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DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS — La Journée mondiale de la liberté de la presse

4 mai 2021


L’honorable Julie Miville-Dechêne

Au lendemain de la Journée mondiale de la liberté de la presse, un phénomène de plus en plus inquiétant m’interpelle : un nombre grandissant de femmes journalistes à travers le monde songent à quitter le métier ou à y renoncer carrément à cause du harcèlement et de la violence en ligne qu’elles subissent et qui s’étend de plus en plus hors ligne. Moins de femmes reporters, ça veut dire moins de diversité en information et cela nuit à la liberté de presse.

Les statistiques sont affolantes. Selon une grande enquête mondiale menée notamment par l’UNESCO, trois quarts des femmes journalistes ont subi soit des agressions constantes, soit des menaces extrêmes à un moment donné, ou même des attaques à grande échelle en ligne, et ce, souvent avec connotation sexuelle. C’est quatre fois plus fréquent que chez leurs collègues masculins. Vingt pour cent des femmes journalistes interrogées croient que cette violence genrée en ligne est liée aux agressions, aux injures et au harcèlement qui débordent dans leur vie réelle.

Les conséquences peuvent être mortelles. Pensons au meurtre en 2017 de la courageuse journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia qui écrivait un blogue sur les rapports entre le crime organisé et la corruption politique. Lors d’une récente conférence, j’ai pu entendre le témoignage bouleversant de sa sœur. Corinne Vella a raconté comment, avant d’être assassinée dans un attentat à la bombe, sa sœur Daphne, journaliste d’enquête, était dénigrée par le gouvernement et faisait face à 47 poursuites, et tant sa famille qu’elle-même étaient constamment intimidées par des menaces en ligne et hors ligne.

J’ai aussi entendu Zaina Erhaim, journaliste syrienne, l’une des rares qui travaillaient en Syrie durant la guerre. Elle disait que, au départ, le journalisme n’est pas un métier de femme dans sa province conservatrice, car cela la met en contact avec des hommes; elle s’exprime sur la place publique plutôt que de se conformer au rôle traditionnel attendu des femmes. La réputation de sa famille en était ternie, sa vie était en danger. Ce contexte social et le harcèlement constant en ligne l’ont finalement forcée à fuir en Grande-Bretagne. Elle n’écrivait pas d’articles sur la guerre, mais sur ce que vivaient les femmes. Zaina Erhaim a été kidnappée par les miliciens favorables au régime Assad, on l’a menacée de mort. Ce qui lui a permis de continuer, c’est la sororité entre journalistes féministes.

Cette violence en ligne n’est pas seulement le fait de détraqués isolés. Il y a souvent un réseau orchestré et organisé, et des agences étatiques peuvent s’en mêler. Ces menaces virtuelles s’étendent aux familles et aux sources de ces femmes journalistes. Cette haine est intime et souvent hautement sexualisée. Son but est d’humilier, de discréditer, de semer la peur et de provoquer le silence.

On doit entendre les voix de ces femmes journalistes, car elles changent le monde, à leur façon, en apportant des histoires et des angles différents. Les patrons de presse, les policiers et les autorités doivent donc les protéger plutôt que de leur dire d’ignorer cette haine en ligne.

Merci.

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