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Projet de loi concernant l'élaboration d'un cadre national sur le revenu de base garanti suffisant

Deuxième lecture--Ajournement du débat

4 juin 2025


L’honorable Kim Pate [ - ]

Propose que le projet de loi S-206, Loi concernant l’élaboration d’un cadre national sur le revenu de base garanti suffisant, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, selon les recherches les plus récentes, le Canada dépense plus de 92 milliards de dollars par année pour financer des mesures qui maintiennent les gens dans la pauvreté, au lieu d’investir dans des approches qui leur permettraient de s’en sortir. Le Canada dépense des milliards de dollars pour contrôler l’accès aux programmes d’aide sociale et surveiller les prestataires, alors que ces programmes sont insuffisants. Nous dépensons des milliards de dollars pour payer des traitements médicaux d’urgence destinés aux personnes qui n’ont pas de logement, qui ne bénéficient pas de soins de santé et qui vivent dans l’insécurité alimentaire, pour traiter des maladies évitables et pour financer des cellules remplies de personnes pauvres, itinérantes et aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie. Nous perdons des milliards de dollars en capacité économique inexploitée et en recettes fiscales provenant de ceux que nous avons ignorés au lieu de les inclure et de leur donner les moyens de se prendre en charge.

Il est difficile de mesurer toutes les répercussions humaines, sociales et financières de la pauvreté. La pauvreté est inextricablement liée à tous les aspects de l’économie canadienne et elle a un effet négatif sur ceux-ci. Ses répercussions sur la société, la santé et l’humanité sont considérables. Trop de services et de systèmes financiers sont perçus comme incertains, peu fiables, épuisants et démoralisants, ce qui renforce les stéréotypes nuisibles et discriminatoires qui étiquettent à tort comme moins performantes et moins dignes de confiance les personnes que le Canada choisit d’abandonner à la pauvreté, à l’itinérance et aux crises connexes.

En m’exprimant aujourd’hui sur le territoire traditionnel, non cédé et non restitué des Algonquins anishinaabeg, je souligne que ceux que nos gouvernements choisissent d’abandonner sont de manière disproportionnée des femmes, des Autochtones, des Noirs et d’autres personnes racisées, ainsi que des personnes handicapées.

Le Sénat sait depuis longtemps que le Canada peut et doit faire mieux. Depuis plus de 50 ans, des sénateurs de toutes les affiliations font valoir l’idée d’offrir à tous les Canadiens qui vivent dans la pauvreté des transferts en espèces suffisants pour subvenir à leurs besoins, les transferts en espèces étant considérés comme un moyen intelligent, substantiel et rentable de dépenser moins pour lutter contre la pauvreté et d’investir davantage dans les gens d’une manière avantageuse pour tous.

Dans le rapport de 1971 du Comité spécial du Sénat sur la pauvreté, le sénateur Croll et ses collègues exhortaient le gouvernement à intervenir immédiatement en instaurant un revenu de base, car ils estimaient « qu’on ne pouvait demander aux pauvres d’attendre, des années durant, l’aide dont ils ont un si pressant besoin ».

Ce rapport date de plus d’un demi-siècle. Depuis, les enfants qui vivaient dans la pauvreté sont devenus des adultes, puis des aînés qui vivent toujours dans la pauvreté. Combien de temps encore sommes-nous prêts à demander aux Canadiens d’attendre pour avoir accès à la nourriture, au logement et aux traitements dont ils ont besoin? Combien d’autres nuits, semaines, mois, années ou générations? Combien d’autres vies seront sacrifiées?

Le revenu de base garanti suffisant n’est pas une idée nouvelle. Alors que je présente le projet de loi S-206, qui propose un cadre national pour la mise en œuvre d’un revenu de base garanti suffisant, je souhaite examiner certaines des raisons pour lesquelles les Canadiens d’aujourd’hui appuient ce projet de loi. Je souhaite également définir ce que nous entendons par revenu de base garanti suffisant, démystifier certaines idées reçues et discuter des raisons pour lesquelles le moment est venu, alors que l’économie et la souveraineté du Canada sont menacées par notre voisin du Sud, d’aller de l’avant avec un revenu de base garanti suffisant.

Je tiens toutefois à souligner tout d’abord le travail collectif accompli par les Canadiens sur cette question et notre travail collectif au Sénat. Je remercie tous ceux d’entre vous qui, comme moi, préconisent la mise en place d’un revenu de base. Nous sommes tout particulièrement reconnaissants envers les membres du Comité des finances pour leur étude de la version précédente de ce projet de loi, c’est-à-dire le projet de loi S-233. Je reconnais les progrès graduels essentiels réalisés au niveau fédéral, grâce aux efforts inlassables des groupes communautaires, depuis la présentation initiale de ce projet de loi.

En particulier, en réponse à une proposition d’un gouvernement progressiste-conservateur provincial visant à instaurer un revenu de base garanti suffisant, le gouvernement fédéral a mis sur pied un groupe de travail sur ce sujet avec le gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard. Les dirigeants des Premières Nations de l’île, notamment la cheffe Darlene Bernard de la Première Nation de Lennox Island et coprésidente de l’Epekwitk Assembly of Councils, ont fait preuve d’un leadership remarquable dans ce dossier. Je tiens également à souligner le travail accompli par mes collègues sénateurs de l’Île-du-Prince-Édouard, tant dans le passé qu’à l’heure actuelle, tous groupes confondus.

À l’échelle nationale, parallèlement aux formes existantes de revenu de base pour les familles avec enfants et les Canadiens âgés, le gouvernement a mis en place la Prestation canadienne pour les personnes handicapées, mais il reste encore beaucoup à faire pour que ce programme tienne ses promesses et dépasse la forme limitée qu’il a actuellement.

Chers collègues, nous sommes nombreux à constater, dans nos communautés, les efforts déployés sur le terrain, à l’échelon local, pour soutenir un revenu de base garanti suffisant. Beaucoup d’entre nous viennent d’une des nombreuses municipalités canadiennes qui ont adopté une résolution en faveur du revenu de base. Ottawa est l’une des dernières à s’être jointe à ce groupe.

Les partisans du revenu de base garanti suffisant dans les communautés et la société civile se trouvent tant dans les services de santé locaux et les associations de santé qu’à l’Association canadienne de santé publique, tant dans les syndicats locaux qu’à l’Alliance de la Fonction publique du Canada, tant dans les refuges pour femmes à l’échelon local qu’à Hébergement femmes Canada, au Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes, à l’Association nationale Femmes et Droit, tant dans les banques alimentaires à l’échelon local que derrière la campagne nationale « Put Food Banks Out of Business » et parmi Les diététistes du Canada. On observe le même soutien dans les églises locales, au sein de l’Église anglicane du Canada, de l’Église Unie du Canada, de l’Église évangélique luthérienne au Canada et chez le regretté pape.

Le Sénat a bénéficié du leadership du sénateur Croll dans les années 1970 et du duo dynamique conservateur-libéral formé par les sénateurs Segal et Eggleton dans les années 2000 et 2010. À plusieurs décennies d’intervalle, leurs travaux ont donné lieu à deux études approfondies et remarquables du Sénat sur la pauvreté, dont la principale recommandation, dans les deux cas, consistait à garantir un revenu de base suffisant pour vivre. En 2020, le Comité des finances nationales, présidé par le sénateur conservateur Mockler, un ardent défenseur des personnes en situation de pauvreté, a ajouté à ces annales en recommandant au gouvernement d’examiner en priorité la question du revenu de base garanti suffisant. La même année, 50 sénateurs, soit la majorité du Sénat à l’époque, ont signé une lettre adressée au premier ministre contenant une proposition similaire.

Le revenu de base garanti est tout à fait dans l’esprit du Sénat, qui a pour mission de représenter les groupes marginalisés ou dits minoritaires et d’adopter une perspective à long terme sur les intérêts supérieurs du Canada et le bien-être de tous les Canadiens. Aujourd’hui, alors qu’un Canadien sur quatre n’a pas les moyens de subvenir à ses besoins essentiels, que 85 % des Canadiens survivent d’un chèque de paie à l’autre et que nous connaissons les conséquences de cette précarité sur les collectivités et les économies canadiennes, j’exhorte mes collègues à faire en sorte que le Sénat joue une fois de plus son rôle. Nous pouvons le faire en renvoyant le projet de loi au comité dès que possible.

Lorsque je discute avec mes collègues ici présents et avec des Canadiens de partout au pays, je suis frappée par les raisons diverses, mais interreliées, qui poussent les gens à s’intéresser au potentiel d’un revenu de base garanti. La plupart ont trait aux innombrables avantages qui découlent de la lutte contre la pauvreté et l’instabilité économique. Des artistes et des entrepreneurs m’ont dit qu’un revenu de base garanti donnerait aux gens la marge de manœuvre nécessaire pour innover et leur permettrait de prendre des risques créatifs sans tout perdre. Une telle mesure aiderait les agriculteurs et les pêcheurs à se redresser au lieu d’être privés de revenus entre et après les saisons difficiles. Grâce à elle, les experts en santé pourraient observer une réduction des hospitalisations et, plus particulièrement, des crises de santé mentale. Pour les environnementalistes, le revenu de base garanti suffisant pourrait aider les gens à survivre à des conditions météorologiques extrêmes et leur donner les moyens de prendre soin de notre planète. Pour les experts en sécurité nationale, ce revenu pourrait contribuer à lutter contre les privations et les divisions qui peuvent conduire à la radicalisation. Le revenu de base garanti suffisant pourrait représenter un pas vers la correction des inégalités économiques historiques et persistantes que subissent depuis longtemps les communautés noires et autochtones. Il pourrait permettre de protéger les femmes maltraitées, que ce soit chez elles ou dans la rue.

Si j’ai commencé à croire en la nécessité d’un tel revenu, c’est en raison des décennies que j’ai passées à travailler et à marcher côte à côte avec tant de personnes, en particulier des femmes autochtones, prises au piège de la pauvreté et du système de justice pénale, des services de protection de l’enfance et de l’aide sociale, ainsi que des systèmes de soins de santé mentale.

Aujourd’hui, les programmes d’aide sociale partout au Canada sont tellement inadéquats et restrictifs qu’il est pratiquement impossible pour les personnes qui en ont le plus besoin d’avoir accès à un logement sûr, à de la nourriture, à des médicaments et à d’autres produits de première nécessité. Paradoxalement, les programmes d’aide sociale nuisent aux gens plutôt que de les aider à se sortir de la pauvreté. Ils plongent les gens dans une pauvreté profonde et souvent intergénérationnelle. Les restrictions sur la capacité des bénéficiaires à travailler, voire à faire du bénévolat, combinées à un financement limité pour les services dentaires et pharmaceutiques, ainsi qu’à un accès limité aux logements subventionnés et aux services de garde d’enfants, maintiennent les gens dans la dépendance en pénalisant leurs efforts pour s’en sortir. Il n’est pas étonnant que les efforts désespérés déployés pour survivre à de telles conditions aient trop souvent pour effet de pénaliser les gens, voire de les judiciariser.

De même, la pauvreté augmente les risques de victimisation. Les personnes pauvres et autrement marginalisées sont trop souvent forcées de vivre dans la rue, forcées d’endurer leurs problèmes de santé mentale sans les faire traiter, forcées de rester dans une relation violente ou dans d’autres situations dangereuses. Pour deux femmes sur cinq au Canada, quitter un partenaire violent signifierait se retrouver à la rue. En restant dans des situations de violence, les femmes sont plus à risque non seulement d’être victimisées davantage, mais aussi d’être judiciarisées, surtout si elles réagissent avec force pour se défendre ou défendre leurs enfants. Parmi les femmes détenues dans les prisons fédérales, 9 sur 10 ont déjà été victimes de violence physique ou sexuelle, presque toujours dans un contexte où elles n’avaient pas les ressources financières nécessaires pour se sortir de leur situation et n’avaient aucun endroit sûr où aller.

Comme Mme Evelyn Forget nous le rappelle : « Quatre-vingt pour cent des femmes qui sont incarcérées le sont pour avoir commis un crime lié à la pauvreté. » Les femmes autochtones représentent la moitié des détenues dans les prisons fédérales et constituent toujours la population carcérale qui croît le plus rapidement au Canada. Devant ces réalités, nous ne pouvons pas ignorer la toile de fond de pauvreté, d’inégalité et de violence à l’égard des femmes, de violence systémique et de violence coloniale.

Imaginez une adolescente qui s’enfuit pour échapper à des membres de sa famille qui l’agressent sexuellement. Toutefois, elle n’a nulle part où aller : elle n’a ni amis ni famille vers qui se tourner, pas d’argent, pas de moyen de transport et peut-être aucune connaissance des aides ou des programmes sociaux disponibles, bien que nettement insuffisants. Où iriez-vous? Que feriez-vous?

Cette adolescente s’est réfugiée dans une école. Elle a été accusée d’introduction par effraction et a été condamnée à une peine d’emprisonnement. En prison, elle a résisté lorsque le personnel l’a fouillée à nu. Le personnel a réagi en lui infligeant des périodes d’isolement de plus en plus longues, des conditions sévères, punitives, inhumaines et cruelles. Les dommages physiques, psychologiques et neurologiques irréparables qui en ont résulté étaient prévisibles. Tout cela aurait pu être évité.

Chers collègues, nous connaissons la suite de l’histoire. Vous l’avez entendue lors du débat d’hier sur un autre projet de loi présenté au Sénat : la loi de Tona. Cette histoire faisait partie du terrible parcours de Tona. Il a fallu à Tona et à ses partisans trois décennies de lutte acharnée pour réparer ces torts et pour que Tona sorte du système carcéral et du système de santé mentale. Tona, qui est en phase terminale et désormais dans une unité de soins palliatifs, ne se remettra jamais de ce qu’elle a vécu. Les injustices qu’elle a subies persistent et continuent de détruire la vie de nombreuses autres personnes.

J’ai travaillé avec Tona et beaucoup d’autres personnes et je les ai accompagnées pour tenter de trouver les moyens d’obtenir le soutien et les relations dont elles ont besoin pour s’intégrer à leur collectivité et y contribuer. Malheureusement, j’ai vu le Canada gaspiller des centaines de milliers de dollars par personne et par année dans des cages, des cellules et l’isolement, qui ne rendent personne plus sûr.

Nos voisins du Sud invoquent le fentanyl comme prétexte pour imposer des droits de douane punitifs au Canada et des personnes alarmistes proposent comme solution à la crise sanitaire, à la crise de l’itinérance et à la crise du fentanyl d’imposer aux gens des peines obligatoires d’emprisonnement à perpétuité. Or, il convient de rappeler que les programmes qui visent prétendument à sévir contre la criminalité et à lutter contre la drogue frappent toujours plus durement les plus vulnérables. Il ne faut pas oublier que ces programmes engloutiraient des dizaines de milliards de dollars de fonds publics, qui pourraient être bien mieux investis dans l’intérêt de toute la population.

Comme l’a calculé le directeur parlementaire du budget, les approches répressives existantes de lutte contre la criminalité coûtent aux Canadiens des milliards de dollars en impôts, et le Canada n’a aucun résultat à présenter pour ces énormes dépenses, si ce n’est des prisons qui ne sont pas remplies par ceux qui causent le plus de tort ou qui ont le plus profité du trafic de stupéfiants ou du crime organisé, mais bien par les gens qui sont les plus faciles à attraper et à judiciariser parce qu’ils sont pauvres, racisés ou sans-abri et, par conséquent, plus visibles. Les personnes qui souffrent de toxicomanie et de problèmes de santé mentale et qui vivent à la dure dans la rue, sous le regard du public, sont les plus susceptibles d’être arrêtées et incarcérées.

Un cadre national sur le revenu de base garanti suffisant pourrait s’attaquer aux causes profondes de la criminalisation tout en étant rationnel d’un point de vue économique. Lorsqu’il s’agit de prévenir la criminalité et d’améliorer la sécurité publique, les idées simplistes déguisées en solutions ne fonctionnent simplement pas, et elles ne fonctionneront jamais. Au lieu de gaspiller de l’argent, le gouvernement doit investir intelligemment dans les Canadiens. Nous devons investir dans la collectivité afin de garantir que nous puissions tous prospérer et que personne ne soit contraint de faire des choix désespérés et impensables.

Je suis venue dans cette enceinte — avec sa longue histoire de leadership en matière de revenu de base garanti suffisant — pour travailler sur l’accès à des logements adéquats et à des mesures de soutien sur les plans économique, social et de la santé qui permettraient non seulement de réparer, mais aussi de prévenir les mensonges et les injustices dont j’ai été témoin dans les milieux défavorisés, en particulier pour les personnes qui ont été laissées pour compte par les systèmes sociaux, économiques et de santé actuels et qui se sont retrouvées piégées dans le système de justice criminelle.

Un revenu de base garanti suffisant peut permettre d’éviter des crimes. Dans les années 1970, lors d’un projet pilote portant sur un revenu de base mené à Dauphin, au Manitoba, le taux de criminalité a diminué de 17,5 % par rapport à des villes comparables où il n’y avait aucun revenu de base. Cela représente un total de 1 400 crimes, incluant 350 crimes violents, évités par 100 000 habitants. Les chercheurs ont expliqué que le nombre de crimes violents en particulier avait diminué en raison de la baisse générale du stress financier et à l’autonomisation financière des femmes, ce qui a également diminué les risques d’agression contre un partenaire intime. Des recherches suggèrent également que les programmes d’accompagnement destinés aux anciens détenus réduisent la criminalité et présentent des avantages financiers. Une recherche menée à Vancouver, et qui est particulièrement pertinente dans le contexte de la crise du fentanyl, a aussi démontré que lorsque les sans-abri, y compris ceux qui souffrent de toxicomanie et de troubles mentaux, reçoivent des transferts en espèces, ils sont en mesure de trouver et de conserver un logement stable, et finissent par consacrer moins d’argent aux drogues et à l’alcool.

Un revenu de base garanti suffisant peut également aider les victimes et les survivantes. Le Centre canadien pour l’autonomisation des femmes rapporte que 95 % des personnes ayant un partenaire violent ont subi de l’exploitation financière et du contrôle financier. Les agresseurs contractaient souvent des dettes au nom de leur partenaire afin de nuire à sa cote de crédit et de limiter sa capacité à mettre fin à la relation.

Lors de son témoignage devant le Comité des finances nationales sur le projet de loi qui constitue la version précédente de cette mesure législative, l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels a souligné :

Le rapport de 2009 sur les victimes et les survivants d’actes criminels au Canada a révélé que les survivants absorbaient 10 milliards de dollars en coûts. On a connu une inflation importante depuis. Ce sont des choses qui éloignent les gens du marché du travail et des domaines où ils peuvent contribuer davantage. Il existe toute une science de la prévention du crime qui s’harmoniserait bien avec les principes du revenu de subsistance garanti [...]

Selon les recherches, le principal obstacle à l’éradication de la violence entre partenaires intimes est l’incapacité à réduire la pauvreté et l’insécurité économique. Des transferts monétaires soigneusement conçus, notamment des revenus de base, ont permis de réduire la violence physique et émotionnelle entre partenaires intimes, de fournir des ressources financières pour échapper à la violence, de réduire l’exploitation sexuelle, d’accroître l’autonomie dans la prise de décisions sexuelles et de renforcer le sentiment d’autonomie et les réseaux de soutien.

S’appuyant sur de nombreuses preuves et sur les expériences vécues par les victimes et les survivants, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a souligné le besoin d’établir un revenu de base garanti suffisant à l’échelle nationale dans ses appels à la justice 4.5 et 16.20, car c’est là un moyen essentiel de soutenir les femmes et les filles autochtones, de démanteler le colonialisme économique et de prévenir d’autres préjudices à l’avenir.

La plupart des personnes qui ont été victimes d’actes criminels veulent avoir l’assurance que plus personne ne revivra ce qu’elles ont vécu, ni elles ni personne d’autre. À cet égard, les mesures prévues par le droit pénal actuel sont malheureusement insuffisantes. Le revenu de base garanti pourrait être un pas vers la concrétisation de cette promesse faite par le Canada aux victimes et aux survivants.

Le revenu de base garanti a beaucoup à offrir au Canada. Vous vous demandez peut-être où est le piège.

La réponse est simple : il n’y en a pas. Pour une fraction de ce que les Canadiens dépensent actuellement pour maintenir les gens dans la pauvreté, nous pourrions nous doter d’un système qui offre à des millions de personnes des moyens de sortir de la pauvreté et leur donne des choix, des possibilités et de l’espoir.

Le projet de loi S-206 obligerait le gouvernement fédéral à élaborer un cadre pour la mise en œuvre d’un revenu de base garanti suffisant, en créant un mandat et un forum au sein du gouvernement fédéral pour la collaboration et la prise de décisions entre les différents pouvoirs publics sur la manière dont un revenu de base garanti suffisant pourrait être élaboré et mis en œuvre au Canada.

Ce processus de collaboration met l’accent sur le respect des compétences et des décisions des pouvoirs publics, des Premières Nations, des Inuit, des Métis, du fédéral, des provinces, des territoires et des municipalités. Il reconnaît également que les pouvoirs publics qui se trouvent en première ligne pour faire face à la crise du logement et de l’itinérance, qui répondent aux besoins des citoyens qui n’ont pas les moyens de se nourrir ou qui doivent composer avec les répercussions de la pauvreté sur le système de santé, sont souvent ceux qui souhaitent explorer la possibilité d’un revenu de base garanti, mais ils ont besoin de l’appui du gouvernement fédéral pour le mettre en œuvre.

Ce projet de loi ne prescrit pas une conception ou un modèle particulier de revenu de base garanti suffisant. C’est aux gouvernements, aux experts et aux communautés qu’il appartiendra de le déterminer. Cette approche reflète à quel point il est crucial de bien le définir le concept. Le projet de loi établit toutefois quelques paramètres essentiels pour guider l’élaboration, en s’appuyant sur des décennies de recherche, d’expertise, de preuves et d’expériences vécues.

Tout d’abord, le revenu de base garanti suffisant doit être universellement accessible aux personnes dans le besoin. Toute personne dont le revenu est inférieur à un certain seuil doit pouvoir avoir accès à ces transferts en espèces. À mesure que le revenu d’une personne en provenance d’autres sources augmente — par exemple, grâce à un nouvel emploi —, le montant du revenu de base garanti suffisant diminuerait progressivement. Un programme national doit être soigneusement conçu pour garantir que, contrairement aux trop nombreux programmes d’aide sociale provinciaux et territoriaux existants, les personnes ne soient jamais découragées de travailler et qu’elles ne perdent jamais accès à des prestations et programmes en matière de santé à cause d’un travail rémunéré.

Contrairement à ce que l’on appelle généralement le « revenu de base universel », les personnes aisées qui n’ont pas besoin d’aide ne recevraient pas de transfert en espèces afin que le programme ait le plus grand impact possible et qu’il soit le plus rentable possible. Le programme n’est universel que pour ceux qui en ont besoin.

Deuxièmement, le revenu de base garanti doit être viable. Il doit être suffisant pour couvrir les besoins essentiels et permettre aux personnes de sortir de la pauvreté où qu’elles vivent, y compris dans les communautés isolées, dans les réserves et dans le Nord.

Les programmes d’aide sociale actuels ne permettent pas de subvenir aux besoins essentiels. En effet, 98 % des bénéficiaires d’une aide sociale ne parviennent pas à sortir de la pauvreté et 71 % vivent dans une situation d’extrême pauvreté. Parce qu’ils doivent s’en tenir au strict minimum, les gens sont coincés en marge de la société. Ils sont contraints de faire des choix impossibles et inacceptables, notamment entre se nourrir, se procurer des médicaments ou se loger. Ils sont constamment au bord d’une situation de crise ou d’urgente nécessité.

Le Conseil consultatif national sur la pauvreté met en lumière le lien existant entre cette réponse inadéquate à la pauvreté et l’idée pernicieuse que les gens dans le besoin tentent de profiter du système en demandant des aides. Voici ce qui ressort des consultations :

[...] les critères d’admissibilité des programmes sont choisis expressément pour exclure les « tricheurs » [...] Certains ont aussi le sentiment que les ressources sont rationnées et étudiées avec soin pour veiller à ce que chaque bénéficiaire admissible reçoive « juste ce qu’il faut » pour survivre.

Comme l’a résumé un des participants aux consultations : « On essaie simplement d’avoir de quoi se nourrir, et les gens nous voient comme des tricheurs. Ça détruit l’âme. »

Les recherches sur la psychologie de la pauvreté, notamment celles de la professeure Jiaying Zhao, de l’Université de Colombie-Britannique, démontrent à quel point il est épuisant de prendre des décisions quand les ressources sont insuffisantes. À chaque instant de la journée, les personnes en situation de pauvreté doivent faire des efforts cognitifs supplémentaires pour trouver des compromis, optimiser leurs choix et joindre les deux bouts. Ce fardeau cognitif permanent réduit leur capacité de se concentrer sur la planification financière à long terme.

Les recherches de la professeure Zhao montrent qu’offrir une formation financière ou un encadrement financier à des personnes qui vivent dans la pauvreté n’a aucun effet sur leur capacité d’économiser ou de dépenser de l’argent efficacement. Toute l’information budgétaire du monde est peu utile pour quelqu’un qui n’a pas d’argent. Il faut plutôt un transfert de fonds suffisant pour permettre aux gens de sortir du mode survie.

Un revenu de base garanti doit être suffisant pour permettre aux gens d’arrêter de consacrer toute leur énergie et toutes leurs ressources à leur survie quotidienne, c’est-à-dire trouver de quoi se nourrir, se loger et se réchauffer, afin qu’ils puissent planifier et espérer pour l’avenir.

Une troisième exigence connexe prévue dans le projet de loi S-206 est qu’un revenu de base garanti suffisant ne doit être assorti d’aucune condition. Contrairement aux programmes d’aide sociale actuels, les gens n’auraient pas à respecter des exigences qui sont trop souvent irréalistes et mal adaptées à la réalité des personnes vivant dans la pauvreté, qui soumettent tous les aspects de leur vie à un examen minutieux et qui les exposent à un risque constant de perdre le peu d’avantages dont ils bénéficient. Ces politiques sont déshumanisantes. Elles sont également coûteuses sur le plan financier. Vérifier l’admissibilité des personnes et surveiller leur comportement nécessitent d’énormes ressources administratives et aggravent la situation, au lieu de l’améliorer.

Dans un exemple fourni par Mme Evelyn Forget, une mère seule de deux enfants bénéficiant de l’aide sociale comptait améliorer ses perspectives d’emploi et sortir de la pauvreté en suivant une formation professionnelle. Comme elle bénéficiait de l’aide sociale, on s’attendait à ce qu’elle continue à travailler ou à chercher des emplois peu rémunérés et devait obtenir l’autorisation d’un travailleur social avant de pouvoir suivre une formation. Le travailleur social n’a pas vu l’intérêt du projet de cette femme et l’a rejeté.

Pour cette femme, l’inscription au projet pilote sur le revenu de base du Manitoba a été d’une aide cruciale. N’ayant plus de comptes à rendre à un travailleur social, elle s’est inscrite à la formation, ce qui a ouvert la porte à des débouchés pour augmenter ses revenus. Elle était fière d’être un modèle d’indépendance pour ses deux filles.

Le revenu de base garanti suffisant permettrait aux gens de faire les choix qui leur conviennent pour sortir de la pauvreté et s’épanouir.

Enfin, le projet de loi S-206 réaffirme que le revenu de base garanti suffisant doit faire partie d’un solide filet de sécurité sociale. Bien que certaines formes moins généreuses d’aide au revenu, comme l’aide sociale provinciale et territoriale, puissent ne plus être nécessaires, le revenu de base garanti suffisant ne remplacerait pas nécessairement les programmes et les mesures de soutien liés à des besoins particuliers, par exemple ceux qui sont destinés aux Autochtones, aux personnes handicapées ou aux personnes qui prennent leur retraite ou perdent leur emploi. Le programme ne doit pas plonger les personnes à faible revenu dans une situation plus difficile.

Il ne devrait pas non plus remplacer ou supprimer les programmes sociaux et ceux en matière de logement, de santé, d’éducation ou de travail ni les protections offertes dans ces domaines. Plutôt, il aiderait à éviter qu’un manque d’argent pour subvenir à des besoins essentiels nuise à l’accès à ces mesures ainsi qu’à la prise de décisions quant au meilleur moyen de prendre soin de soi, de sa famille ou de sa communauté.

Nous avons parlé de ce qu’est un revenu de base garanti suffisant. Je voudrais également aborder ce qu’il n’est pas, en particulier trois mythes et idées fausses à la fois persistants et pernicieux.

D’abord, le revenu de base garanti suffisant n’est pas une mesure qui n’a jamais été mise à l’essai. Comme nous l’avons entendu haut et fort au comité, il existe de nombreuses données qui démontrent comment un revenu de base garanti suffisant pourrait être conçu et quels résultats on pourrait s’attendre à obtenir au Canada.

Le Canada dispose d’une forme de revenu de base pour les enfants, l’Allocation canadienne pour enfants, et pour les personnes âgées, le Supplément de revenu garanti. La Prestation canadienne pour les personnes handicapées vise à offrir une aide semblable aux personnes handicapées.

Le Manitoba et l’Ontario ont déjà mené des projets pilotes de revenu de base temporaire. La nation crie et le gouvernement du Québec administrent conjointement une forme de revenu de base permanent, le Programme de sécurité économique pour les chasseurs cris. À l’échelle provinciale, le Québec offre une forme de revenu de base aux personnes ayant une invalidité de longue durée. Terre-Neuve-et-Labrador offre des formes de revenu de base aux enfants qui quittent le système de protection de l’enfance et aux personnes handicapées qui approchent de l’âge de la retraite. Un programme de transfert de fonds destiné aux personnes sans abri existe en Colombie-Britannique. L’Île-du-Prince-Édouard travaille à une proposition de projet pilote de revenu de base garanti à l’échelle de la province, soutenu par le gouvernement fédéral, en participant à un groupe de travail fédéral-provincial. Plus récemment, le Nouveau-Brunswick s’est engagé à explorer la possibilité d’un revenu de base pour les personnes handicapées.

Outre ces exemples canadiens, le Canada peut également s’inspirer de l’expérience d’autres pays. Voici quelques exemples. L’Écosse continue d’étudier la possibilité d’instaurer un revenu minimum garanti, dans le but de le mettre en œuvre. La Finlande a récemment mené un projet pilote très médiatisé. Un projet pilote à petite échelle est en cours en Angleterre, tandis que le pays de Galles a instauré un revenu de base pour les enfants qui quittent le système public de protection de l’enfance. En Allemagne, un récent projet pilote visait spécifiquement les adultes célibataires de moins de 40 ans à faible revenu.

Les données provenant de chacun de ces programmes devraient nous donner l’assurance que le revenu minimum garanti de base est un programme non seulement réalisable, mais aussi efficace, contrairement à un trop grand nombre de programmes et de services existants.

Un deuxième mythe concerne les coûts. Avons-nous les moyens de mettre en place un revenu minimum garanti à l’échelle nationale? Comme on nous l’a dit au Comité des finances nationales, et comme l’indiquent les recherches récentes du directeur parlementaire du budget, la réponse est oui.

Bien que le projet de loi S-206 ne propose pas de modèle précis de revenu minimum garanti dont on peut évaluer le coût, toutes les données disponibles indiquent que tous les coûts seraient relativement mineurs. Le directeur parlementaire du budget a conclu, par exemple, que le revenu minimum garanti pourrait être mis en place à un coût net relativement faible de 3,6 milliards de dollars par année.

C’est un modeste prix à payer quand on sait que le Canada consacre actuellement plus de 80 milliards de dollars par année à la lutte contre la pauvreté. Selon les recherches de Jiaying Zhao, ce coût s’élèverait plutôt à 92 milliards de dollars. Nous dépensons déjà cet argent pour des approches qui, comme nous en avons discuté plus tôt, maintiennent les gens dans la pauvreté au lieu de combattre la pauvreté, l’itinérance, les besoins en matière de santé mentale ou les dépendances.

Les expériences canadiennes en matière de revenu de base garanti suffisant démontrent les économies qu’il serait possible de réaliser. Au Manitoba, le projet pilote Mincome a permis de réduire de 8,5 % le nombre d’hospitalisations dans la ville de Dauphin. Ces dernières années, un projet de transfert d’argent qui fournissait 7 500 $ aux personnes itinérantes de Vancouver, bien qu’il ne s’agisse pas d’un revenu de base garanti suffisant complet, s’est autofinancé en moins d’un an simplement grâce aux économies réalisées au sein du système de refuges.

D’autres calculs effectués par l’Île-du-Prince-Édouard et le Réseau canadien pour le revenu garanti confirment ce qui suit : le revenu de base garanti suffisant pourrait être entièrement versé à un coût net nul — sans aggraver la situation de quiconque ayant un revenu inférieur à la moyenne et en améliorant considérablement la situation de la plupart de ces personnes — si on examine attentivement les mesures fiscales et les aides au revenu qui pourraient être remplacées ou ajustées.

On pourrait aussi envisager d’autres options pour financer pleinement un revenu de base garanti suffisant, par exemple de récupérer les recettes fiscales qui échappent actuellement au Canada en raison de l’évitement fiscal et de l’évasion fiscale à l’étranger dont profitent les particuliers et les entreprises les plus riches. Nous regarderons attentivement si cet élément fait partie des dispositions du projet de loi C-2 présenté hier par le gouvernement.

En mettant en œuvre un revenu de base garanti suffisant à un coût net proche de zéro au lieu de créer de l’argent frais au moyen d’un financement par emprunt, nous pouvons également veiller à ce que le revenu de base garanti suffisant ne contribue pas à l’inflation.

En ce qui concerne le bien-être humain, social, sanitaire et économique, ce qui coûte le plus cher, ce n’est pas d’adopter des mesures de soutien efficaces. C’est plutôt de ne pas s’attaquer à la pauvreté.

Une troisième idée fausse, complètement réfutée par l’étude du comité sur la version précédente de ce projet de loi, porte sur la possibilité qu’un revenu de base garanti dissuade les gens de travailler. En réalité, le directeur parlementaire du budget a estimé que le nombre d’heures travaillées diminuerait de manière négligeable : au maximum 1,1 %. Un projet pilote qui a été mené récemment en Allemagne n’a montré aucun changement dans le nombre d’heures travaillées chez les personnes qui percevaient un revenu de base.

De plus, le revenu de base garanti suffisant permet aux gens d’entrer sur le marché du travail en leur garantissant un accès stable au logement et à la nourriture et en augmentant leur capacité à assumer les frais liés à la garde d’enfants, au transport et à d’autres coûts liés à l’emploi.

Au cours du projet pilote sur le revenu de base mené au Manitoba dans les années 1970, la plupart des personnes qui travaillaient moins s’occupaient d’enfants en bas âge ou ont profité de l’occasion pour terminer leurs études secondaires ou suivre une autre formation au lieu de devoir travailler pour subvenir aux besoins de leur famille.

Les participants au projet pilote de revenu de base en Ontario qui travaillaient avant de percevoir le revenu de base ont continué à travailler. Certains ont profité de l’occasion pour chercher un meilleur emploi. D’autres ont pu acquérir de nouvelles compétences.

Eddie est l’un des nombreux participants qui ont vu dans ce programme une occasion non pas d’abandonner leur emploi, mais de trouver du travail, comme il l’a dit :

[...] un petit contrat ou, vous savez, quelque chose de modeste [...] Je ne cherche pas à diriger une entreprise ou quelque chose du genre. [...] Je veux juste reprendre confiance en moi [...] Parce que je l’avais perdue pendant un moment.

Un examen de la recherche sur les programmes canadiens de transfert de fonds aux familles, comme l’Allocation canadienne pour enfants, montre que ces mesures améliorent la sécurité financière des familles, ce qui se traduit par une augmentation de l’emploi.

La crainte que les gens ne travailleront pas n’est pas fondée sur des données probantes. Trop souvent, il s’agit de suppositions ancrées et préjudiciables selon lesquelles

[…] la pauvreté est [en quelque sorte] le résultat d’échecs personnels plutôt que d’échecs du système, des problèmes sur le marché du travail et des politiques et programmes gouvernementaux.

Ces mythes discriminatoires occultent la somme de travail et de détermination nécessaire pour survivre à la pauvreté. Plus de la moitié des personnes qui vivent sous le seuil de la pauvreté ont un revenu d’emploi comme principale source de soutien — elles travaillent, mais ne sont pas assez payées.

Avant de participer au Projet pilote portant sur le revenu de base en Ontario, « Bethany » a déclaré :

Je travaillais comme une folle, j’étais toujours fauchée, je ne sortais jamais et je ne voyais personne. J’étais crevée, épuisée.

Le Conseil consultatif national sur la pauvreté souligne que le temps et les efforts nécessaires pour négocier une participation à des programmes de lutte contre la pauvreté inadéquats et inaccessibles ont transformé la pauvreté en un emploi à temps plein punitif, permanent et sans issue. Comme l’a fait remarquer un bénéficiaire de la prestation pour les personnes handicapées de l’Ontario à notre bureau, si naviguer les aléas de la pauvreté est un emploi à temps plein, « la paie est nulle. »

Le revenu de base garanti est un moyen éprouvé et rentable de réduire la pauvreté et d’aider les gens à renforcer leur capacité économique et à contribuer à leur collectivité. Il est temps que le Canada agisse.

Ces dernières années, le revenu de base garanti suffisant a continué de jouir d’un appui de plus en plus vaste, et ce concept figure parmi les principales politiques officielles du parti fédéral qui vient d’être réélu. Cependant, on nous dit sans cesse que le moment est mal choisi, étant donné que nous avons encore du mal à nous remettre de la pandémie et que nous devons composer avec la crise de l’inflation et les droits de douane.

Je nous invite à remettre en question ces hypothèses. Le moment est mal choisi pour continuer à gaspiller 92 milliards de dollars par an pour lutter contre la pauvreté. Un revenu de base garanti suffisant permettra au Canada de réaliser des économies et de renforcer sa capacité économique.

Alors que le Canada est exposé aux nouvelles menaces économiques brandies par son voisin, les Canadiens, en particulier ceux qui ont le moins de sécurité économique, ont besoin et méritent d’être rassurés sur le fait que l’économie fonctionnera pour eux.

Un revenu de base garanti suffisant permettrait non seulement aux personnes dont l’emploi et le revenu sont menacés par les droits de douane de ne pas être laissées pour compte, mais aussi de rebondir. À un moment où les dirigeants exhortent les Canadiens à travailler et à rester unis, un revenu de base garanti suffisant permettrait à chacun d’entre nous d’être en mesure de le faire. Surtout, cette mesure redonnerait à ceux que le Canada a trop souvent laissés pour compte — ceux qui ont du mal à trouver un emploi, qui n’ont pas les moyens de se nourrir et de se loger, qui vivent dans la rue ou qui sont en prison —, l’espoir que, cette fois-ci, ils ne sont pas seuls et que le Canada aidera tout le monde à surmonter les difficultés économiques que nous vivons tous ensemble.

Chers collègues, poursuivons cette nouvelle étape de notre travail afin de faire en sorte que le Canada bâtisse des collectivités où tout le monde est soutenu, doté des ressources nécessaires et habilité à contribuer, où personne n’est laissé pour compte et où chacun a un endroit où vivre et s’épanouir. Il va sans dire que c’est la façon de faire des Canadiens.

Meegwetch, merci.

Sénatrice Pate, accepteriez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Pate [ - ]

Oui.

Merci. Je sais que vous disposez d’un temps limité pour votre intervention. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les recherches menées concernant les répercussions sur les enfants et la perpétuation intergénérationnelle de la pauvreté si nous ne disposons pas d’une telle mesure dans la société?

La sénatrice Pate [ - ]

Merci beaucoup de cette question.

Je pense qu’on le voit. J’ai essayé d’expliquer rapidement ce point, mais je vous remercie de me donner l’occasion d’approfondir un peu plus la question.

Nous constatons les répercussions intergénérationnelles de la pauvreté qui sont profondément ancrées dans les programmes d’aide sociale actuels et qui maintiennent les gens dans la pauvreté. Je pense aux nombreuses personnes qui ont eu la possibilité de trouver un emploi, mais qui n’ont pas pu l’accepter parce que cela signifiait qu’elles perdraient leur accès aux avantages de soins de santé.

Je pense également aux personnes qui n’auraient pas droit à un logement subventionné si elles acceptaient un emploi. Il est primordial d’envisager une approche qui encouragerait les gens à reprendre le dessus. Lorsque j’ai visité des communautés du Nord, j’ai été frappée par les propos d’un Aîné qui me confiait que la communauté voulait développer une entreprise d’écotourisme. Bien des jeunes de la communauté n’ont pas d’emploi et reçoivent de l’aide sociale, mais on ne peut pas les emmener dans les terres parce que dans ce cas, les jeunes ne seraient pas dans la communauté en train de chercher un emploi qui n’existe pas et ils perdraient le revenu dont ils disposent.

Ce modèle tiendrait compte de ce genre de situation. Il jugerait moins les gens. Il chercherait moins à blâmer les personnes qui, en raison des décisions et des politiques des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, vivent dans la pauvreté de façon intergénérationnelle.

Il y a une incidence sur les enfants, sur les familles et certainement sur bon nombre des femmes avec qui je me suis entretenue et qui m’ont dit être incapables d’échapper à la violence, en partie parce qu’elles n’ont pas la sécurité financière voulue pour emmener leurs enfants. C’est un gros problème. Récemment, dans ma communauté, je me suis entretenue avec des femmes d’un mouvement qui réclame plus de refuges. Elles ont en fait lancé un dialogue public là-dessus pour rallier toute la communauté derrière l’idée d’un revenu de base garanti suffisant pour aider les femmes à fuir les situations où elles sont victimes de mauvais traitements. Merci beaucoup pour la question.

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