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Projet de loi sur l'unité de l'économie canadienne

Troisième lecture--Débat

26 juin 2025


L’honorable Hassan Yussuff [ - ]

Propose que le projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada, soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, si je donne l’impression d’un disque rayé aujourd’hui, ce n’est pas parce que votre ouïe est défaillante, mais parce que je risque de répéter certains des propos que j’ai tenus hier. Dans le contexte de ce débat, il est important, alors que nous arrivons à la fin, de réfléchir au projet de loi. Je vous rappellerai encore une fois que les hommes et les femmes qui ont bâti notre grand pays observent de très près les mesures que nous prendrons à l’égard de ce projet de loi important.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à titre de parrain du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada.

Chers collègues, il n’est pas surprenant qu’un projet de loi aussi important que le projet de loi C-5 ait reçu autant d’attention, et c’est normal. Les Canadiens se préoccupent beaucoup de la prospérité et de l’avenir de leur pays. Il nous appartient d’intégrer cette passion dans le travail que nous accomplissons dans ce lieu important.

Je suis fier de dire que je considère que nous y sommes parvenus. Ce travail transparaît dans les amendements adoptés à l’autre endroit et dans les éclaircissements que nous avons reçus de la part du ministre responsable.

Pour de nombreux Canadiens, cette année a été marquée par l’incertitude et la peur. La décision des États-Unis de lancer une guerre commerciale injustifiée contre nous a amené le gouvernement à se concentrer sur deux priorités : l’élimination des obstacles au commerce et la promotion de projets d’intérêt national à un rythme sans précédent.

Le projet de loi C-5 constitue une étape importante dans cette démarche. Il vise à libérer le potentiel de ce que le Canada peut offrir à ses citoyens et au reste du monde. Il s’agit de renforcer notre économie nationale en modernisant la façon dont nous faisons circuler les biens, les services et les gens au Canada. Il s’agit de mener à bien des projets d’intérêt national et, surtout, de le faire de manière à ce que tous les Canadiens, d’un océan à l’autre, puissent en bénéficier.

Le projet de loi C-5 comporte deux parties importantes : la première partie, la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada, est conçue pour éliminer les obstacles obsolètes qui empêchent les Canadiens de travailler là où les besoins sont les plus importants, de faire des affaires les uns avec les autres et de bâtir une économie nationale véritablement unifiée.

La deuxième partie facilite la réalisation des projets d’intérêt national dont le Canada a besoin, comme les chemins de fer, les aéroports, les ports, les pipelines, et ainsi de suite. Cette partie met l’accent sur les projets ayant la plus forte probabilité de mise en œuvre réussie, et elle facilite leur réalisation sans sacrifier nos obligations envers l’environnement et envers les peuples autochtones avec qui nous partageons le territoire.

Les problèmes que nous avons en ce qui a trait au commerce interprovincial et à la mobilité de la main-d’œuvre sont considérables. Le commerce intérieur représente près d’un cinquième de l’ensemble de l’économie canadienne, soit environ 530 milliards de dollars en biens et services. Cela concerne des millions de travailleurs, d’entrepreneurs et d’employeurs locaux, qui sont lésés par notre inaction de longue date face à cet enchevêtrement complexe de règles redondantes, d’incohérences réglementaires et d’impasses administratives. Si les efforts visant à éliminer les obstacles au commerce interprovincial se révèlent fructueux — et le projet de loi C-5 en est un élément clé — nous pourrions augmenter notre PIB de 200 milliards de dollars.

Ces obstacles existent depuis longtemps et, comme je l’ai dit lors de la deuxième lecture, ils ont eu une utilité pour les premiers ministres provinciaux qui les ont mis en place, une utilité liée aux circonstances de l’époque. En 2017, le gouvernement fédéral et les 13 provinces et territoires ont signé l’Accord de libre-échange canadien, ou ALEC, avec la ferme intention de régler ce problème et de faire tomber ces barrières. Malheureusement, étant donné les cent et quelques pages de dérogations possibles annexées à l’accord, les barrières sont en grande partie restées intactes.

C’est précisément la raison pour laquelle j’ai été très encouragé par la rencontre des premiers ministres qui a eu lieu plus tôt ce mois-ci, à Saskatoon. Les premiers ministres libéraux, conservateurs et néo-démocrates qui se sont réunis avaient un objectif commun : renforcer et unifier l’économie canadienne sans nuire à l’objectif de ces efforts. Les premiers ministres ont donc demandé à leurs ministres de conclure un accord de reconnaissance mutuelle complet d’ici décembre prochain, et ils se sont entendus pour adopter une norme de 30 jours pour la reconnaissance des titres de compétences pancanadiens et pour étendre rapidement la reconnaissance mutuelle dans le secteur du camionnage. Les provinces sont d’accord. La Nouvelle-Écosse, la Colombie-Britannique, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard, l’Ontario, le Manitoba et le Québec ont adopté des dispositions législatives visant la reconnaissance mutuelle à l’égard des biens et l’accélération de la mobilité de la main-d’œuvre sur le territoire des provinces visées par la reconnaissance mutuelle.

Le gouvernement fédéral apporte aussi sa contribution. Depuis 2017, il a supprimé près de 70 % des exceptions prévues dans l’Accord de libre-échange canadien, et il a présenté le projet de loi dont nous sommes saisis pour faire avancer les choses et éliminer les obstacles que le gouvernement fédéral peut enlever. Cet effort pour éliminer les obstacles au commerce interprovincial exige un leadership fédéral coordonné afin d’unifier les efforts des provinces et de transformer nos économies provinciales et territoriales fragmentées en une économie nationale unifiée grâce à la collaboration et au respect de toutes les compétences concernées.

Chers collègues, soyons clairs. Le projet de loi C-5 ne mine pas les pouvoirs des provinces; il les respecte. Il offre un modèle renouvelé d’intervention fédérale, un modèle fondé sur le partenariat et la reconnaissance mutuelle, conçu pour simplifier le système et faire en sorte que les choses fonctionnent plus efficacement pour tous dans notre pays.

Ce projet de loi propose un cadre dans lequel le gouvernement fédéral reconnaîtra les titres de compétences obtenus dans les provinces et les territoires sans imposer d’exigences supplémentaires. Dans la pratique, cela n’aura d’incidence que sur un petit nombre de professions, car il n’y a pas beaucoup de chevauchements à cet égard. Cependant, il fournit un modèle qui pourrait être utilisé par nos partenaires provinciaux et territoriaux dans le cadre de leurs efforts visant à mettre en œuvre l’engagement pris par les premiers ministres d’atteindre une norme de service de 30 jours pour la reconnaissance des titres de compétences.

Le projet de loi C-5 permettra de prendre des mesures concrètes pour rendre le marché intérieur du Canada plus harmonisé et plus unifié. Il établira un cadre pour la reconnaissance mutuelle des biens et des services, de sorte que si un produit répond à la norme d’une province et que cette norme est comparable, il sera accepté au fédéral. On permettra ainsi de réduire les redondances, d’atténuer les tracasseries administratives et d’ouvrir des débouchés aux entreprises de tout le pays. Il en résultera des entreprises plus vigoureuses, des coûts moins élevés pour les consommateurs, des salaires plus élevés pour les travailleurs et une économie qui tirera pleinement parti de son potentiel.

Les objectifs de la partie 1 du projet de loi vont de pair avec ceux de la partie 2, intitulée Loi visant à bâtir le Canada. Essentiellement, la partie 2 du projet de loi vise à accélérer la mise en œuvre des projets d’intérêt national, qui prend actuellement plus de cinq ans, tout en maintenant les normes les plus élevées en matière de transparence, de responsabilité et de respect de l’environnement, ainsi qu’à l’égard des peuples autochtones avec lesquels nous partageons le territoire.

La partie du projet de loi intitulée « Loi visant à bâtir le Canada » prévoit cinq critères que le gouverneur en conseil peut prendre en considération pour déterminer si un projet est dans l’intérêt national : s’il renforce l’économie, la résilience et la sécurité du Canada; s’il procure des avantages économiques ou autres aux Canadiens; s’il a de fortes chances d’être réalisé; s’il promeut les intérêts des peuples autochtones; et s’il contribue à une croissance propre et aux objectifs du Canada en matière de changements climatiques.

Cette partie du projet de loi met l’accent sur la nécessité de concrétiser des projets rapidement et efficacement sans sacrifier les normes environnementales ni renoncer à la consultation sérieuse et continue des peuples autochtones. Les projets d’édification nationale ne seront mis en œuvre qu’après que les voix des Autochtones auront été entendues, dans un esprit de véritable partenariat entre nations. Les droits des peuples autochtones garantis par l’article 35 sont reconnus par la Constitution et respectés dans le cadre de cette mesure législative.

Bien que le projet de loi permette, à mon avis, d’accomplir beaucoup de bonnes choses, il est également important d’expliquer ce qu’il ne fait pas. Le projet de loi C-5 ne passe en aucun cas outre à la compétence des provinces, qui sont maîtresses de leurs propres affaires. Il permet plutôt au gouvernement fédéral de se retirer lorsque ses exigences sont redondantes. Le projet de loi C-5 ne supprime pas non plus la surveillance environnementale et l’intégrité réglementaire, contrairement à ce qui a été suggéré à plusieurs reprises. Les projets d’édification nationale visés par la partie intitulée « Loi visant à bâtir le Canada » continueront de faire l’objet d’examens environnementaux rigoureux et de s’appuyer sur les données scientifiques les plus fiables et les contributions locales. Ils ne seront pas réalisés au détriment de la terre, des eaux et de l’air dont nous sommes si fiers.

Presque depuis le début de l’année, les Canadiens se demandent ce qu’il faut faire maintenant, alors que le monde où nous vivons est complètement chamboulé. Ils se tournent vers leurs dirigeants, et nous devons répondre à leurs attentes. Sans avoir toutes les réponses, j’en ai une importante : il faut bâtir un Canada meilleur. Il faut faciliter la réalisation de projets qui créent des emplois de qualité et qui offrent des salaires décents et l’espoir d’un avenir meilleur pour les Canadiens, tout en veillant à ne pas sacrifier les valeurs fondamentales qui font de nous des Canadiens, comme le respect de l’environnement et le respect des peuples autochtones avec qui nous partageons ce grand pays.

Dans ce contexte où beaucoup de Canadiens ressentent du stress et de l’anxiété quand ils pensent à l’avenir, je crois que le projet de loi C-5 apporte un réconfort plus que nécessaire, car il montre que le gouvernement est déterminé à assurer une prospérité durable à tous les Canadiens, qu’ils travaillent sur les plateformes pétrolières ou dans les mines, qu’ils soient pêcheurs ou ouvriers, travaillent à la fabrication d’automobiles ou dans une aciérie. Ce projet de loi vise à susciter l’espoir dans notre avenir collectif.

Chers sénateurs, l’avenir de nos collectivités est entre nos mains. Les générations qui nous ont précédés ont construit les routes, les chemins de fer, les ports, les industries et les cadres juridiques qui nous ont permis d’arriver jusqu’ici. Ce projet de loi ouvre la voie à une prospérité économique autosuffisante pour le Canada, ce qui nous permettra de bâtir un avenir où tous les Canadiens pourront dormir sur leurs deux oreilles.

Hier soir, au moment de me coucher, j’ai pensé au camionneur qui a pris le volant de son semi-remorque à minuit pour conduire pendant 16 heures d’un coin à l’autre du pays afin de livrer des marchandises pour nous, les Canadiens, et qui ne sait pas exactement s’il aura une vie meilleure si nous adoptons ce projet de loi. Pensez aux travailleurs du secteur de l’automobile licenciés en Ontario sans qu’ils y soient pour quoi que ce soit, à cause des droits de douane imposés par les États-Unis. Pensez aux sidérurgistes dont l’usine a fermé à cause des droits de douane de 25 % imposés à leur industrie, ou encore aux travailleurs de l’aluminium qui ne peuvent plus aller travailler parce que leur usine est à l’arrêt. Pensez aux aciéries d’Hamilton qui viennent d’être fermées parce qu’elles ne peuvent plus expédier leurs produits aux États-Unis et qu’elles n’ont donc plus de raison d’être.

Je pourrais parler longuement des hommes et des femmes qui sont touchés par les mesures commerciales prises par notre ami et allié le plus proche, mais comme on dit, ce n’est pas en se lamentant qu’on résout les problèmes. Ce projet de loi vise à reprendre en main tout ce qui est possible afin de rendre notre pays meilleur. Il est dans l’intérêt des millions de travailleurs qui ont voté lors des dernières élections dans l’espoir que nous ferions mieux. Ce projet de loi vise à respecter cet engagement. Les travailleurs ont envoyé leurs élus au Parlement dans l’espoir qu’ils feront mieux en leur nom.

Chers collègues, je tiens à remercier chacun de vous pour le travail que nous avons accompli en comité plénier. Votre travail a permis d’améliorer ce projet de loi. Je tiens également à remercier les témoins qui ont pris le temps de venir nous faire part de leur point de vue. Leur contribution a été extrêmement précieuse pour la mise au point du projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui, car nos collègues de l’autre endroit ont apporté à celui‑ci un certain nombre d’amendements qui l’ont considérablement amélioré.

Honorables sénateurs, je vous invite à appuyer avec moi le projet de loi C-5, une mesure qui bénéficie de l’appui de tous les premiers ministres provinciaux et territoriaux du pays, sans exception, et qui a été adopté de façon retentissante par la Chambre élue, conformément au mandat que lui a confié une énorme majorité de Canadiens. Vous avez maintenant l’occasion de créer un Canada plus fort, plus uni et plus prospère. C’est à vous de jouer. Je vous demande d’appuyer ce projet de loi. Merci beaucoup.

L’honorable Julie Miville-Dechêne [ - ]

Sénateur Yussuff, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Yussuff [ - ]

Oui.

La sénatrice Miville-Dechêne [ - ]

Je vous remercie pour votre discours qui vient du cœur, sénateur Yussuff.

J’ai une question technique à vous poser; j’en ai parlé hier dans mon discours et cela concerne l’amendement touchant le Québec.

Dans cet amendement, on mentionne qu’on demandera le consentement écrit du Québec quand un projet national touchera un domaine de compétence provinciale exclusive; c’est très clair dans l’amendement. Cela dit, qu’arrivera-t-il si le projet en question touche des intérêts relatifs à des compétences partagées, comme l’environnement? On sait qu’il y a plusieurs compétences partagées entre le gouvernement fédéral et le Québec. Dans ce cas, le gouvernement fédéral ira-t-il de l’avant, ou demandera-t-il un consentement écrit?

Le sénateur Yussuff [ - ]

Merci beaucoup. Il va sans dire que l’avis des administrations provinciales concernées est essentiel à l’approbation de tout projet fédéral au Canada. Les délibérations des premiers ministres provinciaux ont clairement établi que ces derniers souhaitent réaliser des projets nationaux sans pour autant renoncer à leurs propres compétences en cours de route. Au Québec, cela n’a pas été clarifié. Toutefois, en ce qui concerne les réglementations environnementales au Québec et à l’échelon fédéral, les deux gouvernements devront s’entendre sur la manière dont les projets seront menés, sachant que chaque administration a des normes qui diffèrent de celles de l’autre.

Dans le contexte de la poursuite de ce projet, la compétence n’est pas compromise, mais on a l’assurance que les deux gouvernements travailleront de concert. À moins que ces projets n’aient un certain degré de certitude quant à leur mise en œuvre, on s’entend pour dire que le gouvernement fédéral les laissera tomber, car ils seront bloqués devant les tribunaux en raison de différends juridiques entre la province concernée et le gouvernement fédéral.

La sénatrice Miville-Dechêne [ - ]

Vous ne répondez pas précisément à ma question, donc j’imagine que vous considérez que tout cela va se faire au moment des négociations.

J’aimerais savoir ceci : on a dit que cela se ferait de façon automatique, mais est-ce que ce n’est pas forcément dans le projet de loi? Lorsque le Québec demandera de faire l’évaluation gouvernementale d’un projet, l’évaluation gouvernementale du gouvernement fédéral s’ajoutera-t-elle au processus, ce qui pourrait prolonger les délais? Est-ce que l’on considérera que l’évaluation environnementale du Québec — on sait que ces évaluations sont très poussées — sera suffisante pour lancer un projet?

Le sénateur Yussuff [ - ]

Merci encore de me poser la question. Je ne veux pas vous donner une réponse erronée, mais je crois que lorsque les compétences se chevauchent en matière d’évaluation environnementale, le gouvernement fédéral et la province doivent s’entendre sur la compétence et la réglementation qui présideront à l’évaluation du projet.

L’honorable Mary Coyle [ - ]

Sénateur Yussuff, je tiens à vous remercier sincèrement de votre leadership et de votre travail sur le projet de loi C-5. C’est une mesure législative très importante, mais controversée.

Comme presque tous les matins, j’ai écouté l’émission radio de CBC Halifax animée par Portia Clark. Oui, elle travaillait autrefois à Edmonton, mais nous l’avons rapatriée. Mon député, Jaime Battiste, était son invité pour parler du projet de loi C-5 et de la controverse que cette mesure législative suscite en partie, surtout chez les titulaires de droits autochtones. Il a souligné, dans cette entrevue, que le projet de loi C-5 se veut une loi-cadre habilitante et que l’article 35 et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones doivent être — et seront — honorés et respectés. Il a aussi évoqué les consultations qui auront lieu cet été auprès des titulaires de droits autochtones et des groupes environnementaux.

Sénateur Yussuff, vous me connaissez : je suis toujours emballée par les possibilités d’améliorer la prospérité des Canadiens et par les mesures qui peuvent réduire les formalités administratives inutiles et, comme vous l’avez dit, bâtir un Canada meilleur afin de raviver l’espoir chez les Canadiens partout au pays. Je suis toutefois curieuse de savoir si vous êtes maintenant en mesure de nous donner une idée précise de ce à quoi nous pouvons nous attendre cet été. Disons que nous adoptons le projet de loi, et nous le ferons probablement dans cette enceinte aujourd’hui même, à quoi ressembleront les consultations prévues avec les titulaires de droits autochtones? Avez-vous des détails à nous donner à ce sujet? Aussi, qu’en est-il des consultations avec les groupes environnementaux?

Le sénateur Yussuff [ - ]

Je vous remercie de la question. J’espère que, lorsque le premier ministre rencontrera les titulaires de droits et les dirigeants autochtones de tout le pays, comme il s’est engagé à le faire, il entendra, avec éloquence et clarté, qu’il est fondamental pour le Canada de veiller au respect des droits enchâssés dans la Constitution et inscrits dans le cadre juridique de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Chaque communauté aura une approche différente. Nous ne sommes pas un pays monolithique, pas plus que les peuples autochtones. Cependant, on s’attend, je l’espère, à ce que le premier ministre en apprenne beaucoup en écoutant et en comprenant ce qu’on attend de lui et de son gouvernement au fur et à mesure que nous progresserons dans la réalisation de projets nationaux.

Si nous échouons, ce sera désastreux pour les efforts que nous avons déployés jusqu’à présent pour la réconciliation avec les communautés autochtones du Canada. J’espère que le nouveau premier ministre apprendra beaucoup des gens qu’il rencontrera, ainsi que de leurs attentes à notre égard en tant que Canadiens et de la façon dont nous interagissons avec eux si nous voulons bâtir, développer et faire croître ce pays. Ces personnes veulent également s’assurer que la réussite du pays profite à leur communauté. Les ressources de leurs communautés seront exploitées, mais est-ce qu’elles en bénéficieront si elles choisissent de donner leur appui?

J’espère qu’au cours de l’été, le premier ministre apprendra beaucoup de choses et qu’il nous informera de ce que nous devons faire pour nous assurer de prendre les bonnes décisions. En tant que nouveau premier ministre de notre pays, il est évidemment important qu’il entende ces voix et qu’il comprenne bien comment ces communautés perçoivent la protection de leurs droits. Nous nous engageons collectivement sur une nouvelle voie pour faire du Canada un endroit encore meilleur pour nous tous, et pas seulement pour certains d’entre nous.

La sénatrice Coyle [ - ]

Merci beaucoup, sénateur Yussuff. Je n’ai rien entendu au sujet d’une rencontre avec des groupes environnementaux. D’après ce qu’a dit mon député, j’ai cru comprendre que cela serait également le cas. C’est donc une question qui reste en suspens depuis ma dernière intervention.

Deuxièmement, l’une des questions qui préoccupent de nombreux sénateurs — comme vous le savez, nous en discutons tous entre nous —, c’est qu’on nous demande de faire un acte de foi considérable. Le délai est très court. Nous ne sommes pas en mesure d’étudier ce projet de loi avec la même rigueur qu’il le faudrait normalement. Je conviens que le processus au comité plénier a été très fructueux, mais il a été précipité. On nous demande donc de faire un acte de foi. Nous avons affaire à un projet de loi de type « faites-moi confiance ».

Je suis curieuse d’entendre ce que vous allez répondre aux questions suivantes : outre les consultations avec les groupes environnementaux qui auront lieu cet été, avez-vous discuté avec le gouvernement de la préoccupation que nous avons ici, en tant que sénateurs, quant à notre capacité à remplir notre rôle comme nous le souhaitons? Que pouvons-nous retenir de cette expérience, question de pouvoir, à l’avenir, travailler main dans la main avec le gouvernement — au besoin et de la manière dont nous le souhaitons — et d’ainsi adopter les meilleurs projets de loi possible pour les Canadiens?

Le sénateur Yussuff [ - ]

Je vous remercie une fois de plus. Je suis ici depuis quatre ans. Ce n’est pas très long, mais j’en ai appris beaucoup sur les hommes et les femmes avec lesquels je travaille. Certains jours, j’ai l’impression d’en savoir beaucoup, et à d’autres moments, de ne rien savoir du tout. Nous avons tous, dans une large mesure, des conceptions différentes du travail que nous faisons ici.

Chaque fois que nous traitons un projet de loi à la fin d’une session, nous craignons d’avoir été poussés à travailler à la hâte. Je ne suis pas comme la plupart d’entre vous, car j’ai souvent négocié des conventions collectives alors que l’heure limite de minuit approchait. Je connais donc le sentiment d’urgence qu’on ressent quand il faut déterminer ce qu’il faudra faire avant minuit. J’ai souvent eu la grande chance que minuit ne soit pas vraiment minuit, même si je devais tenir compte de l’heure.

Or, alors que nous devons adopter ce projet de loi très important, nous devons tous nous rappeler, nous qui chérissons ce grand pays, qu’il faut avoir confiance les uns envers les autres.

Je fais confiance à mes collègues sénateurs chaque jour quand je viens travailler. Même si je ne souhaite pas forcément aller boire un verre avec vous à chaque occasion, je vous fais pleinement confiance, sans hésiter, car je crois que nous sommes des personnes bien intentionnées qui voulons faire ce qui est juste. Oui, ce projet de loi exige une certaine confiance, mais cette confiance est renforcée par les amendements qui ont été apportés à l’autre endroit afin d’améliorer le projet de loi dans la mesure du possible.

Pourrait-on faire plus? On peut toujours faire plus, mais je crois que, dans le contexte de nos fonctions, nous devons également nous demander si nous nous faisons le meilleur travail possible en adoptant ce projet de loi. Je peux dire en toute sincérité que je le crois.

Sénateur Yussuff, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Yussuff [ - ]

Certainement.

Merci. La soi-disant clause « Henry VIII », c’est-à-dire les articles 21 à 23, autorise le Cabinet à prendre des règlements qui viendraient supplanter d’autres instruments législatifs, notamment la Loi sur les pêches et la Loi sur les espèces en péril. Ce pouvoir dépasse largement ce que dit la Cour suprême du Canada dans Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre. Les instances judiciaires n’ont pas confirmé que le Parlement peut conférer au Cabinet le pouvoir de modifier ou de faire varier l’application des lois à l’origine de ce pouvoir.

Est-il vraiment nécessaire de demander aux parlementaires des deux Chambres de laisser tomber le travail qu’ils ont fait et d’autoriser le Cabinet à modifier les lois qu’ils ont adoptées pour que le projet de loi C-5 atteigne ses objectifs?

Le sénateur Yussuff [ - ]

Je vous remercie de votre question. Nos collègues de l’autre endroit ont examiné cette partie du projet de loi et ont apporté des modifications afin de garantir une surveillance parlementaire des lois que nous avons adoptées pour protéger l’environnement, les espèces en péril et d’autres règlements et mesures législatives pertinentes, de sorte qu’aucun ministre ne puisse avoir le pouvoir de simplement passer outre la surveillance du Parlement. Comme d’autres l’ont souligné précédemment, nous devons reconnaître que ce que nos collègues de l’autre endroit ont fait renforce considérablement le projet de loi. Peut-être que certaines parties du projet de loi devaient être rectifiées, et c’est ce que nos collègues de l’autre endroit ont fait.

Merci beaucoup. En guise de question complémentaire, sénateur Yussuff, pouvez-vous nous dire quel angle de vue a été choisi pour respecter les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées afin d’examiner le type de dérogation que vous nous demandez d’accorder au Cabinet à l’égard des lois déjà en vigueur?

Le sénateur Yussuff [ - ]

Encore une fois, je vous remercie de la question.

Il ne fait aucun doute que l’article 35 a été renforcé dans la loi et clarifié davantage grâce aux amendements apportés à l’autre endroit. Cela est fondamental pour nos relations avec les communautés autochtones de ce pays. Je ne pense pas que ce projet de loi vise à modifier notre approche en matière de réconciliation. Il reconnaît cette approche. De plus, le premier ministre s’est engagé à rencontrer personnellement les communautés de tout le pays afin de les écouter, de les consulter et de veiller à ce que le pays ne s’écarte pas de la voie qu’il a empruntée pour continuer à bâtir une nation plus unifiée tout en reconnaissant les leçons que nous pouvons tirer du passé.

Je crois que ce projet de loi comprend déjà ces principes fondamentaux, qui ont été clarifiés grâce aux amendements de nos collègues de l’autre endroit. Le premier ministre va rencontrer les dirigeants autochtones de tout le pays. J’espère que cela permettra de renforcer davantage les éléments qui ont pu nous échapper. Nous en saurons plus à ce sujet lorsqu’il rencontrera les communautés dans l’ensemble du pays.

L’honorable David Richards [ - ]

Samuel Johnson, le grand intellect du XVIIIe siècle, disait que la chose la plus grossière qu’une personne puisse faire était de citer quelque chose que quelqu’un a dit pour l’utiliser contre lui. Malheureusement, ce credo est souvent ignoré en politique. Or, nous avons les mêmes ministres à l’autre endroit, avec des portefeuilles légèrement différents, qui ont tous défendu avec enthousiasme le projet de loi C-69 et qui applaudissent aujourd’hui le projet de loi C-5. Je vais voter pour le projet de loi C-5. Nous en avons besoin. C’est un projet de loi très important et nous devons le faire adopter. Malheureusement, je ne sais pas si leur manque de prévoyance dans le cas du projet de loi C-69 a causé la crise qu’ils essaient maintenant d’atténuer et si nous pouvons leur faire confiance. Je me demande pourquoi nous devrions leur faire confiance, sénateur, et si les choses vont s’améliorer.

Le sénateur Yussuff [ - ]

Merci encore pour cette question. Je suppose que c’est une question.

Je n’ai pas participé aux délibérations sur le projet de loi C-69; je n’étais pas ici, mais le projet de loi C-5 reconnaît que nous devons faire beaucoup mieux dans notre approche pour réaliser des projets nationaux. D’après les données dont nous disposons, cela prend beaucoup trop de temps. Je suis certain que, alors que nous nous apprêtons à adopter le projet de loi C-5, le gouvernement devra se demander si d’autres lois pourraient être touchées. Je ne le sais pas. Ce point n’a certainement pas été soulevé, même s’il a été suggéré dans cette assemblée. Je suis sûr que le gouvernement a bien en tête le projet de loi C-69 et ses interactions possibles avec le projet de loi C-5.

Y a-t-il des contradictions? Je ne le sais pas, mais s’il y en a, je suis sûr que nous en débattrons dans cette enceinte si le gouvernement propose des modifications à toute autre loi qu’il nous faudrait examiner. Donc, sénateur Richards, j’espère que le Sénat appuiera ce projet de loi, mais, en même temps, en ce qui concerne ses interactions avec d’autres lois, je ne suis pas ici pour répondre à ces questions. Je ne le sais pas forcément. Je ne dispose d’aucune analyse pour vous fournir des réponses claires.

L’honorable Brian Francis [ - ]

Honorables sénateurs, j’aimerais d’abord souligner que je prends la parole sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe. Ce faisant, je veux reconnaître notre responsabilité collective non seulement d’honorer les contributions passées et présentes des premiers habitants de cette région, mais aussi de protéger et de faire respecter leurs droits. Ces résultats ne peuvent être atteints que par un engagement sincère et des actions significatives, et c’est quelque chose dont nous devrions nous souvenir lors de nos délibérations.

Aujourd’hui, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-5, officiellement intitulé Loi sur l’unité de l’économie canadienne, qui combine deux mesures différentes.

La partie 1 est la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada. Elle vise à éliminer les obstacles fédéraux à la circulation des biens, des services et de la main-d’œuvre.

La partie 2, la Loi visant à bâtir le Canada, a pour but de rationaliser l’approbation et la construction de grands projets que le Cabinet fédéral juge être dans l’intérêt national.

Avant d’aborder le contenu et les incidences des parties 1 et 2, je souhaite commenter le processus utilisé pour élaborer et, bientôt, mettre en œuvre ce projet de loi.

Déposé le 6 juin par l’honorable Dominic LeBlanc, ministre responsable du Commerce Canada–États-Unis, des Affaires intergouvernementales et de l’Unité de l’économie canadienne, le projet de loi a été examiné et modifié par le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités de la Chambre des communes pendant deux jours, soit environ 12 heures au total, avant d’être à nouveau amendé, débattu et finalement adopté à la Chambre des communes le lendemain, le 20 juin.

Alors que le projet de loi était encore à l’étude à l’autre endroit, le Sénat a autorisé un comité plénier à étudier la teneur du projet de loi C-5 pendant trois jours consécutifs, pour un total d’environ huit heures. Le Sénat a également convenu de tenir un vote final au plus tard le vendredi 27 juin.

Étant donné que la Chambre des communes a ajourné jusqu’au 15 septembre et que la convention veut que l’on se conforme à sa volonté, il semble presque inéluctable que le Sénat s’empresse lui aussi à adopter le projet de loi. Nous fonçons à toute allure, sans frein apparemment, vers la date butoir arbitraire du 1er juillet qui a été fixée par le premier ministre.

Pourquoi nous précipitons-nous à adopter un projet de loi aussi important qui mérite d’être examiné attentivement? Nous avions l’option de ralentir le processus. C’est le message que la Cheffe nationale Cindy Woodhouse Nepinak a clairement envoyé la semaine dernière. Elle nous a demandé de prendre le temps de faire les choses correctement et nous a rappelé que c’est ainsi que nous construirons un pays meilleur, soit en écoutant, en travaillant ensemble et en ne précipitant pas la réconciliation.

Chers collègues, le recours à une procédure aussi précipitée pour un projet de loi aussi radical et potentiellement dangereux est préoccupant. Je n’ai certainement jamais rien vu de tel depuis ma nomination. À tout le moins, nous devrions être très préoccupés par le fait que notre accord collectif, même s’il est seulement tacite, de procéder de cette manière risque de miner la confiance du public dans notre institution.

Nous avons tous été nommés au Sénat pour examiner soigneusement et minutieusement les projets de loi adoptés à l’autre endroit. Notre rôle est de nous concentrer sur les intérêts à long terme de nos régions et du Canada, ainsi que de donner une voix aux groupes sous-représentés comme les peuples autochtones.

En ce moment, je ne peux m’empêcher de me demander si nous avons vraiment assumé ces responsabilités, non seulement en principe, mais aussi en pratique. La vitesse à laquelle nous faisons progresser le projet de loi C-5 donne l’impression que nous sommes ici uniquement pour approuver aveuglément les projets de loi du gouvernement fédéral plutôt que pour les examiner attentivement et, si nécessaire, les amender. Quand nous n’accomplissons pas correctement notre devoir d’assurer un second examen objectif, nous devenons responsables des conséquences imprévues mais prévisibles qui peuvent s’ensuivre.

Aucun d’entre nous ne veut entendre de telles choses, et j’aimerais ne pas avoir à les dire. Cependant, ce serait une erreur de ne pas tenir compte des critiques qui nous sont adressées pour nos actions — ou plutôt notre inaction — en lien avec le projet de loi. Nous tous ici présents, ainsi que le grand public, n’avons pas eu le temps d’examiner attentivement et minutieusement le fond et l’incidence du projet de loi.

La semaine dernière, la Cheffe nationale Woodhouse Nepinak a dit au Sénat que l’Assemblée des Premières Nations avait eu sept jours pour fournir des commentaires sur un aperçu du projet de loi qui ne comprenait pas les dispositions finales. Pendant ce temps, de nombreuses collectivités étaient aux prises avec les répercussions des incendies de forêt et d’autres crises, aggravées par l’indifférence et la négligence constantes du gouvernement fédéral. De même, Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, nous a dit que son organisation s’était vu accorder un court délai.

Il est tout à fait inacceptable que le Canada s’attende à ce que les peuples autochtones, qui sont souvent confrontés à des défis en matière de capacité et de ressources, examinent et évaluent correctement les répercussions de mesures législatives sans avoir eu suffisamment de temps pour les comprendre au préalable.

Les peuples autochtones, qui sont censés être respectés en tant que partenaires égaux dans le cadre de relations de nation à nation, ont été complètement mis de côté sur une question qui pourrait profondément affecter leurs droits collectifs. En revanche, le premier ministre Mark Carney et le Cabinet fédéral ont rencontré les premiers ministres des provinces et des territoires dès le mois de mai afin de discuter de la proposition visant à accélérer les projets d’intérêt national au Canada.

Nous n’en serions pas là aujourd’hui si les peuples autochtones avaient eu une chance égale de participer à l’élaboration et à la rédaction du projet de loi sur l’unité de l’économie canadienne.

Chers collègues, le premier ministre et son gouvernement ont soutenu à maintes reprises que les électeurs, y compris les peuples autochtones, leur avaient donné le mandat démocratique d’agir et de réagir de toute urgence à une crise provoquée par les États-Unis, y compris le pouvoir de se donner à toute vitesse des pouvoirs considérables et sans précédent.

Même si nous acceptions l’hypothèse discutable selon laquelle un tel mandat démocratique existe, n’est-il pas risqué et imprudent de donner un pouvoir discrétionnaire aussi vaste à l’exécutif sans prendre le temps d’en comprendre pleinement les conséquences?

Jocelyn Stacey, professeure de droit à l’Université de la Colombie-Britannique, a déclaré dans un récent article d’opinion :

Nous vivons peut-être une période de crise mondiale, mais nous ne devons pas laisser les législateurs renoncer aux procédures et garanties juridiques.

Je suis tout à fait d’accord.

Les pressions économiques exercées par les États-Unis ne justifient pas une prise de pouvoir urgente qui érode les garanties juridiques dont bénéficient les communautés et l’environnement sous prétexte de rapidité et de nécessité. Cela ne veut pas dire que de nombreux travailleurs et entreprises ne sont pas durement touchés. Ils ont besoin de notre soutien. Cependant, il est trompeur de présenter l’adoption du projet de loi à l’étude comme une réponse nécessaire à une crise urgente.

Nous ne pouvons pas sacrifier des garanties essentielles et des partenariats authentiques au profit d’intérêts politiques et commerciaux. Nous risquons de créer un dangereux précédent en permettant au gouvernement de se soustraire aussi facilement au contrôle parlementaire et public.

Au-delà des problèmes causés par la précipitation du processus parlementaire, j’aimerais maintenant me pencher sur le contenu et les répercussions réelles du projet de loi C-5.

Tout d’abord, je vais expliquer pourquoi j’appuie la partie 1, qui porte sur la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada, malgré quelques réserves. En dernier lieu, et c’est peut-être le point le plus important, je vais expliquer pourquoi je ne peux pas, en toute conscience, appuyer la partie 2, qui porte sur la Loi visant à bâtir le Canada.

Chers collègues, la partie 1 du projet de loi C-5, également connu sous le nom de Loi sur l’unité de l’économie canadienne, vise à édicter la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada.

Afin de réduire les obstacles de longue date au commerce et à la mobilité de la main-d’œuvre au Canada, le projet de loi propose de créer un cadre de reconnaissance mutuelle pour qu’un bien, un service ou un travailleur qui répond aux exigences d’une province ou d’un territoire soit considéré comme répondant aux normes fédérales, à condition de répondre à certains critères pour être considéré comme comparable. Plus précisément, l’exigence provinciale ou territoriale doit porter sur le même élément ou aspect, ou viser à atteindre un objectif semblable par rapport à l’exigence fédérale correspondante.

À l’heure actuelle, les exigences incohérentes des provinces et des territoires créent des obstacles qui empêchent les travailleurs d’exercer leur métier ou leur profession, les entreprises de transporter et de vendre des biens et des services, et les clients d’acheter librement partout au Canada. La Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada pourrait, entre autres, aider à simplifier les exigences concernant la délivrance de permis et la conformité en matière de sécurité pour les camionneurs, ce qui contribuerait à atténuer les pénuries de main-d’œuvre, à réduire les coûts et à améliorer les livraisons partout au Canada. Par ailleurs, il pourrait éliminer les exigences réglementaires redondantes, notamment en ce qui concerne les vérifications de sécurité, afin de réduire les coûts et d’accroître la compétitivité des entreprises de camionnage.

En raison des conséquences durables des droits de douane injustifiés imposés par les États-Unis sur certains produits importés du Canada, en particulier dans les secteurs de l’automobile, de l’aluminium et de l’acier, de plus en plus de voix s’élèvent pour demander à tous les pouvoirs publics de soutenir les travailleurs et les industries qui sont touchés.

Le cadre de reconnaissance mutuelle a été présenté comme une solution potentielle. En fait, la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada s’appuie sur des lois provinciales semblables.

Par exemple, l’Île-du-Prince-Édouard a adopté le 16 mai le projet de loi no 15, intitulé Interprovincial Trade and Mobility Act, afin de supprimer les restrictions liées au commerce et à la main-d’œuvre en partenariat avec les autorités s’accordant la réciprocité.

Selon le premier ministre Rob Lantz, cette mesure législative reflète l’engagement global de la province à adopter une approche du type « Équipe Canada », en plus d’ouvrir la voie à une collaboration étroite avec d’autres administrations afin de créer une économie nationale unifiée plutôt que 13 économies distinctes.

À ma connaissance, l’Île-du-Prince-Édouard a déjà conclu des accords avec la Nouvelle-Écosse et l’Ontario, et d’autres suivront assurément.

L’incidence de la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada pourrait être considérable.

L’année dernière, le Forum des politiques publiques a publié un document dans lequel il affirmait que, du fait de sa taille plus petite et de sa plus grande dépendance à l’égard du commerce intérieur que d’autres régions du pays, le Canada atlantique tirerait des avantages considérables de l’élimination des obstacles au commerce intérieur.

L’Île-du-Prince-Édouard, en particulier, pourrait voir son PIB augmenter de 16,2 %. Le Forum des politiques publiques a également cité les conclusions tirées par les professeurs Trevor Tombe et Jennifer Winter de l’Université de Calgary en 2021. Selon eux, une modeste réduction de 10 % des obstacles au commerce interprovincial dans les Maritimes pourrait augmenter les revenus de l’Île-du-Prince-Édouard de 1,8 % et faire bondir l’emploi de 2,6 %.

Nous ne savons pas encore si cette croissance se concrétisera, mais si c’est le cas, elle pourrait transformer cette petite province. C’est en raison de ces avantages économiques potentiels que j’appuie les objectifs du projet de loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada.

Cela dit, je pense que nous devons rester prudents. Nous avons entendu à maintes reprises que la suppression des obstacles internes au commerce pourrait faire grimper le PIB du Canada de 200 milliards de dollars par an. Cependant, ces chiffres, comme d’autres, sont peut-être trop beaux pour être vrais.

C’est certainement l’argument avancé par le Centre canadien de politiques alternatives, qui soutient qu’en raison de l’utilisation d’hypothèses problématiques :

[...] les affirmations concernant les obstacles internes au commerce sont largement exagérées et souvent formulées de manière très générale, sans exemples concrets ni intuition quant à la manière dont les changements politiques pourraient favoriser la croissance.

S’il est compréhensible de garder espoir ou d’être optimiste quant au potentiel inexploité qui pourrait être libéré par la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et par des lois provinciales similaires, je pense que nous devons être honnêtes avec nous-mêmes et avec la population en général.

Nous ne pouvons pas non plus faire fi des inquiétudes suscitées par la partie 1 du projet de loi C-5, laquelle pourrait être utilisée pour diluer les exigences fédérales plus strictes dans des domaines tels que la protection de l’environnement et la sécurité des consommateurs, ou encore créer une mosaïque de normes dans des domaines essentiels tels que la construction et les transports.

Par conséquent, il est extrêmement important que les parlementaires suivent de près la mise en œuvre de la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada dès son entrée en vigueur. Nous devrons surveiller de près la manière dont le gouvernement exerce son vaste pouvoir réglementaire afin d’éviter un éventuel nivellement par le bas si les normes destinées à protéger les personnes et l’environnement ne sont pas progressivement abaissées.

Récemment, le Conseil des viandes du Canada a mis en garde que le projet de loi C-5 pourrait saper les normes fédérales en matière de santé et de sécurité en permettant aux règlements provinciaux de se substituer à la réglementation fédérale. Par exemple, le remplacement des règles fédérales d’inspection des viandes pourrait menacer les exportations de viande rouge, car les partenaires commerciaux pourraient perdre confiance dans notre système national d’assurance de la salubrité des aliments. L’importance de préserver la réglementation fédérale dans les domaines où la santé et la sécurité constituent une grave préoccupation ne peut être sous-estimée.

La transition vers un cadre de reconnaissance mutuelle en vertu de la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada exigera beaucoup de travail. Il est essentiel que le gouvernement fédéral agisse de manière responsable et équitable afin d’éviter toute confusion ou tout retard dans la réglementation et de ne pas compromettre la santé et le bien-être des Canadiens.

Chers collègues, j’aimerais maintenant parler de la partie 2, la Loi visant à bâtir le Canada, qui a pour objectif de promouvoir la croissance économique en simplifiant le processus d’approbation afin d’accélérer la réalisation d’un petit nombre de grands projets choisis pour faire progresser les intérêts nationaux du Canada. Ces projets pourraient aller des pipelines et des mines aux chemins de fer et à d’autres projets industriels et infrastructurels à grande échelle.

Pour répondre aux pressions économiques exercées par les États-Unis et d’autres facteurs, le gouvernement fédéral cherche à réorienter les examens fédéraux afin qu’ils ne déterminent plus « si » ces projets doivent être réalisés, mais plutôt « comment » les faire avancer le plus rapidement possible. Il veut fournir des délais et des résultats plus clairs et plus prévisibles pour les investisseurs.

Dans le cadre de la Loi visant à bâtir le Canada, des pouvoirs étendus et sans précédent sont accordés au Cabinet fédéral et, plus précisément, à un seul ministre. Les projets jugés d’intérêt national seront approuvés en principe avant que les évaluations d’impact soient terminées ou que les consultations commencent.

Cette approche rationalisée réduirait le processus décisionnel fédéral de cinq à deux ans — un délai qui n’est rien d’autre qu’une promesse politique, puisqu’il n’est pas inclus dans le texte du projet de loi. Rien ne garantit que ce processus sera plus court ou plus long que ce qui a été suggéré.

La semaine dernière, la Chambre des communes a apporté plusieurs amendements visant à améliorer la Loi visant à bâtir le Canada, dont un grand nombre émanaient du Parti conservateur. Je voudrais en souligner quelques-uns qui, à mon avis, ont considérablement renforcé le projet de loi en y apportant non seulement de la clarté, mais aussi une surveillance parlementaire et publique qui faisait défaut auparavant.

Le projet de loi a été amendé pour inclure une nouvelle obligation de créer un registre public centralisé et accessible pour les projets d’intérêt national qui doivent inclure une description détaillée et une justification, ainsi que les coûts prévus, les délais d’achèvement et les résultats escomptés.

En outre, le ministre est désormais tenu de rendre publiques — dans les 30 jours suivant la délivrance d’un document d’autorisation pour un projet — des informations détaillées sur les conditions, les motifs, le processus et les recommandations qui ont servi de base à la décision. En cas de rejet d’une recommandation, le ministre doit fournir une justification accompagnée d’une analyse comparative, d’une évaluation des risques liés à l’avis rejeté et des mesures d’atténuation proposées.

Ces mesures sont en outre renforcées par des amendements qui ont élargi le mandat du comité d’examen parlementaire prévu par la Loi sur les mesures d’urgence pour lui permettre d’examiner l’exercice de toutes les attributions aux termes de la Loi visant à bâtir le Canada et d’en faire rapport au moins tous les six mois. De plus, un rapport annuel sur tous les projets d’intérêt national, comprenant une évaluation des progrès, des budgets et des échéanciers, doit être déposé dans les deux Chambres et publié en ligne.

Enfin, il y a maintenant des limites au pouvoir discrétionnaire de l’exécutif. Par exemple, il est désormais interdit au gouvernement fédéral d’autoriser des projets ou d’en modifier les conditions lorsque le Parlement est prorogé ou dissous, ou après le cinquième anniversaire de l’adoption du projet de loi.

Des limites ont également été imposées au pouvoir exécutif pour l’empêcher d’outrepasser certaines lois fédérales, dont la Loi sur les Indiens, ou d’en exempter des projets, ce qui répond aux graves préoccupations soulevées par l’Assemblée des Premières Nations, entre autres.

Ces amendements et d’autres que la Chambre des communes a apportés à la Loi visant à bâtir le Canada constituent un point de départ important. Toutefois, des préoccupations de fond demeurent, la principale étant que le projet de loi confère des pouvoirs exécutifs vastes et sans précédent, ce qui crée un risque important d’abus.

Je vais maintenant donner quelques exemples précis. La première question est de savoir comment l’expression « intérêt national » sera définie. À l’origine, le projet de loi énonçait une liste de facteurs discrétionnaires pouvant être pris en compte au moment d’établir si un projet doit être désigné d’intérêt national.

Ce langage vague signifiait que les décisions pourraient être soumises aux caprices des gouvernements actuels ou futurs. La Chambre des communes a adopté un amendement exigeant que le gouvernement fédéral définisse et publie les critères précis auxquels un « projet d’intérêt national » doit satisfaire dans les 15 jours suivant l’entrée en vigueur du projet de loi. Si ce délai n’est pas respecté, le ministre responsable doit expliquer pourquoi et fournir l’échéancier dans lequel ces critères seront satisfaits. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction.

Voici toutefois le hic : c’est toujours le gouvernement fédéral qui définit ce que cela signifie et comment cela sera mesuré. Autrement dit, c’est toujours lui qui décide de ce qui relève ou non de l’intérêt national.

Par conséquent, il est possible que le gouvernement fédéral fasse passer les avantages économiques ou autres avant les intérêts des peuples autochtones, la lutte contre les changements climatiques ou tout autre facteur.

Je suis particulièrement préoccupé par la perspective que le gouvernement fédéral ait le pouvoir final de déterminer quels « projets d’intérêt national » sont dans l’intérêt des peuples autochtones. L’obligation de définir publiquement des critères contraignants apportera une certaine prévisibilité, mais cela pourrait ne pas être suffisant pour prévenir les abus potentiels du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif.

Oui, le gouvernement fédéral devra clarifier ce qu’il entend par les intérêts des peuples autochtones. Cependant, comme nous ne sommes pas une société monolithique, les peuples autochtones ont des intérêts différents, voire contradictoires, notamment en matière de développement.

Je suis également très conscient du fait que le gouvernement fédéral a déjà fait valoir qu’il était dans « l’intérêt » des enfants et des familles autochtones d’établir et de gérer des pensionnats indiens et des écoles de jour indiennes, des établissements qui ont causé des préjudices incommensurables et permanents à nos peuples et à nos communautés.

Cela nous rappelle de manière saisissante pourquoi toute mention des intérêts des peuples autochtones dans un projet de loi comme celui-ci doit s’accompagner d’une exigence claire : ce sont les peuples autochtones, et non le gouvernement, qui définissent ces intérêts. Tout manquement à cette exigence risque de porter atteinte à nos voix et à nos droits.

Je voudrais maintenant m’attarder sur la manière dont la Loi visant à bâtir le Canada témoigne de façon générale d’un mépris pour les droits des peuples autochtones. Cette loi instaurera un processus d’approbation accéléré en deux étapes. Premièrement, une fois qu’un projet sera ajouté à l’annexe 1, il obtiendra automatiquement toutes les autorisations fédérales nécessaires, sous réserve des conditions fixées par un ministre désigné. Deuxièmement, les promoteurs d’un projet devront quand même soumettre les renseignements nécessaires aux ministères fédéraux concernés. Il sera également obligatoire de consulter les homologues fédéraux, provinciaux ou territoriaux que le ministre désigné jugera pertinent de consulter, ainsi que les peuples autochtones dont les droits pourraient être touchés par la réalisation d’un projet donné. Ainsi, plutôt que de laisser plusieurs ministres prendre des décisions distinctes sur la base des règlements qui relèvent de leur compétence, la prise de décision sera mise entre les mains d’un seul ministre habilité à publier un document énonçant les conditions particulières dudit projet.

Une fois le document publié, la disposition sur la présomption prévue par la Loi visant à bâtir le Canada habilitera le gouvernement fédéral à présumer que toutes les autorisations nécessaires sont favorables ou qu’elles appuient le projet dès qu’il a été déclaré d’intérêt national, ce qui, en soi, soulève de sérieuses préoccupations.

La partie du projet de loi qui concerne la Loi visant à bâtir le Canada a été amendée par l’autre endroit afin de prévoir l’établissement d’un processus qui permet « la participation active et significative » des peuples autochtones, et l’obligation de publier un rapport dans les 60 jours suivant la date à laquelle un document est délivré. Cette mesure de protection n’existait pas auparavant. Cependant, le projet de loi ne précise pas le seuil ou la norme à respecter pour que cela soit considéré comme une « participation active et significative ».

Cette obligation vague de consultation prévue dans le projet de loi C-5 s’applique précisément aux peuples autochtones dont les droits pourraient être lésés par la réalisation d’un projet. Le mot « pourraient » donne essentiellement au Cabinet fédéral le pouvoir discrétionnaire de décider si nos droits sont bafoués, considérant ainsi la protection des droits comme une possibilité plutôt qu’une obligation. Il en résulte un manque flagrant de clarté quant à la profondeur, à l’échéancier et aux répercussions de la consultation. En outre, rien ne garantit que les critères auxquels les projets doivent satisfaire avant leur mise en œuvre prendront véritablement appui sur la consultation.

Si le Cabinet fédéral est le seul habilité à décider si un projet porte atteinte à des droits, qu’est-ce qui l’empêchera de simplement déclarer que ce n’est pas le cas? Nous n’avons pas la réponse. Par ailleurs, il est impossible d’avoir la garantie qu’un dialogue continu ou de véritables négociations auront lieu pour réellement prendre en considération les préoccupations des titulaires de droits.

Chers collègues, en vertu de la Loi visant à bâtir le Canada, les peuples autochtones n’ont pas vraiment leur mot à dire sur l’approbation d’un projet, mais peut-être — je dis bien peut être — qu’ils auront leur mot à dire sur la façon dont le projet sera réalisé.

Le projet de loi prévoit la création d’un bureau fédéral des grands projets, qui sera entre autres responsable de consulter les peuples autochtones. Un conseil consultatif autochtone composé de représentants des Premières Nations, des Inuit et des Métis ferait partie de ce bureau. Cependant, contrairement au bureau fédéral des grands projets, cette entité n’est pas mentionnée dans le texte du projet de loi. De plus, ni le mandat, ni la structure, ni les pouvoirs du bureau fédéral des grands projets et du conseil consultatif autochtone ne sont clairement définis.

Le conseil consultatif autochtone sera-t-il en mesure de fournir des directives et des conseils indépendants ou se contentera-t-il d’approuver automatiquement les projets? Nous n’avons pas eu de réponse à cette question.

Comment pourra-t-il garantir que le gouvernement fédéral et les autres parties prenantes respecteront les droits des peuples autochtones durant tout le projet? Nous n’en savons tout simplement rien.

Chers collègues, avec l’approche rationalisée prévue par la Loi visant à bâtir le Canada, les promoteurs pourraient être moins enclins à consulter véritablement les peuples autochtones sur les moyens d’éviter ou d’atténuer les répercussions d’un projet sur leurs terres ou leurs droits, ce qui est assez inquiétant. Pourquoi quelqu’un négocierait-il alors que le résultat est déterminé à l’avance?

Je crains fortement que la Loi visant à bâtir le Canada ait de graves répercussions sur les mesures d’atténuation et d’accommodement, qui ne sont pas facultatives. Il s’agit d’éléments obligatoires du devoir de consultation, comme le confirment l’article 35 de la Constitution et la Cour suprême du Canada. Le devoir de consultation va au-delà d’une simple écoute : il faut aussi répondre convenablement aux préoccupations soulevées par les peuples autochtones, notamment en modifiant ou en rejetant les projets qui auraient des répercussions sur les droits qui ne peuvent pas être justifiées.

Nous devrions tous nous inquiéter du fait que la Loi visant à bâtir le Canada risque de réduire la consultation à un exercice symbolique parce qu’elle restreint la capacité des peuples autochtones de refuser ou de négocier la réalisation d’un projet.

Le gouvernement affirme qu’une consultation pourra toujours avoir lieu après la désignation d’un projet, mais soyons honnêtes : à ce moment-là, la décision a essentiellement déjà été prise, peu importe ses conséquences immédiates et cumulatives pour les projets situés sur les territoires traditionnels des peuples autochtones ou à proximité de ceux-ci.

En conséquence, la Loi visant à bâtir le Canada donne en fait carte blanche à des projets qui n’ont pas encore fait l’objet des évaluations scientifiques, techniques ou de sécurité qu’exigent d’autres lois fédérales.

Outre les risques graves associés à la disposition de présomption, la Loi visant à bâtir le Canada comprend les pouvoirs conférés par les clauses dites Henri VIII. Plus précisément, les articles 21 à 23 donnent à l’exécutif le pouvoir d’exempter de manière sélective certains projets de l’application des lois et règlements fédéraux pendant le processus simplifié d’approbation des projets. Ces pouvoirs créent un dangereux précédent dont nous devons nous méfier.

Le 18 juin, Anna Johnston, de West Coast Environmental Law, a déclaré devant cette assemblée que, en réalité :

[...] en permettant au Cabinet de prendre des décisions sur les grands projets avant même la tenue d’études environnementales, [ce type d’autorité exécutive] va à l’encontre du principe de la prise de décisions éclairées. Depuis plus d’un demi-siècle, au Canada, lorsqu’il est question de grands projets, nous respectons le principe fondamental selon lequel il faut y regarder à deux fois avant de sauter. Le projet de loi C-5 fait fi de ce principe et laisse le Cabinet prendre d’abord des décisions, puis poser les questions ensuite.

Mme Johnston a ajouté :

Ce modus operandi, qui consiste à agir avant de réfléchir, relègue aux oubliettes des dizaines d’années d’expérience et rejette carrément le principe de la prise de décisions éclairées. C’est comme si on bâtissait d’abord la maison et qu’on demandait après coup à l’ingénieur si elle est sûre.

Les pouvoirs conférés par les clauses Henri VIII inclus dans la Loi visant à bâtir le Canada ouvrent la porte à de possibles abus des pouvoirs discrétionnaires de l’exécutif. La réalité est qu’une fois que des pouvoirs discrétionnaires aussi larges existent, ils seront utilisés. Ces autorités exécutives étendues sont susceptibles d’être exploitées par l’industrie et par d’autres acteurs, même si les ministres affirment qu’ils ne céderont pas à la pression. Les promoteurs demanderont des exemptions, parce que cela permettra de réaliser des projets à moindre coût et plus vite.

La Loi visant à bâtir le Canada risque de réduire les évaluations environnementales à une simple formalité administrative et la consultation des Autochtones à une réflexion après coup. Cela donne à réfléchir.

Au cours de la séance du comité plénier du 17 juin, le sénateur Klyne a demandé au professeur Martin Olszynski, de la Faculté de droit de l’Université de Calgary, s’il était préoccupé par le pouvoir que le projet de loi C-5 accorde au gouvernement fédéral d’exempter les projets de l’application de mesures de protection de l’environnement, ce qui pourrait être préjudiciable à la population, à la faune et aux écosystèmes. Sa réponse a été sans équivoque. Il a déclaré : « Si le gouvernement n’a pas l’intention de se servir de ce pouvoir, pourquoi se l’accorde-t-il? »

De plus, le professeur Olszynski a mentionné que le projet de loi 5 de l’Ontario et le projet de loi 15 de la Colombie-Britannique constituaient « [...] un précédent clair qui justifie la restriction ».

Dans le même ordre d’idées, le même jour et dans le même groupe d’experts, M. Joshua Ginsberg, le directeur d’Ecojustice, nous a mis en garde :

Il ne s’agit pas de simples lois procédurales ou d’obstacles sur la voie du développement; ces lois contiennent des dispositions importantes visant à prévenir des dommages irréversibles, comme le fait de conduire des espèces à l’extinction ou de polluer l’air et l’eau d’une manière qui menace la santé humaine et la santé de l’écosystème. Elles ne sont pas censées être écartées du revers de la main.

M. Ginsberg a également ajouté que, comme le professeur Olszynski :

[Il] ne prête pas de malice au gouvernement en laissant entendre que dans son empressement à faire en sorte que les projets importants aillent de l’avant rapidement, il en a peut-être un peu trop fait et il propose d’empiéter un peu trop sur les compétences du Parlement. Il conviendrait de réduire la portée des pouvoirs prévus par le projet de loi.

Chers collègues, on nous dit que ces vastes pouvoirs d’intervention potentiellement dangereux sont justifiés, mais le sont-ils vraiment? La semaine dernière, pendant le comité plénier, le sénateur Cardozo a expressément demandé à l’honorable Chrystia Freeland, ministre des Transports et du Commerce intérieur, quelle était la justification du gouvernement fédéral pour s’octroyer des pouvoirs aussi vastes.

Elle a simplement répondu que ces mesures extraordinaires sont nécessaires pour répondre à ce qu’elle a qualifié de véritable crise nationale. Sommes-nous vraiment plongés dans une crise qui justifie de telles mesures exceptionnelles et sans précédent, mises en place à la hâte sous le couvert de l’urgence? Bien franchement, je ne souscris pas à la prémisse de sa réponse.

Le même jour, dans cette enceinte, la ministre Freeland nous a exhortés à saisir la vague de patriotisme qui a déferlé sur notre pays ces derniers mois et à prendre la décision de nous faire mutuellement assez confiance pour créer une seule économie d’un océan à l’autre. Toutefois, compte tenu du long bilan de promesses non tenues et de torts à n’en plus finir, la confiance n’est pas une chose à laquelle le Canada peut s’attendre ou qu’il peut exiger de la part des peuples autochtones. La confiance se mérite. Elle ne s’impose pas. Puisque nos terres et nos ressources — et même nos vies et notre avenir — sont en jeu, il n’y a pas suffisamment de mesures de protection dans ce projet de loi, à mon avis.

Le gouvernement fédéral soutient que les pouvoirs exécutifs accordés en vertu de la Loi visant à bâtir le Canada seraient toujours limités par les obligations constitutionnelles et légales découlant de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Malheureusement, ces engagements ne sont pas confirmés dans le projet de loi, et les promesses ne valent pas grand-chose quand il faut encore intenter des centaines de poursuites pour faire respecter la tenue de consultations élémentaires.

Comme l’a récemment déclaré l’ancienne ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould, les Premières Nations « ne se laissent pas duper par les belles paroles ».

Les peuples autochtones savent d’expérience pourquoi les engagements ne suffisent pas lorsqu’il s’agit du gouvernement fédéral. C’est ce qu’a dit le président Obed lorsqu’il était ici la semaine dernière. Il nous a rappelé ceci :

Le Canada a toujours eu pour faiblesse de se féliciter d’être un grand défenseur des peuples autochtones, de la primauté du droit et du respect des droits des Autochtones, tout en adoptant des lois et des pratiques très différentes à ces égards. Je pense que ce comportement découle non seulement de l’ignorance, mais aussi d’un choix sans équivoque quant aux gens qui méritent de voir leurs droits respectés et à ceux qui ne le méritent pas, et quant à la manière d’atteindre un objectif qui permet au Canada de se donner bonne conscience tout en continuant à bafouer les droits qu’il prétend défendre.

En fin de compte, le respect des droits des peuples autochtones dans le cadre de la Loi visant à bâtir le Canada dépendra du sérieux avec lequel le gouvernement fédéral et les promoteurs de projets choisiront de faire respecter les droits des Autochtones dans la pratique. En ce moment, on nous demande simplement de croire qu’ils le feront. Ce n’est pas quelque chose que beaucoup d’entre nous sommes prêts à faire ou en mesure de faire.

À l’heure actuelle, la Loi visant à bâtir le Canada ne prévoit pas l’obligation explicite d’obtenir le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause avant qu’un projet soit désigné ou approuvé. Soyons clairs : le droit au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause implique le droit de dire oui ou non. Il ne s’agit pas d’un veto, mais d’un engagement à mener des négociations authentiques et continues avec les peuples autochtones en tant que véritables partenaires.

Le fait de ne pas inclure le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause est une omission importante, surtout après que la Chambre des communes a ajouté un amendement pour exiger explicitement que, avant d’ajouter le nom d’un projet à l’annexe 1, le gouvernement fédéral obtienne le consentement écrit d’une province si un projet relève de sa compétence exclusive.

Il s’agit d’un cas troublant de deux poids, deux mesures qui jettent un doute sur la compétence et le consentement dont on tient réellement compte en vertu de ce projet de loi et celles dont on continue de faire fi. Ce projet de loi pourrait donner aux provinces des pouvoirs plus importants que ceux des peuples autochtones pour imposer des conditions ou empêcher la réalisation de projets.

Dans la version actuelle du projet de loi, le préambule de la Loi visant à bâtir le Canada mentionne l’article 35 de la Loi constitutionnelle et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Toutefois, l’obligation de consulter et, le cas échéant, d’accommoder — ou le principe du consentement libre, préalable et éclairé — n’est pas mise en œuvre dans le projet de loi.

Cela signifie que ces protections ne sont pas appliquées de manière contraignante ou pratique. Elles sont seulement mentionnées dans les dispositions « attendu que », qui ne sont pas exécutoires. Nous aurions pu remédier à cette exclusion si nous avions eu suffisamment de temps pour consulter les détenteurs de droits.

Chers collègues, les enjeux sont importants, non seulement pour le Canada et les Canadiens, mais aussi pour les peuples autochtones et leurs gouvernements. La Loi visant à bâtir le Canada supprime plusieurs garde-fous qui sont en place pour assurer la protection de tous. Nous craignons que les peuples autochtones subissent les conséquences fâcheuses d’approbations de projets précipitées et obscures, sans pleine participation ni consentement. Cela est vraiment inquiétant, car bon nombre de nos communautés sont déjà aux prises avec les répercussions sanitaires, sociales, économiques et culturelles du développement passé, et le projet de loi C-5 pourrait exacerber ces problèmes.

Par ailleurs, rien ne garantit réellement que les avantages économiques potentiels liés à la Loi visant à bâtir le Canada seront équitablement partagés avec les peuples autochtones. Le projet de loi ne contient aucune disposition garantissant le partage des revenus ou la copropriété et la cogouvernance des projets construits sur nos terres et nos eaux ou à proximité de celles-ci.

Le Programme de garantie de prêts pour les Autochtones, dont le budget a récemment été doublé, passant de 5 à 10 milliards de dollars, pourrait aider les communautés autochtones, inuites et métisses à participer à ces projets sur le plan économique. Toutefois, cette possibilité ne remplace pas la nécessité d’un consentement libre, préalable et éclairé pour le projet lui-même, pas plus qu’elle ne garantit un contrôle notable ou un pouvoir de décision une fois que le projet sera lancé. En fin de compte, la procédure simplifiée prévue par la Loi visant à bâtir le Canada semble plus préoccupée par l’optique politique et les délais pour les investisseurs que par le respect des champs de compétence et du consentement.

Chers collègues, je pourrais vous en dire plus. Cependant, je terminerai par ce qui suit : la prospérité du Canada exige que les peuples autochtones aient de réelles possibilités de participer à l’économie. Cependant, chaque fois que nous affirmons nos droits et nos titres, on nous considère comme des obstacles ou des menaces. Cela ne pourrait être plus loin de la vérité.

Après des générations de marginalisation économique et de dépendance, les peuples autochtones ont plus intérêt que la plupart des autres à créer un pays plus juste et plus prospère. Tout ce que nous demandons, c’est que le Canada nous intègre dès le départ en tant que partenaires égaux et à part entière.

Plus que jamais, le Canada doit être uni, et non divisé. Pourtant, dans sa version actuelle, la Loi visant à bâtir le Canada contribuerait à diviser le pays. L’approche proposée et les mesures qui seraient prises après l’adoption de ce projet de loi ne respectent pas l’obligation du Canada de consulter les peuples autochtones de manière utile et éclairée. Ce qui est paradoxal, c’est qu’au lieu d’accélérer les projets, la Loi visant à bâtir le Canada risque de les ralentir.

Tout ce que le gouvernement fédéral a réussi à faire jusqu’à présent, c’est accroître le risque d’un conflit juridique et social. Cela va non seulement prolonger les délais, mais en créer de nouveaux.

Chers collègues, dans sa chronique publiée hier dans le Globe and Mail, la journaliste anishinabe Tanya Talaga demande au Sénat, Chambre de second examen objectif, de suspendre ce projet de loi et de veiller à ce qu’il soit remanié en partenariat avec les nations autochtones. Elle nous prévient, ainsi que le Canada, que si nous ne le faisons pas, cela minera la confiance, violera le principe des relations fondées sur les traités et affaiblira les engagements constitutionnels du Canada envers les peuples autochtones. Nous devons tous tenir compte de son appel à l’action.

En conclusion, chers collègues, bien que la partie 1 du projet de loi sur l’unité de l’économie canadienne, qui porte sur la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada, représente un virage majeur vers une économie nationale plus intégrée et plus efficace, la partie 2, qui porte sur la Loi visant à bâtir le Canada, trahit l’engagement du gouvernement fédéral et du Canada à renouveler la relation avec les peuples autochtones.

C’est simple : la réconciliation et la prospérité ne sont pas des objectifs contradictoires, mais elles exigent du respect et un partenariat. Je ne peux en toute conscience appuyer un projet de loi qui marque un retour inquiétant à une dynamique paternaliste et coercitive. Voilà pourquoi je ne voterai pas en faveur du projet de loi C-5. Merci. Wela’lin.

L’honorable Paul (PJ) Prosper [ - ]

Sénateur Francis, acceptez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Francis [ - ]

Oui.

Le sénateur Prosper [ - ]

Merci. Je vous suis sincèrement reconnaissant de votre discours et de la référence que vous avez faite à un récent amendement proposé à l’autre endroit, qui stipule :

[...] le ministre veille à l’établissement d’un processus qui permet la participation active et significative des peuples autochtones touchés [...]

Je pense que vous précisez plus loin que le texte ne dit rien sur la norme et le seuil à partir desquels la consultation doit être engagée. Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet?

Le sénateur Francis [ - ]

Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur.

En réalité, ce qui importe vraiment — et je l’ai répété souvent dans mon discours —, c’est d’être des partenaires égaux à la table de négociation. C’est tout ce qui est demandé.

Vous êtes un ancien chef, tout comme moi. Nous avons participé à des délibérations où l’on parlait de consultation, mais il ne s’agissait pas d’une véritable consultation.

Comme on peut le constater, le processus en cours est précipité. Or, il vaudrait mieux prendre le temps nécessaire, inviter les titulaires de droits à la table de négociation et faire les choses correctement.

Le 1er juillet n’est qu’une échéance arbitraire. Nous avons le temps de bien faire les choses, alors faisons-les bien avec les peuples autochtones de tout le Canada.

L’honorable Marty Klyne [ - ]

Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Francis [ - ]

Oui.

Le sénateur Klyne [ - ]

Je pense que nous sommes tous deux d’accord pour dire que nos droits inhérents ont été établis par la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et par les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

À cet égard, ma question est la suivante : qu’est-ce qui empêche les chefs tribaux, les conseils tribaux ou les chefs et les conseillers de prendre les devants en demandant la tenue d’une rencontre avec le gouvernement pour lui présenter leurs attentes en matière de consultation et d’engagement constructifs et ce qu’ils recherchent?

Pourquoi ne pas adopter une approche proactive et organiser une rencontre pour que le gouvernement vienne à vous?

Le sénateur Francis [ - ]

Merci, sénateur Klyne. C’est une très bonne remarque. Je pense que nous en sommes peut-être rendus là. Les Premières Nations pourraient s’impliquer davantage et dire : « En tant que détenteurs des droits, nous allons nous asseoir avec vous et vous faire part de notre opinion sur la manière dont il faudrait avancer de manière positive et constructive. »

Je répète que les peuples autochtones de tout le Canada ne sont pas contre le développement. Toutefois, quand il s’agit de nos terres et de nos territoires — et je reviens à mon propre exemple et à celui de l’Île-du-Prince-Édouard, qui a 10 000 ans d’histoire —, nous voulons simplement faire ce qui est juste, avoir notre place à la table des négociations et être consultés sérieusement.

L’honorable Pat Duncan [ - ]

Sénateur Francis, acceptez-vous de répondre à une question?

Je comprends ce que vous dites au sujet des consultations, et je comprends ce que vient de dire le sénateur Klyne.

Avant de me rendre ici hier, j’ai assisté à l’Assemblée générale du Conseil des Premières Nations du Yukon. Pendant cette assemblée, on m’a parlé du projet de loi C-5. On m’a dit que l’Assemblée des Premières Nations ne parle pas au nom des Premières Nations du Yukon et que les titulaires de droits — les Premières Nations autonomes ont un autre terme pour les désigner — ont été consultés et ont parlé avec le Cabinet du premier ministre et le Bureau du Conseil privé. À leur avis, le processus d’évaluation des activités de développement durement acquis et très exigeant, dont j’ai parlé hier...

Son Honneur la Présidente [ - ]

Sénatrice Duncan, le temps prévu pour le débat est écoulé.

Sénateur Francis, demandez-vous plus de temps pour écouter la question et y répondre?

Le sénateur Francis [ - ]

Je demande plus de temps pour y répondre.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Le consentement est-il accordé?

La sénatrice Duncan [ - ]

Merci, chers collègues. Je vous en suis reconnaissante. Je vais poser ma question.

Sénateur Francis, comment puis-je concilier cette information avec ce que j’entends dire à propos du soutien existant? Vous soutenez que les divergences de vues à l’échelle du pays constituent un défi, mais j’entends par ailleurs que les droits des Premières Nations sont protégés par la Constitution.

Le sénateur Francis [ - ]

Je vous remercie pour la question, sénatrice.

Comme je l’ai mentionné dans mon discours, les Premières Nations ne sont pas unanimes au Canada. Leurs opinions varient. Certaines souhaitent voir les projets approuvés le plus rapidement possible pour qu’ils puissent se concrétiser, tandis que d’autres ont une opinion différente.

L’important, c’est qu’il incombe au gouvernement de déterminer qui sont les titulaires de droits et quels sont les organismes qui agissent au nom des peuples autochtones au pays, puis de tenir de véritables négociations et consultations avec ces groupes.

On dénombre 634 Premières Nations au Canada, sans compter les Inuit et les Métis. La tâche est énorme, mais si on s’y prend de la bonne manière, elle n’est pas impossible.

Merci.

L’honorable Mary Jane McCallum [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’occasion de la troisième lecture de la partie 2 du projet de loi C-5 concernant la Loi visant à bâtir le Canada.

Comme mes collègues s’en souviendront, j’ai abordé mes observations sur ce projet de loi hier, à l’étape de la deuxième lecture, en soulignant les conséquences désastreuses de l’extraction des ressources pour les Premières Nations et d’autres communautés racisées. J’ai également parlé des dangers que pose le silence de la Constitution à l’égard de l’environnement, car cela mène à l’application inconstante et arbitraire du droit de l’environnement au Canada.

Je voudrais maintenant parler brièvement du droit coutumier autochtone et de son lien étroit avec l’environnement.

Dans son ouvrage intitulé The Right to a Healthy Environment: Revitalizing Canada’s Constitution, l’auteur David R. Boyd affirme :

Les systèmes juridiques autochtones, anglais et français existaient depuis des siècles au Canada avant l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867 et ils sont toujours à l’œuvre aujourd’hui. Le droit autochtone peut être défini comme « l’ensemble des procédures et des valeurs, des principes, des pratiques et des enseignements qui reflètent, créent, respectent, améliorent et protègent le monde et nos relations avec celui-ci. »

[...] comme l’a reconnu la Cour suprême, le projet de réconciliation en cours avec les peuples autochtones du Canada nécessite l’intégration des concepts juridiques autochtones dans le droit canadien. Par exemple, la Cour a soulevé que « les intérêts et les lois coutumières des Autochtones étaient présumés survivre à l’affirmation de la souveraineté et ont été intégrés dans la common law en tant que droits ».

[...] la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, que le Canada a ratifiée en 2010, rappelle systématiquement l’importance de reconnaître et de respecter le droit et les institutions juridiques autochtones.

L’un des éléments fondamentaux du droit autochtone — que l’on trouve dans de nombreuses sinon toutes les sociétés autochtones — est le concept de Terre mère vivante, et une série de droits et d’obligations régissant la relation que l’homme doit entretenir avec la nature. Rappelons les paroles de John Borrows à ce sujet : « la conscience sensible de la terre est un principe fondamental du droit anishinabek, et participe d’une multiplicité des droits et d’obligations qu’ont les Anishinabek et la Terre ». Chez les Micmacs également, le droit tire ses racines des relations entre les divers éléments de la nature; il attribue une personnalité juridique aux animaux, aux plantes, aux insectes et aux rochers, et impose une série d’obligations aux membres des sociétés [micmaques].

Honorables sénateurs, le droit coutumier existe encore aujourd’hui et sert à protéger le droit à un environnement sain.

Pour faire suite à mes remarques sur le droit existant à un environnement sain qui est garanti par la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, ou LCPE, j’aimerais citer un extrait du document de la Bibliothèque du Parlement, intitulé Changements climatiques et droit à un environnement sain : développements internationaux et canadiens. L’auteur, Robert Mason, écrit :

Outre cette reconnaissance du droit à un environnement naturel sain dans le plan d’action connexe à la Déclaration, le droit à un environnement sain peut avoir des ramifications dans le contexte des droits ancestraux et des droits issus des traités, qui sont reconnus à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Bien que la nature et la portée des droits ancestraux et des droits issus de traités varient, les changements climatiques ont généralement des effets négatifs sur la concrétisation de ces droits, en particulier les droits fondés sur les pratiques traditionnelles d’utilisation des terres. Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps que les peuples autochtones ont le droit de ne pas faire l’objet d’actions gouvernementales qui les priveraient substantiellement des terres ou des ressources qui soutiennent leurs pratiques, traditions ou coutumes traditionnelles. D’ailleurs, la Cour suprême du Canada a reconnu que les « changements climatiques ont également eu des répercussions particulièrement graves sur les peuples autochtones, menaçant la capacité des collectivités autochtones au Canada de subvenir à leurs besoins et de maintenir leur mode de vie traditionnel ».

L’auteur poursuit :

Plusieurs ONG et groupes de jeunes ont récemment réclamé que l’on reconnaisse, en vertu des droits garantis par la Charte, le droit à un environnement sain [...]

[...] dans l’affaire Environnement Jeunesse c. Procureur général du Canada [...] la Cour d’appel du Québec a [...] conclu que la demande n’était pas justiciable...

 — c’est-à-dire si la réparation peut être accordée de manière appropriée par un tribunal —

... car elle était fondée sur l’inaction du gouvernement et aurait essentiellement exigé que le tribunal dicte des solutions législatives.

L’auteur Robert Mason écrit également que, dans l’affaire La Rose c. Canada :

[...] la Cour fédérale a conclu que les demandes présentées en vertu des articles 7 et 15 de la Charte n’étaient pas justiciables, parce qu’une réparation exigerait essentiellement de « faire intervenir les tribunaux dans la réponse politique globale du Canada en matière de changement climatique », ce qui dépasserait la légitimité ou les attributions institutionnelles du tribunal.

Honorables sénateurs, le droit à un environnement sain est généralement compris comme incluant à la fois des droits fondamentaux, tels que des systèmes climatiques sûrs, de l’air pur et des environnements non toxiques, ainsi que des droits procéduraux tels que l’accès à l’information et l’accès à la justice. Malheureusement, dans de nombreux cas, l’accès à la justice par l’intermédiaire du système judiciaire reste la seule option pour les Premières Nations, et pourtant, cette option risque maintenant de ne plus être possible en raison de l’inaction du gouvernement.

Chers collègues, le Canada n’est pas une dictature, mais les articles du projet de loi C-5 contenant une clause Henri VIII nous rapprochent dangereusement de ce précipice. Les projets de loi que nous étudierons, dont nous débattrons et sur lesquels nous voterons de façon diligente à l’avenir entreront-ils dans la catégorie des mesures législatives qui sont exemptées parce qu’elles sont incompatibles avec les caprices du gouvernement en place?

Honorables sénateurs, s’il s’avère que la loi issue du projet de loi C-5 favorise le racisme environnemental, le Sénat aura-t-il l’occasion de recommander son abrogation au gouverneur en conseil? Compte tenu des délais de plus en plus courts pour mener les évaluations environnementales et les consultations, nous pourrions bien nous rendre compte que, dans sa forme actuelle, le projet de loi C-5 n’aura ni amélioré ni renforcé le développement des ressources naturelles et la production d’énergie, comme il est censé le faire.

Grâce à mes observations d’aujourd’hui, ainsi qu’à celles que j’ai formulées hier à l’étape de la deuxième lecture, j’espère avoir brossé un tableau de la situation désastreuse dans laquelle se trouvent les Premières Nations et d’autres communautés racisées en raison des effets négatifs de l’extraction des ressources. Les terres, les eaux, l’air et les animaux de ces gens, ainsi que la population elle-même ont été ravagés par les diverses toxines, la pollution, les camps de travailleurs et la dégradation générale qui découlent des activités d’extraction.

Malgré l’ambiguïté constitutionnelle du Canada en matière d’environnement, dont j’ai également parlé, le gouvernement fédéral a déployé de véritables efforts et a réalisé des progrès tangibles en légiférant sur la justice environnementale et les mesures de protection connexes. Ces efforts sont mieux résumés dans la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, qui enchâsse le droit à un environnement sain, ainsi que dans la mesure législative sur le racisme environnemental que la Chambre a adoptée en mai dernier.

Chers collègues, la primauté de notre droit collectif à un environnement sain et la nécessité vitale de veiller à ce que le Canada poursuive ses efforts de lutte contre le racisme environnemental en faveur de la justice environnementale ne doivent pas être reléguées au second plan au profit de tout futur projet d’exploitation des ressources naturelles. La meilleure façon d’y parvenir est de veiller à ce que la Loi canadienne sur la protection de l’environnement et la Loi sur la stratégie nationale relative au racisme environnemental et à la justice environnementale soient explicitement mentionnées, non pas à l’annexe 2, parmi les lois qui peuvent être contournées par règlement, mais plutôt au paragraphe 21(2), qui concerne les lois du Parlement qui ne peuvent pas être ajoutées à l’annexe 2.

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