déterminée à protéger son peuple. Les archives de l’époque parlent d’elle comme d’une guide, d’une pacificatrice, d’une interprète et d’une négociatrice compétente qui a joué un rôle crucial dans l’expansion du commerce des fourrures au début des années 1700. Plus important encore, à une époque où les Dénés et les Cris étaient des ennemis de toujours, Thanadelthur a été l’instrument indispensable de la paix entre ces deux nations.
Son histoire remarquable nous permet de réfléchir à la fois au rôle extraordinaire qu’elle a joué dans l’élaboration de notre histoire commune en tant que nation et, malheureusement, aux nombreuses façons dont les histoires, les pratiques culturelles et les contributions des Autochtones ont été négligées pendant bien trop longtemps. En soutenant ce projet de loi, nous envoyons un message fort et nous affirmons notre engagement à ce que ces récits autochtones ne soient plus oubliés.
Cette histoire se déroule avant que le Canada ne devienne un pays et avant que le Manitoba n’existe. Née à la fin du XVIIe siècle, Thanaldelthur était membre de la nation dénée, un groupe autochtone d’une région subarctique située dans ce que l’on appelle aujourd’hui le Nunavut et le Nord du Manitoba. On sait peu de choses sur le début de sa vie, mais, en 1713, lors d’une expédition de chasse au caribou avec sa famille, elle est capturée par les Cris, un groupe autochtone rival des Dénés. Thanadelthur réussit à s’échapper au bout d’un an de captivité et, après un voyage éprouvant qui l’a menée au seuil de la mort, elle atteint finalement Fort York, qui s’appelle aujourd’hui York Factory, l’un des premiers postes de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson.
La contribution marquante de Thanadelthur commence en 1715, lorsqu’elle est engagée comme guide, interprète et négociatrice par la Compagnie de la Baie d’Hudson, qui s’efforce alors d’établir des relations pacifiques entre les Cris et les Dénés. Son trilinguisme — déné, cri et anglais —, sa ténacité, sa persévérance et ses talents de négociatrice permettent la conclusion d’un accord de paix historique entre ces deux peuples en guerre depuis toujours. Je souligne la sagesse, l’humilité et la profondeur de caractère qu’il a dû lui falloir pour renoncer à tout sentiment de vengeance ou d’hostilité à l’égard de ceux qui étaient ses ennemis traditionnels et ses ravisseurs afin de choisir au contraire de tracer un chemin vers la paix.
Les documents de la Compagnie de la Baie d’Hudson datant de cette période indiquent clairement que la paix n’aurait jamais été possible sans le rôle déterminant qu’elle a joué. En juin 1715, une délégation de 150 personnes part de Fort York pour entamer une mission de paix qui lui fait parcourir quelque 1 000 kilomètres en 8 mois, en dépit de l’hiver arctique. Ce sont les conseils et la détermination de Thanadelthur qui empêchent les délégués de faire demi-tour. C’est grâce à ses compétences et à ses connaissances qu’ils ne périssent pas dans des confins reculés et, en fin de compte, c’est grâce à sa force d’âme que l’accord de paix final est conclu et honoré.
Pour citer un document de l’époque :
Elle les tenait tous dans la crainte d’elle, en grondant certains [...] et les forçant à être en paix.
On dit que sa voix est devenue rauque à force de chercher à persuader son peuple.
Malheureusement, elle succombe à la maladie moins de deux ans plus tard, le 5 février 1717. On l’a enterrée à Fort York. Son épopée résonne encore aujourd’hui dans l’histoire orale des Cris et des Dénés. L’étude de cette épopée plus de 300 ans après nous permet même de tirer des enseignements pertinents dans notre vie moderne.
Thanadelthur n’est que l’un des premiers exemples de la force rassembleuse indéfectible et de la détermination des femmes autochtones, qui prennent soin des leurs comme des mères et qui les protègent comme des guerrières. Je pense aux Thanadelthur contemporaines qui, malgré les obstacles, les difficultés et l’opposition, dirigent également des efforts de paix réparatrice et de réconciliation à notre époque, comme les militantes autochtones suivantes : la regrettée Mary Two-Axe Earley, Cindy Blackstock, Pam Palmater, Autumn Peltier, Diane Redsky et nos anciennes collègues sénatrices l’honorable Sandra Lovelace Nicholas et l’honorable Lillian Dyck.
Je pense à la leader inuite Rosemarie Kuptana, à l’artiste Daphne Odjig, à la Manitobaine Jackie Traverse et à l’amie bien-aimée de ma famille, la légendaire cinéaste Alanis Obomsawin, qui est aujourd’hui âgée de 92 ans et qui travaille sur son 54e film. Au Sénat, nous avons la chance d’avoir des dirigeantes autochtones qui, avant d’accepter d’être nommées sénatrices, étaient déjà toutes d’éminentes pionnières.
Les femmes et les filles autochtones jouent un rôle essentiel dans la préservation de leur communauté. Elles agissent souvent comme des agentes de paix en dirigeant des mouvements qui finissent par amener les belligérants à la table des négociations. Ces dirigeantes autochtones fortes et lucides sont souvent les premières à dire les choses telles qu’elles sont aux pouvoirs en place, y compris au sein de leur propre communauté, afin de s’attaquer aux causes profondes d’un conflit et de favoriser la mobilisation communautaire.
Alors que j’étais de retour à Winnipeg cette fin de semaine, j’ai rencontré trois des dirigeantes les plus efficaces de la ville — Hilda Anderson-Pyrz, Sandra DeLaronde et Keely Ten Fingers — en vue de faire le point sur leur récent voyage au siège de l’ONU à Genève pour contribuer à l’examen du rendement du Canada aux termes de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Elles faisaient partie de la plus grande délégation de femmes autochtones à avoir jamais participé à un tel examen.
Avant d’être nommée au Sénat, j’étais une professeure qui, avec une équipe d’étudiants inscrits au programme des droits de la personne du collège Global à l’Université de Winnipeg, s’est assurée que le premier plan d’action du Canada sur les femmes, la paix et la sécurité souligne l’importance de la consolidation de la paix nationale et du leadership des femmes autochtones.
Des études internationales ont montré de manière concluante que la participation des femmes aux accords de paix aboutit à des résultats meilleurs et plus durables, avec des taux de mise en œuvre plus élevés.
En adoptant le projet de loi à l’étude pour rendre hommage à Thanadelthur, cette bâtisseuse de paix historique et héroïque, nous rendons également hommage aux femmes autochtones en tant que leaders. À titre d’exemple de progrès, j’ai le plaisir de vous lire un extrait du troisième Plan d’action national du Canada pour les femmes, la paix et la sécurité, qui a été publié récemment.
Le Plan d’action reconnaît également que le gouvernement du Canada met en œuvre le Programme FPS en déployant une série d’efforts pour lutter contre la discrimination, la violence, l’oppression et la marginalisation fondées sur le genre auxquelles se heurtent les femmes et les personnes de diverses identités de genre au Canada, particulièrement les femmes, les filles, les personnes bispirituelles autochtones. Il reconnaît le croisement entre la discrimination et la violence fondées sur le genre, l’identité autochtone, la situation socio-économique et d’autres facteurs identitaires, ainsi que les causes historiques sous-jacentes — en particulier l’héritage du colonialisme et les ravages causés par le système des pensionnats. Il reconnaît également que le leadership des femmes, des filles, des personnes bispirituelles et des personnes de diverses identités de genre autochtones est essentiel pour parvenir à une paix et à une sécurité durables pour tous/toutes.
Le deuxième enseignement que je tire de son histoire est plus désolant parce que Thanadelthur est également le symbole de voix autochtones inconnues, effacées et occultées, d’histoires qui auraient malheureusement été oubliées ou délibérément gommées si les traditions orales n’étaient pas là pour entretenir leur petite lueur.
Il y a un lien avec la tragédie toujours non résolue des femmes et des filles autochtones assassinées ou portées disparues, la répression coloniale, le racisme, le sexisme et toutes les autres formes de violence à l’endroit des femmes et des filles autochtones.
Les recherches montrent que le risque de disparition des femmes autochtones est 400 % plus élevé que celui des autres Canadiens. Le problème est si répandu que le gouvernement canadien ne sait pas combien de femmes autochtones ont disparu ou ont été assassinées.
Ce qui est ironique, c’est que ces femmes ont plus de démêlés avec la police, mais qu’elles sont moins bien protégées. Selon les estimations, environ 4 000 femmes autochtones auraient disparu. Même la tombe de Thanadelthur a disparu. Ce genre d’estimations met en relief, par exemple, le cas des dépouilles de Morgan Harris et de Marcedes Myran, qu’on croit enfouies dans une décharge de Winnipeg et qui n’ont toujours pas été récupérées.
En ce qui concerne la sépulture de Thanadelthur, le terrain où se trouvait à l’origine le fort York s’est érodé et a été emporté par la mer. Comme il n’y a pas de monument indiquant l’endroit où elle repose, une magnifique tradition a émergé dans le Nord du Manitoba. Chaque 5 février, pour souligner la date de son décès, les gens déposent des roses rouges dans les eaux de la baie d’Hudson.
Lorsqu’elle a pris la parole au sujet de son projet de loi, la sénatrice McCallum a parlé d’une autre dimension moderne de ce récit historique. Elle a parlé de son enfance de Crie au Manitoba et des liens qui existent entre les communautés cries et dénées et qui vont au-delà des frontières, des liens familiaux et des confrontations survenues pendant plusieurs générations.
L’histoire est une matière vivante qui évolue. Quand l’histoire s’écrit au féminin, la sagesse transcende le temps.
En conclusion, les contributions de Thanadelthur témoignent de façon exceptionnelle de l’importance de commémorer les histoires autochtones, comme le demande l’appel à l’action no 79 de la Commission de vérité et réconciliation, qui demande au gouvernement fédéral « [...] d’établir [...] un cadre de travail se rapportant à la réconciliation pour les besoins du patrimoine canadien et des activités de commémoration. Ce cadre engloberait notamment [...] la contribution des peuples autochtones à l’histoire du Canada. »
De plus, le projet de loi S-274 fait progresser le Canada vers la concrétisation de ses engagements relatifs à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Plus précisément, l’article 15 de la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones du Canada prévoit que les peuples autochtones ont droit :
[...] à ce que l’enseignement et les moyens d’information reflètent fidèlement la dignité et la diversité de leurs cultures, de leurs traditions, de leur histoire et de leurs aspirations.
Je félicite la sénatrice McCallum d’avoir présenté le projet de loi S-274, Loi instituant la Journée nationale de Thanadelthur. Ce projet de loi est un excellent point de départ pour donner une place égale aux histoires autochtones. Cette histoire est celle d’une pacifiste qui, face à un conflit, a cherché à promouvoir l’harmonie et a ainsi contribué à renforcer les bases de ce qui allait devenir le Canada.
En commémorant les réalisations de Thanadelthur, non seulement nous respecterons nos engagements à l’égard des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et de la loi canadienne sur cette déclaration, mais nous veillerons également à ce que les contributions des Autochtones soient des aspects reconnus et célébrés de notre patrimoine commun. Renvoyons ce projet de loi au comité.
Par conséquent, Votre Honneur, je demande le vote sur ce projet de loi.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Je propose l’ajournement du débat.
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Des voix : Oui.
Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Des voix : Non.
Son Honneur la Présidente : À mon avis, les oui l’emportent.
Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?
Maintenant?
Est-ce d’accord?
Y a-t-il consentement pour tenir le vote maintenant?
J’ai entendu un « non ». Par conséquent, la sonnerie retentira pendant une heure. Le vote aura lieu à 19 h 14.
Convoquez les sénateurs.
La motion, mise aux voix, est adoptée :
POUR
Les honorables sénateurs
CONTRE
Les honorables sénateurs
ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs
Aucun
Honorables sénateurs, il est passé 19 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, de faire abstraction de l’heure?
Il en est ainsi ordonné.