La Loi sur la Gendarmerie royale du Canada
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat
18 juin 2025
Propose que le projet de loi S-223, Loi modifiant la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je tiens à remercier toutes les personnes présentes. Nous allons plonger dans un sujet complexe.
Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole aujourd’hui pour proposer la deuxième lecture du projet de loi S-223, Loi modifiant la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.
Le projet de loi S-223 traite de l’application des lois des Premières Nations, tandis que le projet de loi connexe S-224, dont je parlerai bientôt, traite des poursuites visant les infractions aux lois des Premières Nations. Comme les sujets de ces deux mesures sont intimement liés, ils sont discutés ensemble dans bon nombre des citations que je vais partager.
En discutant avec des sénateurs, j’ai compris que l’expérience que vivent les personnes constamment opprimées par le gouvernement fédéral n’était pas connue de tous. Pour ma part, ma vie a été dictée par le gouvernement fédéral depuis ma naissance.
Ce pan de l’histoire du Canada n’a pas été communiqué aux Canadiens. Je remercie les sénateurs de me l’avoir dit et d’avoir écouté attentivement, parce que c’est ainsi qu’on apprend la compassion et que j’ai moi-même appris la compassion au Sénat.
Je commencerai donc par un bref historique de l’application de la loi et des poursuites dans les réserves au Canada.
Le rapport de la Commission d’enquête sur l’administration de la justice et les Autochtones, publié en 1991, se conclut comme suit :
Le traitement réservé par le Canada à ses premiers citoyens est une honte internationale. Le fait de ne pas prendre toutes les mesures nécessaires pour réparer cette injustice persistante continuera de causer des tragédies et des souffrances aux peuples autochtones et de ternir l’image de notre pays dans le monde entier. En agissant maintenant, les gouvernements pourront traduire concrètement l’opinion publique favorable et la bonne volonté que nous avons observées parmi les Manitobains au cours des trois dernières années.
En novembre 1999, le gouvernement du Manitoba a formé la Commission de mise en œuvre des recommandations sur la justice autochtone, qui a déclaré ce qui suit :
Les peuples autochtones du Manitoba ont connu trois systèmes de justice différents. Le premier, qui est le fruit de coutumes, de négociations et d’expériences, s’est développé avant l’arrivée des Européens, au cours des siècles où seuls les Autochtones occupaient cette partie de l’Amérique. Le deuxième, qui a vu le jour avec l’arrivée des Européens au XVIIe siècle, n’a pas mis fin au droit autochtone, mais y a simplement ajouté des éléments anglais, écossais et français en parallèle. Le troisième a vu le jour lorsque le Manitoba s’est joint à la Confédération en 1870. Bien qu’il soit resté essentiellement inchangé jusqu’à aujourd’hui, ce troisième système a eu des répercussions dévastatrices sur les peuples autochtones du Manitoba, au cours des quatre dernières décennies.
Honorables sénateurs, la Proclamation royale de 1763 établissait un système de gouvernance tripartite pour l’Amérique du Nord britannique, à savoir la Couronne impériale, ses colonies et « [...]les différentes nations de sauvages [...] ». En 1836, le procureur général du Haut-Canada, Robert Jameson, a témoigné de la perpétuation de cette norme constitutionnelle. Il écrit que les Premières Nations « se gouvernent par elles-mêmes, au sein de leurs communautés, en fonction de leurs lois et de leurs coutumes ».
Bref, les Premières Nations jouissaient d’une autonomie gouvernementale dans les domaines reconnus comme relevant de leur compétence, y compris tout ce qui touchait les affaires internes. Cela a continué jusqu’à l’adoption de la Loi sur les Indiens de 1869, quand l’autonomie gouvernementale des Premières Nations a été sacrifiée en faveur du devoir d’assimilation déclaré par sir John A. Macdonald.
Dans l’Acte pour encourager la civilisation graduelle de 1857, tout Indien jugé éduqué, sans dette et de bonne moralité pouvait demander à recevoir des terres dans la colonie ainsi que les droits connexes. Il s’agissait d’un changement d’orientation, passant du développement de la communauté à la préparation des personnes à l’émancipation. Le gouvernement considérait comme très problématique l’insistance des Premières Nations à conserver la propriété commune des terres. Il affirmait que le refus des conseils de bande d’autoriser la propriété individuelle détruisait « l’industrialité », qu’on considérait comme la base de tout progrès.
Honorables sénateurs, en 1860, la province naissante du Canada a pris le contrôle du portefeuille des Affaires indiennes, qui était auparavant entre les mains du gouvernement impérial britannique. En 1867, avec l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, la Couronne impériale a cédé la place au gouvernement fédéral, les colonies sont devenues des provinces et les Premières Nations autonomes sont demeurées — pendant une brève période — le troisième ordre de gouvernement.
En 1869, la loi intitulée Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages, à la meilleure administration des affaires des Sauvages visait l’assimilation. Les deux éléments — l’émancipation et l’octroi aux communautés du bénéfice d’un gouvernement municipal — signifiaient que la loi abolissait les formes traditionnelles de gouvernement et les remplaçait par un système électoral réservé aux hommes, largement contrôlé par l’agent des Indiens de la région. J’ai vécu cette situation au cours de ma vie. Quand je suis née, il y avait un agent des Indiens, et il y en a eu un jusqu’à mes 17 ans. Quand je sortais du pensionnat, je rentrais chez moi pendant deux mois, et les agents étaient là pour dicter la vie de tout le monde.
Avec l’Acte des Sauvages de 1876, le gouvernement Macdonald a déclaré que l’expression « nations de sauvages » n’était plus appropriée parce que les Indiens étaient considérés comme des enfants. On les assimilait à des :
[...] « personnes mineures incapables d’administrer leurs propres affaires » et, par conséquent, le gouvernement devait assumer la « lourde charge [...] de les prendre sous sa tutelle ».
La Loi sur les Indiens énonçait en détail comment les Premières Nations perdraient le contrôle de presque tous les aspects de leurs communautés. Le rejet de l’autodétermination a été imposé par la création, dans la loi, d’un « statut d’Indien » officiellement reconnu, qui a en fait donné naissance à l’Indien colonisé.
En 1887, John A. Macdonald affirmait ceci :
Le grand objectif de nos dispositions législatives est de nous débarrasser du système tribal et d’assimiler totalement les Indiens au reste de la population du Dominion aussi rapidement qu’ils sont aptes à ce changement.
En 1920, Duncan Campbell Scott a dit ceci lors de son infâme discours visant à justifier bon nombre des modifications qu’il apportait à la Loi sur les Indiens :
Je veux me débarrasser du problème autochtone [...] Notre objectif est de continuer jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul Autochtone au Canada qui n’ait pas été assimilé dans le corps politique, qu’il n’y ait plus de question autochtone ni de ministère des Affaires indiennes.
Honorables sénateurs, revenons à aujourd’hui. Au moyen de l’ancien projet de loi C-49, Loi sur la gestion des terres des Premières Nations, qui a reçu la sanction royale en 1999, et de l’ancien projet de loi C-428, Loi sur la modification et le remplacement de la Loi sur les Indiens, qui a reçu la sanction royale en 2014, le Parlement avait l’intention de créer de nouveaux pouvoirs législatifs améliorés afin d’appuyer l’autodétermination des Premières Nations.
Dans un des résumés législatifs officiels du projet de loi C-49, on pouvait lire ceci :
Le projet de loi C-49 élargirait la portée des pouvoirs que la première nation pourrait exercer et ne les laisserait plus à la discrétion du gouverneur en conseil ou du ministre.
Par ailleurs, selon un résumé du projet de loi C-428 préparé par le ministère :
Le projet de loi C-428 [...] élimine le pouvoir de supervision du ministre sur la présentation, l’entrée en vigueur et l’annulation des règlements administratifs, et confère aux Premières Nations l’autonomie et la responsabilité relativement à la rédaction, l’adoption et l’entrée en vigueur des règlements administratifs.
En dépit de l’intention du Parlement d’accroître les pouvoirs législatifs des Premières Nations à des fins d’autodétermination, les projets de loi C-49 et C-428 ont plutôt créé des « régimes en suspens » où les lois des Premières Nations ne sont pas appliquées par la GRC et ne peuvent pas donner lieu à des poursuites de la part du Service des poursuites pénales du Canada.
Honorables sénateurs, dans le rapport de juin 2021 du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes, intitulé Démarches collaboratives en matière d’application des lois dans les collectivités autochtones, le comité indique que depuis que des modifications à la Loi sur les Indiens en 2014 ont retiré au ministre le pouvoir de rejeter un règlement administratif, il n’y a plus d’examen ministériel obligatoire des règlements administratifs.
Alors que le Service des poursuites pénales du Canada mène uniquement des poursuites au sujet de règlements administratifs qui ont été examinés, Services aux Autochtones Canada examine désormais les projets de règlements administratifs à des fins de commentaires seulement. Essentiellement, cette modification de 2014 visait à priver les Premières Nations de la capacité d’appliquer ou de faire respecter les lois qu’elles avaient adoptées, car aucun nouveau processus n’avait été mis en place pour remplacer le processus d’examen qui avait été supprimé. Pourquoi cet amendement n’a-t-il pas été apporté au projet de loi, alors qu’il a été soulevé à maintes reprises au sein du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord?
Chers collègues, depuis 2014, la Gendarmerie royale du Canada continue de refuser d’appliquer les lois adoptées par les Chefs et les conseils des Premières Nations. Les Premières Nations ne peuvent pas sanctionner les crimes et les infractions commis dans leurs communautés. À titre d’exemple, certains de ces crimes concernent le trafic de drogues, y compris de substances intoxicantes, mais les Premières Nations sont incapables d’expulser et de poursuivre les trafiquants, même quand certains d’entre eux ne sont pas originaires de la communauté où ils commettent leurs crimes. Cependant, ces trafiquants continuent de pouvoir introduire en toute impunité de la drogue et de l’alcool dans ces réserves. C’est ce qui se passe actuellement dans ma réserve. Les gens sont impuissants, et la GRC ne réagit pas.
Partout au pays, les Premières Nations vivent une crise en matière de sécurité publique et de bien-être qui est alimentée par un trafic de drogue et des activités de contrebande qui sévissent presque impunément. Le fait que la GRC et le Service des poursuites pénales refusent et négligent d’assumer leurs responsabilités en ce qui concerne l’application des lois des Premières Nations et les poursuites aux termes de ces lois, notamment en ce qui a trait à l’interdiction de substances intoxicantes et aux intrusions, contribuent directement à cette crise.
Honorables sénateurs, d’après un article publié le 4 avril 2023 par CBC News, intitulé « Les chefs sont favorables aux efforts de la GRC pour freiner la contrebande dans le Nord du Manitoba, mais affirment qu’il faut faire plus », avec, en sous-titre, « La GRC du Manitoba dit aider les communautés autochtones isolées à appliquer les règlements locaux », 11 Premières Nations du Nord du Manitoba, y compris celle de God’s Lake, ont récemment déclaré l’état d’urgence en raison d’un éventail de problèmes sociaux dans leurs communautés, dont des décès qui seraient liés à la drogue, des suicides, des services d’urgence inadéquats en matière de santé et d’incendie, ainsi que des préoccupations concernant la consommation de substances.
Dans l’article, on peut lire :
Entretemps, les tensions montent entre la GRC et certaines communautés.
L’article se poursuit ainsi :
Plusieurs communautés, comme celle de God’s Lake, s’efforcent d’appliquer les règlements locaux qui restreignent ou interdisent la consommation de drogues et d’alcool, et elles réclament un soutien accru de la part du gouvernement et de la GRC.
Dans un communiqué de presse de la GRC, on indique que les interventions de celle-ci :
« [...] se poursuivront conformément aux souhaits exprimés par les dirigeants » dans les communautés qui ont leurs propres règlements concernant les drogues et l’alcool et qui « ont demandé que l’on fasse de l’application de la loi une priorité. »
Cependant, le Chef Hubert Watt déplore la manière dont la GRC qualifie son intervention dans les communautés qui veulent de l’aide pour faire appliquer les règlements concernant la consommation de drogues et d’alcool. Il a déclaré :
Je crois que la GRC dit cela parce que de plus en plus de Premières Nations affirment qu’elle n’est pas très efficace [...] dans les communautés [du Nord].
Toujours dans le même article de 2023 de la CBC, on peut lire :
D’après M. Watt et Phillip Kanabee, conseiller de la bande de God’s Lake, bien que la Première Nation souhaitait que la GRC procède à la fouille obligatoire des véhicules entrant dans la communauté, la GRC ne fouillera pas de manière proactive chaque véhicule en raison de contraintes juridiques.
M. Kanabee a déclaré :
Je me bats depuis longtemps avec la GRC pour qu’elle applique les règlements administratifs [...] La communauté essaie de collaborer avec la GRC, mais [...] il n’y a pas de partenariat.
Plus loin, l’article indique :
La police reconnaît également que certains règlements administratifs de la communauté relatifs aux drogues et à l’alcool sont en vigueur depuis des dizaines d’années [...]
Tara Seel, porte-parole des relations avec les médias de la GRC du Manitoba, a déclaré ceci :
[...] nos communications récentes concernant l’application de la loi dans cette région ne signifient en aucun cas qu’il s’agit d’une nouvelle initiative.
Elle a poursuivi en disant :
[...] la GRC, les procureurs de la Couronne et les autres partenaires doivent agir dans le respect des lois provinciales et fédérales — y compris la Charte et la Loi sur la protection des renseignements personnels — lorsqu’ils enquêtent sur la distribution illégale de drogues ou d’alcool.
Mme Seel a ajouté :
[...] la répression des activités de contrebande doit tenir compte de « plusieurs autres priorités en matière de sécurité publique », notamment la lutte contre les crimes violents.
Honorables sénateurs, j’ai été dentiste à God’s Lake pendant environ six ans.
J’ai personnellement observé que la plupart des crimes violents sont attribuables à l’abus d’alcool et de drogues, qui, lui, est attribuable au fait que la GRC n’applique pas suffisamment la loi.
Chers collègues, j’ai déjà discuté de cette question avec le Chef Hubert Watt, qui a déclaré ceci :
Nous avons demandé à la GRC d’effectuer un contrôle routier chaque fois que l’on ouvre les routes d’hiver à la circulation afin d’intercepter les marchandises de contrebande, mais en vain. La confiscation de mars 2023 était un cas isolé.
Le Chef Watt a dit : « Imaginez tout ce qui pourrait être confisqué et toute la violence que l’on pourrait prévenir si l’on fouillait les véhicules systématiquement. »
La confiscation dont il parle est le résultat d’une opération qui s’est déroulée en mars 2023 sur les principales routes d’accès de collectivités du Nord, notamment la route 6 et la route provinciale 373, de même que sur les routes d’hiver menant à Gods Lake Narrows, à Island Lake et aux collectivités avoisinantes.
La GRC a déclaré avoir saisi, dans un seul véhicule, 26 bouteilles de boisson alcoolisée dans le cadre de ce contrôle routier. Au cours de la période d’intervention, elle a donné 75 contraventions, exécuté 4 mandats d’arrestation et porté un chef d’accusation de conduite avec facultés affaiblies contre un chauffeur de même qu’un chef d’accusation de trafic en vertu de la Loi sur le cannabis contre un autre.
Le communiqué indique que la GRC poursuivra ces mesures d’application de la loi conformément aux souhaits exprimés par les dirigeants de ces communautés dans les collectivités qui ont leurs propres règlements sur les drogues et l’alcool et qui ont demandé que l’application de la loi soit une priorité.
Comme l’a déclaré le Chef Watt, ce contrôle a été un cas isolé. Il n’y en a pas eu d’autres.
Bien que des mesures d’urgence temporaires aient été invoquées pour répondre à la pandémie de COVID-19 et faciliter l’application des règlements administratifs des Premières Nations en matière de protection de la santé, ces mesures n’ont pas permis de s’attaquer au fait que l’application de ces règlements administratifs est typiquement inadéquate.
Chers collègues, je tiens à rappeler encore une fois ce que la Cheffe Heidi Cook, de la Nation crie Misipawistik de Grand Rapids, a déclaré au Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes au sujet de ce qu’a vécu sa communauté pendant une éclosion de COVID-19 survenue à l’hiver 2020-2021 :
Les membres de notre équipe d’intervention d’urgence liée à la pandémie, de notre équipe de soins de santé et de notre équipe chargée de l’application des mesures ont affirmé qu’ils se sentaient abandonnés. Nous avions du mal à contrôler la propagation. Durant la deuxième vague, le nombre de cas a atteint 155 et nous avons tracé près de 300 contacts. Nous en avons tous subi personnellement les conséquences. Je crois que nous souffrons tous de stress post-traumatique en raison de la situation dans laquelle nous nous sommes retrouvés.
Depuis que notre loi sur les mesures d’urgence est venue à échéance, nous n’avons adopté aucune autre loi. À quoi bon adopter une loi si elle ne peut pas être appliquée? C’est pourquoi nous n’avons adopté aucune autre loi depuis.
Des gens de l’extérieur entraient dans la communauté. La communauté voulait que la GRC empêche les personnes qui n’y résidaient pas d’entrer, car elles vendaient de la drogue. La GRC a toutefois refusé de faire respecter les règles, malgré les mesures d’urgence temporaires.
Lorsqu’il a témoigné le 13 mai 2021, M. Derek Yang, directeur des services communautaires de la nation des Tla’amins, en Colombie-Britannique, a dit ceci :
Ce que nous voulons dire, en bref, c’est que l’autodétermination ne veut pas dire grand-chose sans le pouvoir et la capacité d’adopter et d’appliquer des lois. Beaucoup de lois fédérales et provinciales, de mandats de négociation, de décisions de financement et d’approches d’application de la loi fragilisent ou affaiblissent l’application des lois des Premières Nations, au lieu de l’encourager et de la renforcer.
Chers collègues, les problèmes liés à l’application des lois des Premières Nations et aux poursuites en vertu de ces lois étaient connus en 1999, il y a 26 ans. Ce sont 26 années pendant lesquelles les Premières Nations n’ont pas été autorisées à assurer leur sécurité, et pendant lesquelles on leur a fait croire qu’il y aurait un débat continu et à long terme sur la question, débat qui n’a jamais eu lieu.
Vingt ans plus tard, la pandémie de COVID-19 a mis en lumière les effets de l’absence d’application de la loi et de poursuites judiciaires qui a mis des vies en danger pendant toutes ces années.
Je tenais à vous faire savoir que, lorsque nous adoptons des lois, même celles qui sont perçues comme bien intentionnées, nous constatons que presque toutes les lois que nous adoptons au Sénat ont des conséquences négatives. Et les Premières Nations sont continuellement freinées par l’ampleur et la complexité des politiques, les vides en matière de compétence et d’autres contraintes législatives.
Il y a des tentatives de lutter contre cela et contre la privation de droits, des tentatives de lutter contre tous ces problèmes complexes, et nous devons apporter des corrections quand les problèmes ont été introduits par la législation. Les Premières Nations n’ont pas la capacité de le faire seules. Elles ont besoin que des lois externes soient modifiées.
Honorables collègues, les dispositions des traités nos 1, 2, 3, 4, 5 et 6 qui interdisent les substances intoxicantes se terminent toutes par les mots « seront rigoureusement mises à exécution ». La mise à exécution rigoureuse par la GRC des lois des Premières Nations interdisant les substances intoxicantes constitue une promesse et un engagement de la Couronne en vertu des traités. Le refus et l’incapacité de la GRC d’appliquer les interdictions relatives aux substances intoxicantes promulguées par les Premières Nations constituent une violation de la promesse et de l’engagement du Canada en vertu des traités, et ils contribuent également aux crises de santé et de sécurité publique au sein des Premières Nations.
Le 3 février 2023, le Chef David Monias, de la bande de Cross Lake, dans le Nord du Manitoba, a écrit à la directrice des poursuites pénales, au ministre de la Justice et Procureur général du Manitoba, à la GRC, au ministre Marc Miller, au ministre David Lametti, à la ministre Patty Hajdu et au ministre Marco Mendicino pour leur demander instamment de respecter la primauté du droit et l’engagement pris dans le cadre des traités afin d’appliquer les règlements de la bande de Cross Lake et d’engager des poursuites à leur égard en vertu de l’article 85.1 de la Loi sur les Indiens.
Comme il est indiqué dans le Traité no5 :
Sa Majesté convient de plus avec les dits Indiens, que, dans les limites des réserves des Indiens, jusqu’à ce qu’il soit déterminé autrement par le gouvernement du Canada, à ce qu’aucune liqueur enivrante ne soit introduite ou vendue; et toutes les lois maintenant en vigueur, ou devant être décrétées à l’avenir pour préserver ses sujets Indiens habitant les réserves, ou vivant ailleurs dans ses territoires du Nord-Ouest, de la malheureuse influence de l’usage des liqueurs enivrantes, seront strictement mises en force.
Le Chef David Monias a écrit ceci :
Dans R. c. Campbell, 996 CanLII 7298 (MB CA), une affaire dans laquelle le Service des poursuites pénales du Canada menait les poursuites, la Cour d’appel du Manitoba a confirmé que le règlement d’application de l’article 85.1 de la Nation des Cris de Mosakahiken et l’article 85.1 de la Loi sur les Indiens étaient conformes à la Charte. Cependant, à notre connaissance, il s’agit des dernières poursuites intentées en application d’un règlement relatif à l’article 85.1 dans le Nord du Manitoba, soit il y a environ 27 ans.
L’article 85.1 de la Loi sur les Indiens autorise les conseils de bande des Premières Nations à créer des règlements administratifs pour régir les boissons alcoolisées dans les réserves. Cette disposition ne devrait-elle plus être en vigueur? Car, lorsqu’une bande assume le pouvoir, elle se reporte encore à cet article 85.1 de la Loi sur les Indiens, mais on refuse toujours de l’appliquer.
Le 5 avril 2023, un article de La Presse canadienne titrait : « Le fédéral ne fixera pas d’échéance pour la présentation d’une loi visant à déclarer les services de police des Premières Nations services essentiels ». Dans l’article, on apprenait que le ministre Marco Mendicino avait indiqué à La Presse canadienne, en décembre dernier, « que le gouvernement espérait déposer un projet de loi en 2023 ».
Dans l’article, on pouvait également lire ceci :
Or, cette semaine, un attaché de presse du ministre a rejeté toute échéance, affirmant qu’il « est trop tôt pour dire quand un projet de loi sera déposé ».
Comme vous le savez, chers collègues, la police est largement considérée comme un service essentiel. Cependant, malgré les appels à la reconnaissance et à la réforme, cette demande de reconnaissance des services de police des Premières Nations comme étant un service essentiel et de garantie d’un financement et de ressources adéquats pour ces derniers est restée lettre morte. Un service essentiel est généralement défini comme un service crucial pour la sécurité et le bien-être du public, et dont l’interruption aurait des répercussions importantes sur la communauté. Il s’agit de maintenir l’ordre public et de protéger les citoyens.
Les Premières Nations méritent ce qui est accordé aux autres citoyens. Par conséquent, la situation actuelle n’est-elle pas discriminatoire?
Ainsi, honorables sénateurs, le projet de loi S-223 modifiera la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada afin d’y inclure la définition suivante de « texte législatif de première nation » :
texte législatif de première nation S’entend :
a) soit d’un règlement administratif pris en vertu de la Loi sur les Indiens;
b) soit d’un texte législatif de la première nation au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations;
c) soit d’un texte de nature législative édicté par un conseil, un gouvernement ou une autre entité autorisés à agir pour le compte d’une première nation en vertu d’un accord sur l’autonomie gouvernementale mis en œuvre par une loi fédérale [...]
De plus, ce projet de loi servira à préciser et à confirmer de manière concluante que la GRC a l’obligation légale d’appliquer les textes législatifs des Premières Nations et d’exécuter les mandats qui peuvent être légalement exécutés par des agents de la paix aux termes de ces textes.
Chers collègues, je tiens à souligner que les Premières Nations ne sont pas restées les bras croisés pendant que leurs communautés étaient touchées par ces problèmes persistants, mettant des vies en danger. Elles ont fait preuve de créativité, tenté d’établir des relations, modifié des lois, ainsi que proposé et mis en place des solutions.
Les efforts que déploie le Grand Chef Settee, des Manitoba Keewatinowi Okimakanak, ou MKO, pour obtenir la reconnaissance, le respect et l’application, par les forces de l’ordre et le système de justice, des lois des Premières Nations ont notamment mené à la conclusion d’un protocole d’entente avec la directrice des poursuites pénales et le commandant de la Division D de la GRC, au Manitoba, concernant l’application, par les forces de l’ordre et le système de justice, des règlements administratifs adoptés en vertu des articles 81 et 85.1 de la Loi sur les Indiens. Le protocole d’entente renouvelé est entré en vigueur le 30 juin 2023 pour une période d’essai de deux ans, conformément à ce qu’avait proposé la directrice des poursuites pénales dans sa lettre au Grand Chef Settee datée du 9 mars 2023 :
Je propose également que les représentants de mon service collaborent avec votre organisme et d’autres parties intéressées pendant ces trois mois afin de discuter de la possibilité de créer un programme pilote élargi permettant aux forces de l’ordre et au système de justice d’appliquer des règlements administratifs adoptés en vertu de la Loi sur les Indiens autres que ceux directement liés à la pandémie de COVID-19. Ce genre de programme pilote ne serait pas une solution permanente, mais plutôt une occasion de développer conjointement le travail réalisé à ce jour en dehors de la crise provoquée par la pandémie. En outre, ce serait une occasion de recueillir des données probantes et d’acquérir de l’expérience en vue d’éclairer la recherche de solutions afin de mieux servir vos communautés à long terme.
Chers collègues, à la connaissance des MKO, le projet pilote de deux ans auquel ils participent avec le Service des poursuites pénales du Canada et la GRC — projet concernant l’application des règlements de la Loi sur les Indiens et la poursuite des contrevenants à ces règlements au moyen du protocole — est le seul projet du genre au Canada et il s’applique uniquement aux 23 Premières Nations représentées par les MKO qui ont des pouvoirs législatifs et qui choisissent d’y participer. Étant donné qu’il y a 634 Premières Nations au Canada, c’est donc dire que seulement 3,6 % des Premières Nations au pays ont l’occasion de voir la GRC appliquer les règlements de la Loi sur les Indiens et le Service des poursuites pénales du Canada intenter des poursuites relatives à des infractions à ces règlements au moyen d’un protocole. En outre, le protocole ne vise pas toutes les lois des Premières Nations. Ainsi, il n’aborde pas l’application d’une loi des Premières Nations promulguée au titre d’un code foncier ou par une Première Nation qui a conclu un accord d’autonomie gouvernementale, et il n’aborde pas la poursuite des contrevenants à la loi en question.
C’est un long discours, qui est très lourd également.
Je vais maintenant prononcer le deuxième discours, qui est tout aussi long.
Nous travaillons en étroite collaboration avec l’organisation Manitoba Keewatinowi Okimakanak et le Comité consultatif des terres, et il s’agissait d’un exemple concret de codéveloppement d’un projet de loi touchant les Premières Nations. Ce codéveloppement législatif est conforme aux articles 19 et 38 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et, par conséquent, il est conforme à la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. L’organisation Manitoba Keewatinowi Okimakanak et le Conseil consultatif des terres ont déclaré que l’élaboration conjointe d’un projet de loi par un sénateur et d’autres parlementaires avec les Premières Nations est conforme à la demande visant à ce que ces interactions se fassent de nation à nation et aux principes de réconciliation, comme l’a souligné l’ancienne vice-première ministre dans sa réponse du 7 décembre 2022 à une question du sénateur Loffreda lors de l’étude du comité sénatorial sur l’ancien projet de loi C-32.
James Campbell et moi-même avons assisté au Forum national de l’APN sur la justice : revitalisation des lois et des ordres juridiques des Premières Nations, qui s’est tenu à Vancouver pendant trois jours en avril dernier. Des personnes venues de tout le pays y ont participé.
Voici ce dont j’ai été témoin :
Notre peuple a suivi et continue d’honorer certains enseignements, notamment celui de ne pas partir tant que les décisions n’ont pas été prises, et celui selon lequel le comportement et les attentes sont fondés sur nos lois, nos traditions et nos langues.
Nous devons veiller à ce que nos ordres juridiques ne soient pas envahis par le colonialisme. On a déclaré nos lois illégales de façon unilatérale. Nos lois sont légitimes. Elles visent à rétablir l’équilibre plutôt qu’à punir.
Nous ne sommes pas des reliques du passé, mais des êtres vivants, dynamiques et profonds. Nous devons nous demander si nous perpétuons des préjudices.
Il faut tendre les deux oreilles pour bien entendre et ne pas nuire.
Un droit vivant s’appuie sur le raisonnement, pas seulement sur des règles. Les lois évoluent et se développent comme nous, comme des êtres vivants.
Nous avons le droit inhérent de décider de ce qui se passe sur nos terres et dans nos vies.
Honorons nos ancêtres, mais protégeons ceux qui nous suivront.
Nous réclamons justice pour la Terre, les langues, le genre et les cérémonies, et nous devons concilier tout cela.
Nous devons comprendre ce qui se passe quand nous devons appliquer des lois dans le cadre d’un système judiciaire qui nous est étranger.
La bonne gouvernance et les bonnes lois assurent notre sécurité.
Nos cérémonies enseignent la justice.
Comment s’est-on retrouvé avec des enfants sans culture?
Que fait-on du caractère sacré de nos lois au sein d’une institution coloniale?
C’est ce qui se passe avec des dispositions législatives comme celles issues du projet de loi C-92. On met en place des dispositions législatives que les gens pensent pouvoir s’approprier, mais ce sont maintenant des dispositions fédérales qu’on peut éliminer ou modifier, et ce n’est pas ce à quoi les gens s’attendaient.
Les Premières Nations se voient constamment imposer des politiques et des lois prédéterminées. On part du principe que celles-ci fonctionnent, mais ce n’est pas le cas. Nous n’avons pas signé de traités pour notre disparition. La justice est une conviction que nous avons. Les traités sont des documents internationaux — nous croyons qu’il faut marcher ensemble.
Il est essentiel de demander des comptes au gouvernement. Quelle promesse voyons-nous dans la législation fédérale?
Chers collègues, lors de la récente conférence de l’Assemblée des Premières Nations sur la justice, il a été question du projet de loi C-92, de l’émancipation des femmes des Premières Nations, du matriarcat, du rôle des femmes dans le passé, le présent et l’avenir, de la traite des personnes, de la législation fédérale sur l’eau ainsi que de l’application des lois et des règlements des Premières Nations et des poursuites en vertu de ces lois et règlements.
Il y a eu des déclarations sur le fait que le système judiciaire canadien a continuellement manqué à ses obligations envers les Premières Nations. À l’arrivée des Européens, nous n’avions pas d’institutions pour enfermer les gens. Ce n’était pas nécessaire. Nous avions un système empreint d’humanité.
En tant que sénatrice, ce que j’ai retenu de cette conférence, c’est que les réalités qui ont rendu les Premières Nations vulnérables au Canada, les systèmes étrangers qui leur ont été imposés unilatéralement, sont toujours en place aujourd’hui sur la Colline du Parlement. On ne tient toujours pas compte de la façon d’être et de tirer profit de leur savoir des Premières Nations. La bonne gouvernance, c’est d’assurer la sécurité et la sûreté de tous les citoyens du Canada et non celle de quelques privilégiés. La bonne gouvernance, c’est s’assurer de pouvoir procéder à un second examen objectif et ne pas adopter des lois à la hâte.
J’invite tous les honorables sénateurs à appuyer pleinement l’autodétermination et les pouvoirs législatifs accrus de toutes les Premières Nations du Canada. C’est ce que le Parlement prévoyait dans l’ancien projet de loi C-428 pour les Premières Nations qui choisissent d’exercer le pouvoir législatif prévu dans l’ancien projet de loi C-49, ainsi que celles qui les exercent dans le cadre d’une entente sur l’autonomie gouvernementale conclue entre une Première Nation et le Canada.
Je prie tous mes honorables collègues d’appuyer sans réserve le projet de loi S-223, à le renvoyer au comité et à adopter les modifications proposées à la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada qui y sont prévues. Cela précisera et confirmera de manière concluante que la GRC a l’obligation légale de faire respecter les lois des Premières Nations.
Kinanâskomitinawow kwyes kapetameek. Je vous remercie de m’avoir écoutée attentivement.
Acceptez-vous de répondre à une question, sénatrice McCallum?
Oui.
Sénatrice McCallum, vous avez expliqué clairement ce qui doit être changé et pourquoi. Au cours de toutes vos consultations, avez-vous trouvé d’autres moyens qui permettraient peut-être de remédier à la situation très grave abordée dans ce projet de loi?
En fait, cela figure dans mon deuxième discours, et je le dirai à ce moment-là, mais il n’y a pas d’autre solution. Nous devons amender le projet de loi. Lors de toutes les réunions qu’ils ont eues avec les ministres fédéraux, personne n’a voulu s’attaquer à ce problème. Ils ont laissé les Premières Nations dans une situation très vulnérable. Cela me semble intentionnel et je ne sais pas pourquoi ils agissent ainsi.
Ce qui m’inquiète, c’est l’image négative que cela donne des Premières Nations au reste du Canada, alors qu’elles sont totalement incapables de contrer la violence dans leurs communautés. Merci.