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Le Code criminel

Motion d'amendement

11 février 2021


L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ - ]

Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-7, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à nouveau à la page 7 par adjonction, après la ligne 28, de ce qui suit :

« 1.1 La même loi est modifiée par adjonction, après l’article 241.2, de ce qui suit :

241.21 (1) Est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire toute personne qui en force une autre à fournir l’aide médicale à mourir ou à faciliter la prestation de celle-ci.

(2) Pour l’application du paragraphe (1), quiconque fournit des renseignements sur l’aide médicale à mourir à une personne qui en fait la demande ne facilite pas la prestation de l’aide médicale à mourir. ».

Merci, sénateurs.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) [ - ]

Je vous remercie, sénateur Plett. Avant de commencer, je tiens à saluer l’ardeur avec laquelle vous défendez ce dossier, qui vous tient manifestement à cœur. C’est quelque chose que je respecte énormément.

L’accès à l’aide médicale à mourir soulève toutes sortes de questions complexes qui touchent aux droits et aux intérêts protégés par la Constitution, et notre travail à nous, les sénateurs et les législateurs que nous sommes, consiste à trouver le juste équilibre entre ces droits divergents tout en veillant à défendre les intérêts des Canadiens. Les personnes qui éprouvent des souffrances intolérables à cause d’un problème de santé incurable ont le droit garanti par la Constitution de demander l’aide d’un médecin pour mourir. Et comme l’a rappelé la sénatrice Dupuis, ce droit est ancré dans une longue série de jugements de la Cour suprême portant sur le rapport entre l’autonomie d’une personne et la question de savoir jusqu’où l’État peut se servir du droit pénal pour intervenir dans la vie des gens. C’est bien sûr sans oublier la liberté de conscience, qui est elle aussi garantie par la Constitution et qui est l’un des piliers de la société libérale démocratique dans laquelle nous vivons.

Selon ce qu’on nous dit, l’amendement à l’étude viserait à mieux protéger les droits des professionnels de la santé lorsque leur conscience leur interdit de prendre part à l’aide médicale à mourir. Le problème, chers collègues, c’est qu’il est tout à fait possible d’atteindre cet objectif sans l’amendement que voici, surtout que ce dernier n’est désirable ni du point de vue du droit ni du point de vue des politiques. J’aimerais donc prendre quelques instants pour vous expliquer pourquoi je suis dans l’impossibilité de l’appuyer.

L’amendement est inutile parce que la loi actuelle respecte, dans une mesure appropriée, les convictions personnelles des professionnels de la santé et ne les oblige pas à participer à la prestation de l’aide médicale à mourir. Le projet de loi C-7 n’y change rien. Le Code criminel est clair à cet égard, au paragraphe 241.2(9), où on peut lire ceci :

Il est entendu que le présent article n’a pas pour effet d’obliger quiconque à fournir ou à aider à fournir l’aide médicale à mourir.

En outre, l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit notamment la liberté de conscience, empêche des particuliers d’être forcés à agir contrairement à leur conscience. Je reviendrai à la Charte dans un instant.

L’amendement va évidemment plus loin. Il érige en infraction criminelle le fait de faciliter la prestation de l’aide médicale à mourir. Avant de me pencher là-dessus, je ne savais pas exactement ce que cela signifiait. Cependant, si vous lisez comme moi les lettres que nous avons reçues récemment et, bien sûr, que vous pensez aux témoignages mentionnés par le sénateur Plett et au discours de ce dernier, il est évident que cela fait référence aux aiguillages. L’amendement criminaliserait les aiguillages qui sont requis par les organismes de réglementation de certaines provinces.

Qu’est-ce que cela signifie en pratique? Nous savons que la réglementation des soins de santé relève de la compétence législative exclusive des provinces, lesquelles délèguent le pouvoir réglementaire aux ordres professionnels qui supervisent les professions de la santé. Certains organismes de réglementation — le sénateur Plett en a mentionné quelques-uns — imposent effectivement à leurs membres une obligation d’aiguillage. Comme l’ont appris les sénateurs au cours du débat et des témoignages, cette obligation a fait l’objet d’une contestation judiciaire en Ontario. La professeure Downie, de l’Université Dalhousie, nous en a parlé dans son témoignage. Dans une longue décision très détaillée, la Cour d’appel de l’Ontario a maintenu qu’une obligation d’aiguillage ne brime pas le droit à la liberté de conscience protégé par la Charte canadienne des droits et libertés. La cour était d’avis que la loi établit un juste équilibre entre les droits constitutionnels et l’intérêt du gouvernement.

Le projet de loi C-7 ne change pas cela, mais l’amendement, oui. L’amendement limiterait le droit constitutionnel d’un patient désirant recourir à l’aide médicale à mourir d’être aiguillé vers un professionnel de la santé disposé à la lui offrir. De plus, il limiterait la capacité des provinces de légiférer et celle des organismes de réglementation relevant des provinces de concevoir les règles qu’ils jugent appropriées pour régir la profession et protéger le public.

Cela m’amène à un autre problème. J’irais même jusqu’à dire qu’il s’agit du problème plus général de l’amendement. Comme il touche si profondément une matière qui relève de la compétence provinciale, il s’agit essentiellement d’une mesure législative qui réglemente les fournisseurs de soins de santé. Se justifie-t-elle sur le plan constitutionnel comme un exercice approprié du pouvoir en matière de droit criminel? Ce n’est pas évident. Pour qu’une loi relève de l’exercice approprié du pouvoir en matière de droit criminel —c’est-à-dire le pouvoir du Parlement de légiférer en matière criminelle —, elle doit viser un but légitime en matière de droit pénal, comme on l’a vu dans d’innombrables cas que je ne citerai pas ici.

Cela dit, en général, la jurisprudence stipule que la loi doit cibler un préjudice social suffisamment important pour justifier l’imposition de sanctions pénales, surtout si elle traite d’une matière qui est au cœur des champs de compétence provinciale. Ici, il ne s’agit pas seulement de la santé, mais aussi des professions et, en fait, de l’emploi.

Nous n’avons aucune preuve que des médecins aient été contraints d’administrer l’aide médicale à mourir. Par contre, certains médecins ne voulaient pas aiguiller leurs patients vers d’autres professionnels de la santé, exigence qui, selon le plus haut tribunal de l’Ontario, est conforme à la Charte.

Cela dit, il revient aux organismes de réglementation provinciaux d’exiger ou non des professionnels de la santé qu’ils aiguillent leurs patients vers d’autres professionnels pour une évaluation de leur demande d’aide médicale à mourir. Ils doivent toutefois respecter le droit constitutionnel des personnes d’avoir accès à l’aide médicale à mourir. Il faut trouver un équilibre. Cependant, en l’absence de preuves concrètes de préjudices sociaux...

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Je regrette, mais votre temps de parole est écoulé.

L’honorable Marie-Françoise Mégie

Honorables sénateurs, je serai très brève. Je m’oppose à cet amendement.

Je vous réfère de nouveau à notre code de déontologie. Comme vous le savez, c’est lui qui régit le mode d’exercice d’une profession, la conduite de ceux qui l’exercent et leurs rapports avec leurs clients.

L’article 24 du Code de déontologie des médecins du Québec vise à protéger la liberté de conscience des médecins tout en préservant le droit des patients à recevoir des soins et services, y compris l’AMM s’ils en ont fait la demande. Cet article stipule ce qui suit, et je cite :

Le médecin doit informer son patient de ses convictions personnelles qui peuvent l’empêcher de lui recommander ou de lui fournir des services professionnels qui pourraient être appropriés, et l’aviser des conséquences possibles de l’absence de tels services professionnels.

Le médecin doit alors offrir au patient de l’aider dans la recherche d’un autre médecin.

En matière d’aide médicale à mourir, l’article 31 de la Loi concernant les soins de fin de vie précise que tout médecin qui refuse une demande d’aide médicale à mourir doit en aviser les instances responsables, qui feront les démarches nécessaires pour trouver un médecin qui acceptera de traiter la demande. Cet article permet de respecter les droits du patient et ceux du médecin. De plus, la relation thérapeutique médecin-patient n’est pas rompue, comme l’a mentionné le Dr Yves Robert, secrétaire du Collège des médecins, et je le cite :

Le patient aura toujours besoin d’un suivi médical pour tout ce qui ne concerne pas cette procédure en particulier.

Une autre conséquence, voulue ou non, de cet amendement viendrait criminaliser une ordonnance qu’un médecin pourrait donner à un pharmacien. En général, un pharmacien doit préparer la médication prescrite par un médecin. Dans le cas de l’AMM, dirait-on que le pharmacien facilite la réalisation de l’acte? Dès lors, le médecin et le pharmacien seraient coupables d’une infraction punissable dans le cadre d’une ordonnance prescrite dans le respect de leur code de déontologie. Encore une fois, on criminaliserait ces professionnels.

Les ordres professionnels sont des personnes morales au sens de la loi. Allons-nous les poursuivre pour avoir respecté les codes de conduite et de déontologie prescrits aux professionnels?

C’est pourquoi je vous prie, chers collègues, de rejeter cet amendement qui pourrait porter atteinte à la pratique de la médecine au Canada et qui empiète sur les champs de compétence des provinces.

Merci.

L’honorable Denise Batters [ - ]

Pourrais-je le commencer après la pause?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Honorables sénateurs, y a-t-il consentement pour dire qu’il est 18 heures et pour prendre une pause d’une heure avant de reprendre la séance à 19 heures?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Merci.

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