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La Loi sur les Indiens

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

16 juin 2025


L’honorable David M. Arnot [ + ]

Honorables sénateurs, il y a plus d’un siècle, Duncan Campbell Scott, qui était surintendant adjoint au ministère des Affaires indiennes, a pris la parole au Parlement du Canada et a déclaré :

Je veux me débarrasser du problème autochtone. Je ne crois pas, justement, que ce pays doive continuer à protéger une classe de personnes parfaitement capables de se prendre en charge. Voilà tout l’objet de mon propos [...]

Notre objectif est de continuer jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul Autochtone au Canada qui n’ait pas été assimilé dans le corps politique, qu’il n’y ait plus de question autochtone ni de ministère des Affaires indiennes. Voilà l’objectif du projet de loi.

J’ai répété, dans mes propres mots, les paroles de Scott des centaines de fois, dans des discours et des présentations sur les traités au Canada et les relations qui en sont issues. Je peux affirmer que cette citation n’est pas un vestige du passé. Elle demeure gravée dans l’architecture juridique et administrative qui régit la vie des Autochtones au Canada.

De nos jours, les propos cités nous rebutent, mais leur intention n’a pas été complètement bannie. Sous le couvert du progrès, la Loi sur les Indiens continue de promouvoir une vision assimilationniste, non pas à l’aide d’instruments grossiers, mais au moyen d’exclusions procédurales, de formules d’enregistrement et d’inégalités héritées qui punissent les familles pour les choix et les circonstances de leurs ancêtres.

Ce discours nous semble choquant aujourd’hui, mais cette façon de penser est toujours présente, comme en témoigne non seulement la discrimination qui affecte encore les peuples autochtones de ce pays au quotidien, mais aussi le cadre législatif qui détermine encore leur identité, leur appartenance et l’avenir de leurs enfants.

C’est dans ce contexte que nous devons évaluer le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription). C’est dans ce contexte que nous devons déterminer si nous allons enfin renoncer au contrôle colonial ou simplement l’assouplir.

Aujourd’hui, nous débattons du projet de loi S-2, qui propose des modifications limitées à la Loi sur les Indiens. J’appuie ce projet de loi, mais je le fais non pas avec joie, mais avec un profond sens des responsabilités, car même si le projet de loi S-2 vise à remédier à certains préjudices, il laisse encore beaucoup trop de problèmes sans solution.

La Loi sur les Indiens demeure un outil d’exclusion. Soyons clairs : la Loi sur les Indiens est encore une loi coloniale conçue non pas pour affirmer des droits, mais pour administrer l’assimilation. Bien que des modifications aient été apportées au fil des ans — en 1985, en 2011, en 2017 et aujourd’hui avec le projet de loi S-2 —, la loi conserve sa politique de gouvernement colonialiste qui visait, selon les termes de Scott, à « se débarrasser du problème des Indiens ». Elle impose une discrimination fondée sur le sexe, car les femmes autochtones et leur descendance sont encore pénalisées en matière d’admissibilité à l’inscription. Cette loi a créé un système de statut à deux niveaux par le biais des paragraphes 6(1) et 6(2), en inscrivant l’extinction de l’identité après deux générations dans la loi. La règle d’inadmissibilité de la seconde génération est une formule bureaucratique d’extinction qui refuse le statut aux petits-enfants si leurs deux parents n’ont eux‑mêmes qu’un seul parent ayant le statut d’Indien.

La loi continue de lier l’identité à la lignée masculine et déclare que les enfants nés hors mariage ou sans reconnaissance de paternité n’ont aucun statut. Ces obstacles injustes liés à la filiation touchent de manière disproportionnée les femmes, en particulier celles qui ont survécu à des actes de violence.

Tout aussi controversée, la loi maintient le contrôle fédéral sur l’appartenance à une bande, ce qui constitue un déni persistant de l’autodétermination des Autochtones.

Il y a eu des modifications apportées en 1985, en 2011 avec le projet de loi C-3 et en 2017 avec le projet de loi S-3. Malgré tout, chaque réforme a été motivée non pas par la bonne volonté du gouvernement fédéral, mais par des poursuites judiciaires et des contestations fondées sur la Charte, que des femmes et des familles autochtones courageuses ont intentées pour tenir tête à l’État — des femmes comme Sharon McIvor, Lynn Gehl et Mary Two-Axe Earley — et non grâce à une initiative généreuse de l’État.

À chaque modification, le gouvernement a adopté des solutions partielles, vraisemblablement à contrecœur et, en fin de compte, insuffisantes.

Le projet de loi S-2 est la réponse législative du gouvernement fédéral à l’affaire Nicholas c. Canada (Procureur général), dans laquelle la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que la Loi sur les Indiens continuait d’être discriminatoire en excluant les descendants de personnes qui avaient été émancipées contre leur gré. Autrement dit, elles ont perdu leur statut d’« Indien » au titre de la Loi sur les Indiens.

Le projet de loi S-2 rétablit les droits à l’inscription pour les personnes dont les ancêtres ont perdu leur statut en raison de l’émancipation, il permet aux personnes retirées de leur bande d’origine de s’affilier à une autre bande, il prévoit un mécanisme de radiation volontaire et il met à jour des termes désuets et déshumanisants, comme « indiens mentalement incapables », qui est remplacé par « personne dépendante ».

Le projet de loi représente également un moment rare : il est marrainé et présenté par une sénatrice autochtone, la sénatrice Audette, que je respecte profondément pour son leadership et à qui je reviendrai dans un instant.

Qu’est-ce que le projet de loi S-2 ne fait pas?

Malgré ses mérites, le projet de loi S-2 ne corrige pas plusieurs injustices fondamentales. La règle d’inadmissibilité de la seconde génération reste en vigueur. Au titre du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens, un enfant né de deux parents inscrits en vertu du paragraphe 6(2), qui n’ont qu’un seul parent ayant le statut d’Indien, n’a pas droit au statut d’Indien. Cette règle, qui existe depuis 1985, signifie que le statut prend fin au bout de deux générations. Il s’agit d’une loi d’extinction qui pénalise les familles pour s’être mariées entre elles et qui prive les enfants de leur identité légitime. Elle conduit à l’effacement statistique de lignées familiales entières, même si les gens conservent de forts liens culturels, communautaires et ancestraux.

Le gouvernement reconnaît l’urgence de cette question. Elle a été classée au premier rang des préoccupations dans le processus de collaboration de 2019, et, pourtant, on nous dit qu’une solution législative ne sera probablement pas proposée avant l’automne 2026. C’est prometteur, mais c’est aussi trop peu, trop tard. Les effets néfastes de cette privation d’identité persistent depuis plus de quatre décennies. Pour un grand nombre de personnes, en particulier celles dont les grands-parents ont retrouvé leur statut grâce aux projets de loi C-3 ou S-3, ce retard fera la différence entre être reconnu par la loi ou voir son identité effacée.

Le système à deux niveaux — causé par l’opposition entre le paragraphe 6(1) et le paragraphe 6(2) — demeure en vigueur. Ce système continue d’accorder un statut inférieur en raison de la discrimination historique fondée sur le sexe. Les femmes qui ont recouvré leur statut en vertu du projet de loi C-3 ou du projet de loi S-3 se voient souvent accorder le statut prévu au paragraphe 6(2), limitant ainsi les droits de leurs enfants, ce qui n’est pas du tout le cas pour les hommes parce qu’ils n’ont jamais perdu leur statut.

Les inégalités générationnelles persistent, en particulier à l’égard des lignées matrilinéaires. Comme l’a souligné la sénatrice Audette, les mères, en particulier celles qui ont survécu à des violences sexuelles, sont toujours tenues de nommer le père de leur enfant afin de remplir une demande d’obtention du statut. Cette exigence est discriminatoire, préjudiciable et susceptible de causer un autre traumatisme.

Le contrôle de l’appartenance à une bande relève encore aujourd’hui du gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral conserve son autorité sur les listes de bande, à moins qu’une Première Nation n’ait élaboré un code d’appartenance coutumier en vertu de l’article 10 de la loi. Cela signifie que, pour de nombreuses communautés, c’est toujours le Canada qui décide qui appartient à une bande et qui a le statut d’« Indien » au sens de la loi. Compte tenu de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, c’est totalement inacceptable.

La consultation a été insuffisante. La sénatrice Audette s’est dite insatisfaite, ce qui résume bien la situation. Une véritable consultation doit être transparente, inclusive et responsable. Le gouvernement a certes amélioré considérablement son processus de consultation depuis 2018-2019. Des séances dirigées par les communautés ont été financées, des documents de sensibilisation ont été créés, traduits et diffusés à grande échelle, et des séances d’information ont été organisées. Ajoutons aussi que des organisations autochtones ont collaboré à l’élaboration du processus de consultation. Cela dit, comme la sénatrice Martin l’a demandé à juste titre, si la consultation est toujours en cours, comment peut-elle guider adéquatement le projet de loi qui nous est déjà soumis?

Pourquoi soutenir ce projet de loi? La sénatrice Audette le soutient parce qu’elle sait que l’affaire Nicholas c. Canada (Procureur général) est actuellement suspendue en Colombie-Britannique. Si nous retardons le projet de loi afin d’y apporter des améliorations, les personnes concernées en Colombie-Britannique seront touchées, tandis que d’autres aux quatre coins du pays pourraient devoir intenter de nouveaux procès province par province, ce qui serait un processus coûteux et éprouvant sur le plan émotionnel.

La sénatrice Audette nous rappelle également que ce projet de loi ne règle pas le fond du problème. Elle a demandé la suppression des paragraphes 6(1) et 6(2), elle s’est opposée à l’obligation de déclarer le père dans les demandes d’enregistrement, elle a remis en question le maintien du pouvoir discrétionnaire des registraires, elle a critiqué la qualité et la transparence de la consultation et elle nous a prévenus que si nous n’en faisons pas davantage, nous continuerons d’inscrire la discrimination dans la loi sous le couvert de la réforme.

Les préoccupations de la sénatrice Audette reflètent les miennes. Je crois qu’elles reflètent aussi celles de bon nombre d’entre nous au Sénat. Nous ne nions pas les effets positifs de ce projet de loi — nous reconnaissons qu’il en a. La vraie question est la suivante : est-ce suffisant? Si ce n’est pas le cas, sommes-nous prêts à aller plus loin? Si nous acceptons l’exclusion après la deuxième génération, nous acceptons délibérément l’extinction de l’identité par voie législative. Si nous maintenons le contrôle d’Ottawa sur l’appartenance à une bande, nous refusons aux Premières Nations le droit de déterminer qui sont leurs citoyens. Si nous maintenons les règles de déclaration du père, nous plaçons la bureaucratie au-dessus de la dignité.

Disons-le clairement : même réformée, la Loi sur les Indiens n’est pas une loi qui affirme les droits. Il s’agit d’un vestige administratif d’un régime colonial qui continue pourtant de régir la vie, le statut, l’appartenance et l’accès aux droits issus de traités de nombreux Autochtones canadiens. Si nous voulons vraiment la réconciliation, le gouvernement fédéral doit, premièrement, élaborer conjointement un nouveau cadre fondé sur le consentement pour déterminer l’appartenance et le statut; deuxièmement, abolir les critères d’inscription discriminatoires, y compris le régime à deux volets qui exclut les membres de la deuxième génération; troisièmement, respecter le droit des Autochtones de définir leur identité selon leurs propres critères, dans leurs propres lois; et quatrièmement, respecter la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, non seulement en principe, mais aussi en droit.

Chers collègues, je voterai en faveur du projet de loi S-2, non pas parce qu’il est parfait, mais parce que les mesures qu’il contient doivent être déployées de toute urgence. On ne peut demander à des personnes qui ont attendu toute leur vie pour retrouver leur identité de patienter encore pendant que nous peaufinons le processus.

Cependant, nous leur devons plus que ce projet de loi. Son adoption doit s’accompagner d’un engagement public et parlementaire à achever le travail visant à supprimer la date limite, à rétablir le contrôle des Autochtones sur leur identité et à garantir que personne ne soit à nouveau exclu du cercle parce qu’une loi adoptée en 1985 a décidé qu’il devait en être ainsi.

Que ce soit bien clair : ce vote n’est pas le mot de la fin. Il faut que le projet de loi S-2 soit le point de départ, pas le point d’arrivée — le commencement, pas la conclusion. C’est une promesse faite à ceux qui ont été privés de leurs droits contre leur gré, à ceux qui ont été dépouillés de leur identité et aux petits-enfants qui continueront de porter le fardeau de la privation des droits de leurs grands-mères. Nous ne nous arrêterons pas là.

Je souhaite que le Sénat décide aujourd’hui non seulement d’appuyer ce projet de loi, mais aussi de mener à bien le travail qui a été entrepris et qui est exigé par la justice, l’équité, l’égalité et la réconciliation. Merci. Kinanâskomitinawow.

Sénateur Arnot, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Arnot [ + ]

Oui.

Il est intéressant que vous présentiez le projet de loi S-2 comme un point de départ alors que, en réalité, la dernière fois que le gouvernement du Canada s’est penché sur cette question, c’était à l’époque du projet de loi S-3, qui avait également été présenté par le Sénat. Ceux d’entre nous qui ont travaillé sur le projet de loi S-3 à l’époque, principalement grâce aux efforts de l’ancien sénateur Sinclair et de l’ancienne sénatrice Dyck, étaient sincèrement convaincus d’avoir trouvé une solution globale à cette question.

L’histoire a prouvé que ce n’était pas le cas. Nous vous avons écouté parler du projet de loi S-2, qui, nous le savons, ne règle pas la question de la perte d’identité que nous pensions avoir réglée par le projet de loi S-3. Combien de temps pensez-vous qu’il faudra pour régler cette question de manière équitable et juste, comme elle le mérite, si nous n’essayons pas de modifier le projet de loi S-2?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénateur Arnot, je veux mentionner que votre temps de parole est presque écoulé. Demandez-vous plus de temps pour répondre à la question?

Le sénateur Arnot [ + ]

C’est une bonne question. Je ne devrais probablement pas demander plus de temps pour y répondre, mais je vais le faire.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Le sénateur Arnot [ + ]

Je vous remercie de votre question, sénatrice. C’est effectivement un casse-tête. Je n’ai pas de réponse. C’est quelque chose de très préoccupant. C’est un problème qui existe depuis 40 ans, et il faut y remédier. Je crois que nous devons y consacrer corps et âme. Le projet de loi pourrait bien être amendé au comité; je ne sais pas. J’espère qu’il sera renvoyé au comité et qu’il sera un pas dans la bonne direction, si la situation n’est pas corrigée rapidement. Merci.

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