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Le centième anniversaire de la Loi d’exclusion des Chinois

Interpellation--Suite du débat

3 octobre 2023


L’honorable Ratna Omidvar [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation no 11, qui attire notre attention sur le 100e anniversaire de la Loi d’exclusion des Chinois. Je tiens à remercier le sénateur Woo d’avoir lancé cette interpellation fort pertinente. Je pense que l’une des grandes forces du Canada est notre capacité à réfléchir aux erreurs que nous avons commises dans le passé. L’interpellation proposée par le sénateur Woo nous donne l’occasion de nous assurer, après réflexion, de ne plus jamais emprunter cette voie.

Bon nombre de mes collègues ont déjà contribué à cette discussion et d’autres le feront, mais j’aimerais concentrer mes observations sur les répercussions sexospécifiques que les politiques d’immigration discriminatoires ont eues sur la communauté chinoise.

Pendant les 24 ans où la Loi d’exclusion des Chinois a été en vigueur, le Canada a accueilli moins de 50 Chinois. C’était effectivement une façon bien cruelle de remercier les 17 000 travailleurs chinois ayant joué un rôle essentiel dans la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique, qui a été le premier grand projet d’infrastructure qui a joué un rôle dans la création de notre pays.

Lorsque la construction du chemin de fer s’est terminée en 1885, au lieu de récompenser les travailleurs chinois, le Parlement a adopté la Loi de l’immigration chinoise, qui imposait une taxe d’entrée de 50 $ à chaque Chinois qui entrait au Canada. En 1903, le montant de 50 $ est passé à 500 $, ce qui équivalait à environ deux ans de salaire d’une personne ordinaire. À cause de cette somme exorbitante, bien des travailleurs chinois n’avaient pas les moyens de faire venir leur épouse. Sans surprise, le ratio d’hommes par rapport aux femmes d’origine chinoise au Canada était de 15-1 en 1921.

La Loi d’exclusion des Chinois de 1923 faisait en sorte que ce ratio reste disparate. Plus de 90 % des épouses de Chinois sont restées en Chine. Pendant les absences prolongées de leurs maris, les femmes avaient la responsabilité d’élever les enfants et de s’occuper des parents. Les visites des maris étaient brèves et peu fréquentes, car leur droit de revenir au Canada aurait été révoqué s’ils avaient été absents pendant plus de deux ans. N’oubliez pas, chers collègues, qu’il n’y avait pas d’avions; il n’y avait que les longs voyages en mer. De nombreux enfants ont grandi en connaissant à peine leur père.

Le Canada n’a abrogé la Loi d’exclusion des Chinois qu’en 1947. Il l’a alors remplacée par une politique d’immigration restrictive fondée sur la race, en vertu de laquelle seuls les Chinois ayant déjà la citoyenneté canadienne étaient autorisés à parrainer leur famille aux fins d’immigration. Autrement dit, il s’agissait d’un autre type de mesure restrictive. Les mêmes règles ne s’appliquaient évidemment pas aux immigrants européens. Vingt ans plus tard, après l’adoption du système de points, les Chinois ont enfin commencé à être admis selon les mêmes critères que les autres groupes ethniques.

Les épouses qui ont réussi à venir au Canada dans les années 1950 et 1960 ont vu leur vie fondamentalement transformée. Après avoir vécu sans conjoint pendant des années, elles ont dû se réhabituer à vivre avec des maris qu’elles connaissaient à peine. Nombre d’entre elles ont travaillé de longues heures dans les petites entreprises de leur mari ou ont occupé divers emplois manuels.

Dans les premières années suivant leur arrivée au Canada, des femmes chinoises ont souffert d’exclusion et d’isolement social. Ce sont cependant leurs filles et leurs petites-filles qui ont porté leur cause et réclamé justice en leur nom. Des Canadiennes d’origine chinoise comme Avvy Go, Chow Quen Lee et Susan Eng ont contribué de façon importante à la campagne pour exiger des excuses et des mesures de réparation.

En tant que présidente de la section torontoise du Conseil national des Canadiens chinois, Avvy Go a participé à la campagne en 1989. Elle faisait partie des avocats qui ont participé au recours collectif visant à demander des mesures réparatrices pour les personnes qui ont dû payer la taxe d’entrée et leurs familles. Parmi les trois plaideurs qui ont mené les poursuites, il y avait Chow Quen Lee. Cette femme qui a été séparée de son époux pendant 14 ans à cause de la loi a milité ouvertement pour cette cause. La cause a finalement été rejetée, mais cette initiative a lancé les pourparlers avec le gouvernement qui ont donné lieu à des excuses officielles du Parlement, en 2006.

En tant que coprésidente de l’Ontario Coalition of Head Tax Payers and Families, Susan Eng a convaincu VIA Rail de commanditer l’initiative Redress Express, pendant lequel environ 100 personnes ont pris un train de Vancouver à Ottawa pour venir entendre les excuses.

Je tiens également à souligner la contribution de Dora Nipp, directrice générale de la Société d’histoire multiculturelle de l’Ontario. Elle est issue d’une famille qui a participé à la construction du chemin de fer et qui a payé la taxe d’entrée. En tant qu’historienne, Dora Nipp a mené de nombreux entretiens oraux d’histoire pour documenter les expériences des immigrants au Canada. Elle a également produit divers travaux, notamment en réalisant Under the Willow Tree, un documentaire sur les pionnières chinoises au Canada.

Ces femmes se sont battues pour obtenir justice et elles ont finalement obtenu gain de cause, le gouvernement ayant versé des indemnités symboliques à quelque 400 survivants et veuves en 2006.

La Loi d’exclusion des Chinois et d’autres mesures discriminatoires ont eu des répercussions profondes et durables sur les femmes et les familles chinoises. Il a fallu attendre 1981 pour que la proportion des sexes au sein de la communauté sino‑canadienne s’égalise. À l’occasion du 100e anniversaire de la Loi d’exclusion des Chinois, il est important de reconnaître non seulement les préjugés auxquels la communauté s’est heurtée, mais aussi l’extraordinaire persévérance qu’il a fallu déployer pour corriger ces injustices. Les Canadiennes d’origine chinoise ont joué un rôle majeur dans la recherche et l’obtention de cette réparation. En leur honneur, je vous remercie, chers collègues.

L’honorable Marie-Françoise Mégie

Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui sur l’interpellation du sénateur Woo. Le but de cette interpellation est d’attirer l’attention du Sénat sur le 100e anniversaire de la Loi d’exclusion des Chinois, sur les contributions que les Canadiens d’origine chinoise ont apportées à notre pays et sur la nécessité de combattre les formes contemporaines d’exclusion et de discrimination auxquelles sont confrontés les Canadiens d’origine asiatique.

Comme l’a souligné le sénateur Woo, le 14 février dernier :

[...] il y a 100 ans, dans cette enceinte, les sénateurs ont voté pour la mise en place de la Loi de l’immigration chinoise de 1923, mieux connue sous le nom de Loi d’exclusion des Chinois [...]

Les sénateurs Kutcher, Simons, McCallum, Jaffer et Oh ont pris également la parole sur cette interpellation.

Ils ont tous bien souligné, au moyen de nombreux exemples, les discriminations systémiques subies par les Canadiens d’origine chinoise. Ils ont aussi mis en valeur les contributions importantes faites à notre pays par la communauté sino-asiatique malgré tout.

Au fur et à mesure que j’écoutais les discours de mes collègues, je me suis sentie interpellée à mon tour. Loin de moi l’idée de faire un amalgame, mais les communautés noires ont, elles aussi, été visées par des mesures législatives semblables au Canada.

L’Encyclopédie canadienne mentionne ce qui suit, et je cite :

Le décret du Conseil C.P. 1324 a été adopté le 12 août 1911 par le Cabinet du premier ministre sir Wilfrid Laurier. Il visait à interdire à toute personne noire d’entrer au Canada pour une période d’un an parce que « la race noire [...] est considérée comme inadaptée au climat et aux exigences du Canada ».

Bien que les périodes visées soient différentes, la Loi d’exclusion des Chinois ayant été adoptée 12 ans plus tard, les parallèles sont nombreux pour ce qui est de la discrimination subie par les communautés chinoises et noires au Canada. Cela prouve, malheureusement, que l’histoire se répète.

Il est donc essentiel de combattre les formes contemporaines d’exclusion et de discrimination auxquelles sont confrontés certains Canadiens encore aujourd’hui.

Je remercie le sénateur Woo de son engagement en vue de nous sensibiliser à la discrimination systémique vécue par les Sino‑Canadiens. L’exposition qu’il a orchestrée, dans le foyer du Sénat, nous relate des pages sombres de l’histoire du Canada qui ne figurent pas dans nos manuels scolaires. Cette exposition représente, selon le sénateur, un lien tangible avec ce passé et est un appel à la vigilance contre toute forme moderne d’exclusion.

Cette interpellation a trouvé écho chez le premier ministre Trudeau. Un extrait de sa déclaration du 14 mai 2023 soulignait ceci, et je cite :

[...] la Loi d’exclusion des Chinois témoigne d’une période sombre de l’histoire du Canada dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui. Au même titre que la Loi de l’immigration chinoise de 1885, qui imposait une taxe d’entrée aux nouveaux arrivants chinois au Canada, la loi raciste de 1923 a presque totalement empêché les Chinois d’entrer au Canada pendant 24 ans. Elle est restée en vigueur jusqu’à son abrogation à cette date, en 1947. Cette discrimination systémique et cette politique raciste ont séparé des êtres chers, appauvri des familles et renforcé les préjugés à l’encontre des personnes d’origine chinoise au Canada, leur causant des blessures qui allaient perdurer durant des générations.

Chers collègues, il faut absolument profiter de l’occasion qui nous est offerte par cette interpellation pour parfaire nos connaissances de l’Histoire du Canada — avec un grand « H ».

Les historiens ne cessent de nous dire ceci : si nous n’apprenons pas de l’histoire, nous serons condamnés à la répéter.

Comme vous le constaterez en examinant le fil des événements, cela s’est produit en 1911, puis en 1923; nous ne devons jamais adopter à nouveau de telles lois discriminatoires à l’égard d’autrui.

Notre rôle est de transmettre nos valeurs d’inclusion et d’égalité aux générations futures pour qu’elles puissent vivre dans un pays plus juste.

Enfin, pour enrayer le racisme sous toutes ses formes, qu’il soit implicite ou explicite, nous devons, dans cette Chambre, demeurer vigilants.

Merci.

L’honorable Mohamed-Iqbal Ravalia [ + ]

Honorables sénateurs, c’est un plaisir pour moi de prendre la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation du sénateur Woo. L’objectif est double : célébrer les contributions inestimables des Canadiens d’origine chinoise, tout en réfléchissant aux préjugés, à l’exclusion et à la discrimination dont ils sont depuis toujours victimes.

J’aimerais remercier les sénateurs Jaffer, McCallum, Simons, Oh et Kutcher d’avoir parlé de cet enjeu crucial ainsi que, bien sûr, tous les intervenants d’aujourd’hui.

Les contributions de la communauté chinoise de Terre-Neuve-et-Labrador constituent un aspect important, mais souvent négligé, de l’histoire de notre province. La communauté chinoise joue depuis le début un rôle vital dans le modelage de notre tissu culturel, économique et social.

Les premiers immigrants chinois sont arrivés à Terre-Neuve-et-Labrador dans les années 1890, et la nouvelle s’est répandue dans tout St. John’s que deux immigrants chinois allaient ouvrir une blanchisserie. Au cours des décennies suivantes, la ville et la province ont continué d’attirer des immigrants chinois.

Chers collègues, c’était à une époque où presque toute la population de Terre-Neuve était blanche, chrétienne et anglophone. En 1906, la province a adopté une loi sur l’immigration chinoise, l’Act Respecting the Immigration of Chinese Persons, imposant une taxe de 300 $ par immigrant chinois arrivant sur le territoire de la colonie. Ce montant représentait de une à trois années de salaire et constituait un obstacle important à l’immigration chinoise. Malgré les défis et les préjugés auxquels les Terre-Neuviens d’origine chinoise devaient faire face, la persévérance et la force de cette communauté sont demeurées remarquables et sa contribution à la société et à la croissance de Terre-Neuve est demeurée exceptionnelle.

Dans les années 1920, la communauté chinoise a commencé à ouvrir des restaurants et on sait aujourd’hui qu’elle a contribué à bâtir la culture des sorties au restaurant dans la province. Les premiers restaurants chinois servaient des mets que les Terre‑Neuviens connaissaient et appréciaient, comme le poisson-frites et le poulet rôti. En même temps, les immigrants chinois cuisinaient toujours des plats issus de leur culture à la maison et avaient de la difficulté à trouver les ingrédients traditionnels nécessaires à leur préparation. En 1968, au centre-ville de St. John’s, Mary Jane’s a été le premier magasin d’aliments naturels à offrir certains aliments d’origine chinoise. De nos jours, il y a de nombreuses épiceries à St. John’s pour servir cette communauté grandissante et florissante.

Quand Terre-Neuve s’est jointe à la Confédération, en 1949, la taxe d’entrée imposée aux Chinois a été éliminée. Les changements apportés à la politique en matière d’immigration en 1967 ont diversifié le profil professionnel, les origines et les pratiques des immigrants chinois qu’accueille Terre-Neuve-et-Labrador et ces immigrants travaillent aujourd’hui dans les secteurs de la santé, des sciences, de l’ingénierie, des mines et des pêches.

En 1976, l’Association des Chinois de Terre-Neuve-et-Labrador a été créée pour promouvoir la culture et les traditions chinoises dans l’ensemble de la province et encourager les communautés à préserver et à célébrer leur patrimoine chinois. L’association est gérée par des bénévoles qui organisent des activités dont ils font la promotion, comme les festivités du Nouvel An chinois, des spectacles et des services commémoratifs. En 1981, en collaboration avec ses partenaires communautaires, l’association a érigé un monument commémoratif dans le cimetière Mount Pleasant de St. John’s pour rendre hommage à la communauté chinoise ayant immigré à Terre-Neuve à compter des années 1890.

Dans un autre secteur de St. John’s, un autre monument commémoratif rend hommage aux 300 hommes chinois qui ont dû payer la taxe d’entrée à Terre-Neuve. Ce monument a été édifié en 2010 par l’organisation Newfoundland and Labrador Head Tax Redress, un groupe qui s’emploie à renseigner le public sur ce sombre chapitre de notre histoire et à en préserver le souvenir. Le monument est érigé sur le site de la première buanderie chinoise de St. John’s, qui a ouvert ses portes en 1895.

En 2006, le premier ministre provincial de l’époque, Danny Williams, a présenté les excuses officielles du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador pour la taxe d’entrée imposée aux Chinois.

Aujourd’hui, la communauté chinoise représente 1,3 % de la population de St. John’s, soit environ 1 500 personnes, et elle est la plus grande minorité visible. On dénombre environ 2 300 personnes d’origine chinoise à Terre-Neuve, soit 0,5 % de la population de la province. Malgré ces nombres apparemment modestes, la communauté chinoise de Terre-Neuve est forte, active et très influente.

Je suis également fier de dire que la croissance de l’Université Memorial soit à l’origine d’une augmentation de l’immigration chinoise à Terre-Neuve, les étudiants et les universitaires étant attirés par la province pour y faire leurs études et nous éduquer par la même occasion.

Les membres de la communauté ont continuellement apporté leurs traditions à Terre-Neuve-et-Labrador et ont généreusement partagé leur culture avec la communauté non chinoise. Récemment, des membres de la communauté ont fait découvrir la musique traditionnelle à des spectateurs de St. John’s grâce à des spectacles mettant en vedette le guzheng, un instrument traditionnel. Le YY Guzheng Ensemble se produit pour le public de St. John’s et propage l’amour de la musique chinoise dans toute la communauté. Le groupe est composé de 15 membres, allant de jeunes adolescents à des septuagénaires, qui partagent un même amour de la musique et de la tradition.

Honorables sénateurs, malgré le chapitre sombre et les difficultés incroyables auxquelles la communauté a été confrontée, elle fait aujourd’hui partie intégrante de l’histoire de notre province. Les immigrants chinois et leurs descendants continuent de jouer un rôle crucial dans notre développement économique, culturel et social. Leur héritage de résilience et de détermination témoigne de l’importance de reconnaître et de corriger les injustices historiques, comme la taxe d’entrée, tout en célébrant la riche diversité qui fait de ma province bien-aimée un endroit unique et inclusif où il fait bon vivre. Merci, meegwetch.

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