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La Loi sur les aliments et drogues

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

22 mars 2023


L’honorable Julie Miville-Dechêne

Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture pour appuyer le projet de loi S-254, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (étiquette de mise en garde sur les boissons alcoolisées), qui a été présenté par le sénateur Patrick Brazeau afin d’ajouter à l’étiquetage des bouteilles d’alcool une mise en garde contre le cancer.

Il arrive que notre passé nous interpelle et informe nos interventions dans cette Chambre. C’est le cas pour moi aujourd’hui.

Mon père était alcoolique. Il est mort, ivre et gelé, une nuit glaciale de janvier à Québec, alors que j’avais 8 ans. Dans ma famille, parler de mon père et des ravages de l’alcool a longtemps été tabou.

C’est pourquoi j’ai beaucoup de respect pour la démarche du sénateur Brazeau, qui a réussi à vaincre ce fléau pour son bien et celui des gens autour de lui, et qui a été assez courageux pour en parler publiquement.

Le sénateur Brazeau a également choisi de s’inspirer de cette épreuve personnelle pour contribuer au processus législatif dans l’espoir de changer les choses. Il a fait de la recherche, notamment avec des experts de l’étiquetage, pour nous proposer un texte de loi. Je l’en remercie.

Je dois dire que les astres semblent bien alignés pour mon collègue.

Un mois après le dépôt de son projet de loi, le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances a recommandé l’introduction d’un étiquetage obligatoire sur toutes les boissons alcoolisées pour qu’elles affichent le nombre de verres standards et des mises en garde sur la santé.

C’est le même centre de recherche qui conseille le gouvernement fédéral en la matière. Dans son récent rapport, il a provoqué une onde de choc en révisant de façon draconienne les normes de consommation d’alcool sécuritaire, en vertu de nouvelles études. Les risques de méfaits liés à l’alcool sont qualifiés de faibles pour ceux qui consomment seulement deux verres ou moins par semaine.

Le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances affirme que trois à six verres par semaine accroissent les risques de développer certains cancers, comme le cancer du sein, du colon et du rectum. Par ailleurs, le fait que l’alcool soit une substance cancérigène, qui peut causer au moins sept types de cancers, est souvent inconnu et négligé du public. La consommation d’alcool cause pourtant près de 7 000 décès par cancer chaque année au Canada.

À bien des égards, je suis étonnée que les étiquettes de mise en garde sur les boissons alcoolisées ne soient pas déjà une réalité. Les produits de consommation débordent d’avertissements, allant même parfois jusqu’à nous rappeler de ne pas manger de savon à vaisselle ou de ne pas mettre nos enfants dans le four à micro-ondes. Dans ce contexte, alors que l’on connaît depuis longtemps les liens qui existent entre la consommation d’alcool et les cancers, les problèmes de foie et des maladies cardiaques, on comprend mal que l’alcool en soit exempté.

Quelle est donc la raison de ce laxisme apparent? Le sénateur Brazeau nous a donné un bon indice en nous parlant d’une étude qui a été menée au Yukon sur les mises en garde de santé sur les bouteilles, mais qui a été interrompue sous la pression de l’industrie de l’alcool après seulement 29 jours.

Jusqu’à présent, les gouvernements provinciaux ont aussi refusé d’agir. C’est peut-être parce qu’ils considèrent que la vente d’alcool est profitable pour leurs finances. Pourtant, est-ce vraiment le cas? Au Québec, par exemple, la SAQ verse des profits de 1,2 milliard de dollars par an au gouvernement. À l’inverse, toutefois, l’Institut national de santé publique estime à 2,8 milliards de dollars par an les coûts en santé, en justice et en perte de productivité liés à la surconsommation d’alcool.

En préparant ce discours, j’ai survolé la réglementation fédérale entourant l’étiquetage des bouteilles d’alcool. Il existe des pages et des pages de détails techniques sur les sulfites, la provenance et le pourcentage d’alcool, la taille des caractères et leur emplacement, mais il n’y a pas un mot sur les risques pour la santé.

Au Québec, du côté de l’étiquetage, on interdit tout de même d’afficher toute mention qui pourrait laisser croire que la consommation de boissons alcooliques a un effet positif sur la santé. C’est encore heureux. On précise aussi que les avertissements américains ou européens sur les risques pour la santé sont acceptables, pour autant qu’ils soient écrits en français. Dans ce cas, il me semble pourtant que la défense de notre langue devrait s’accompagner d’une meilleure défense de nos foies.

Sur les bouteilles, on peut donc lire, par exemple, que, selon le médecin-chef des États-Unis, boire de l’alcool diminue la capacité de conduire un véhicule ou d’utiliser de la machinerie et peut causer des problèmes de santé. Il n’y a toutefois aucune mise en garde semblable de la part de la santé publique canadienne ou québécoise. À ce titre, nous sommes malheureusement en bonne compagnie : la plupart des pays exemptent l’alcool des normes d’étiquetage pour les substances psychoactives.

Je crois qu’il est temps de revoir ces exemptions injustifiables.

Est-ce qu’une mise en garde visant les risques pour la santé changerait les habitudes de consommation des Canadiens? C’est la grande question.

En faisant une revue de la littérature, j’ai compris que les études n’étaient pas concluantes. L’étude menée au Yukon en 2017 montrait tout de même que 20 % des consommateurs se sentaient mieux informés grâce à ces mises en garde. Par ailleurs, les participants aux études sur l’amélioration de l’étiquetage soutiennent systématiquement et fortement ces mesures.

Faut-il attendre d’avoir des preuves scientifiques inattaquables de l’efficacité de la mesure pour modifier l’étiquetage? Je ne le crois pas. Pour les buveurs, les risques de cancer sont réels, scientifiquement démontrés et surtout méconnus du grand public. Je n’en savais moi-même rien. Comme dans d’autres domaines, je suis une partisane du principe de précaution. En l’occurrence, il ne s’agit pas ici de taxer davantage ou d’interdire : on propose seulement de mieux informer le public. Il me semble difficile de s’opposer à une mesure de transparence aussi simple et amplement justifiée.

L’étiquetage honnête est essentiel. Les consommateurs ont le droit de connaître les risques et ils doivent avoir des outils pour faire des choix éclairés. Ce choix leur appartient, bien sûr.

Jusqu’à maintenant, les réactions de l’industrie sont prévisibles. Le lobby affirme que les étiquettes sont inefficaces et qu’il serait préférable de diriger les consommateurs vers des sites spécialisés, car le cancer est une maladie complexe. Cependant, tout le monde sait bien que les consommateurs consultent rarement ces sources externes.

L’alcool est l’une des principales causes de décès prématuré et d’invalidité au pays. On sait que 81 % des Canadiens consomment de l’alcool et que 31 % en consomment trop.

Il est temps d’informer correctement la population sur l’ensemble des risques posés par ce qui est devenu, dans nos sociétés, un « lubrifiant social » par excellence.

L’étiquetage est l’un des outils de transparence à la disposition des pouvoirs publics. Utilisons-le sans modération.

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