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La Loi sur les Indiens

Projet de loi modificatif--Adoption du premier rapport du Comité des peuples autochtones

2 décembre 2025


L’honorable Paul (PJ) Prosper [ + ]

Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole à l’étape du rapport du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription).

Il y a une question qui me trotte dans la tête depuis la discussion de jeudi dernier : quand la présidence nous demande si nous sommes prêts à nous prononcer à l’issue du débat à l’étape du rapport, sur quoi nous prononçons-nous, au juste?

Selon ce que j’en comprends, à cette étape-ci, ce qu’on demande aux sénateurs, c’est s’ils font confiance au travail accompli par le comité. Nous sommes tous spécialistes de quelque chose. C’est pour cette raison que nous sommes ici. Or, personne n’est spécialiste de tout. Nous nous attendons à ce que les comités sénatoriaux acquièrent une certaine expertise sur une série de sujets donnés. C’est l’expérience des sénateurs qui font partie de tel ou tel comité, leur vécu et les années qu’ils y passent qui leur permettent d’acquérir une certaine expertise sur un sujet donné. Ils sont donc mieux placés que quiconque pour étudier les projets de loi qui portent sur ces sujets, lesquels peuvent parfois se révéler plutôt compliqués. Ils font ensuite rapport de leurs conclusions au Sénat, et ce sont ces rapports qui guident ensuite nos travaux.

Honorables sénateurs, faute d’avoir nous-même l’expertise nécessaire, nous nous fions souvent aux sénateurs membres des comités pour guider notre réflexion. À qui, dans ce cas, les sénateurs des comités se fient-ils pour guider leur réflexion à eux et pour obtenir l’information dont ils ont besoin? Aux témoins.

Comme l’a souligné la sénatrice Greenwood dans son intervention, le comité a tenu 12 réunions et il a entendu 62 témoins différents. Il a reçu et publié 49 mémoires provenant d’organismes et de particuliers de partout au Canada. La sénatrice Greenwood a aussi constaté ceci :

[...] ils ont presque tous convenu que ces modifications n’allaient pas assez loin pour éliminer la discrimination dont sont encore victimes les Premières Nations à ce jour.

Comme l’a si éloquemment et humblement exprimé le sénateur Moreau :

[...] comme la plupart d’entre vous dans cette enceinte, je ne suis pas d’origine autochtone et, comme la plupart d’entre vous, je suis appelé à me prononcer sur les modifications à apporter à la Loi sur les Indiens, une loi qui a profondément perturbé et bouleversé la vie de générations d’Autochtones.

Non seulement nous sommes appelés à délibérer sur des questions fondamentales pour les Autochtones, mais on nous demande aussi, chers collègues, de le faire en sachant très bien que les peuples autochtones de ce pays ont souffert pendant plus d’un siècle d’une forme de discrimination et d’oppression autorisée par l’État ou, autrement dit, de l’histoire du colonialisme.

Eh bien moi, je suis autochtone. Sur les dix sénateurs qui ont appuyé ces amendements au comité, cinq d’entre nous sont des membres des Premières Nations. À titre indicatif, nous sommes 11 au Sénat. Quatre d’entre nous ne siègent pas au Comité des peuples autochtones et deux autres étaient absents ce jour-là. Cela signifie que cinq sénateurs des Premières Nations et cinq de nos alliés étaient unis dans leur conviction que, d’après tous les témoignages et les mémoires reçus, ces amendements sont nécessaires.

Le sénateur Moreau a demandé aux sénateurs de rejeter ce rapport en faisant valoir que le gouvernement a l’obligation constitutionnelle de consulter. En réponse à une question de la sénatrice Clement, il a déclaré ce qui suit :

Ce n’est pas une consultation visant à déterminer si la situation actuelle est discriminatoire; à l’évidence, elle l’est. La consultation sert plutôt à déterminer, selon vous, quelles seraient les solutions qui devraient être apportées pour régler la question de la deuxième génération.

Chers collègues, cette discrimination dure depuis 40 ans. Nous devons confronter ces observations aux témoignages que le comité a entendus, notamment celui de Pam Palmater, qui a déclaré que, pour abolir l’exclusion après la deuxième génération, le gouvernement ne peut tout simplement pas adopter un autre projet de loi « […] où on avance à pas de tortue tout en tenant mordicus à l’extinction législative des droits ancestraux des peuples autochtones ».

Il y a aussi le témoignage de quelqu’un comme Zoë Craig-Sparrow, qui a dit que « [l’on] ne peut pas mettre fin à la discrimination de façon graduelle ».

Puis, il y a le témoignage de quelqu’un comme Cora McGuire-Cyrette, qui a dit ceci :

[…] la règle de l’exclusion après la deuxième génération [aura pour conséquence que] le nombre d’Indiens inscrits diminuera avec le temps, ce qui finira par mener à l’extinction des Indiens inscrits et de communautés entières.

Nous savons tous ce qui s’est passé cette année, lors des consultations des titulaires de droits autochtones au sujet du projet de loi C-5, au Sénat. C’est au prix d’efforts considérables que nous avons pu entendre le témoignage d’un seul titulaire de droits autochtones, la Cheffe Moore-Frappier, au comité plénier.

Pourtant, curieusement, quand il s’agit d’un sujet de longue date comme l’exclusion après la deuxième génération, le gouvernement dit qu’il refusera d’aller de l’avant tant que — vous l’avez deviné — d’autres consultations n’auront pas eu lieu. Aucune consultation n’a été menée avec les titulaires de droits quand l’exclusion après la deuxième génération est entrée en vigueur, en 1985.

Chers collègues, nous ne pouvons pas accepter que nos obligations constitutionnelles en matière de consultation soient instrumentalisées de cette manière. Le sénateur Moreau nous demande de rejeter le rapport en invoquant ces obligations, mais qu’en est-il de notre obligation de respecter la Charte? Qu’en est-il de nos obligations aux termes de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui crée l’obligation légale de veiller à ce que toutes les lois canadiennes soient conformes à cette déclaration?

Je vous rappelle ce que l’article 6 précise : « Tout autochtone a droit à une nationalité. » Quant à l’article 9, on peut y lire ceci :

Les autochtones, peuples et individus, ont le droit d’appartenir à une communauté ou à une nation autochtone, conformément aux traditions et coutumes de la communauté ou de la nation considérée. Aucune discrimination, quelle qu’elle soit, ne saurait résulter de l’exercice de ce droit.

L’article 28 traite du droit à réparation, y compris « une indemnisation juste, correcte et équitable ».

Honorables sénateurs, qu’en est-il de nos devoirs et de nos rôles constitutionnels en tant que Chambre de second examen objectif du Canada?

En 2014, la Cour suprême du Canada s’est prononcée sur plusieurs questions du renvoi concernant la réforme du Sénat. Elle a souligné que le fait que nous soyons nommés nous permet de nous exprimer « librement au sujet des projets législatifs de la Chambre des communes ».

Sur notre propre site Web, on peut lire que les sénateurs « examinent avec soin les projets de loi, proposent des façons de les améliorer et corrigent les erreurs qui s’y glissent ». Nous défendons les « intérêts des régions » et nous faisons entendre le « point de vue de groupes sous-représentés, comme les peuples autochtones ».

La ministre souligne qu’une solution doit venir de la communauté dans le cadre du processus collectif et collaboratif mené par son ministère. Le comité sénatorial a entendu les témoignages de la majorité des entités qui ont participé à ce processus collaboratif; seules 28 n’ont pas été entendues. Les 47 témoins restants, représentant des groupes et des organisations, nous ont demandé d’agir et de supprimer l’exclusion après la deuxième génération.

Pam Palmater, sur laquelle de nombreux comités se sont appuyés comme témoin, nous a dit ceci : « Nous avons déjà tenu des consultations. Maintenant, nous devons remédier à la situation une fois pour toutes. »

Zoë Craig-Sparrow, vice-présidente de Justice pour les filles, a dit ce qui suit :

Quand on dit que cela va mener à l’extinction légale d’ici trois ou quatre générations, on parle de nations et de peuples entiers. Mais cela se produit maintenant, avec des conséquences réelles et concrètes dès maintenant pour des gens comme moi et ma famille.

Dans la même veine, la militante Mélanie Savard, de Wendake, au Québec, nous a parlé de son propre cas :

À 19 ans, lorsque j’ai mis mon fils au monde, je devenais aussi condamnée. Aucun héritage de mon passage sur l’île de la Tortue ne pourrait être légué à mon fils, à ma chair, à mon sang. Si je meurs maintenant, mon patrimoine familial ne peut lui être transmis légalement, ce qui m’amènera au cours des prochains mois à devoir vendre notre maison — nos racines, notre refuge à tous les deux. Je préfère vivre ce deuil matériel plutôt que de lui léguer une sentence qui le hantera assurément toute sa vie, celle de ne pas avoir eu le droit d’hériter de sa mère ce qu’elle a bâti pour nous et pour lui.

Il ne s’agit pas d’un problème théorique, chers collègues, mais d’un appel à l’action urgent qui nous demande d’honorer nos diverses obligations, autant sur le plan moral que législatif. C’est ce qu’a fait le comité, et c’est ce qu’il faut retenir de notre rapport. Un vote pour ce rapport est un vote de confiance pour le travail que nous avons accompli au nom du Sénat.

Nous avons écouté de bonne foi la voix de nombreux témoins et lu les mémoires de ceux qui ont pris le temps de nous en transmettre un. Nous sommes allés à la rencontre de la population autochtone, et c’est dans un esprit de communauté que je me tiens aujourd’hui devant vous et devant tous les Chefs, les dirigeants et les détenteurs de droits, qu’ils soient ici à la tribune ou qu’ils assistent à nos délibérations à partir de leur domicile. Je demande aux sénateurs de se tenir à leurs côtés et d’adopter ce rapport. Wela’lioq. Merci beaucoup.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le sénateur Prosper accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Prosper [ + ]

Oui.

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) [ + ]

Je vous remercie de votre discours, sénateur Prosper.

Je viens d’avoir une conversation engagée avec le Chef Arcand, de la Première Nation d’Alexander. Comme la ministre et vous, il veut qu’on mette fin à l’exclusion après la deuxième génération. D’ailleurs, il m’a dit que, dans sa famille, des signataires du Traité no 6 ne pourront pas transmettre leur statut prévu dans le traité. Cette nation veut qu’on apporte des correctifs.

Le Chef m’a également dit que l’appartenance à sa bande relève de l’article 10, que la bande ne peut toujours pas exercer un contrôle adéquat à cet égard et qu’elle a actuellement de la difficulté à régler le problème des demandes d’adhésion frauduleuses. C’est très difficile. La bande doit faire appel à un avocat et s’adresser aux tribunaux en raison des dispositions actuelles de l’article 10, et la situation n’est probablement pas différente pour les autres Premières Nations.

J’ai beau chercher, mais, dans les amendements adoptés par votre comité, je ne vois aucune disposition qui aiderait les nations à reprendre le contrôle du processus d’adhésion, qui leur donnerait le temps et la marge de manœuvre nécessaires à cet égard ou qui mettrait en place une solution contre les demandes frauduleuses. Il y aura beaucoup de demandes si vos amendements sont adoptés au Sénat et à la Chambre des communes.

Convenez-vous que ces points font partie des nombreux éléments dont la ministre discute actuellement avec les détenteurs de droits, qu’elle consulte actuellement et qui, je suppose, serviront à élaborer un projet de loi distinct que la ministre a promis de présenter dès le printemps? Convenez-vous que cela doit faire partie d’un projet de loi qui sera soumis aux Chefs pour consultation afin que chaque Chef puisse se reconnaître et reconnaître sa nation dans la loi, qu’il s’agit là de la meilleure voie à suivre et que c’est le rôle du gouvernement d’agir en ce sens?

Vous dites que la consultation est utilisée comme une arme, mais, ayant siégé au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et ayant fait partie du groupe qui a insisté auprès du gouvernement pour qu’il procède à des consultations, je ne comprends pas pourquoi la consultation est désormais considérée comme une arme plutôt que comme un moyen d’élaborer un projet de loi qui protégera les nations et le gouvernement, car les Chefs ont déclaré qu’ils poursuivraient la ministre en justice si ces amendements étaient adoptés sans consultation.

Merci.

Le sénateur Prosper [ + ]

Je vous remercie de votre question. Ces amendements incluent notamment une disposition déterminative. Les amendements que nous proposons donnent au gouvernement la possibilité, un an avant l’entrée en vigueur complète de ces dispositions, de les examiner. Bien entendu, après avoir mené ses consultations, si le gouvernement estime avoir besoin de plus de temps, il peut invoquer cette disposition déterminative et reporter d’un an à plusieurs années...

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénateur Prosper, je regrette de devoir vous interrompre. Souhaitez-vous qu’on vous accorde plus de temps pour répondre à des questions?

Le sénateur Prosper [ + ]

Oui.

Son Honneur la Présidente [ + ]

La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Le sénateur Prosper [ + ]

Merci, Votre Honneur.

Le projet de loi prévoit une certaine souplesse afin de permettre au gouvernement de mener à bien son travail inestimable, tout en servant de filet de sécurité, car nous savons tous qu’avec un gouvernement minoritaire, l’avenir est incertain et le gouvernement pourrait ne pas pouvoir réaliser sa vision. Le projet de loi offre donc un filet de sécurité aux Premières Nations au cas où il y aurait un changement de gouvernement. En ce qui concerne les questions complexes relatives à l’article 10 et aux autres dispositions de cette nature, je précise que l’amendement est une mesure provisoire pendant la tenue des discussions et que le fruit de celles-ci sera ensuite intégré au projet de loi. Cela est pris en compte. Merci.

L’honorable Pat Duncan [ + ]

Sénateur Prosper, merci d’accepter de répondre à une autre question. Ma question découle de mon expérience en tant que Yukonnaise : j’ai vu combien de temps il a fallu pour parvenir à l’accord-cadre définitif, 40 ans après le dépôt du document Together Today for our Children Tomorrow, et en tant que membre du gouvernement du Yukon participant aux négociations des accords d’autonomie gouvernementale avec les Premières Nations. Je me souviens des discussions sur l’article 31 que j’ai menées en faisant du porte-à-porte à titre de jeune travailleuse de campagne électorale et des modifications apportées en 1985. En tant que mère et en tant que Canadienne, je me sens personnellement concernée par les discussions sur la règle d’exclusion après la deuxième génération, dont j’entends parler depuis plusieurs années.

Pour me préparer aux délibérations sur le projet de loi S-2, j’ai beaucoup réfléchi et j’ai pris connaissance du document Mobilisation de 2024 sur le renouvellement des lignes directrices fédérales sur la consultation et l’accommodement : Rapport d’accompagnement provisoire sur ce que nous avons appris, de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. Ce document a été élaboré de concert avec les peuples autochtones des quatre coins du Canada.

Dans la sous-section « Ce que nous avons appris » de la section « Se préparer à la consultation », on peut lire ce qui suit :

Les processus de consultation devraient favoriser une approche de consultation précoce et davantage axée sur les partenariats, des consultations qui priorisent la transparence et l’approche gouvernement à gouvernement.

En quoi les amendements que vous présentez s’inscrivent-ils dans une approche de gouvernement à gouvernement précoce et davantage axée sur les partenariats?

Le sénateur Prosper [ + ]

Je vous remercie beaucoup pour votre question, sénatrice Duncan.

Les discussions qui ont lieu aujourd’hui sont effectivement importantes et axées directement sur la concertation, mais il y a déjà eu beaucoup de consultations. Il est question de l’exclusion après la deuxième génération, qui a été instaurée en 1985; un rapport de notre comité sénatorial préconise même de se pencher sur l’exclusion après la deuxième génération. Il y a bel et bien eu des consultations.

Les consultations dont vous parlez se rattachent aux ententes sur l’autonomie gouvernementale, qui sont fondamentalement très complexes. L’exclusion après la deuxième génération peut être abolie de façon concertée par ces amendements, tout en incorporant ce que votre partenariat vous a appris et les discussions en cours, dont cette mesure législative a tenu compte.

L’honorable Raymonde Saint-Germain [ + ]

Je vais vous poser la première partie de ma question en français, sénateur Prosper.

Ma question est celle d’une sénatrice indépendante non élue et non autochtone. Dans un premier temps, j’aimerais qu’il soit noté à l’enregistrement de nos débats qu’il est très difficile pour un non-élu et un non-Autochtone de suivre les débats du comité et de voir qu’une ministre femme autochtone élue a dû subir des questions de non-élus et de non-Autochtones d’une manière particulièrement éprouvante. À titre personnel, j’ai trouvé qu’il y avait encore des relents de colonialisme et que cela aussi doit être corrigé pour la réconciliation.

Sénateur Prosper, je garde à l’esprit ce que vous venez de dire au sujet du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et sur le fait que nous devrions faire confiance aux experts, les sénateurs, et nous appuyer, à juste titre, sur leur examen très approfondi et exhaustif.

Ma question porte sur la conformité avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et la nécessité d’une consultation préalable et éclairée. Je me souviens de ce que vous aviez dit lors de l’examen du projet de loi C-5 en comité plénier à ce sujet... Alors pourquoi, en particulier en ce qui concerne les articles 17 et 18 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, pensez-vous qu’un comité permanent du Sénat remplacerait la nécessité de...

Son Honneur la Présidente [ + ]

Merci, sénatrice Saint-Germain.

Sénateur Prosper, vos cinq premières minutes sont écoulées. Souhaitez-vous disposer de plus de temps pour répondre aux questions? Deux autres sénateurs souhaitent également vous poser des questions. Souhaitez-vous disposer de cinq minutes supplémentaires?

Le sénateur Prosper [ + ]

Oui, s’il vous plaît.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le consentement est accordé.

Le sénateur Prosper [ + ]

Je vous remercie de la question, sénatrice Saint-Germain.

Je ne perçois pas — et je pense que c’est généralement reconnu — que les délibérations du Sénat constituent une consultation. Ce qu’elles font, c’est donner une idée générale de ce que les gens pensent des enjeux dont le Sénat est saisi.

Ce dont nous parlons, c’est d’un consensus quasi unanime pour supprimer l’exclusion après la deuxième génération parmi un certain nombre de personnes qui participent au processus de collaboration de la ministre. Beaucoup de gens le demandent. Des documents ont été reçus de partout au pays. Plus de la moitié des Premières Nations ont demandé la suppression de l’exclusion après la deuxième génération.

On ne peut pas faire abstraction de ces faits; ils doivent être pris en compte dans le contexte de ce projet de loi.

Je vous remercie.

L’honorable Baltej S. Dhillon [ + ]

Je remercie le sénateur Prosper d’avoir accepté de répondre à ma question, que je commence dans une position d’ignorance, car je n’ai pas vécu les expériences que vous et les membres des Premières Nations avez vécues dans ce pays.

Lorsque nous sommes saisis d’enjeux qui polarisent l’opinion, nous recevons tous toutes sortes de courriels liés à ces enjeux. J’en ai moi-même reçu ma part, même si je ne suis ici que depuis peu de temps, et je suppose que bon nombre d’entre vous ont reçu des courriels sur le sort des autruches en Colombie-Britannique.

Ainsi, ma question est la suivante : combien de détenteurs de droits, de Chefs et d’autres personnes ont-ils communiqué avec vous pour vous faire part de leur opposition à l’adoption de vos amendements?

Le sénateur Prosper [ + ]

Merci, sénateur Dhillon; il s’agit d’une excellente question.

Commençons par les délibérations du comité. L’idée de faire disparaître l’exclusion à la deuxième génération a suscité une certaine opposition, mais je n’irais pas jusqu’à dire franche ou totale. Certains demandeurs à l’origine de l’affaire Nicholas n’étaient pas entièrement opposés au principe de l’exclusion à la deuxième génération. Ils voulaient simplement obtenir justice pour les torts que leur avaient causés les dispositions sur l’émancipation.

Comme je le disais plus tôt — et vous le constaterez ici aussi — la suppression de l’exclusion à la deuxième génération jouit d’un large appui. Plus tôt ce matin, un Chef du Québec est venu parler du droit qu’a sa communauté de déterminer qui en fait partie en vertu de l’article 10 et de son propre code d’adhésion. Cette loi ne s’intéresse pas d’assez près aux communautés qui ont invoqué l’article 10, qui régit les codes d’adhésion aux bandes. Le rapport contient bien une observation en ce sens, mais ce n’est nulle part dans la loi.

Je répète que les Premières Nations du pays appuient en bonne partie — plus de la moitié à l’heure où on se parle, et ce chiffre continue d’augmenter — la suppression de l’exclusion à la deuxième génération.

Je vous remercie.

L’honorable Michèle Audette [ + ]

Sénateur Prosper, vous avez déjà été Chef de votre propre bande et Chef régional dans l’Est. Saviez-vous que le document dont parlait notre collègue la sénatrice Duncan tout à l’heure est la version provisoire de lignes directrices sur la manière dont le Canada devrait consulter et que ce document n’est pas encore officiel?

Ce document établit aussi le moment où il doit y avoir des consultations, c’est-à-dire dès qu’il est question de l’article 35 de la Constitution. Étiez-vous au courant?

Le sénateur Prosper [ + ]

Merci, sénatrice Audette. J’ignorais qu’il s’agissait d’une version non officielle et que les consultations devaient être plus directement liées aux droits garantis par l’article 35 de la Charte. Manifestement, il est ici question d’une disposition de la Loi sur les Indiens.

Je ne crois pas me tromper en disant que les balises varient en fonction du type de mesure législative. J’ai parlé du projet de loi C-5 tout à l’heure et du manque de consultations. Le projet de loi C-49 est un autre exemple, et je tiens à ce que cela se sache.

Merci, sénatrice Audette.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Il y a deux autres sénateurs qui souhaitent poser une question. Le temps supplémentaire qui vous a été alloué est écoulé. En demandez-vous un peu plus?

Le sénateur Prosper [ + ]

S’il vous plaît, oui.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

L’honorable Mary Jane McCallum [ + ]

Sénateur Prosper, dans le Renvoi relatif à la réforme du Sénat, la Cour suprême du Canada disait ceci en 2014 :

Avec le temps, le Sénat en est aussi venu à représenter divers groupes sous-représentés à la Chambre des communes. Il a servi de tribune aux femmes ainsi qu’aux groupes ethniques, religieux, linguistiques et autochtones auxquels le processus démocratique populaire n’avait pas toujours donné une opportunité réelle de faire valoir leurs opinions.

Quelqu’un ici nous a rappelé que nous ne sommes pas élus. Selon vous, le Sénat a-t-il un véritable rôle à jouer dans le dossier de l’exclusion à la deuxième génération?

Le sénateur Prosper [ + ]

Je vous remercie de votre question, sénatrice McCallum. Je crois certainement que le Sénat a un rôle très important à jouer dans les débats sur toute mesure législative étudiée, qu’elle émane de la Chambre des communes ou de cette assemblée. Le Sénat est connu comme une Chambre de second examen objectif chargée, comme on l’a dit, de représenter les intérêts de certaines régions et minorités qui, autrement, ne seraient pas pris en compte pleinement, faute d’espace ou de temps. Le Sénat a tout à fait le droit de se pencher sur ces questions. Merci.

L’honorable Brian Francis [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui, non pas en ma qualité de leader du Groupe progressiste du Sénat, mais en tant que simple sénateur.

Le 18 novembre, le Comité des peuples autochtones a voté à 10 contre 1 pour l’amendement au projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens, afin de retirer complètement la règle de l’exclusion après la deuxième génération et de la remplacer par la règle du parent unique. Cette décision n’a pas été prise en vase clos. Les témoins qui ont comparu devant le comité ont déclaré à plusieurs reprises que, sans amendements, le projet de loi S-2 corrigerait les préjudices liés à l’émancipation, mais laisserait intacte l’une des formes les plus persistantes et structurellement enracinées de cette discrimination, et ils ont été une majorité à réclamer des modifications.

Par exemple, le 22 octobre, la Grande Cheffe Kyra Wilson, de l’Assemblée des chefs du Manitoba, qui représente 63 Premières Nations, nous a expliqué ceci :

Je suis ici pour parler de la question qui menace la survie de nos nations, à savoir l’utilisation par le Canada du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens comme politique de génocide prévu par la loi.

La Grande Cheffe Wilson a explicitement demandé l’élimination immédiate du système à deux vitesses établi par l’article 6 de la Loi sur les Indiens au profit d’une règle du parent unique afin de remédier au préjudice infligé depuis plusieurs générations, y compris aux enfants comme sa fille, à des personnes qui se voient refuser non seulement leur statut et les droits et avantages qui y sont associés, mais aussi leur identité et leur sentiment d’appartenance.

De même, le 4 novembre, la Grande Cheffe Math’ieya Alatini du Conseil des Premières Nations du Yukon, qui s’est exprimée au nom de 14 Premières Nations, a lancé le même appel. Elle a expliqué que :

L’inadmissibilité de la seconde génération [...] continu[e] de diviser nos familles en ceux qui ont le statut et ceux qui en sont privés. Ces règles techniques [...] sont conçues pour réduire graduellement le nombre d’Indiens inscrits au fil du temps. Dans la pratique, elles divisent les cousins, rendent inadmissibles les petits-enfants aux programmes et services et transforment l’identité en formalités administratives.

La Grande Cheffe Alatini a ajouté :

Si le projet de loi S-2 vise vraiment la réconciliation, et n’est pas simplement un outil pour gérer les litiges, nous devons alors remédier à toutes les formes connues de discrimination maintenant, et non reporter cela. Un report n’est pas neutre, car chaque année écoulée veut dire que plus d’enfants sont privés de leur statut.

Chers collègues, le message qui a été communiqué de manière répétée et uniforme en comité était qu’il faut agir maintenant, et non plus tard.

En 2022, le Comité des peuples autochtones a publié un rapport intitulé C’est assez! Finissons-en avec la discrimination quant à l’inscription au registre des Indiens, qui appelait, entre autres, à l’abrogation de la disposition d’exclusion de la deuxième génération au plus tard en juin 2023.

De nombreux témoins entendus dans le cadre de l’étude du projet de loi S-2 ont fait référence à ce rapport dans leur témoignage. Parmi eux figurait Marilyn Slett, conseillère en chef du Conseil tribal Heiltsuk et secrétaire-trésorière de l’Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique, qui représente plus de 130 Premières Nations.

Le 1er octobre, elle a déclaré :

Ce comité a recommandé au Canada d’abroger toutes les dispositions discriminatoires, y compris le paragraphe 6(2), dans son rapport de 2022 intitulé C’est assez! […] Nous demandons au Sénat de continuer à plaider pour la suppression de toutes les dispositions discriminatoires de la Loi.

Ayant présidé le Comité des peuples autochtones en 2022, je suis fier que les membres aient voté de manière cohérente et conforme à leurs principes.

Si nous avions tourné le dos aux témoins et à tous ceux qui réclament depuis des décennies des changements urgents, je pense que notre comité aurait pris le mauvais parti, tant au regard des faits que de nos responsabilités. Au lieu de cela, nous avons une fois de plus pris le parti des Premières Nations — en particulier des femmes et des enfants — en appuyant fermement le rétablissement d’une égalité durable pour toutes les générations. J’espère que le Sénat suivra maintenant notre exemple.

Avant de poursuivre, je tiens à souligner que je ne me souviens que de deux autres cas où le Sénat a rejeté l’adoption du rapport d’un comité sur un projet de loi comportant des amendements. La décision de revenir à la version antérieure d’un projet de loi est suffisamment rare pour ne pas être prise à la légère. L’intégrité, l’indépendance et la crédibilité du comité et de ses membres doivent être préservées, sauf s’il existe une raison claire et impérieuse.

Tous les gens qui comparaissent devant un comité le font dans l’espoir que leur contribution sera non seulement respectée, mais qu’elle servira à façonner et à renforcer notre travail. Si nous n’agissons pas en conséquence, nous risquons de nuire à notre réputation collective.

Une Chambre de second examen objectif ne peut fonctionner efficacement que si elle est disposée et capable d’apporter des modifications aux mesures législatives, au besoin. C’est ainsi que nous contrebalançons le pouvoir exécutif et celui de la majorité élue dans le but, entre autres, de protéger les populations vulnérables qui ont été historiquement exclues, ignorées et lésées par le Canada et, plus particulièrement, par le Sénat.

Je m’inquiète franchement de ce que les témoins pourraient comprendre en voyant que nous rejetons le rapport. Je vais donc profiter de cette occasion pour faire la lumière sur ceux à qui le Sénat tournerait le dos en agissant ainsi. C’est quelque chose que je ne peux tout simplement pas me résoudre à faire, et que je ne ferai donc pas.

Chers collègues, la semaine dernière, le représentant du gouvernement au Sénat, le sénateur Pierre Moreau, a demandé au Sénat de rejeter le rapport. Je veux saisir l’occasion pour examiner les principaux arguments avancés à l’appui de cette demande et les réfuter. Ce faisant, j’espère expliquer clairement pourquoi j’ai l’intention de voter pour l’adoption du rapport et encourager tous les sénateurs à faire de même.

Commençons par l’un des principaux arguments avancés la semaine dernière pour défendre le rejet du rapport : l’affirmation selon laquelle les amendements au projet de loi contredisent son objectif plutôt que de le renforcer. Jeudi dernier, le sénateur Moreau a réitéré à plusieurs reprises que l’intention principale du projet de loi S-2 est de répondre à une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l’affaire Nicholas. Il a fait valoir que le gouvernement fédéral ne s’oppose pas à ce que l’on s’attaque aux inégalités plus générales dans la Loi sur les Indiens, mais qu’il n’est pas favorable à ce que cela se fasse dans le cadre de ce projet de loi.

De plus, le sénateur Moreau a laissé entendre que les amendements proposés par le comité dépassent la portée initiale du projet de loi, mais le gouvernement fédéral s’est abstenu de contester leur recevabilité afin de ne pas paraître froidement technocratique. Ces préoccupations sont-elles fondées? Je ne le crois pas.

Dans l’affaire Nicholas, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a donné raison au Canada en estimant que l’article 6 de la Loi sur les Indiens, pris dans son ensemble, perpétue la discrimination en limitant à la fois le droit d’être inscrit comme Indien et le droit de transmettre ce statut à ses descendants. La cour a confirmé que cette structure législative crée des distinctions juridiques fondées sur la race ou l’origine ethnique qui portent atteinte de manière injustifiée aux droits à l’égalité garantis par l’article 15.

Dans son mémoire, le Canada a reconnu que les personnes sans antécédents familiaux d’émancipation sont généralement inscrites conformément au paragraphe 6(1), ce qui leur donne la pleine capacité de transmettre leur statut à leurs enfants. En revanche, les descendants de personnes émancipées sont généralement inscrits conformément au paragraphe 6(2), qui limite leur capacité de transmettre leur statut à la génération suivante.

Ce déni d’égalité en matière d’inscription et de transmission traite en réalité les personnes concernées comme étant « moins indiennes », ce qui leur confère un statut inférieur, voire aucun statut, de manière prématurée et injuste, uniquement en raison de l’émancipation.

Afin de satisfaire à la réparation constitutionnelle minimale exigée par la cour, le gouvernement fédéral a présenté le projet de loi S-2, et auparavant le projet de loi C-38, afin que les descendants des personnes émancipées obtiennent le même droit au statut d’Indien et à la transmission de ce statut que toutes les autres personnes ayant la même ascendance. En conséquence, les familles émancipées sont traitées « sur un pied d’égalité », mais uniquement dans le cadre d’un système qui continue de légiférer sur leur extinction éventuelle, comme pour tous les « Indiens ». Leurs descendants restent sur la voie de la disparition totale en raison de la règle de l’exclusion après la deuxième génération.

Les amendements que propose le comité portent sur une autre manifestation de la même discrimination dont parle la cour. En 1985, la Loi sur les Indiens a été modifiée dans le but avoué de rendre les dispositions relatives à l’inscription conformes au droit à l’égalité que garantit l’article 15 de la Charte. On a alors mis fin à la procédure judiciaire de l’émancipation, qui était déjà l’un des principaux outils d’assimilation des Premières Nations avant même la création du Canada. Or, la discrimination se poursuit sous la forme de la règle d’exclusion après la deuxième génération, qui a été instaurée en 1985 dans le but d’empêcher les enfants d’hériter du statut d’Indien, ainsi que des avantages et droits connexes, après deux générations successives où l’un des parents n’a pas le droit de s’inscrire.

En lieu et place de l’exclusion immédiate, le Canada compte actuellement sur l’exclusion différée pour réduire progressivement le nombre d’Indiens inscrits. Aucun autre peuple du Canada ne fait ainsi l’objet d’un mécanisme législatif favorisant sa disparition.

Le 29 octobre, l’un des commissaires de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, Wilton Littlechild, a parlé d’une loi d’ « assimilation forcée », ce qui cadre avec la définition même de génocide.

De même, dans un mémoire, Pam Palmater a cité l’analyse juridique du génocide préparée par l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, qui concluait que le déni systématique du statut et de l’appartenance en vertu de la Loi sur les Indiens s’inscrivait dans un schéma de politiques coloniales qui répondait à la définition juridique du génocide. Elle a fait valoir que l’élimination de l’exclusion après la deuxième génération était essentielle, car il ne s’agit pas simplement d’une règle administrative, mais de la poursuite de politiques du passé qui visaient à mettre fin à l’existence juridique des « Indiens » au fil du temps — les Indiens envers qui le Canada a des obligations précises.

Ce que notre comité a fait a été de renforcer et d’enrichir la fonction réparatrice qui sous-tend le projet de loi S-2. Plus précisément, nous avons modifié l’article 6 de la Loi sur les Indiens, car il continue de séparer arbitrairement les familles entre les générations. Ce faisant, nous avons tenté de faire en sorte que le statut d’Indien cesse de se transmettre différemment selon que la personne est née avant ou après le 17 avril 1985.

Actuellement, il y a des frères et sœurs issus des mêmes parents qui peuvent se retrouver dans des catégories d’enregistrement différentes simplement à cause de leur date de naissance. Le comité a aussi proposé de faire passer l’exigence relative au droit et à la transmission de deux parents à un seul parent afin de mettre fin au système à deux vitesses pour le statut d’Indien. Ce changement met fin à l’ère de l’extinction par la loi.

Parallèlement, le comité a tenté de se pencher sur la question de la paternité non déclarée. Mary Eberts, docteure en droit constitutionnel, a fait valoir que la règle d’exclusion après la deuxième génération confère un avantage biologique aux hommes. Il est beaucoup plus facile pour un homme de nommer la mère que pour une femme de nommer le père en toute sécurité. Il y a de nombreuses raisons à cela, notamment la violence familiale et les agressions sexuelles. Par conséquent, Mme Eberts a fait valoir que la règle d’exclusion après la deuxième génération n’est pas neutre. Elle perpétue les discriminations historiques fondées sur le sexe et la race inscrites dans la Loi sur les Indiens. Elle viole donc l’article 15 et ne peut être justifiée.

Chers collègues, le prochain sujet sur lequel je souhaite m’attarder est celui de la consultation. La semaine dernière, il a été suggéré que les amendements adoptés par le comité ne tiennent pas compte de l’obligation constitutionnelle de consulter et, le cas échéant, d’accommoder les peuples autochtones en vertu de l’article 35 de la Constitution. En fait, le sénateur Moreau a insisté à plusieurs reprises sur le fait que le gouvernement fédéral ne peut se soustraire à son obligation de consulter les personnes touchées par les mesures qu’il souhaite mettre en œuvre et qui pourraient porter atteinte à leurs droits. Ces arguments sont difficiles à concilier avec les faits établis.

La semaine dernière, la sénatrice Michèle Audette, qui est la marraine du projet de loi S-2, a demandé au sénateur Moreau s’il connaissait l’affaire Mikisew Cree First Nation c. Canada de 2018, dans laquelle la Cour suprême du Canada a donné raison au Canada en statuant qu’il n’y avait aucune obligation constitutionnelle de consulter les peuples autochtones lors de l’élaboration, de la rédaction ou du dépôt d’un projet de loi. Il a répondu qu’il connaissait cette décision.

La ministre Mandy Gull-Masty et le sénateur Moreau ont insisté à plusieurs reprises sur le fait qu’il existe une obligation légale et constitutionnelle de consulter avant de modifier la Loi sur les Indiens. Cependant, c’est un gouvernement libéral, sous la direction du premier ministre Justin Trudeau, qui s’est battu avec vigueur pour s’assurer qu’il n’y ait aucune obligation du genre. En juin dernier, ce fait n’est devenu que trop évident après l’adoption en urgence du projet de loi C-5 pour accorder au gouvernement fédéral de vastes pouvoirs lui permettant de contourner les lois et règlements existants afin d’accélérer les projets « d’intérêt national ».

Par conséquent, je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi il est acceptable d’adopter une loi sans consultation ni engagement, malgré les importantes préoccupations concernant son impact sur les droits des peuples autochtones. Cela semble pour le moins extrêmement sélectif. Cette incohérence donne l’impression que les consultations ne sont rien d’autre qu’un outil politique.

Le sénateur Moreau a suggéré que les modifications à la Loi sur les Indiens devraient être mises sur la glace jusqu’à ce que le processus de collaboration sur l’exclusion après la deuxième génération et les seuils de vote soit achevé, en décembre 2025. Il est également d’avis que la question centrale derrière le processus collaboratif n’est pas de savoir s’il faut éliminer la discrimination, mais comment le faire, et que cette réponse devrait venir d’un consensus des Premières Nations, un seuil élevé qui n’est imposé à aucun autre groupe au Canada.

Il n’y a pas de seuil clair, pas de paramètres clairs et pas d’échéancier précis sur la fin de la discrimination causée par l’exclusion après la deuxième génération. En fait, nous avons entendu quelques déclarations contradictoires. Il y a eu une promesse initiale de présenter un projet de loi distinct dans les mois à venir, qui a été rapidement retirée. Nous avons également entendu dire que le processus de consultation avait été lancé, pour apprendre plus tard que ce n’était pas vrai. À l’heure actuelle, nous n’avons aucune garantie concrète que l’on remédiera à l’exclusion après la deuxième génération et aux inégalités qui y sont liées à un moment ou à un autre.

L’un des points primordiaux soulevés lors des travaux du comité est le fait que, après plus de quatre décennies, les promesses politiques sont tout simplement insuffisantes. Il ne s’agit pas d’une attaque contre la ministre Mandy Gull-Masty. Nous ne nous concentrons pas sur les personnes. Nous nous concentrons sur la « machine » gouvernementale dans son ensemble.

Zoë Craig-Sparrow, vice-présidente de Justice pour les filles, a approfondi ce point :

Même si cette ministre est une femme autochtone — ce qui est merveilleux et inspirant —, elle représente toujours le gouvernement et doit agir en tant que ministre, et non à titre personnel. Elle a fait une promesse que nous connaissons, et elle sait qu’elle ne pourra peut-être pas la tenir. Justice Canada conseille la ministre et elle doit suivre ses directives.

Malgré tout, dans votre rapport C’est assez! et la loi, il n’est pas dit : « Attendez qu’il y ait un ministre autochtone. » Même si cette ministre répète la même chose que tous ses prédécesseurs, on nous laisse entendre que : « Cette fois-ci, parce qu’elle est autochtone, croyez-la et patientez encore un peu. » Non. Ce qui est dit c’est que cela doit cesser maintenant. L’obligation d’égalité est une obligation immédiate en droit international. Nous avons attendu assez longtemps.

Je crois que la ministre Mandy Gull-Masty est sincère. Ce point n’a jamais été remis en question. Cependant, une promesse politique n’est pas juridiquement contraignante. Rien ne garantit que le gouvernement fédéral, avec ses systèmes, ses structures et ses processus, y donnera suite. Même si nous voulions lui faire confiance, nous ne pouvons pas ignorer que les gouvernements fédéraux minoritaires ont tendance à avoir une espérance de vie plus courte.

Le premier budget du premier ministre Mark Carney a été adopté par 170 voix contre 168. Nous avons évité de justesse de nouvelles élections, mais rien n’est encore joué.

Selon moi, le parti qui est au pouvoir ne fait aucune différence. L’approche demeure la même : le Canada ne prend des mesures correctives limitées que lorsqu’il y est contraint par les tribunaux. Je doute que cette tendance de longue date change de sitôt. Ainsi, pourquoi passerions-nous à côté d’une rare occasion d’agir dès maintenant pour mettre fin à une discrimination plus large? Le Parlement est prié, voire tenu, d’aller plus loin.

Chers collègues, je ne suis pas avocat et je ne prétendrai jamais l’être. Cela dit, je comprends que le Canada ne peut invoquer des consultations en cours pour justifier le fait qu’il continue de violer la Constitution, dont l’article 15 de la Charte.

L’obligation de garantir le droit à l’égalité n’est pas facultative. Pourtant, on a laissé entendre à plusieurs reprises que l’obligation de consulter occupait une place plus importante dans la hiérarchie. Toutefois, je crois que la Charte passe avant tout.

Selon la décision Andrews c. Law Society of British Columbia de 1989, toutes les lois fédérales et provinciales doivent se conformer à l’article 15 sur le droit à l’égalité. La cour avait alors déclaré ceci :

L’article 15 prévoit lui-même que le droit à l’égalité devant la loi et dans la loi ainsi que les droits à la même protection et au même bénéfice de la loi qu’il confère doivent exister indépendamment de toute discrimination. La discrimination est inacceptable dans une société démocratique parce qu’elle incarne les pires effets de la dénégation de l’égalité et la discrimination consacrée par la loi est particulièrement répugnante. La pire forme d’oppression résulte de mesures discriminatoires ayant force de loi. C’est une garantie contre ce mal que fournit l’art. 15.

Autrement dit, le Canada ne peut continuer à dire : « Nous savons que la discrimination existe, mais veuillez continuer à patienter tandis que les consultations se poursuivent pendant 2, 5, 10 ans, voire plus, avant que nous y mettions un terme. »

Les témoins que nous avons entendus étaient d’accord. Par exemple, le 5 novembre, nous avons entendu le témoignage de la Cheffe Barbara Cote, de la bande Shuswap. Elle a comparu au nom de l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique. Elle a déclaré :

La ministre a déclaré au Sénat qu’il ne pouvait y avoir de solution universelle pour régler la question de l’exclusion après la deuxième génération, mais, sénateurs, l’article 15 de la Charte est universel. Il affirme l’égalité. L’article 15 de la Charte stipule qu’il est interdit de discriminer sur la base du sexe ou de la race, et cela s’applique à tous. L’égalité est pour tout le monde.

La ministre a également déclaré que les réponses doivent venir des communautés. La réponse des communautés de la Colombie-Britannique est claire : 204 des 630 Premières Nations du Canada disent qu’il faut éliminer dès maintenant l’exclusion après la deuxième génération. Cela représente un tiers de toutes les Premières Nations.

La Cheffe Barbara Cote a également affirmé ceci :

La BCAFN fait partie du processus de collaboration de Services aux Autochtones Canada, et on nous a consultés à ce sujet depuis des décennies. Compte tenu du calendrier prévu pour le processus, il faudra attendre quatre ou cinq ans avant que la nouvelle loi supprimant l’exclusion après la deuxième génération puisse entrer en vigueur. Et cela dépendra en plus de la réélection des libéraux.

Sénateurs, nous subissons actuellement les conséquences de l’exclusion après la deuxième génération. Elle doit être immédiatement supprimée, car 27 % de tous les membres des Premières Nations de la Colombie-Britannique sont visés par l’article 6(2). À Shuswap, 40 % des membres sont visés par l’article 6(2). Nos enfants et petits-enfants sont exclus maintenant, pas dans un avenir lointain.

Quant à savoir s’il faut plus de consultations, Pam Palmater nous a rappelé la chose suivante le 7 octobre :

[I]l y a certaines choses sur lesquelles le gouvernement ne peut pas tenir de consultations, que ce soit la discrimination fondée sur la race ou le sexe, le maintien de l’extinction législative des droits ancestraux ou sa contribution à un génocide. Donc, vous ne pouvez pas le faire.

Toutefois, vous pouvez mener des consultations sur la façon de soutenir les Premières Nations, sur la façon de soutenir les gens qui viennent d’être inscrits au registre et sur la façon dont vous veillez à ce qu’il y ait assez de logements et d’infrastructures.

Sans surprise, après quatre décennies d’attente pour que le Canada prenne des mesures décisives afin de remédier à l’exclusion après la deuxième génération, il existe un doute généralisé et justifié que le Canada utilise à nouveau la consultation comme tactique dilatoire, perpétuant ainsi la discrimination et l’inégalité sous le couvert du dialogue.

La Cour suprême a rejeté à plusieurs reprises l’idée selon laquelle l’égalité ne peut pas être progressive. Dans l’arrêt Vriend c. Alberta, en 1998, elle a déclaré ceci :

Si on tolère que les atteintes aux droits et aux libertés de ces groupes se poursuivent pendant que les gouvernements négligent de prendre des mesures diligentes pour réaliser l’égalité, les garanties inscrites dans la Charte ne seront guère plus que des vœux pieux.

Qu’on me comprenne bien : je ne m’oppose pas à une consultation sérieuse. En tant qu’ancien Chef, j’ai pu constater de mes propres yeux ses forces et ses faiblesses.

Ce à quoi je m’oppose, c’est l’utilisation de la consultation comme tactique pour prolonger les inégalités. Le Canada doit remédier aux préjudices graves, persistants et irréparables qu’il a fait subir au moyen de la Loi sur les Indiens. Or, tous les progrès réalisés à ce jour ont été âprement disputés au cours des quatre dernières décennies.

Donc, pendant que vous délibérez de l’adoption ou de rejet du rapport, je vous exhorte à ne pas oublier que la décision de ne pas remédier à la discrimination au sens plus large n’est pas neutre. Le moindre délai ne fait qu’aggraver, que prolonger et que multiplier les torts.

Chers collègues, j’en arrive maintenant à mon dernier point. Selon certains, accepter les amendements reviendrait à retarder les mesures correctives pour les plus de 3 500 personnes touchées par la discrimination constatée dans l’affaire Nicholas.

Le sénateur Moreau a fait valoir que la Chambre des communes rejetterait probablement les amendements. Le sous-entendu était que l’adoption du rapport permettrait au Parlement de respecter la date limite du 30 avril 2026 pour modifier la Loi sur les Indiens afin de la rendre conforme à la Charte.

Cependant, dans l’affaire Nicholas, la juge Fitzpatrick a reconnu que le tribunal règle un problème constitutionnel de la façon la plus ciblée possible sans toutefois limiter la capacité du Parlement d’élaborer d’autres modifications législatives qu’il pourrait juger appropriées. Elle a également ajouté qu’elle resterait « saisie » de l’affaire, c’est-à-dire qu’elle resterait compétente pour prolonger la suspension, au besoin.

Ce ne serait pas la première fois qu’une prolongation serait nécessaire. Cela s’est déjà produit, par exemple, dans l’affaire Descheneaux, lors de la dernière modification de la Loi sur les Indiens. Rien n’empêche donc le Canada de demander une prolongation pour, entre autres, régler la question de l’exclusion après la deuxième génération et d’autres injustices. Cela dit, je ne crois pas qu’une prolongation soit absolument nécessaire.

Le prédécesseur du projet de loi S-2, le projet de loi C-38, nous a montré ce qui se passe quand il y a un manque de volonté et d’engagement sincères. Cependant, le gouvernement fédéral est tout à fait capable d’accélérer le processus quand il le juge nécessaire. C’est exactement ce qui s’est produit il y a quelques semaines avec le projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (2025). Tout est une question de volonté politique.

Dans la décision Descheneaux, la juge Masse demandait au Parlement, afin de respecter la Constitution, de régler toutes les situations discriminatoires que le problème soulevé pourrait causer, et pas seulement celui dont le tribunal était saisi à ce moment-là. Elle écrivait aussi ceci :

Lorsque le législateur choisit d’omettre de considérer les implications plus larges des décisions judiciaires en restreignant la portée de celles-ci à leur strict minimum, une certaine abdication du pouvoir législatif aux mains du pouvoir judiciaire est susceptible de prendre place. Les détenteurs du pouvoir législatif se contenteraient alors d’attendre que les tribunaux se prononcent au cas par cas avant d’agir et que leurs décisions forcent progressivement la modification des lois afin que celles-ci soient, finalement, conformes à la Constitution.

À l’instar de la juge Masse, la juge Fitzpatrick a aussi reconnu, dans l’affaire Nicholas, que le tribunal réglait un problème constitutionnel de la façon la plus ciblée possible sans toutefois limiter la capacité du Parlement d’élaborer d’autres modifications législatives qu’il pourrait juger appropriées.

Ces jugements semblent étayer l’argument voulant que les vastes correctifs apportés au projet de loi S-2 soient légitimes.

Le Comité des peuples autochtones a admis que la solution exigée par le tribunal ne constituait pas un maximum, mais bien un minimum. Nous avons donc essayé de perfectionner le projet de loi. Le Sénat n’existe pas seulement pour adopter des lois, mais aussi pour effectuer un second examen objectif. Autrement dit, nous avons l’obligation de voir à ce que les mesures législatives règlent vraiment le problème juridique qu’elles sont censées régler. Dans un contexte de violations répétées de l’article 15 de la Charte, il est particulièrement nécessaire de nous acquitter de notre mandat, qui consiste à veiller à ce que le Parlement n’adopte pas de mesures législatives incomplètes qui ne changent rien aux mécanismes structurels de discrimination qui risquent de donner lieu à d’autres litiges.

Chers collègues, la question à laquelle nous devons répondre aujourd’hui est celle-ci : voulons-nous continuer de refuser l’égalité aux Premières Nations, et plus particulièrement aux femmes et aux enfants, une égalité qui leur est pourtant due depuis longtemps? Je n’ai pas encore entendu d’argument convaincant comme quoi nous ne devrions pas mettre fin dès maintenant à la discrimination. L’adoption du rapport ferait très clairement comprendre que l’ère de l’extinction entérinée par la loi doit cesser dès maintenant. Je vous prie instamment de voter en faveur du rapport.

Beaucoup de gens observent le Sénat. Les peuples autochtones, qui attendent l’égalité et la justice depuis des dizaines d’années, nous surveillent. Plusieurs membres des Premières Nations sont d’ailleurs parmi nous. Ne les laissons pas tomber. Wela’lin, je vous remercie.

L’honorable Kim Pate [ + ]

Honorables sénateurs, c’est en ma qualité de membre du Comité des peuples autochtones que je souhaite donner aujourd’hui mon appui aux amendements soigneusement réfléchis et fondés sur les faits qui nous sont proposés et qui visent à éradiquer la discrimination sexuelle et raciale perpétuée par le projet de loi S-2.

Ces amendements suppriment notamment le principe d’exclusion à la deuxième génération, que le Canada a ajouté unilatéralement et sans consultation à la Loi sur les Indiens en 1985. Permettre à cette disposition de survivre, ce serait mettre en cause l’existence législative même des Premières Nations et permettre au Canada de contrôler et de dicter qui peut, ou non, faire partie d’une bande donnée, mais aussi envers qui la Couronne a des obligations, ou pas.

Chers collègues, nous ne pouvons pas continuer à perpétuer la discrimination qui, nous le savons, teinte la Loi sur les Indiens. Chaque jour d’inaction compte. Les femmes des Premières Nations et leurs descendants continuent d’être touchés de manière disproportionnée et leurs liens avec leur famille, leur culture, leur communauté et leur territoire sont inutilement mis en péril. Les gouvernements des Premières Nations doivent étirer des ressources déjà insuffisantes pour aider et inclure les membres de leur communauté que le Canada refuse de reconnaître. Les spécialistes, y compris ceux de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, nous préviennent que nous sommes en train de perpétuer l’assimilation, le colonialisme et le génocide.

Divers témoins, dont Pam Palmater, ont insisté sur le fait que les « dispositions discriminatoires fondées sur le sexe et la race [...] s’avère[nt] la cause fondamentale de la violence contre les femmes » parce qu’elles séparent les femmes autochtones de leur réseau de soutien.

La témoin Zoë Craig-Sparrow a illustré l’urgence d’agir en parlant sans détour de sa propre situation. Elle prévoit avoir des enfants, mais elle sait que le gouvernement ne les reconnaîtra pas comme des membres de son peuple et de sa nation. Voici ce qu’elle a dit : « Vous avez beaucoup entendu parler de l’exclusion après la deuxième génération. Ce qui correspond à ma situation. »

Je prends la parole aujourd’hui pour soutenir nos collègues autochtones, dont le leadership a permis de proposer ces amendements, et pour soutenir les Autochtones, les nations autochtones et les titulaires de droits autochtones, qui ont souffert de préjudices et d’injustice à cause de l’exclusion après la deuxième génération, et dont la grande majorité a dit au comité et au Sénat : « C’est assez! »

Je prends également la parole en tant que sénatrice qui a commencé à siéger au Comité des peuples autochtones en 2016, peu après ma nomination, lors de l’étude du projet de loi S-3. Ce projet de loi, tout comme le projet de loi S-2, s’inscrit dans une série de mesures législatives gouvernementales qui ont été adoptées sur une période de 40 ans en réponse aux poursuites judiciaires intentées par des femmes des Premières Nations et leurs descendants, et qui, encore aujourd’hui, proposent de perpétuer la discrimination.

J’ai passé neuf ans au Sénat à entendre le gouvernement promettre de prendre au sérieux la nécessité de mettre fin à la discrimination dans la Loi sur les Indiens et de s’attaquer bientôt à ce problème, sans jamais vouloir le faire immédiatement. Sharon McIvor a passé toute sa vie à défendre l’égalité pour elle-même et pour d’innombrables autres personnes. Elle a entendu les mêmes promesses de la part de 18 ministres différents chaque fois que des mesures législatives inadéquates franchissaient les étapes du processus législatif au Parlement, pour ensuite faire l’objet de contestations judiciaires.

Le gouvernement préconise la poursuite des consultations. En tout respect, nous n’avons pas à choisir entre consulter et amender. Grâce à ces amendements, le Canada peut remplir ses obligations immédiates en vertu de la Charte, qui consistent à éliminer la discrimination dès maintenant, tout en organisant des consultations sur la mise en œuvre des changements d’une manière qui favorise et qui soutient l’autodétermination. Les amendements qui nous sont présentés ont été recommandés par des témoins représentant la majorité des Premières Nations et des organisations des Premières Nations qui participent au processus de consultation actuel du gouvernement. Ils ont déclaré devant le comité que ces amendements constituaient une solution urgente et nécessaire.

Si le Canada doit respecter son devoir de consultation, il ne peut toutefois pas consulter sur la pertinence de pratiquer une discrimination fondée sur la race ou le sexe, de maintenir une formule d’extinction par la loi ou de contribuer à un acte de génocide. Le Canada peut toutefois respecter son obligation constitutionnelle de mettre fin à la discrimination, puis procéder à des consultations sur le soutien à apporter aux communautés.

On nous exhorte à abandonner les amendements parce que, cette fois-ci, c’est la première Autochtone à être ministre responsable de cette question qui nous promet de mettre fin à la discrimination. Les amendements ne visent pas à remettre en question l’intégrité, les intentions ou la bonne volonté de la ministre. Plusieurs d’entre nous vous l’ont déjà dit.

Toutefois, nous avons constaté la même sincérité chez d’autres ministres dans des situations similaires. Beaucoup d’entre vous se souviendront de l’engagement pris par la première ministre responsable des personnes handicapées — elle-même vivant avec un handicap — de mettre en place une prestation canadienne adéquate pour les personnes handicapées. Le Sénat a constaté l’absence d’engagements précis dans le texte du projet de loi C-22, mais a adopté le projet de loi parce que nous avions confiance en son intégrité, son honnêteté, sa volonté et son engagement à aller jusqu’au bout. La ministre a ensuite été démise de ses fonctions et on a mis en place une prestation canadienne pour les personnes handicapées qui est inadéquate.

Il ne faut pas non plus oublier le projet de loi C-5, qui n’a fait l’objet d’aucune consultation, parce que le gouvernement — le même gouvernement qui demande aux Premières Nations de lui faire confiance pour défendre leurs droits dans le cadre du projet de loi S-2 — a conclu que « le projet de loi C-5 ne concerne pas directement les droits des communautés autochtones ».

Les Premières Nations ne sont pas d’accord. Au moins neuf Premières Nations ici en Ontario ont poursuivi le gouvernement, alléguant que le projet de loi C-5 enfreignait la Charte et soulignant que la loi diminuait nécessairement « la capacité de participation des Premières Nations ». La semaine dernière encore, le projet de loi C-5 a été mentionné dans un protocole d’accord concernant un pipeline traversant le territoire des Premières Nations côtières de la Colombie-Britannique, qui affirment n’avoir pas été consultées.

Pourquoi des décisions visant à exploiter les terres des Premières Nations sont-elles imposées sans consultation par le même gouvernement qui affirme que 40 ans de consultation ne suffisent pas pour mettre fin à la discrimination envers les femmes et les enfants autochtones?

Le projet de loi S-2 a été initialement présenté dans une législature précédente, par un autre ministre. Le processus de consultation du ministre actuel n’a pas été suivi au moins en ce qui concerne certaines dispositions du projet de loi. Devant le comité, Alyson Bear, l’avocate générale de la Nation dakota de Whitecap, a évoqué les articles 10 et 11 du projet de loi S-2, qui proposent d’interdire toute compensation :

Personne n’a donné son consentement pour inclure une disposition disant que nous ne pouvons pas exercer nos droits et intenter des poursuites à l’égard de quelque chose qui est discriminatoire envers nous tous.

Elle a poursuivi en déclarant :

[...] aucune de nos nations n’a même été mise au courant de cet article du projet de loi S-2, et ne l’a accepté, et il faut absolument le retirer.

Les amendements dont vous êtes saisis comprennent la suppression de ces deux articles. Le gouvernement craint que ces amendements soient contestés devant les tribunaux, nous dit-on. Non seulement la possibilité que des Premières Nations intentent des poursuites n’a pas empêché le gouvernement d’adopter à toute vapeur le projet de loi C-5, mais on ne sait trop qui, à part le gouvernement lui-même, pourrait insister pour rétablir l’interdiction de compensation ou l’exclusion après la deuxième génération.

En revanche, le comité a appris que, si le projet de loi n’est pas modifié, au moins un groupe est quasiment certain de le contester en vertu de la Charte. La constitutionnaliste Mary Eberts, qui a participé depuis les années 1980 à des litiges relatifs à la discrimination sexuelle dans la Loi sur les Indiens, a déclaré :

[...] je pense que si le projet de loi S-2 est adopté tel quel, une poursuite sera intentée dans les six semaines à deux mois pour contester [...]

 — le paragraphe —

[...] 6(2) et l’interdiction de recouvrer des dommages-intérêts. C’est une prédiction qui est presque une promesse [...]

Le gouvernement affirme que nous devrions attendre la présentation d’un projet de loi distinct, parce que la ministre travaillera à « mener à bien le processus de consultation [...] dans les prochaines semaines [...] ».

Comme l’a souligné à juste titre la sénatrice Ringuette, si les consultations sont terminées d’ici quelques semaines, ce serait le moment idéal pour procéder aux amendements et permettre à la Chambre des communes de les examiner parallèlement aux résultats des consultations avant la date limite fixée par la cour à l’égard du projet de loi S-2, c’est-à-dire en avril.

Il est hypocrite et inacceptable que le Canada demande une fois de plus aux peuples autochtones d’attendre l’égalité, une égalité qui est garantie dans la Charte depuis 40 ans.

Au cours de quatre décennies de consultations sur la discrimination dans la Loi sur les Indiens, les Premières Nations ont fait savoir au Canada que la suppression de l’exclusion après la deuxième génération et des obstacles à l’indemnisation pour discrimination constituaient des priorités urgentes.

Le rapport de 2022 du Comité des peuples autochtones intitulé C’est assez! a soutenu et amplifié les appels des Premières Nations à une action urgente.

Le projet de loi S-2 n’était pas une mesure proactive prise par le gouvernement en réponse aux consultations et aux recommandations. Il s’ajoute à au moins quatre autres projets de loi qui n’ont été présentés que parce que le gouvernement a été contraint d’agir par un tribunal. À chaque fois, au lieu de présenter des mesures législatives visant à garantir l’égalité pour tous, le gouvernement a choisi de faire le strict minimum en proposant des mesures législatives progressives qui obligent les membres des Premières Nations — en particulier les femmes et leurs descendants — à retourner devant les tribunaux pour faire valoir leurs droits dans le cadre d’un régime législatif qui empêche toute indemnisation.

Cette approche ne permet absolument pas d’éliminer les inégalités. Pire encore, de telles manœuvres politiques perpétuent la discrimination. L’arrêt Descheneaux, qui a donné lieu au projet de loi S-3 en 2017, a dénoncé le gouvernement en soulignant que le Parlement peut et doit prendre des mesures pour :

[...] identifier ou [...] régler toutes les autres situations discriminatoires [...] fondées sur le sexe ou sur d’autres motifs prohibés, et ce, en conformité avec son obligation constitutionnelle de s’assurer que les lois respectent les droits consacrés à la Charte canadienne.

Voici également ce qu’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vriend :

[...] des groupes qui sont depuis longtemps victimes de discrimination d’attendre patiemment que les gouvernements en viennent, étape par étape, à protéger leur dignité et leur droit à l’égalité.

Sans engagement législatif visant à supprimer la règle de l’exclusion après la deuxième génération, la question de savoir si la discrimination prendra fin reste incertaine. Rose LeMay a récemment résumé la situation dans le Hill Times :

C’est comme exiger de dépenser quelques millions de dollars pour consulter les personnes qui ont faim et leur demander « voulez-vous de la nourriture dans un an ou dans cinq ans? », au lieu de leur donner à manger.

Les amendements dont nous sommes saisis aujourd’hui peuvent et doivent être mis en œuvre parallèlement à un processus de consultation. Ces amendements pourraient garantir que le Canada ne mène pas de consultation sur la nécessité de mettre fin à la discrimination. Le processus de consultation porterait plutôt sur les moyens d’aider les collectivités à accueillir à nouveau les gens que le Canada a tenté d’enlever de force, les moyens d’aider les personnes nouvellement inscrites, et les moyens de garantir l’accès au logement et aux infrastructures pour tous.

Ensemble, nous pouvons appuyer les intentions et les mesures positives prises par la ministre pour mener des consultations tout en respectant les obligations constitutionnelles du Canada d’éradiquer la discrimination à l’égard des groupes dits minoritaires que cet endroit a le devoir particulier de représenter.

Selon moi, il s’agit clairement d’un de ces moments où nous devons soutenir ces groupes. Plutôt que d’approuver sans discussion une réponse constitutionnellement inadéquate qui perpétue une histoire coloniale honteuse, nous devons soutenir les Premières Nations et envoyer un message clair selon lequel nous ne tolérerons plus la discrimination.

Meegwetch. Merci.

L’honorable Judy A. White [ + ]

Honorables sénateurs, je souscris entièrement à ces amendements, mais je ne peux pas les appuyer pour le moment. Je m’explique.

Ma perspective repose sur le principe mi’kmaq que l’Aîné Albert Marshall d’Eskasoni a fait sien, celui du « double regard », c’est-à-dire d’apprendre à voir, d’un œil, les avantages du savoir autochtone et, de l’autre, les vertus des institutions et des lois occidentales. Ce principe nous apprend que l’équilibre est nécessaire au véritable progrès, qu’au lieu de choisir une façon de voir le monde au détriment d’une autre, il vaut mieux s’inspirer des deux visions pour assurer le bien-être de nos gens.

Je me rappelle également que, dans le discours du Trône qu’il a prononcé devant le Parlement, Sa Majesté le roi Charles III a parlé de ce qu’il a appelé « confronter la réalité », c’est-à-dire faire face à la réalité, aussi dure soit-elle, sans lunettes roses, reconnaître les lacunes des systèmes et s’engager à apporter de manière honnête les correctifs nécessaires, malgré le malaise que cela peut créer.

C’est dans cet esprit, avec la perspective autochtone et avec en tête la responsabilité de confronter la réalité, que j’entends me prononcer sur le projet de loi S-2.

Le projet de loi S-2 cherche à corriger certaines iniquités qui se retrouvent depuis longtemps dans la Loi sur les Indiens. Il mise pour ce faire sur trois grandes modifications. Premièrement, il remplace certains termes désuets et offensants; deuxièmement, il crée un nouveau processus pour les personnes qui souhaitent retirer leur nom du registre des Indiens; et troisièmement, il s’attaque aux iniquités créées par l’émancipation, en plus de redonner aux personnes concernées le droit de réclamer le statut d’Indien et aux femmes qui se sont mariées avant 1985 celui de réintégrer leur bande natale.

Ce projet de loi corrige des injustices précises qui touchent les familles autochtones depuis bien trop longtemps. Il représente un progrès, même s’il est modeste, et il met fin à des préjudices.

Comme l’a dit la sénatrice Audette à l’étape de la deuxième lecture, ce projet de loi est :

[...] le début d’une réponse — une réponse à des décennies d’injustices que des gens, des humains, des hommes et des femmes ont vécues et continuent de vivre.

Le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui s’appuie sur des expériences vécues, les connaissances de la communauté et un engagement indéfectible envers la justice.

Aujourd’hui, je vais vous donner quelques précisions sur la portée du projet de loi S-2. Je veux parler des préjudices qui seront réparés au moyen de ce projet de loi. Ce projet de loi n’est qu’une pièce du casse-tête. Il est important de reconnaître qu’il existe de nombreuses formes de discrimination qui prévalent encore dans la Loi sur les Indiens, et ce projet de loi ne vise pas à les éliminer toutes.

J’aborderai certaines questions qui subsistent concernant l’appartenance à une Première Nation, notamment en ce qui a trait à l’exclusion après la deuxième génération en général et au cas particulier de la Première Nation Qalipu dans ma province, Terre-Neuve-et-Labrador. Je soulignerai également l’importance historique du fait que ce projet de loi soit marrainé par des femmes des Premières Nations dans les deux Chambres du Parlement, et je conclurai en insistant sur l’importance de poursuivre la lutte contre le colonialisme et l’injustice dans la Loi sur les Indiens et partout ailleurs.

Je viens d’une petite communauté mi’kmaq sur la côte Ouest de la portion insulaire de notre province, Flat Bay. Notre communauté est gouvernée par un Chef et par un conseil. Il n’y a pas de municipalités. Nous sommes membres de l’Assemblée des Premières Nations. Nous étions des Indiens avant que ce soit tendance d’être un Indien.

Quand Terre-Neuve s’est jointe à la Confédération, en 1949, notre province est devenue la 10e du Canada, mais les Mi’kmaqs ont été délibérément laissés de côté, ni plus ni moins. Au moment de l’Union, la Loi sur les Indiens n’avait pas encore été rédigée. Sur papier, l’identité autochtone à Terre-Neuve-et-Labrador a pour ainsi dire été effacée. Il ne s’agissait pas d’une méprise. Cette décision reflétait la mentalité de l’époque : pour éliminer le « problème indien », il faut éliminer les Indiens. Sur papier, nous n’existions pas. La plupart d’entre nous l’ignorions. Nous continuions de vivre notre vie comme nous l’avions toujours vécue.

Vu les contraintes de temps qui nous sont imposées, je vais m’en tenir à une version abrégée — vous verrez, même les Coles Notes vous sembleront particulièrement succinctes.

Au début des années 1970, les peuples autochtones de la province ont commencé à s’unir. Ils ont traîné le gouvernement devant les tribunaux — pour cause de discrimination, rien de moins — au motif qu’il ne traitait pas les Indiens de Terre-Neuve-et-Labrador comme ceux du reste du pays. Après de nombreuses années de négociations, et même une grève de la faim de la part de neuf guerriers de Conne River, une réserve a été créée à Terre-Neuve. Flat Bay, ma communauté, devait suivre, et d’autres après elle, mais les vents politiques ont tourné et nous sommes tombés dans l’oubli. La contestation judiciaire a suivi son cours, et c’est ce qui nous amène à la formation de la Première Nation de Qalipu, en 2009.

Les règles coloniales continuent de dicter qui le Canada doit reconnaître et qui il doit renier. L’identité demeure entre les mains du fédéral, au lieu d’être entièrement entre les mains des Autochtones, et l’expérience de la Première Nation de Qalipu en est le plus parfait exemple.

Quand la Première Nation de Qalipu a été créée, il s’agissait d’une bande sans territoire, autrement dit d’une personne morale. Le but consistait à corriger un tort historique, à faire en sorte que notre province reconnaisse de nouveau les Mi’kmaq, qui étaient exclus des politiques fédérales depuis des générations. Or, le processus comportait des lacunes. Au total, 100 000 personnes ont demandé à être inscrites. Notre province ne compte que 500 000 habitants. Les gens présentaient une demande de bonne foi, mais les règles ont été réécrites par après.

Certaines familles ayant des racines culturelles bien ancrées et une forte présente communautaire ont été rejetées. Par contre, beaucoup de personnes n’ayant aucun lien véritable avec le patrimoine mi’kmaq ont obtenu le statut d’Indien. Chez nous, nous disons qu’ils sont des Indiens seulement sur papier. Le résultat est un registre incohérent, car des noms qui ne devraient pas y être s’y trouvent et d’autres noms qui auraient toujours dû y figurer n’y figurent pas.

Cette situation a causé de véritables préjudices. Certaines familles mi’kmaq légitimes ont été privées de la reconnaissance et des droits qu’elles méritaient. Elle a permis à la bureaucratie fédérale de définir l’appartenance autochtone à la place des communautés autochtones. À cause d’elle, certaines personnes de ma communauté, moi y compris, ont dû se plier à un processus défaillant pour faire reconnaître leur identité.

Voici quelques exemples qui illustrent à quel point le processus est défaillant. Il y a le cas des trois enfants; le plus vieux et le plus jeune ont eu droit au statut d’Indien, mais pas celui du milieu. Les trois ont pourtant les mêmes parents. Je pense aussi à ce jeune homme et à sa sœur; lui a été inscrit, mais pas elle, parce qu’elle fréquentait l’université. Voilà à quel point le processus d’inscription est défaillant.

La Première Nation Qalipu et ses membres tentent de nous effacer en nous remplaçant, en essayant de faire disparaître ma communauté de l’Assemblée des Premières Nations, en ne reconnaissant pas nos aînés de manière respectueuse, en disant « Oh, ne parlez pas aux aînés de Flat Bay », ces mêmes personnes qui sont à la base du mouvement autochtone à Terre-Neuve-et-Labrador. C’est de l’injustice pure et simple.

Avant que mes comptes explosent sur les réseaux sociaux, je tiens à préciser qu’il existe des Indiens inscrits légitimement au sein de la Première Nation Qalipu, quoique beaucoup ne le sont pas. Je fournis cette information afin de mettre en contexte les leçons qui ont été apprises et les changements qui doivent être apportés à l’avenir dans le cadre de la Loi sur les Indiens.

Nous devons veiller à ce que l’inscription soit menée à l’avenir par la communauté, afin que la communauté elle-même définisse le lien avec la communauté et qui sont ses membres.

Toute future inscription doit obéir à des règles claires, fiables et transparentes. Elle doit inclure les Aînés et les porteurs du savoir. Elle doit respecter l’identité vécue, et non les formalités administratives, et elle doit prévoir des recours équitables qui rétablissent la dignité, plutôt que de la nier.

Le projet de loi S-2 répond à la question urgente de l’émancipation, une pratique historique qui continue d’avoir des effets dévastateurs sur les communautés autochtones. Comme nous l’avons déjà entendu, l’émancipation était la politique qui permettait aux membres des Premières Nations de renoncer à leur statut afin d’obtenir certains avantages, notamment le droit de vote. Certaines personnes ont accepté cette procédure de leur plein gré, d’autres non.

À l’heure actuelle, la Loi sur les Indiens ne mentionne pas que les personnes touchées par l’émancipation ont le droit d’être inscrites. Ce projet de loi créerait une nouvelle disposition qui donnerait le droit de s’inscrire aux personnes qui se sont vu refuser le statut d’Indien ou qui ont perdu leur statut en raison de leur émancipation.

L’émancipation a pris fin vers les années 1960, mais ses conséquences se sont transmises de génération en génération. Ceux qui ont été émancipés, et leurs descendants, demeurent privés de leur statut. Le projet de loi à l’étude offre un moyen de leur rendre ce qui leur a été injustement retiré.

Les témoignages ont confirmé pourquoi ce travail ne peut attendre. Kathryn Fournier a affirmé que l’émancipation « relevait du génocide par sa portée ». Le Chef autochtone Wilton Littlechild, qui est avocat, a relevé des incohérences entre la Loi sur les Indiens et les obligations du Canada en vertu de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, en particulier les articles 6, 7, 8 et 9, qui protègent l’identité autochtone et interdisent l’assimilation forcée.

Dans l’affaire Nicholas, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a confirmé que certaines dispositions de la Loi sur les Indiens violent les droits à l’égalité des familles touchées au titre de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. La cour a donné au Canada jusqu’à avril 2026 pour remédier à cette violation. Le projet de loi S-2 est la solution. L’adoption de ce projet de loi n’est pas facultative. C’est une obligation morale et une obligation en vertu de la Charte.

Il est également important de noter les problèmes liés à l’inscription qui ne sont pas abordés dans le projet de loi S-2. Au comité, de nombreux témoins ont précisément indiqué que l’exclusion après la deuxième génération au titre du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens est une priorité. Nous avons entendu de nombreux témoignages, comme l’ont souligné précédemment nos collègues, sur les préjudices causés par le paragraphe 6(2). Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une question urgente qui cause des préjudices et qui doit être traitée.

Cette étude a été très difficile au comité. Beaucoup de larmes ont été versées, non seulement par les témoins, mais aussi par nous, les membres du comité. Nous sommes tous touchés par cette question, tous les Indiens inscrits qui se trouvent ici, dans la tribune et dans la salle. La ministre elle-même est touchée.

Je félicite les membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je salue le travail que vous accomplissez et que vous essayez d’accomplir. Toutefois, l’inscription est une question complexe qui nécessite son propre processus d’élaboration.

À plusieurs reprises, la ministre des Services aux Autochtones a réitéré son engagement à travailler avec les communautés autochtones afin de trouver une solution élaborée conjointement, de nation à nation, et provenant des communautés elles-mêmes.

Nous ne devons pas entraver ce travail en ajoutant des amendements au projet de loi S-2. Il est très important que nous fassions bien les choses. Nous devons laisser à la ministre le temps nécessaire pour continuer à rechercher des solutions et à écouter les communautés avant d’agir en ce qui concerne le paragraphe 6(2).

Adopter ce projet de loi sans amendement ne met pas fin à nos efforts pour modifier la Loi sur les Indiens. Cela ne veut pas dire que nous ne tenons pas compte d’autres problèmes urgents en ce qui concerne l’appartenance et les autres dispositions discriminatoires de la Loi sur les Indiens.

Cela signifie plutôt que nous faisons un pas vers la justice. Nous poursuivrons ces efforts comme il se doit dans un esprit de réconciliation, de façon conjointe, et conformément à nos obligations en vertu de la Charte et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Le double regard nous enseigne à faire les choses de façon responsable et respectueuse. Ce ne sont pas que de simples modifications qui sont demandées; il faut un dialogue approfondi de nation à nation et des solutions communautaires.

Nous devons avoir la lucidité et l’honnêteté de reconnaître que, si nous adoptons des amendements à ce projet de loi à la hâte, nous risquons de retarder la justice pour les familles émancipées qui attendent déjà depuis des décennies.

Honorables collègues, pour la première fois dans l’histoire du Canada, le poste de ministre des Services aux Autochtones est occupé par une femme autochtone qui a été Grande Cheffe au sein de nos systèmes traditionnels, ce qui n’est pas anodin. Son leadership est important. Trop souvent, on s’attend à ce que les femmes autochtones en position de pouvoir portent le poids de la perfection, justifient leur présence, et fassent tout pour tout le monde. Aujourd’hui, je rejette ces attentes. Je prends la parole non pas pour critiquer ou contester, mais pour offrir mon soutien.

Je tiens à saluer Cindy Woodhouse Nepinak, cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations. Je vous remercie de votre leadership.

À la marraine du projet de loi, la sénatrice Audette : vous êtes phénoménale. Vous décortiquez chaque question morceau par morceau. Je suis fière de ce que vous faites. C’est un honneur de faire partie de cette auguste assemblée en votre compagnie.

À la ministre Gull-Masty : vous êtes en train d’écrire une page d’histoire, mais surtout, vous faites bouger les choses. Vous créez de nouveaux souvenirs dans la mémoire de nos enfants. Vous montrez à des générations de jeunes Autochtones — surtout aux filles — qu’en plus d’appartenir à ces espaces, nous y sommes essentiels.

J’aimerais que ce moment marque une transition, sur le plan de la représentation, certes, mais aussi sur celui du respect; qu’il ne se traduise pas seulement par des paroles, mais aussi par des actes; qu’il s’inscrivent non seulement dans une démarche politique, mais qu’il ouvre la voie à une véritable réconciliation.

Une ancienne Grande Cheffe, je tiens à la répéter, exerce aujourd’hui les fonctions de ministre des Services aux Autochtones — jamais je n’aurais cru que ce jour arriverait —, prend les devants, prend sur elle de restaurer la confiance et de rendre justice à notre peuple. Elle est en train de faire tomber des obstacles qui existent depuis des siècles.

Elle a été sans équivoque. Elle ne peut accepter aucun amendement pour le moment. Même si j’entends ceux qui voudraient aller plus loin — et je suis tout à fait d’accord pour dire, moi aussi, qu’il faut en faire plus —, je ne peux pas appuyer des amendements qui risquent de compromettre les progrès qui ont été réalisés aujourd’hui. Je choisis plutôt de soutenir cette ministre autochtone dans le rôle historique qu’elle joue, et je m’engage à travailler avec elle pour veiller à ce que le prochain chapitre de ce processus soit à la hauteur des normes que notre peuple mérite.

À l’heure actuelle, avec le « double regard » et une honnêteté lucide, je me dois d’appuyer cette ministre. L’adoption du projet de loi S-2 est à la fois un impératif moral et une obligation légale. Bien que l’adoption de ce projet de loi ne réglera pas toutes les dispositions discriminatoires qui subsistent dans la Loi sur les Indiens, elle représente néanmoins une avancée historique, une étape vers la justice pour les familles, les hommes et les femmes autochtones, qui attendent depuis déjà trop longtemps.

Adoptons ce projet de loi sans amendements, non pas parce qu’il est parfait, mais parce que la justice différée est une justice refusée. Nous maintiendrons la pression. Nous continuerons de remédier à la situation. Nous n’arrêterons pas tant que les communautés et les nations autochtones ne détermineront pas entièrement leur identité, leur citoyenneté et leur avenir.

Nous devons adopter ce projet de loi, non pas parce que c’est la solution définitive, mais parce que c’est un début et que certains d’entre nous, comme Beverly Asmann et la Michel Callihoo Nation Society, attendent ce moment depuis bien trop longtemps.

Wela’ lin. Je vous remercie.

Son Honneur le Président intérimaire [ + ]

Sénatrice McCallum, avez-vous une question?

L’honorable Mary Jane McCallum [ + ]

Oui.

Son Honneur le Président intérimaire [ + ]

Sénatrice White, accepteriez-vous de répondre à une question?

La sénatrice White [ + ]

Oui.

La sénatrice McCallum [ + ]

Merci. Nous avons déjà entendu des propos alarmistes au sujet d’un « nombre incalculable de personnes », ce qui ne reflète pas la réalité. Nous l’avons entendu de la part de Chefs. Services aux Autochtones Canada ne peut, en toute bonne foi, utiliser le sous-financement discriminatoire comme raison pour refuser à des personnes leurs droits à l’égalité. Saviez-vous que, selon Corbiere c. Canada (1999), le gouvernement fédéral ne peut pas faire valoir que les modifications apportées à la Loi sur les Indiens constitueraient un fardeau financier pour les Premières Nations? Je cite :

[...] la possibilité que, dans l’avenir, il ne mette pas à la disposition des communautés autochtones les ressources additionnelles nécessaires pour mettre en place un régime qui garantirait le respect des droits à l’égalité ne saurait justifier la violation de droits constitutionnels dans une disposition législative relevant de son autorité.

Pourriez-vous nous dire votre opinion sur cet extrait, s’il vous plaît?

La sénatrice White [ + ]

Veuillez m’excuser, sénatrice McCallum. S’agit-il de l’affaire Corbiere?

La sénatrice McCallum [ + ]

Oui.

La sénatrice White [ + ]

Je ne l’ai pas examinée depuis longtemps, même si je suis avocate. Je ne suis pas certaine de bien comprendre la question, mais je peux dire que je n’ai pas parlé des coûts ni d’autres questions. Je ne suis pas sûre de saisir la question. Veuillez m’excuser.

La sénatrice McCallum [ + ]

Vous avez dit qu’un nombre alarmant de personnes allaient s’inscrire, et c’est là-dessus que porte ma question. Nous avons entendu aujourd’hui qu’il fallait consulter au sujet du financement et des personnes qui allaient s’inscrire. J’aimerais que vous nous disiez ce que vous en pensez.

La sénatrice White [ + ]

Merci beaucoup. Je n’ai pas parlé du coût pour les inscriptions ni du nombre de personnes qui allaient s’inscrire. J’ai seulement parlé du processus qui s’est déroulé à Terre-Neuve-et-Labrador, où 100 000 personnes ont demandé à être inscrites. Je crois que seulement 30 000 ont finalement été acceptées, mais il y a environ cinq affaires différentes devant les tribunaux, donc je ne suis pas certaine de l’état d’avancement de chacune d’entre elles. Cependant, je comprends ce que vous dites. Je ne sais pas quoi répondre à cette question. Je suis désolée.

Son Honneur le Président intérimaire [ + ]

Sénateur Tannas, vous avez la parole.

L’honorable Scott Tannas [ + ]

Sénatrice White, c’était un gros morceau. Je vous remercie. Votre discours était fantastique. Nous en avons entendu plusieurs autres aujourd’hui, et c’est un honneur de participer brièvement à ce débat et de parler du projet de loi S-2 à l’étape du rapport.

Beaucoup d’entre vous savent que je suis membre du Comité des peuples autochtones depuis 2013, année où je suis arrivé au Sénat. Cela fait de moi le doyen du comité et, à ce titre, je peux dire que j’ai vu et entendu beaucoup de choses au cours de ces 13 années.

Rien de ce que j’ai appris dans le cadre de mon travail au sein du comité ne se compare à l’expérience vécue par les Autochtones au Canada, y compris mes collègues autochtones actuels et anciens du Sénat. Servir avec ces gens a été et continue d’être une joie, tout en étant un exercice d’humilité.

Encore une fois, rien de ce que je peux dire ne se compare à l’expérience vécue par une personne autochtone. Tout ce que je peux faire, c’est agir selon ma conscience, m’inspirer de ce que j’apprends dans les réunions du comité et les débats comme celui d’aujourd’hui et me laisser guider par ce que je considère comme mon devoir de sénateur.

Lors de la première réunion du comité sur le projet de loi S-2, nous avons entendu la ministre Gull-Masty. J’ai ressenti l’importance historique de ce moment, l’énergie qui régnait dans la salle. Accueillir la première ministre autochtone chargée des questions autochtones fut un moment historique, et nous en étions tous conscients. J’ai été très impressionnée par son message, qui était d’adopter le projet de loi S-2, lequel, de son propre aveu, ne concerne qu’une petite partie des personnes victimes de discrimination. Elle s’occuperait des autres, notamment celles qui sont visées par la règle de l’exclusion après la deuxième génération, au moyen d’une autre mesure législative. Elle a fait ces déclarations avec force et confiance.

J’étais enclin à la croire et à appuyer le projet de loi sans amendement. Cependant, après avoir entendu 61 autres témoins en 12 jours, je n’ai pas eu le choix d’arriver à une autre conclusion.

Au cours des réunions du comité, j’ai entendu parler de problèmes immédiats et croissants concernant les enfants non inscrits. La première génération à ne pas être inscrite vit dans les communautés des Premières Nations, mais elle est privée d’argent pour son éducation et sa santé. J’imagine ce que ressent un enfant qui voit qu’il est traité différemment des autres. Dans ces communautés, un enfant comme lui est, d’une certaine façon, inférieur à ses cousins, à ses amis et à ses voisins.

Au cours des réunions du comité, j’ai écouté les conseils des chefs et d’autres dirigeants communautaires, dont beaucoup figuraient sur la liste de consultation. En fait, la plupart des communautés figurant sur la liste de consultation étaient représentées par des témoins devant le comité qui ont recommandé que nous agissions dès maintenant pour éliminer ce fléau qui sévit depuis 40 ans et qui, aujourd’hui plus que jamais, touche de plein fouet les communautés.

Au cours des réunions du comité, je me suis souvenu de la dernière fois où nous avons été confrontés à une situation similaire, en 2017, lorsque la règle d’exclusion après la deuxième génération a été exclue d’un projet de loi visant à éliminer la discrimination dans la Loi sur les Indiens. À l’époque, nous avons reporté la question malgré les nombreux témoins qui nous demandaient d’ajouter un amendement visant à supprimer la règle d’exclusion après la deuxième génération. Au lieu de cela, nous nous sommes contentés de la promesse d’un ministre de prendre des « mesures » à l’avenir.

Cela remonte à huit ans. Tout au long des réunions, j’ai observé et écouté mes collègues autochtones nous guider au cours de l’interrogation minutieuse des témoins et, à la fin de ce processus, il était clair pour moi quel était mon devoir. J’appuierai les amendements proposés dans ce rapport. Je crois qu’il est de notre devoir de fournir au gouvernement et à la Chambre des communes nos meilleurs conseils sur cette question des inégalités dans la Loi sur les Indiens.

Je comprends que les amendements relatifs à l’exclusion après la deuxième génération pourraient être retirés du projet de loi par le gouvernement à la Chambre des communes. Ce faisant, il aura l’occasion de rassurer les Premières Nations quant à son engagement à corriger l’exclusion après la deuxième génération et de répéter le « comment », et non le « si », comme cela a été dit. C’est ce qui se produira parce que c’est ce dont la ministre a parlé au Sénat. Il faudrait en parler à la Chambre des communes, c’est-à-dire du « comment », et non du « si ». De plus, les gouvernements des Premières Nations obtiendront peut-être des précisions sur le « quand ». Voilà pourquoi nous devrions faire avancer ce projet de loi.

Si c’est tout ce que nous obtenons en retour, chers collègues, c’est-à-dire un projet de loi dépouillé et un engagement officiel du gouvernement à la Chambre des communes sur le « quand », alors je pense que nous aurons fait notre devoir, et c’est tout ce que nous pouvons faire.

Renvoyons ce projet de loi amendé à la Chambre pour examen. Merci.

Honorables sénateurs, je viens du territoire du Traité no 1, patrie de la nation métisse de la rivière Rouge, et je suis très fière de faire partie d’un réseau de parlementaires qui travaillent en étroite collaboration avec les dirigeants autochtones de ma province.

Plus tôt aujourd’hui, le grand chef Daniels, de l’Organisation des chefs du Sud, au Manitoba, a publié une déclaration dans laquelle il nous demandait clairement d’amender ce projet de loi et de proposer une fois pour toutes au gouvernement les mesures à prendre pour corriger la Loi sur les Indiens et en éliminer la discrimination fondée sur le sexe.

Je suis également honorée d’être membre du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones aujourd’hui, comme je l’étais lorsque le comité a examiné le projet de loi S-3. Le gouvernement, par l’intermédiaire de la ministre Gull-Masty, insiste pour que le Sénat ne modifie rien avant que la ministre ait terminé ce qu’elle a décrit comme un processus de consultation obligatoire.

Veuillez garder à l’esprit que les préjudices dont il est question dans ce projet de loi, si bien décrits par la sénatrice White, seront réparés dans le projet de loi amendé présenté au Sénat par le Comité des peuples autochtones. Oui, la ministre est la première femme autochtone à occuper ce poste et elle mérite tout notre respect et notre gratitude. Cependant, c’est aussi une ministre qui a admis au Comité des peuples autochtones qu’elle n’avait pas encore entamé ses consultations et qui fait partie d’un gouvernement minoritaire qui s’est maintenu au pouvoir de justesse il y a quelques jours à peine. Cette ministre prend, certes de bonne foi, des engagements qu’elle n’a pas les moyens de tenir, parce qu’elle pourrait être remplacée à tout moment. Il s’agit d’un gouvernement minoritaire qui pourrait tomber d’un jour à l’autre.

Malheureusement, il est également vrai que le projet de loi S-3, qui vise à modifier la Loi sur les Indiens en éliminant les iniquités fondées sur le sexe en matière d’inscription, a obtenu du soutien il y a plus de sept ans grâce à des engagements pris par les prédécesseurs de cette ministre, engagements qu’aucun gouvernement libéral n’a honorés depuis.

En mai 2017, l’ancienne ministre Carolyn Bennett a dit ceci au Comité sénatorial des peuples autochtones :

[...] j’estime important d’expliquer ce que le gouvernement entend quand il dit vouloir éliminer les « iniquités connues fondées sur le sexe » au moyen du projet de loi S-3.

D’abord, permettez-moi d’être très claire : la conformité à la Charte n’est pas négociable. Le projet de loi S-3 amendé permettra de remédier aux iniquités connues fondées sur le sexe concernant l’inscription au registre des Indiens aux termes de la Loi sur les Indiens, qui n’est pas conforme à la Charte. Cette mesure ne se limite pas aux situations pour lesquelles un tribunal a déjà rendu un jugement, mais elle s’étend également aux situations futures où un tribunal pourrait conclure à l’existence d’une violation des dispositions de la Charte fondée sur le sexe.

Chers collègues, le projet de loi S-2 était le projet de loi C-38 avant la dernière prorogation du Parlement. Selon un rapport de Services aux Autochtones Canada intitulé Rapport annuel sur l’inscription en vertu de la Loi sur les Indiens, l’appartenance aux Premières Nations et les cartes de statut 2023, 50 séances de consultations individuelles, 95 séances organisationnelles, 40 séances gouvernementales et 55 séances avec les communautés des Premières Nations ont été organisées en prévision du projet de loi C-38.

La constitutionnaliste autochtone, Pam Palmater, a comparé le projet de loi C-5, qui reposait sur un tout petit nombre de consultations, à cette mesure législative, le projet de loi S-2 :

De nombreux dirigeants des Premières Nations se sont opposés à la Loi visant à bâtir le Canada, sous le prétexte qu’il fallait davantage de consultations. Cependant, il semble que le gouvernement n’accorde pas toujours de l’importance à cette nécessité de consulter, comme on le constate quand il soutient que la décision dans l’arrêt Mikisew Cree indique qu’il n’est pas nécessaire de mener des consultations sur des mesures législatives, car cela mine le rôle de l’exécutif et du législatif.

Plus tôt aujourd’hui, la sénatrice LaBoucane-Benson a lu à tous les sénateurs une déclaration de deux sénateurs à la retraite, l’honorable Lillian Dyck et l’honorable Sandra Lovelace Nicholas :

Dans les deux Chambres du Parlement et ailleurs au pays, le courage, l’influence et la vision des femmes autochtones méritent tout notre respect et notre gratitude. Parlant de respect et de gratitude, comme je fais partie des personnes mentionnées dans la déclaration commune, avec les sénateurs Tannas et Pate, je dois dire que j’ai siégé au Comité des peuples autochtones et que je me suis grandement investie dans l’étude du projet de loi S-3, il y a maintenant huit ans.

J’aimerais attirer votre attention sur un seul point de la déclaration qui nous a été envoyée aujourd’hui : « [...] l’exclusion après la deuxième génération perpétue la discrimination sexuelle contre les femmes qui épousent un partenaire qui n’a pas le statut d’Indien. C’est faux [...] »

Pendant l’étude du projet de loi S-2 par le Comité des peuples autochtones, d’aucuns ont signalé que j’avais déjà dit qu’à mon avis, le projet de loi S-3 avait éliminé la discrimination sexuelle de la Loi sur les Indiens. J’aimerais préciser ma pensée. Je croyais alors — mais plus maintenant — que les promesses faites par le gouvernement, qui s’était engagé à agir rapidement dans le cadre des négociations sur le projet de loi S-3, se concrétiseraient.

J’ai été honorée d’être en compagnie des sénatrices Dyck et Lovelace Nicholas en Saskatchewan en 2019 lorsque la ministre de l’époque, Mme Bennett, a annoncé que le gouvernement fédéral avait mis en vigueur les dernières dispositions du projet de loi S-3, ce qui devait permettre aux défendeurs des Premières Nations nés après le 17 avril 1985 de s’inscrire. La ministre Bennett avait alors déclaré :

L’égalité entre les sexes est un droit humain fondamental. Depuis trop longtemps, les femmes des Premières Nations qui ont épousé un non-Indien et leurs descendants sont victimes de cette discrimination historique basée sur le sexe dans le cadre de l’inscription au registre de la Loi sur les Indiens depuis sa création il y a 150 ans. Je suis solidaire des femmes autochtones qui travaillent si fort depuis des décennies pour mettre fin aux inégalités fondées sur le sexe que comporte la Loi sur les Indiens et qui touchent l’inscription au registre. Je suis heureuse qu’aujourd’hui ces inégalités fondées sur le sexe aient été supprimées des dispositions relatives à l’inscription dans la Loi sur les Indiens.

Entre 2019, date à laquelle les paroles citées ont été prononcées, et aujourd’hui, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a publié son rapport concis, mais percutant, intitulé C’est assez!, car le gouvernement n’a pas tenu les promesses prises à l’égard de l’ensemble de mesures prévues dans le projet de loi S-3.

Honorables sénateurs, je reconnais maintenant que j’avais tort, et, aujourd’hui, la ministre actuelle prend des engagements comme l’ont fait ses prédécesseurs. En ce qui concerne l’affirmation contenue dans la déclaration que vous avez reçue aujourd’hui selon laquelle la règle de l’exclusion après la deuxième génération n’entraîne aucune discrimination fondée sur le sexe, je vous invite à examiner attentivement les points que je m’apprête à soulever en réponse.

Le sénateur Francis a parlé du droit à l’égalité énoncé à l’article 15 de la Charte. La Charte contient deux dispositions de dérogation. L’article 33 est celui que vous connaissez sans doute très bien, étant donné qu’il est actuellement utilisé par les gouvernements qui souhaitent violer les droits garantis par la Charte. C’est l’autre disposition de dérogation, énoncée à l’article 28, qui est la plus pertinente pour renforcer l’article 15 de la Charte afin d’éliminer la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens.

La disposition se lit comme suit :

Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes.

Avec toute ma gratitude pour Pam Palmater et les autres spécialistes du groupe de travail qui mènent, depuis plus d’une quarantaine d’années, des travaux de recherche et de revendication visant à abolir la discrimination sexuelle, voici quelques points à considérer à propos de la question qui nous occupe aujourd’hui. L’exclusion après la deuxième génération constitue un cas de discrimination fondée à la fois sur le sexe et sur la race. Il s’agit aussi vraisemblablement d’un cas de discrimination fondée sur l’origine ethnique et l’état civil. On ne peut pas prétendre qu’il s’agit seulement de discrimination fondée sur la race, et non sur le sexe, puisque toute discrimination va l’encontre des articles 15 et 28 de la Charte.

Les femmes des Premières Nations font l’objet d’une discrimination intersectionnelle en raison de leur sexe et de leur race. Selon l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, tous les Autochtones sont depuis toujours victimes d’un génocide, mais les femmes autochtones, elles, font l’objet d’une forme particulière de génocide : le génocide sexuel.

La discrimination sexuelle est patente dans le cas de l’exclusion après la deuxième génération. Il se crée par exemple des unités familiales inégales. Avant 1985, lorsqu’un homme autochtone se mariait avec une femme blanche, celle-ci obtenait le statut d’Indienne, tout comme ses enfants. À l’inverse, une femme autochtone qui se mariait avec un homme blanc perdait son statut, tout comme ses enfants, ses petits-enfants et ses arrière-petits-enfants. Même quand on a modifié la loi pour rétablir les droits de ces femmes, elles n’étaient pas traitées sur un pied d’égalité, car leur statut n’a pas été transmis à leur mari.

Je ne dis pas qu’il faut accorder le statut d’Indien aux hommes blancs, je veux plutôt souligner que l’effet est inégal et disproportionné sur la famille d’une femme autochtone par rapport à la famille d’un homme autochtone. Dans la famille d’un homme, on considère que les deux parents sont des Indiens inscrits, ce qui signifie deux séries de prestations, deux séries de paiements par habitant et deux séries de paiements prévus par les traités. Par conséquent, l’homme, son épouse et ses enfants reçoivent plus que, par exemple, sa sœur autochtone. Dans la famille de la femme, il n’y a qu’un seul parent qui est un Indien inscrit, ce qui donne droit à une seule série de prestations. Par conséquent, la femme, son conjoint et ses enfants reçoivent moins.

J’aimerais maintenant parler du rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones qui a été déposé au Sénat et de la disposition sur l’absence de responsabilité prévue dans le projet de loi S-2. N’est-il pas honteux que le gouvernement insiste pour maintenir des dispositions sur l’absence de responsabilité qui empêchent les femmes autochtones de demander réparation pour les torts qui leur ont été causés aux termes de la Loi sur les Indiens?

Pour régler ce problème, le rapport intitulé C’est assez!, qui a été adopté par le Sénat, propose, à la recommandation 7 :

Que le gouvernement du Canada présente un projet de loi [...] afin de permettre aux femmes des Premières Nations et à leurs descendants de réclamer une compensation.

La ministre de l’époque a rejeté cette recommandation en s’appuyant sur un vague motif selon lequel « [...] la validité de ces dispositions est évaluée et déterminée par les tribunaux ». Permettez-moi de poser la question suivante : quelle responsabilité du gouvernement en matière de lutte contre la discrimination fondée sur le sexe a été jugée illégale par nos tribunaux et les tribunaux internationaux?

Le fait qu’une disposition soit examinée par un tribunal n’empêche pas le Parlement de la modifier ou de l’abroger. Ce gouvernement et ceux qui l’ont précédé se sont contentés pendant des décennies de faire le strict minimum, et ce, seulement lorsqu’un tribunal les y obligeait. C’est ce que la juge Masse a si clairement critiqué dans la décision Descheneaux, qui nous a menés au projet de loi S-3. Quand on refuse l’accès à une indemnisation aux femmes, à leurs enfants, à leurs petits-enfants et à leurs arrière-petits-enfants, qui se battent depuis des décennies contre la discrimination fondée sur le sexe, on perpétue cette discrimination. Cette discrimination, honorables sénateurs, est illégale.

Notons que les obstacles à l’indemnisation s’appliquent à toutes les causes d’action, même celles qui ne sont pas liées à la Charte. Pour ce qui est des affaires liées à la Charte, l’immunité de la Couronne en matière de dommages-intérêts découle de mesures législatives adoptées à la suite de l’affaire Canada (Procureur général) c. Power. Voici ce qu’on peut lire dans le résumé de la cause fourni par la Cour suprême du Canada :

Rédigeant les motifs des juges majoritaires, le juge en chef Wagner et la juge Karakatsanis ont conclu que l’État n’a pas droit à une immunité absolue contre toute responsabilité en dommages-intérêts lorsqu’il adopte une loi inconstitutionnelle qui viole…

Son Honneur la Présidente [ + ]

Je regrette, mais votre temps est écoulé. Demandez-vous plus de temps?

J’aimerais bien, oui.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Je continue de citer la Cour suprême du Canada :

En mettant le gouvernement à l’abri de toute responsabilité, et ce, même dans les circonstances les plus graves, l’immunité absolue contournerait les principes qui exigent la reddition de comptes par le gouvernement.

L’affaire Power confirme la validité de la loi telle qu’elle était depuis 20 ans en fonction des affaires Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances) et Rice c. Nouveau-Brunswick. L’amendement du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones supprime l’obstacle à la responsabilité pour ce qui est des préjudices causés à l’épouse et aux enfants de l’homme qui les émancipe et qui leur fait ainsi perdre automatiquement le statut d’Indien, et aux personnes, ou à leurs descendants, qui ont perdu leur statut en raison de l’exclusion après la deuxième génération, qui a été instaurée en 1985.

Après le jugement Power, la norme consistera à savoir si ces obstacles étaient prévus par la loi lorsque l’État :

[…] savait que la loi était clairement inconstitutionnelle ou qu’il [fait] preuve d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à l’égard de son inconstitutionnalité.

Par l’entremise du sénateur Moreau, le gouvernement demande aux sénateurs de protéger l’interdiction relative aux dommages-intérêts dans le projet de loi S-2. Je pose donc la question suivante : quels seront les effets sur le gouvernement si cette disposition n’est pas adoptée?

Un certain nombre d’organismes internationaux de défense des droits de la personne, y compris le Comité des droits de l’homme des Nations unies dans l’affaire McIvor et le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes dans l’affaire Matson, ont demandé au Canada d’accorder une indemnisation pour les décennies de discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens. Comment le gouvernement peut-il justifier le maintien de la disposition de non-responsabilité à la lumière des décisions des comités des Nations unies qui demandent au Canada de fournir un recours efficace et des réparations pour les pratiques de discrimination et d’assimilation forcée? Comment peut-on justifier le refus du gouvernement d’accorder une indemnisation aux femmes autochtones et à leurs familles, ce qui entraîne des pratiques d’assimilation forcée en toute impunité?

La suppression de la disposition de non-responsabilité n’entraînera pas une avalanche de poursuites judiciaires, compte tenu de la difficulté et du coût de celles-ci, et il n’est pas non plus légitime de restreindre l’accès à la justice. L’effort pour restreindre l’indemnisation fait écho à l’ancien article 141 de la Loi sur les Indiens, qui a interdit aux Autochtones de faire appel à des avocats ou de collecter des fonds pour faire valoir leurs revendications devant les tribunaux de 1927 à 1951. Autrement dit, c’est un retour en arrière. Un nombre disproportionné de personnes touchées par les lacunes de l’article 2 se voient privées de leur statut d’Indien, et un nombre disproportionné d’entre elles sont des mères célibataires.

Ces femmes et leurs enfants continueront d’être privés des avantages concrets liés au statut, tels que la prise en charge des soins médicaux, un revenu, une aide à l’éducation et le droit de vivre dans une réserve. Ils perdent également le droit de transmettre leur statut à leurs enfants, ce que les décisions Lovelace, McIvor et d’autres arrêts ultérieurs ont qualifié de « droit personnel », tout en reconnaissant des dimensions culturelles plus larges.

Les pertes subies par des personnes, des familles et des nations en raison de la privation de statut sont considérables et, dans certains cas, elles s’étendent sur bien des années et des générations. On ne peut pas réparer les dommages simplement en rendant les personnes admissibles aux prestations une fois qu’elles seront inscrites. Il faut modifier la loi. La discrimination dans la loi est illégale et inconstitutionnelle.

J’espère que ces renseignements vous seront utiles dans votre examen attentif de ce débat historique. Meegwetch. Merci.

L’honorable Michèle Audette [ + ]

Honorables sénateurs, je n’aurais jamais imaginé que nous nous retrouverions un jour dans cette enceinte quand nos mères — Dawn, ma belle — se sont dressées contre le gouvernement, contre la Loi sur les Indiens, mais aussi contre de nombreux hommes qui étaient Chefs à l’époque. Il est très important de parler de ce chapitre.

Nous ressentons encore cette amertume, mais la beauté, la guérison et la force que je constate aujourd’hui — cette salle était et est toujours remplie de Chefs qui exigent que nous allions plus loin que ce que propose le projet de loi S-2 concernant l’exclusion après la deuxième génération. C’est ce que les chefs demandent.

Pour ma part, j’essaie de contrôler mes émotions et de remettre leur expression à plus tard, mais le carcajou qui sommeille en moi veut que j’honore ce que votre mère a accompli, toute seule, en s’adressant à la Cour suprême du Canada et en ouvrant la voie à d’autres femmes, comme l’ancienne sénatrice Lovelace Nicholas, notre collègue du Sénat, et ainsi de suite. Qui a payé pour cela? Je suppose que ce sont ces femmes. C’était ardu.

Il est donc très important pour moi de reconnaître également qu’au bout du compte, il y a des hommes, il y a des femmes, d’anciens Chefs, des Chefs élus et des amis qui disent : « Faites avancer le projet de loi autant que vous le pouvez, car il est sur une lancée en ce moment. »

Nous sommes le résultat de cette expérience vécue, alors ne l’oublions pas. Nous essayons, comme les Cinq femmes célèbres du Canada, d’entrer au Parlement. Encore aujourd’hui, c’est toujours le cas pour nous, pour les femmes touchées par la Loi sur les Indiens. J’essaie de sourire. J’essaie de marcher ici avec dignité et de dire : oui, c’est dans mon sang, mais, pour moi, je reste forte aujourd’hui parce que je crois que ce rapport, qui contient l’amendement présenté par le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, devrait être adopté, pour ensuite passer à la troisième lecture.

C’est ce que je crois. Jamais je n’aurais pensé que nous aurions à débattre de cette question ici, au Canada. Jamais. Ce n’était pas dans mon discours, mais je tenais à le dire.

Il est très important de souligner que, lorsque le projet de loi est arrivé, le délai était court. La cour de la Colombie-Britannique n’avait pas le même échéancier que celui que nous avons aujourd’hui. Elle a fait preuve d’une grande transparence et d’une grande honnêteté. Si des amendements sont proposés pour améliorer le projet de loi et si la volonté est là, je suis prête à les accepter. Vous pouvez me citer. C’est dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture. Toutefois, aujourd’hui, nous avons plus de temps. Les deux chambres ont jusqu’en avril.

Le Comité et moi-même, en tant que marraine du projet de loi, avons veillé à respecter cette échéance, ce report. Nous avons veillé à ce qu’il y ait une diversité de témoins, peu importe qu’ils soient d’accord ou en désaccord, qu’ils soient favorables ou non à un amendement ou à un autre, ou encore qu’ils n’aiment pas du tout le projet de loi S-2. Nous nous sommes exprimés d’une seule voix, et il est important pour moi de vous en faire part.

Cependant, il est tout aussi important pour moi de rappeler à tous mes collègues ce qu’ils ont dit sur l’obligation de consulter. Je vais le formuler en français, car chaque minute compte.

La consultation est une obligation constitutionnelle. Je vais citer un extrait tiré de la section II de la partie A des Lignes directrices actualisées à l’intention des fonctionnaires fédéraux pour respecter l’obligation de consulter de mars 2011 du gouvernement fédéral :

L’obligation de consulter découlant de la common law est fondée sur l’interprétation judiciaire des obligations de la Couronne [...] dans le contexte des droits ancestraux ou issus de traités, établis ou potentiels, des peuples autochtones du Canada, reconnus et confirmés à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Dans l’esprit d’un renouvellement en 2022-2023 et présenté dans un rapport, on retrouve ce paragraphe comme étant l’une des lignes directrices provisoires.

Il est important de dire les vraies choses : elles n’ont pas encore été officiellement adoptées. La partie concernant les femmes dans ce processus de consultation est de s’assurer que lorsqu’on parle de traités modernes et d’autonomie gouvernementale, il y ait une analyse différenciée selon les sexes. On en a débattu.

Depuis des décennies, les tribunaux nous rappellent une distinction essentielle. Le paragraphe 35(1) prévoit ce qui suit : « Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés. »

Je vais me permettre de partager avec vous ce qu’on entend moins souvent. Toujours à l’article 35, au paragraphe 4 cette fois, on parle de l’égalité de garantie des droits pour les deux sexes :

Indépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits — ancestraux ou issus de traités — visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes.

Ce point est important pour moi, parce que dans les protocoles de nos nations, les femmes ont une place. Le colonialisme a ébranlé cette notion, mais nous savons que les femmes ont une place. Cet argument permet aussi de rappeler à nos consœurs et confrères que nous reprenons notre place dans un contexte contemporain.

J’ai participé aux débats tenus aux Nations unies sur tous les articles de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. La salle était pleine de gens qui parlaient en espagnol dans le but d’avoir une langue commune à tous les pays. Dans le cadre d’un événement parallèle onusien, on tenait un débat sur les articles de la déclaration des Nations unies. J’ai alors demandé à ma voisine :

« Pourriez-vous me traduire cela en espagnol, s’il vous plaît? » En effet, nous étions en plein débat sur les articles à adopter, la langue à utiliser et les parenthèses à supprimer ou à conserver. Elle m’a répondu : « D’accord. » Je me suis alors adressée à cette grande foule d’autochtones venus du monde entier comme suit :

Savez-vous que ce que vous faites ici est très important? Toutefois, je veux lire, je veux voir et je veux m’assurer que les femmes sont également incluses dans cette déclaration, que tout ce qui est dit dans ces articles s’applique aussi bien aux hommes qu’aux femmes.

Ils ont applaudi. J’ai pensé que c’était un signe de consentement. Puis j’ai senti une tape sur mon épaule. Quelqu’un m’a demandé en anglais de l’accompagner dehors. À cette époque, mon anglais était moins bon; je ne maîtrisais pas encore la langue. J’ai dû me disputer avec un Chef, car on avait l’impression que si nous parlions des « femmes », cela allait affaiblir la déclaration. C’était il y a bien longtemps.

Toutefois, ces mots figurent également dans cette déclaration aujourd’hui, et je suis convaincue que si nous menons un processus réel et sincère auprès des Premières Nations du Canada, nous garderons en tête et à l’esprit de nombreux protocoles de nos nations, de la Constitution et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Ce sont des outils extrêmement puissants et nécessaires. Pourquoi donc cela devient-il problématique pendant les débats que nous tenons depuis quelque temps? Je veux aborder la question honnêtement. Lorsqu’on parle de dispositions discriminatoires, on semble essayer d’élargir l’obligation de consultation dans des domaines dans lesquels on n’avait jamais envisagé de le faire.

Je sais, le sénateur Moreau a dit que le débat n’est pas là, mais c’est plutôt un débat de nation à nation. Justement, la raison pour laquelle je crois que cette approche est dangereuse, c’est qu’en tenant un tel discours, selon lequel le gouvernement a la responsabilité de consulter, on est en train de créer un instrument de blocage.

Comprenez-moi bien.

J’ai entendu cela souvent.

Je voudrais dire « moi aussi ». Je n’essaie rien. Je ne suis pas avocate. Je suis une super nôhkom, une super maman et, je l’espère, une super sénatrice, mais j’ai lu de nombreuses décisions de la Cour suprême du Canada en anglais et en français. Aucune d’entre elles ne disait : « Vous devez consulter au sujet de la discrimination. Vous devez consulter au sujet de l’égalité, conformément à la Charte. »

Je vais le dire en français pour être sûre de ne pas me tromper.

Rien dans l’étude de la jurisprudence de la Cour suprême n’exige que la consultation sur l’article 35 soit utilisée pour empêcher ou retarder des réparations d’égalité garantie par la Charte.

Lorsque des injustices reconnues par les tribunaux supérieurs sont corrigées, des injustices constitutionnellement établies, il est important que le Parlement exerce son devoir. Nous sommes le Parlement et nous devons exercer notre devoir.

Vous avez entendu des articles de la Charte énumérés par mes collègues. Certains sénateurs et sénatrices vous ont fait part de différentes décisions judiciaires. J’aimerais simplement rappeler que, pour chaque décision rendue ayant trait à la Loi sur les Indiens et à ce qui touche les statuts, l’émancipation ou la discrimination entre les hommes et les femmes en vertu des paragraphes 6(1) et 6(2), que ce soit de façon timide ou frappante, comme Parlement, nous avons dit : « On peut faire plus. » Nous essayons de faire comprendre que nous avons cette responsabilité.

Ce que nous essayons aussi de faire comprendre, c’est que lorsqu’il faut aller devant la Cour suprême du Canada ou devant la cour d’appel, en première instance ou aux Nations unies, cela implique des coûts financiers que nous ne pouvons pas assumer comme femmes ou comme hommes. Je trouve difficile de devoir débattre là-dessus, alors que nous avons le pouvoir de faire en sorte que nos mères et nos fils puissent enfin dire qu’ils sont reconnus.

Il y a deux volets parallèles en ce moment et j’aimerais conclure mes remarques sur quelque chose qui, pour moi, est un non-sens. Vous me direz que légalement, c’est faisable, mais émotionnellement ou politiquement, pourquoi devrait-on faire cela comme parlementaires?

À mes yeux, cela peut paraître simple de proposer quelque chose de cohérent et fidèle aux enseignements des tribunaux, soit parce que c’est une obligation constitutionnelle ou parce que, depuis les arrêts McIvor et Descheneaux, les tribunaux nous ont donné des possibilités et nous ont encouragés à faire plus. Ce n’est pas un choix politique; c’est une question d’égalité fondamentale.

Pour moi, le fait d’être dans cette enceinte et d’imposer une consultation complète sur chaque réforme, c’est comme si on voulait nous donner un petit droit de veto implicite, ce que la Cour suprême a refusé de faire dans la décision Nation haïda c. Colombie-Britannique.

Il ne faut pas mélanger les deux choses; il faut plutôt encourager l’autre processus. Pour moi, traiter de nation à nation, ce n’est pas le faire à partir de la Loi sur les Indiens, la loi qu’on appelait autrefois l’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages. Pour moi, c’est une politique d’assimilation. Ce n’est pas de l’autonomie gouvernementale, ce n’est ni un droit issu de traités ni un droit autochtone. C’est une politique visant à ce que je n’existe plus, point à la ligne. Au moyen du projet de loi C-31, on va gagner une partie de la bataille et on va ajouter une nouvelle forme de contrôle pour déterminer qui est un Indien et qui ne l’est pas.

Nous sommes des Innus, des Anishinabes, des Mohawks. Nous ne sommes pas les paragraphes 6(1) ou 6(2), mais c’est la loi qui le détermine, et cela a un impact majeur. Imaginez comment l’on vivait ce sentiment ou cette réaction dans cette Chambre.

La Cour a déclaré qu’il y avait eu de la discrimination lorsque le projet de loi C-3 avait été débattu dans cette enceinte et au comité. Nous devons modifier la Loi sur la citoyenneté. De mon point de vue et dans mon monde, cela signifie que nous sommes toujours — et nous l’avons toujours été — accueillants. Le mot « Québec » est un mot innu. « Québec » veut dire : « Venez, descendez de votre bateau ». Je peux vous dire que nous, le peuple innu, étions formidables.

Cependant, au Sénat, lorsque j’ai vu le projet de loi C-3, qui était le projet de loi C-71...

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénatrice Audette, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous plus de temps?

La sénatrice Audette [ + ]

Je demande deux minutes.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

La sénatrice Audette [ + ]

Merci.

Le parallèle pour moi, c’est que nous accueillerons la deuxième génération, des personnes nées à l’extérieur du Canada qui pourront présenter une demande et devenir citoyennes canadiennes — selon la règle du parent unique.

Moi, si j’ai un ou deux enfants — j’en ai cinq — et que je dois prouver qui est le père — c’est la règle des deux parents — pourquoi ici, au Canada, dit-on oui à des gens qui sont nés à l’extérieur et leur donne-t-on ce droit? Pour ce qui est de la ministre Gull-Masty, de son gouvernement, de sa nation, de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, depuis le premier jour de ce traité moderne, la règle du parent unique s’applique.

Je sais que cela fonctionne pour les Cris et les Naskapis en vertu de ce traité moderne, et cela fonctionne aussi pour les gens qui viennent de l’extérieur, qui peuvent demander la citoyenneté canadienne parce qu’ils ont un grand-parent, mais pas nous.

Je vous invite à y réfléchir. Je vous remercie.

L’honorable Mary Jane McCallum [ + ]

Honorables sénateurs, je m’adresse à vous aujourd’hui en tant que membre du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones à l’étape du rapport du projet de loi S-2, et je vous demande d’appuyer notre rapport et le projet de loi S-2 tel que modifié.

Je tiens à saluer le travail accompli par le comité et je remercie tout particulièrement nos guerriers ainsi que la professeure Pam Palmater, qui a pris le temps de me mentorer et de me donner de précieux conseils pour que ce discours soit empreint de vérité, de compassion et d’un engagement envers la justice.

Je tiens tout particulièrement à souligner la présence de nos ancêtres parmi nous aujourd’hui. Je tiens à remercier tous les témoins pour leurs témoignages et leurs mémoires poignants et sacrés. Je regrette que cette quête d’égalité et de justice semble se répéter sans cesse.

Ce n’est pas la première fois que les comités sénatoriaux sont appelés à étudier un projet de loi visant à lutter contre la discrimination fondée sur le sexe et la race relativement à l’inscription au registre des Indiens aux termes de la Loi sur les Indiens. Nous bénéficions également du vaillant travail accompli par le Comité des peuples autochtones dans le cadre de l’examen des amendements au projet de loi S-3 qu’il a mené en 2017, sous la présidence de l’ancienne sénatrice Lillian Dyck, par le Comité des droits de la personne dans le cadre de l’examen des amendements au projet de loi C-3 mené en 2010 sous la présidence de l’ancienne sénatrice Nancy Ruth et par le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles dans le cadre de l’examen des amendements au projet de loi C-31 mené en 1985 sous la présidence de l’ancienne sénatrice Joan Neiman. Il convient de noter que les trois rapports faisaient état de préoccupations similaires dans leurs observations.

En 1985, le rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles notait ce qui suit au sujet du projet de loi C-31 :

Quelques membres du Comité ont exprimé des réserves quant à la validité constitutionnelle de certains amendements contenus dans le projet de loi ainsi qu’au caractère équitable de son application à certains autochtones.

En 2010, le rapport du Comité des droits de la personne notait ceci au sujet du projet de loi C-3 : « Le projet de loi C-3 ne règle pas tous les problèmes de discrimination fondée sur le sexe posés par la Loi sur les Indiens. »

En 2017, le rapport du Comité des peuples autochtones contenait des observations détaillées, notamment les suivantes :

Votre comité estime que le projet de loi S-3, malgré les amendements proposés par le gouvernement, continue de suivre une démarche à la pièce face à la discrimination sexuelle, suivant laquelle des modifications sont apportées à la Loi sur les Indiens en fonction de cas particuliers et en réponse à des décisions judiciaires.

On pouvait également y lire ceci :

Votre comité est d’avis que l’approche adoptée par le gouvernement fédéral fait perdurer la discrimination qui découle des modalités d’inscription au registre des Indiens tout en promettant qu’il va y remédier plus tard.

Quarante ans plus tard, la discrimination fondée sur le sexe et la race dans la Loi sur les Indiens persiste. Les Premières Nations, et en particulier les femmes des Premières Nations et leurs descendants, ne bénéficient pas des droits à l’égalité prévus à l’article 15. La Charte des droits et libertés est un élément fondamental du droit et de la démocratie canadiens. Tous les Canadiens et tous les Autochtones, y compris les femmes des Premières Nations, ont droit à la protection et aux avantages que procurent les droits à l’égalité prévus à l’article 15.

Il convient de noter que l’article 28 de la Charte prévoit également ce qui suit :

Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes.

L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 protège et garantit les droits ancestraux ou issus de traités de manière égale pour les hommes et les femmes. Le projet de loi C-15, qui a promulgué la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, prévoit également que les droits contenus dans la déclaration sont garantis de manière égale aux hommes et aux femmes autochtones. Ces droits, libertés et protections s’appliquent depuis le jour où ils ont été promulgués. Les femmes des Premières Nations jouissent des droits à l’égalité garantis par la Charte depuis 1982, du moins en théorie. Les femmes des Premières Nations sont le seul groupe de femmes à qui l’on demande d’attendre avant de pouvoir bénéficier de cette protection.

On leur dit d’attendre que le gouvernement s’en occupe, qu’il estime avoir suffisamment consulté et collaboré, réalisé assez d’études et d’enquêtes, rédigé assez de rapports et mis en place assez de commissions sur la discrimination sexuelle et raciale dont sont victimes les femmes des Premières Nations. Ces femmes doivent attendre que le gouvernement les traîne, elles et leurs descendants, dans d’interminables litiges et plaintes pour atteinte aux droits de la personne.

Pourquoi sont-elles obligées de plaider sans cesse la même cause?

Dans l’affaire Nicholas, le gouvernement fédéral a reconnu que l’incapacité de transmettre le statut d’Indien à ses descendants constituait une discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique et violait l’article 15 de la Charte.

Cette semaine, la ministre a reconnu que l’exclusion après la deuxième génération est une pratique « très discriminatoire » et « probablement l’une des plus nuisibles ». Laissez ces mots de la ministre s’imprégner dans vos esprits. Pourtant, au lieu de prendre immédiatement des mesures correctives, le gouvernement demande aux femmes d’attendre deux ou trois ans supplémentaires dans l’espoir d’un projet de loi distinct qui, d’après ce qui a été observé par le passé, est peu susceptible de reconnaître pleinement l’égalité des droits.

Soyons honnêtes. Malgré les promesses contraires de politiciens, aucun processus de consultation sur l’inscription au registre des Indiens n’a jamais abouti à des modifications législatives volontaires. Des affaires judiciaires antérieures ont reconnu cette tendance du gouvernement à retarder l’égalité. Dans l’affaire Descheneaux, la juge Masse a souligné ceci :

Le constat général de discrimination fait dans la décision de 2009 rendue par la CACB dans McIvor aurait pu permettre au législateur de corriger plus largement que ce qu’accomplissent les mesures prises dans la Loi de 2010.

Après avoir rendu un jugement en faveur de Stéphane Descheneaux, la juge Masse a ajouté ce qui suit :

Il n’exempte pas pour autant le législateur de prendre les mesures appropriées afin d’identifier et de régler toutes les autres situations discriminatoires pouvant découler de la problématique identifiée, fondées sur le sexe ou sur d’autres motifs prohibés, et ce, en conformité avec son obligation constitutionnelle de s’assurer que les lois respectent les droits consacrés à la Charte canadienne.

Qu’est-ce que le gouvernement veut de plus?

L’Enquête publique sur l’administration de la justice et les populations autochtones du Manitoba, en 1991, la Commission royale sur les peuples autochtones, en 1996, la Commission de vérité et réconciliation, en 2015, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, en 2017, et de nombreux rapports des Nations unies ont tous exhorté le Canada à lutter contre la discrimination fondée sur le sexe à l’égard des femmes des Premières Nations. Combien d’autres affaires le Canada doit-il encore perdre? Les affaires Lovelace, McIvor, Descheneaux, Gehl, Matson et Nicholas appellent toutes le Canada à mettre fin à la discrimination fondée sur la race ou le sexe.

L’honneur de la Couronne est remis en question lorsque le gouvernement choisit à quel moment il souhaite consulter. Le Canada a adopté le projet de loi C-5, Loi sur l’unité de l’économie canadienne, sans consulter les Premières Nations, même si cette mesure législative a le pouvoir de passer outre l’article 35 sur les droits ancestraux, issus de traités et fonciers. Le Canada a adopté le projet de loi C-5 malgré la vive opposition des Premières Nations.

Le Canada a également adopté deux énormes projets de loi omnibus, le projet de loi C-38 et le projet de loi C-45, qui, selon la Première Nation crie Mikisew et d’autres Premières Nations, auraient une incidence sur leurs droits ancestraux, leurs droits issus de traités et leurs droits fonciers au titre de l’article 35. Le Canada a affronté la Première Nation crie Mikisew dans un litige qui s’est rendu jusqu’à la Cour suprême du Canada, laquelle a statué que le Canada n’avait aucune obligation de consulter lorsqu’il adoptait des lois. Par conséquent, toute affirmation du gouvernement selon laquelle les amendements apportés au projet de loi S-2 seraient déclarés nuls et non avenus par un tribunal en raison d’un manque de consultation n’est pas correcte sur le plan juridique.

Dans sa décision rendue dans l’affaire Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations c. Canada, le Tribunal canadien des droits de la personne a critiqué le gouvernement fédéral pour avoir toujours invoqué la nécessité de consulter comme moyen de « [...] justifier les retards et le déni de services équitables, ce qui conduit à la discrimination [...] ». Le tribunal a également rappelé au Canada que les consultations ne devraient jamais être utilisées pour remplacer la mise en place immédiate de mesures visant à lutter contre la discrimination.

De plus, l’affirmation du gouvernement selon laquelle le projet de loi S-2 doit être adopté rapidement afin de respecter la date limite d’avril 2026 imposée par le tribunal ne tient pas la route. La cour a précisé qu’elle resterait saisie de l’affaire afin de permettre une prolongation du délai.

Ce qui est le plus choquant dans tous les arguments du gouvernement au sujet des consultations, c’est que le gouvernement ne tient même pas compte de l’avis des Premières Nations qui lui disent quoi faire. Il fait fi des témoignages, des mémoires, des résolutions et des appels publics de la part de la majorité des Premières Nations du Canada, qui demandent à ce qu’on mette fin immédiatement à l’exclusion après la deuxième génération.

À la suite de l’affaire Descheneaux, l’Assemblée des Premières Nations, ou APN, l’organisation nationale qui représente la plupart des 630 Premières Nations du Canada, a adopté une résolution disant que les chefs :

[...] appuient sans équivoque I’abrogation de la disposition limitant la deuxième génération des paragraphes 6(1) et (2) de la Loi sur les Indiens qui aboutit à une diminution du nombre d’inscriptions et de membres des Premières Nations.

L’Assemblée des Premières Nations a adopté une résolution semblable en 2024 pour demander au Canada de mettre fin immédiatement à la discrimination fondée sur le sexe et le genre dans la Loi sur les Indiens.

En mai dernier, l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique, qui représente 204 Premières Nations, a adopté une résolution demandant au Canada :

[...] de mettre fin à toute discrimination fondée sur les lois et sur le sexe, de réintégrer toutes les femmes et tous les descendants touchés par l’émancipation, de supprimer les dispositions sur l’absence de responsabilité du projet de loi S-2 et les amendements précédents, et d’éliminer le statut prévu au paragraphe 6(2) et l’exclusion après la deuxième génération.

L’Union of British Columbia Indian Chiefs a adopté de nombreuses résolutions demandant au Canada de mettre fin immédiatement à toute discrimination fondée sur le sexe, y compris en supprimant l’exclusion après la deuxième génération.

Au comité, de nombreuses autres organisations ont demandé la fin de l’exclusion après la deuxième génération : l’Assemblée des Premières Nations, qui représente plus de 630 Premières Nations; l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique, qui représente 204 Premières Nations; l’Union of British Columbia Indian Chiefs, qui représente plus de 100 Premières Nations; l’Assemblée des chefs du Manitoba, qui représente 63 Premières Nations; l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, qui représente 43 Premières Nations; les nations anichinabes, qui représentent 39 Premières Nations; l’Organisation des chefs du Sud, qui représente 32 Premières Nations; le Conseil des Premières Nations du Yukon, qui représente 13 Premières Nations; le Grand Conseil des Mi’kmaq, qui représente 28 Premières Nations; la Confédération mi’kmaq de l’Île-du-Prince-Édouard, qui représente deux Premières Nations; l’Association des femmes autochtones du Canada; l’Association des femmes autochtones de l’Ontario; Femmes autochtones du Québec; la nation wendate; la Première nation de St. Mary’s; les Snuneymuxw; et les Dénés.

Honorables sénateurs et collègues, le moment est venu de soutenir les Premières Nations, de soutenir les femmes et les enfants des Premières Nations et de leur affirmer qu’ils ont le droit à l’égalité et à ne subir aucune forme de discrimination fondée sur le sexe ou la race. C’est la loi. Légalement, nous n’avons pas le choix.

Les Premières Nations ne devraient pas avoir à poursuivre l’État canadien en justice pour l’obliger à respecter ses propres lois — sa propre constitution.

Nous devons montrer aux Canadiens que nous défendons la justice et l’égalité pour tous. En adoptant ce rapport et en agréant le projet de loi S-2 amendé, nous enverrions un message fort aux Premières Nations, et notamment aux femmes et aux enfants des Premières Nations, leur indiquant qu’ils méritent l’égalité, qu’ils ont leur place dans leur propre pays et qu’ils contribuent à « bâtir un Canada fort ».

Kinanâskomitinawow, merci.

L’honorable Pierre J. Dalphond [ + ]

Je n’avais pas l’intention de prendre la parole, mais je dois dire qu’aujourd’hui, j’ai entendu un débat d’une qualité exceptionnelle qui me rend très fier d’être sénateur.

Le sénateur Dalphond [ + ]

Les discours que j’ai entendus sont remarquables par leur diversité et leur force de conviction profonde selon laquelle il faut remédier à une injustice. Je ne suis pas insensible à cela. Je n’ai pas la passion et l’histoire de tous les interlocuteurs précédents, mais j’aimerais ajouter à votre réflexion certains éléments qui me semblent importants et qu’il faut prendre en considération.

On a parlé de 40 ans de discrimination. En réalité, ce sont des centaines d’années de discrimination; on le sait. On a parlé du fait que c’est une situation qui doit être corrigée. Il n’y a aucun doute qu’elle doit faire l’objet de remédiation et de correction, mais j’ai aussi entendu la ministre qui est venue au comité — j’ai écouté son témoignage de mon bureau — et qui est revenue devant le comité. J’essayais de comprendre ce qu’elle voulait dire. J’ai écouté attentivement. J’ai aussi écouté le sénateur Moreau, le sénateur Prosper, la sénatrice White et les autres, qui ont fait des discours remarquables, je le dis et je le répète.

Pourtant, il me semble que lorsqu’on dit : « Cela fait 40 ans qu’on nous dit cela et qu’on ne fait rien; le temps est venu de passer à l’action », je me demande si l’on n’oublie pas certains développements importants qui sont ici critiques pour notre analyse. Je parle de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies, malgré l’opposition du Canada et de quelques autres pays. Le Canada a toutefois changé d’avis et le gouvernement a décidé de la soutenir.

À mon arrivée au Sénat, il y a près de huit ans, nous débattions d’un projet de loi du député Saganash visant à intégrer la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans la législation canadienne. Ce projet de loi a été rejeté. Nous n’avons pas pu aller de l’avant, car il s’agissait d’un projet de loi d’initiative parlementaire et l’opposition conservatrice l’a retardé sans relâche, jusqu’à ce qu’il meure au Feuilleton lorsque des élections ont été déclenchées après quatre ans du premier gouvernement de Justin Trudeau.

Il a été présenté une nouvelle fois. Le gouvernement a enfin pris le relais et en a fait un projet de loi d’initiative ministérielle. Il a été adopté en juin 2021 et a intégré la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans la législation canadienne. Il contient diverses dispositions qui engagent le gouvernement du Canada à revoir les lois et règlements canadiens en vue de les rendre conformes à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Comme je l’ai dit, je n’ai pas préparé de discours, mais j’ai vérifié quelques informations sur Internet.

Voici le libellé de l’article 9 de la déclaration, que nous nous sommes engagés à respecter :

Les autochtones, peuples et individus, ont le droit d’appartenir à une communauté ou à une nation autochtone, conformément aux traditions et coutumes de la communauté ou de la nation considérée. Aucune discrimination quelle qu’elle soit ne saurait résulter de l’exercice de ce droit.

Je répète : « Aucune discrimination quelle qu’elle soit ne saurait résulter de l’exercice de ce droit. » Par conséquent, le droit à l’autonomie implique le droit de déterminer qui peut faire partie de la communauté, mais ce droit ne permet pas de discriminer.

L’article 19 est libellé comme suit :

Les États se concertent et coopèrent de bonne foi avec les peuples autochtones intéressés — par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives — avant d’adopter et d’appliquer des mesures législatives ou administratives susceptibles de concerner les peuples autochtones, afin d’obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Y a-t-il, dans ce pays, une mesure législative qui peut avoir plus d’impact sur une nation autochtone que la modification des critères d’appartenance à cette nation?

Voilà ce à quoi nous nous sommes engagés. Comme je l’ai dit, nous avons adopté ce projet de loi en juin 2021. Il demande au gouvernement de proposer un plan d’action. Celui-ci a été déposé au Sénat et à l’autre endroit en 2023. Je vous invite à aller le lire. C’est un gros livre avec de grandes fleurs et des couleurs sur la couverture. C’est un très joli document. Je ne peux pas l’utiliser; selon nos règles, il serait considéré comme un accessoire.

Lisez ce plan. Il contient des engagements du gouvernement à revoir tous les textes législatifs. Il comporte trois chapitres distincts, un sur les Métis, un sur les Inuit et un sur les Premières Nations. Dans ce chapitre, vous trouverez de nombreuses références pour déterminer qui devrait être membre de chaque réserve ou nation. Il s’agit là d’un engagement. Cela fait partie du travail que le gouvernement s’est engagé à accomplir en 2023.

Nous y voilà donc; nous avons entendu la ministre nous parler de son engagement dans ce processus et nous dire qu’elle était prête à mettre en place les mesures nécessaires, conformément au plan d’action. La lettre que le sénateur Moreau nous a envoyée plus tôt mentionne l’échéancier prévu par la ministre. L’échéancier indique que c’est pour bientôt. Nous nous penchons sur cette question. Nous apporterons des réponses, mais nous devons le faire correctement. Nous devons consulter. Nous devons mettre en œuvre ce pour quoi nous, le Sénat et l’autre endroit, avons voté : les principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Nous nous engageons à les appliquer et à les respecter.

Aujourd’hui, j’ai entendu beaucoup de gens dire que nous sommes aussi attachés aux valeurs véhiculées par la Charte, et c’est vrai. Alors, comment réconcilier ces deux ensembles de valeurs : d’une part, la détermination à apporter des changements seulement s’il y a eu consultation et collaboration, et d’autre part, notre désir, sans doute justifié, de vouloir changer les choses et de nous attaquer le plus rapidement possible à la discrimination? Nous avons un moyen de le faire; nous avons le projet de loi S-2, nous allons nous en servir et nous allons nous attaquer à un dossier important. Je le conçois.

Or, il s’agit selon moi d’un dossier très complexe, parce que je comprends l’appel de la Charte. Le sénateur Prosper a été sans équivoque. Il n’était pas le seul, remarquez, il y a aussi eu la sénatrice Audette.

Cela dit, j’entends la ministre et le gouvernement dire qu’ils croient au principe, qu’ils croient à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et que celle-ci n’est pas une coquille vide. Nous y croyons, mais nous pouvons en faire fi quand cela fait notre affaire.

Ainsi, comme on a beaucoup parlé de la Cour suprême, je vais maintenant vous citer un jugement rendu par cette cour l’année dernière, en 2024. Il s’agit du Renvoi relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, une mesure législative très importante qui donne aux groupes et aux nations autochtones, ainsi qu’aux Inuits, et non aux Blancs du Sud, le droit de décider quel enfant doit être pris en charge et qui doit s’en occuper.

J’espère que, si je manque de temps, vous m’accorderez quelques minutes supplémentaires. Je tiens à lire six paragraphes du jugement de la Cour suprême, qui est unanime, ce qui est rare à la Cour suprême de nos jours. Le paragraphe 3, qui porte sur le droit à l’adoption et sur la protection des enfants, se lit comme suit :

Cette loi s’inscrit dans un programme législatif plus vaste, mis en branle par le Parlement afin de mener à bien la réconciliation avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis, et ce, « grâce à des relations renouvelées de nation à nation, de gouvernement à gouvernement et entre les Inuits et la Couronne, qui reposent sur la reconnaissance des droits, le respect, la coopération et le partenariat » […] Le cadre servant d’assise à cette initiative de réconciliation entamée par le Parlement est la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones […] (« Déclaration » ou « DNUDPA »), adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2007. Cet instrument international précise que « [l]es peuples autochtones, dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination, ont le droit d’être autonomes et de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales » (art. 4). Parmi les matières dont traite la Déclaration, sont particulièrement pertinentes à l’égard du présent renvoi les dispositions de celle-ci qui énoncent « le droit des familles et des communautés autochtones de conserver la responsabilité partagée de l’éducation […] et du bien-être de leurs enfants, conformément aux droits de l’enfant » […] La Déclaration rappelle aussi le droit des peuples autochtones de transmettre aux générations futures leur histoire, leur langue et leur culture […], en plus de souligner le droit de ne faire l’objet d’aucun acte de violence, y compris « le transfert forcé d’enfants autochtones d’un groupe à un autre » […].

Le paragraphe 4 dit ceci :

Si la Déclaration n’a pas force exécutoire en tant que traité au Canada, elle prévoit néanmoins, pour les besoins de sa mise en œuvre, l’obligation qu’ont les États de prendre, « en consultation et en coopération avec les peuples autochtones, les mesures appropriées, y compris législatives, pour atteindre les buts » qu’elle vise [...]

Je passe maintenant à l’alinéa 10 :

Durant la majeure partie de l’histoire du Canada, les législateurs ont appliqué à tort une politique d’assimilation qui visait « à sortir [les peuples autochtones] de leur état de tutelle et de dépendance, et [à] les préparer [...] à un degré de civilisation plus élevé » [...]

À partir de l’alinéa 11, la référence se lit comme suit :

Les effets de ces politiques gouvernementales se font encore sentir de nos jours. « Parallèlement au système des pensionnats indiens, le système de protection de l’enfance est [...] devenu un processus d’assimilation et de colonisation dans le cadre duquel les enfants étaient retirés de force de leur foyer, puis placés dans des familles non autochtones » [...]

Progressivement, le Canada a abandonné sa politique d’assimilation en faveur d’une politique de réconciliation. Le Parlement a établi la Commission de vérité et réconciliation du Canada et lui a confié le double mandat de « révéler aux Canadiens la vérité complexe sur l’histoire et les séquelles durables des pensionnats dirigés par des Églises » et « d’orienter et d’inspirer un processus de témoignage et de guérison, qui devrait aboutir à la réconciliation au sein des familles autochtones et entre les Autochtones et les communautés non autochtones, les Églises, les gouvernements et les Canadiens en général »

La Commission de vérité et réconciliation du Canada...

 — qui était présidée par notre ancien collègue, le sénateur Murray Sinclair —

[...] a formulé plusieurs appels à l’action en lien avec la protection des enfants autochtones [...]

La Commission a également demandé aux gouvernements d’adopter et de mettre en œuvre la DNUDPA dans son intégralité en tant que « cadre pour la réconciliation » [...]

En 2016, le Canada s’est engagé sur la scène internationale à appuyer « sans réserve » la DNUDPA et à la mettre en œuvre [...] Celle-ci reconnaît en particulier « le droit des familles et des communautés autochtones de conserver la responsabilité partagée de l’éducation, de la formation, de l’instruction et du bien-être de leurs enfants, conformément aux droits de l’enfant » [...]

Le paragraphe 15, qui est le dernier que je citerai, se lit comme suit :

En 2021, le Parlement a édicté la Loi sur la DNUDPA, laquelle confirme, à l’al. 4a), que la Déclaration « constitue un instrument international universel en matière de droits de la personne qui trouve application en droit canadien ». C’est donc aux termes de cette loi du Parlement que la Déclaration est intégrée dans le droit positif interne du pays. À son al. 4b), la loi énonce qu’elle a en outre pour objet « d’encadrer la mise en œuvre de la Déclaration par le gouvernement du Canada ». À l’art. 5, elle prévoit que le « gouvernement du Canada, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, prend toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois fédérales soient compatibles avec la Déclaration » [...]

Ce soir, nous sommes appelés à adopter un projet de loi qui, si j’ai bien compris, ne...

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénateur Dalphond, je regrette de vous interrompre, mais votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous plus de temps?

Le sénateur Dalphond [ + ]

Je demanderais deux minutes pour terminer.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Honorables sénateurs, le consentement est-il accordé?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Deux minutes, sénateur Dalphond.

Le sénateur Dalphond [ + ]

Aujourd’hui, on nous demande, dans un premier cas où l’on touche une loi qui affecte directement tous les peuples autochtones du pays, de décider, nous, de ce qui est bon pour eux. Alors, je voudrais que l’on pose la question suivante avant de voter : sommes-nous certains qu’ils ont été consultés et qu’ils sont d’accord avec ce que nous faisons? Merci.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénatrice Moncion, avez-vous une question?

L’honorable Lucie Moncion [ + ]

Oui, ce serait concernant les consultations.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Acceptez-vous une question, sénateur Dalphond?

Le sénateur Dalphond [ + ]

Bien sûr, madame la Présidente.

La sénatrice Moncion [ + ]

Merci, sénateur Dalphond.

Vous parlez justement de cette fameuse consultation, et l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui en parle justement. Ne trouvez-vous pas cela ironique que le gouvernement invoque l’obligation de consulter afin de préserver un cadre juridique qui porte lui-même atteinte aux droits ancestraux et issus du traité en perpétuant la coupure de deuxième génération, éteignant ainsi de facto les droits demandés par la prochaine génération? Ils en parlent ici, mais qu’est-il arrivé dans le projet de loi C-5?

Le sénateur Dalphond [ + ]

Dans le plan d’action du gouvernement, il est reconnu que ces mesures sont discriminatoires et doivent être modifiées. La question est de savoir quelles règles seront appliquées pour décider qui participe à chacune de ces communautés et qui peut être reconnu comme en faisant partie, c’est-à-dire qui a des liens suffisamment significatifs avec ces communautés pour être reconnu. Un peu comme on l’a fait avec le projet de loi C-3 pour décider qui est reconnu comme un Canadien né à l’étranger. On cherchait à savoir quels étaient les liens significatifs requis pour considérer que l’appartenance au Canada était suffisante.

Je ne sais pas quels sont les liens significatifs pour déterminer de l’appartenance à la communauté mohawk ou à une autre, car je ne suis pas un expert là-dedans, et je suis un Blanc et un ancien juge, de surcroît. Ce n’est donc pas à moi de décider cela; c’est aux communautés elles-mêmes de décider.

Pour ce qui est du projet de loi C-5, l’article 35 de la Loi constitutionnelle ne s’applique pas, puisque cet article ne s’applique que lorsqu’il y a des droits reconnus par traité, ancestraux ou autres, qui sont directement affectés par une mesure gouvernementale. Le projet de loi C-5 n’affecte pas ces droits, mais chacun des projets qui sera choisi, s’il passe dans une réserve autochtone ou sur un territoire ancestral, va affecter les droits de cette communauté et devra faire l’objet d’une consultation en vertu de l’article 35. Si le gouvernement ou le promoteur ne le fait pas, la Cour supérieure va leur ordonner d’arrêter et les enjoindra à aller consulter et d’en arriver à un consentement libre et éclairé. L’obligation de l’article 35 est là, mais elle ne s’appliquait pas au projet de loi C-5.

L’honorable Michèle Audette [ + ]

J’aurais une question pour vous, ancien collègue.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Acceptez-vous une question, sénateur Dalphond?

Le sénateur Dalphond [ + ]

Bien sûr, de ma collègue.

La sénatrice Audette [ + ]

Je pense qu’il est important de mettre certaines choses en perspective avec le projet de loi C-92. On parle de la Cour suprême du Canada, de nation atikamekw, de communauté d’Obedjiwan, de ma petite fille dont je suis responsable grâce à C-92. Il s’agissait d’un débat de compétence entre le Québec et le fédéral, et cela est important de le mentionner, et là, il s’agit d’ententes modernes ou des ententes de négociation modernes.

Alors, il est clair qu’il est important de négocier et de consulter, mais revenons à la base. Pour que cette loi soit appliquée, il faut des Indiens inscrits. Quand une maman met au monde un enfant et qu’il n’y a pas de père qui signe, elle ne pourra pas recevoir des programmes que C-92 lui permettrait de recevoir à Obedjiwan. Étiez-vous au courant de cela?

Le sénateur Dalphond [ + ]

Bien sûr, j’ai écouté les débats du comité, et le plan d’action reconnaît que c’est discriminatoire et que ce n’est pas acceptable. Personne ne supporte cela. Je le répète, et c’est le dilemme ici; le problème auquel vous tentez de répondre est réel, c’est une injustice grave et une forme de discrimination inacceptable et abjecte.

Est-ce que la réponse qu’il faut donner à cela serait fournie par un groupe de 6, 7, 10 ou 11 sénateurs? Est-ce que les membres du comité qui étaient là constituent les représentants de la communauté et des communautés visées au sens de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA)?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénateur Dalphond, je regrette, mais votre temps de parole est encore une fois écoulé. Une autre sénatrice avait indiqué son intérêt à poser une question. Demandez-vous plus de temps?

Le sénateur Dalphond [ + ]

Je sens que je vais regretter d’avoir demandé la parole, mais oui, madame la Présidente.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le consentement est-il accordé?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénateur, vous pouvez poursuivre votre réponse.

Le sénateur Dalphond [ + ]

Je termine en développant plus longuement ma réponse.

Alors, ce soir, vous aurez à décider si c’est un cas où l’on met de côté la DNUDPA, envers laquelle nous nous sommes engagés, en se disant cette fois qu’il y a quelque chose de plus important, soit l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, ou encore on comprend que l’on a mis en place un mécanisme envers lequel le gouvernement s’est engagé, et l’on accepte de suivre ce nouveau système. Or, j’ai compris qu’il y avait beaucoup de réticence chez plusieurs collègues, et je ne les critique pas, qui disent que l’on attend depuis trop longtemps et que l’on n’a pas confiance dans le gouvernement.

Ce que je dis simplement, c’est : retenez aussi que le gouvernement actuel et le précédent ont pris des engagements à l’appui de la DNUDPA, ils ont fait adopter une loi qui les lie, et que l’on est tenus de respecter les principes que nous avons adoptés.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénatrice McCallum, avez-vous une question?

La sénatrice McCallum [ + ]

Oui.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Acceptez-vous une question?

Le sénateur Dalphond [ + ]

Avec plaisir.

La sénatrice McCallum [ + ]

J’ai rencontré hier le chef et le conseil de la Première Nation O’Chiese à ce sujet, et je leur ai dit que la ministre menait des consultations. Ils ont demandé : « Des consultations sur quoi? » Le gouvernement consulte une fois que l’exclusion après la deuxième génération est adoptée. Ensuite, il consulte les Premières Nations — les détenteurs de droits — sur les ressources qu’il va leur donner. Cependant, en ce moment, je ne sais pas sur quoi portent les consultations. Il ne peut pas mener des consultations et demander : « Allez-vous continuer de faire preuve de discrimination? » Il y a aussi l’inscription au registre. Tous ces problèmes administratifs sont causés par le gouvernement. Pourriez-vous répondre, s’il vous plaît?

Le sénateur Dalphond [ + ]

La question tient plus de l’affirmation, mais je suis d’accord avec ma collègue, la sénatrice McCallum. Le gouvernement doit non seulement, après consultation, trouver les moyens les plus appropriés dans le respect du droit à l’autodétermination des peuples autochtones, décider de qui fait partie des communautés, et une fois que les régimes auront été mis en place, il faudra également que le portefeuille suive. Il faudra que le gouvernement veille à ce que les communautés aient la capacité financière de répondre aux besoins de leurs membres.

Je présume que si l’on fait un changement, c’est qu’il y aura plus de membres qu’il y a maintenant, et le gouvernement doit vivre avec la conséquence de cela, ce qui est normal, car cela fait partie de la réconciliation. Il faudra également s’assurer que les services appropriés sont disponibles pour tous les membres de la communauté, y compris ceux qu’on avait exclus injustement précédemment.

L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) [ + ]

Je serai très bref.

Honorables sénateurs, je n’avais pas l’intention de prendre la parole. Je pense qu’il est également important que nous respections la pratique habituelle voulant que, lorsque le porte-parole d’un projet de loi prend la parole, nous respections cette pratique. Cependant, j’ai trop souvent constaté ces dernières années que nous ne respectons pas cette pratique. Étant donné que le sénateur Dalphond est intervenu, je vais moi aussi prendre le temps d’intervenir, contrairement à ce que veut cette pratique.

Je dirai simplement ceci : je suis un peu perplexe. Nous sommes dans une institution qui est censée être un lieu de second examen objectif et qui doit faire entendre la voix des groupes minoritaires du pays qui ne se sentent pas toujours écoutés — et je dois dire que je suis très fier du débat. Je me suis assis aujourd’hui et j’ai écouté. C’est une expérience enrichissante que d’apprendre directement de personnes bien informées au sujet des communautés autochtones du pays. J’ai eu le privilège, ces derniers temps, d’apprendre énormément de choses sur les peuples autochtones de ce pays grâce à la sénatrice McCallum.

Je tiens à faire inscrire ceci au compte rendu : sénateur Dalphond, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est un document qui me pose beaucoup de problèmes, car il a été rédigé par un forum international qui s’applique à toutes sortes d’éléments, et il a été imposé au Parlement du Canada. Je préfère toujours opter pour une solution qui est canadienne, qui est conçue par des Canadiens pour les Canadiens — et dans ce cas-ci, par les Autochtones.

Lorsque le Comité sénatorial des peuples autochtones se voit confier le mandat d’effectuer des travaux au nom de cette institution, et lorsque nous nommons des personnes à divers comités pour effectuer ces travaux, nous le faisons en fonction de leur expérience, de leur expertise et de leurs connaissances. Nous sommes une Chambre de vérification. Lorsqu’un comité nous fait rapport, nous écoutons le débat et les conclusions, et nous acceptons ses conclusions la vaste majorité du temps.

Je tiens à souligner que le rapport a été adopté à 10 voix contre une. Je tiens également à souligner que les membres de ce comité ont voté à l’unanimité. La seule voix dissidente était celle d’un membre d’office représentant le gouvernement. Bien sûr, cette personne a le droit d’exprimer son désaccord. Si je me trompe, je retire ce que j’ai dit, mais 10 voix contre une est un résultat significatif pour un vote.

Qui plus est, d’après le peu que j’ai pu examiner des travaux du comité, aucun des témoins qui ont comparu n’a exprimé d’avis divergent, et la liste des témoins était longue.

En terminant, je voudrais dire ceci à tous les sénateurs : en fin de compte, le gouvernement, à l’autre endroit, fera ce qu’il veut. Il a ce droit. Il a été élu. Mais pour aider le gouvernement et l’autre endroit à trouver une meilleure solution, nous avons le droit de signaler des problèmes, d’attirer leur attention sur certaines choses et de leur faire part d’éléments, parmi les voix et les régions du pays, qu’ils ont peut-être négligés.

S’ils pensent que notre valeur est si faible et que le simple fait de nous entendre est un tel désagrément, nous devrions nous regarder dans le miroir et nous interroger sur ce que nous faisons ici. Je demande le vote. Merci, chers collègues.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les oui l’emportent.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée avec dissidence, et le rapport est adopté.)

Son Honneur la Présidente [ + ]

Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi modifié pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Audette, la troisième lecture du projet de loi modifié est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

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