La Loi sur les aliments et drogues
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
16 mai 2023
Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-254, proposé par l’honorable sénateur Brazeau.
Ce projet de loi vise à modifier la Loi sur les aliments et drogues du Canada pour que l’étiquetage des boissons alcoolisées diffuse l’information scientifique la plus à jour. Les sénateurs Brazeau, Cordy, Miville-Dechêne et Richards ont pris la parole à l’étape de la deuxième lecture sur ce projet de loi. J’ajoute ma voix aux leurs en espérant que nous renverrons promptement ce projet de loi au comité pour qu’il y soit étudié. Ne tardons plus à faire ce qu’il se doit pour améliorer la vie et la santé de la population.
À la lecture du préambule, trois questions surgissent à l’esprit. Quel lien existe-t-il entre l’alcool et les différents cancers? Est-ce que l’étiquetage est un moyen efficace pour informer le public? Comment pourrait-on bonifier ce projet de loi, au bénéfice de la santé du public et des consommateurs?
Avant d’établir le lien scientifiquement démontré entre l’alcool et les cancers, j’aimerais partager avec vous quelques données sur les principales causes de mortalité, afin de mieux comprendre la pertinence du projet de loi et l’urgence d’agir.
Vous entendrez plusieurs noms de maladies et de cancers. Je ne veux pas être alarmiste. Cependant, je vais dire les choses telles qu’elles sont rapportées dans la littérature médicale actuelle.
Au Canada, environ 300 000 personnes meurent chaque année, toutes causes confondues. En 2020, les tumeurs malignes représentaient plus de 80 000 de ces 300 000 décès. Les chiffres recueillis par Statistique Canada indiquent que les cancers sont toujours au premier rang des principales causes de décès, et que l’alcool est indirectement responsable de plus d’un décès sur quatre — de là l’urgence d’agir au Canada.
De plus, on a vu des augmentations notables du nombre et du taux de décès associés à la consommation d’alcool en 2020. Particulièrement chez les personnes âgées de moins de 45 ans, le nombre de décès directement causés par l’alcool a augmenté de 50 %. De nombreuses maladies sont causées par l’usage chronique de l’alcool, notamment la gastrite alcoolique, la cirrhose du foie, les pancréatites, et cetera.
Notez bien que les maladies que je viens de vous citer sont responsables de décès à long terme. Il y a aussi les décès immédiats, comme les accidents de la route, dans lesquels l’alcool est un facteur déterminant.
De plus, il existe un lien prouvé entre la consommation d’alcool et les actes d’agression et de violence.
Qu’a-t-on fait concrètement pour agir? Le gouvernement canadien a mandaté le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, le CCDUS, pour réaliser des études et lui soumettre des rapports contenant des recommandations basées sur la science. Le CCDUS a produit un rapport intitulé Ce que nous avons entendu : mise à jour du Cadre national d’action pour réduire les méfaits liés à l’alcool et aux autres drogues et substances au Canada. Ce titre est long, mais il s’agit bien du titre. Ce rapport est le résultat de consultations menées auprès de plus de 170 intervenants au Canada dans le but de mettre à jour le cadre national.
Le Cadre national d’action pour réduire les méfaits liés à l’alcool et aux autres drogues et substances au Canada existe depuis près de 20 ans. Sa vision, c’est que toutes les personnes peuvent vivre dans une société exempte des conséquences négatives de ces substances.
Parmi les principes du cadre d’action, on peut voir que l’action doit être fondée sur les connaissances et les données probantes et évaluée en fonction des résultats. Le rapport final de janvier 2023 sur les Repères canadiens sur l’alcool et la santé en a fait sursauter plus d’un. Il s’agit d’un tournant majeur. On parlait auparavant d’une approche prescriptive, et on se tourne maintenant vers une approche restrictive.
Plutôt que de suggérer un nombre de consommations par jour ou par semaine, on affirme maintenant que boire moins, c’est mieux. Contrairement à ce qui était véhiculé par Éduc’alcool au Québec, la modération n’a plus meilleur goût.
Aucune quantité d’alcool n’est considérée comme bonne pour la santé. Ce rapport mérite qu’on s’y attarde. Les repères sont fondés sur le principe d’autonomie en matière de réduction des méfaits. L’idée fondamentale, c’est que la population canadienne a le droit de savoir. En plus des maladies chroniques que j’ai citées plus tôt, l’alcool est lui-même une substance cancérigène. Il peut causer au moins sept types de cancers, et ceci est encore inconnu du public. Les plus récentes données révèlent que la consommation d’alcool cause près de 7 000 décès par cancer chaque année au Canada. La plupart des cas sont notamment les cancers du sein, de la région colorectale, du foie et de la région oropharyngée.
Selon la Société canadienne du cancer, boire moins d’alcool est l’une des principales habitudes de vie que l’on doit adopter pour prévenir le cancer.
Le rapport du CCDUS fait écho au projet de loi S-254 en disant ce qui suit, et je cite :
Les personnes au Canada ont d’abord et avant tout besoin d’information cohérente et facile à utiliser afin de pouvoir compter le nombre de verres standards qu’elles boivent. Elles ont également droit à des informations claires et accessibles sur les considérations de santé et de sécurité des produits qu’elles achètent.
L’une des retombées directes de ce projet de loi, ainsi qu’un changement de politique particulièrement efficace, pourrait être l’étiquetage obligatoire de toutes les boissons alcoolisées. On s’attendrait que l’étiquetage affiche notamment le nombre de verres standards par contenant, les Repères canadiens sur l’alcool et la santé et les mises en garde sur le plan de la santé.
Une autre étude effectuée par le CCDUS, en collaboration avec le Centre de toxicomanie et de santé mentale, rapporte un lien entre la consommation d’alcool et les actes d’agression et de violence.
Je suis bien consciente qu’il s’agit d’un changement réel de paradigme qui doit s’opérer pour nous libérer de notre dépendance collective à l’alcool. Cette dépendance est bien enracinée dans nos us et coutumes. On invite bien un ami ou nos collègues à aller prendre un verre. Certains revendiquent même le droit ou le devoir de boire, comme c’était le cas il y a quelques années avec le droit de fumer. Cependant, nos certitudes d’hier sur les bénéfices allégués de l’alcool sont tombées. Nous devons viser à réduire l’usage de l’alcool sous toutes ses formes. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait avec le tabac.
Le CCDUS a produit un rapport distinct intitulé Risque à vie de décès et d’invalidité attribuables à l’alcool. On y soulignait que le risque à vie de décès et d’invalidité augmente au même rythme que la consommation d’alcool. Ce projet, intitulé Coûts et méfaits de l’usage de substances au Canada, analysait les données canadiennes de 2007 à 2020 et présentait l’évolution fulgurante des coûts directs et indirects de l’usage de substances pour notre société. Le rapport du CCDUS, publié le 29 mars 2023, estimait que les coûts de l’usage de substances ont atteint 49,1 milliards de dollars en 2020. Les coûts associés à l’alcool représenteraient près de 20 milliards de dollars, soit 40 % de ce total. Les coûts attribuables à l’usage de l’alcool et du tabac ont fluctué au fil du temps. Les coûts pour l’alcool ont augmenté de 21 % par personne, alors que les coûts pour le tabac ont diminué de 20 %.
Ces estimations font ressortir les conséquences de l’usage de substances, non seulement sur les systèmes de santé et de justice pénale, mais aussi sur la capacité de la population canadienne à travailler et à contribuer à l’économie.
Pour améliorer la santé et la productivité au Canada, il faut mettre en place des initiatives de prévention, de réduction des méfaits et de traitement contre l’alcool. Le projet de loi S-254 sur l’étiquetage des boissons alcoolisées n’est qu’une mesure parmi tant d’autres que le gouvernement devrait mettre en place pour offrir une meilleure expérience de vie en santé et en sécurité à l’ensemble de la population.
Je me posais la question suivante : est-ce que l’étiquetage fonctionne? Une étude sur l’effet de l’étiquetage des boissons alcoolisées sur la consommation, qui a été publiée en 2020 dans le Journal of Studies of Alcohol and Drugs, dans un article intitulé « The Effects of Alcohol Warning Labels on Population Alcohol Consumption », comparait la consommation d’alcool au Yukon avec celle de son voisin, les Territoires du Nord-Ouest. Environ 300 000 étiquettes ont été placées sur 98 % des boissons alcoolisées à Whitehorse. Les ventes ont considérablement chuté dans la capitale pour les produits qui affichaient ces avertissements. L’étiquetage a donc été utile.
Ma dernière question était la suivante : comment pourrait-on bonifier ce projet de loi au bénéfice de la santé du public et des consommateurs? La seule option que j’envisage serait une étude en comité. Cela nous donnerait la possibilité d’entendre des experts, des industries et d’autres parties prenantes sur une éventuelle implantation de l’étiquetage et de l’information à diffuser. Il m’apparaît primordial que les consommateurs puissent obtenir les informations nécessaires pour faire des choix libres et éclairés.
Étant donné que l’alcool est considéré par certains comme un aliment, ne devrait-on pas y inclure d’autres informations, comme les ingrédients et les informations nutritionnelles?
Voilà quelques pistes d’information que je voulais partager avec vous, chers collègues. Je vous remercie de votre attention.
Est-ce que la sénatrice Mégie accepterait de répondre à une question?
Oui.
Depuis le début de nos discours sur ce projet de loi, je m’interroge sur le fait qu’au Québec, il y a encore certains médecins, notamment à l’Institut de cardiologie, qui disent que la consommation de deux verres de vin par jour est excellente pour le cœur. Que dites-vous, en tant que médecin, sur ce débat qui semble opposer certains médecins à d’autres?
Ce dont on s’est rendu compte après l’étude du CCDUS — et c’est pourquoi j’ai dit que cela a fait sursauter plus d’une personne —, c’est que même si ce message a été véhiculé pendant un bon moment, soit que le vin rouge était bon pour le cœur, ce nouveau paradigme vient bouleverser tout cela. On ne sait pas encore à quoi tout cela va aboutir. Les débats pour et contre sont en cours. Peut-être qu’il y aura d’autres études ou que certains croiront les études réalisées par le CCDUS. Je ne sais pas de quel côté cela va aller, mais ils ont travaillé très fort sur les nouvelles données, pour en arriver avec de vraies normes. Je pense qu’il faudrait donner plus de poids aux données du CCDUS. Cela ne vous empêche pas d’aller boire votre verre de vin.
Il y a quand même des médecins fort réputés au Québec qui disent que ces études sont mal faites et qu’on peut continuer de conseiller à leurs patients de boire deux verres de vin. Ce qui est intéressant, c’est que, entre grands spécialistes de ces questions, il semble y avoir une énorme opposition.
Comme toutes les études en sciences, en médecine surtout... On parle ici de l’alcool, mais c’est la même chose pour d’autres sujets très importants, comme le cancer et d’autres maladies : il y a des études qui se contredisent souvent les unes les autres. Il faudra réaliser une métanalyse qui prendra les articles qui sont pour et les articles qui sont contre. Peut-être que cela aboutira à moyen terme ou que cela donnera raison à l’un ou à l’autre, mais il faudra attendre avant de tirer des conclusions. Pour l’instant, c’est une grande discussion.