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Projet de loi no 1 d'exécution du budget de 2019

Troisième lecture--Ajournement du débat

17 juin 2019


L’honorable Frances Lankin [ + ]

Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-97, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2019 et mettant en œuvre d’autres mesures. De multiples aspects du budget de cette année méritent notre attention. Cela dit, je vais me concentrer sur trois sujets aujourd’hui : le statut de donataire et le crédit d’impôt remboursable pour la main-d’œuvre à l’intention des organisations journalistiques; les modifications aux lois fédérales sur l’insolvabilité, la gouvernance d’entreprise et les pensions; et la loi sur la réduction de la pauvreté.

Je me pencherai d’abord sur la question du journalisme. Le projet de loi C-97 prévoit plusieurs mesures pour soutenir le journalisme canadien : l’attribution du statut de donataire reconnu aux organisations journalistiques, l’introduction d’un crédit d’impôt remboursable de 25 p. 100 sur les salaires des journalistes et la promotion des abonnements aux nouvelles numériques en offrant aux consommateurs un crédit d’impôt personnel de 15 p. 100 pouvant représenter jusqu’à 75 $ de leur abonnement annuel.

Les façons de soutenir le journalisme est un sujet qui m’intéresse depuis un bon moment. Je me suis penchée pour la première fois sur cette question à l’époque où j’étais présidente du Conseil de presse de l’Ontario puis, de nouveau, comme première présidente du Conseil national des médias du Canada. Je salue les efforts du gouvernement, qui a commencé à se pencher sur la nécessité d’un journalisme de qualité au Canada. Le budget vise à soutenir le journalisme canadien. C’est tout à fait justifié puisque la survie des médias d’information indépendants et éthiques est actuellement menacée.

Selon l’information recueillie par le Local News Research Project, un projet de J Source — vous êtes sans doute nombreux à connaître cet organisme —, plus de 250 organes de presse ont fermé au cours des 10 dernières années. Ce sont surtout des médias d’information locaux dans de petites villes : le quotidien local qui couvre les nouvelles concernant la police, l’hôtel de ville de même que les événements et les enjeux qui touchent la population locale. Ils sont la principale source d’information des habitants de ces localités. Les fusions dans les médias d’information télévisuels se sont traduites par un amenuisement de la couverture des nouvelles locales et nous assistons maintenant au même phénomène dans la presse écrite. C’est une situation qui menace notre accès au genre d’information qui nous aide à prendre des décisions sur des enjeux électoraux locaux, et cela s’accentue quand on passe de l’échelle locale à l’échelle régionale, provinciale, territoriale et internationale.

Le risque que la désinformation influence notre débat public devient de plus en plus sérieux. Nous avons tous été témoin de ces fléaux que sont la manipulation des médias sociaux et ce qu’on appelle les « fausses nouvelles » — je déteste utiliser l’expression parce qu’elle est surutilisée et, souvent, mal utilisée —, mais l’ampleur grandissante de ces phénomènes a sérieusement menacé la pierre angulaire de la démocratie qu’est le journalisme libre et éthique.

Les Canadiens méritent d’avoir accès à des renseignements exacts et à des perspectives diverses. Ces mesures aideront l’industrie canadienne des médias d’information, mais la réponse du gouvernement mériterait d’être quelque peu approfondie. J’attends avec impatience que le gouvernement précise les termes qu’il utilise dans ses amendements, y compris l’expression « organisations journalistiques canadiennes qualifiées ».

Le gouvernement doit expliquer plus en détail la façon dont il détermine l’admissibilité à ces nouveaux incitatifs fiscaux. Selon lui, quelles sont les exigences que doit satisfaire une organisation journalistique pour être qualifiée? Je crains que les petites organisations de nouvelles locales qui représentent souvent des communautés minoritaires ne soient pas qualifiées.

J’encourage le gouvernement à fournir plus de directives à ce sujet et à envisager la possibilité de changer les personnes qu’il a nommées au sein du groupe. Il pourrait peut-être nommer des personnes non affiliées. Cela contribuerait grandement à établir un groupe d’examen impartial et non partisan en qui les médias d’information et, plus largement, les Canadiens pourraient avoir confiance.

Selon mon expérience, ayant siégé à des conseils de presse tant provinciaux que nationaux, la majorité des membres viennent de la vieille industrie de la presse imprimée. En fait, ils sont de fervents défenseurs d’un journalisme éthique et ils n’hésitent pas à se montrer critiques à l’égard de collègues dans des secteurs où des actes répréhensibles ont été commis. Je pense donc qu’ils ont un apport très précieux à faire. Je pense que d’autres opinions pourraient être entendues. En ce qui concerne les conseils de presse, ce sont souvent des personnes indépendantes, comme je l’étais, qui sont nommées. C’est peut-être un modèle que le gouvernement devrait examiner.

Je recommande que le gouvernement fasse preuve de transparence dans son processus de sélection, qu’il investisse dans la viabilité à long terme de l’industrie de l’information et des médias et qu’il prenne des mesures pour s’assurer que cette industrie demeure canadienne et indépendante. En fin de compte, je soutiens cette première étape.

Pour ce qui est des pensions, le gouvernement cherche à améliorer la sécurité de la retraite des Canadiens en modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension et la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Toutefois, les mesures prévues dans le budget de cette année ne protégeront pas les pensions, car elles ne favoriseront pas la collaboration avec les provinces en vue d’harmoniser les politiques de protection des pensions. Je représente la province de l’Ontario. À l’heure actuelle, le Fonds de garantie des prestations de retraite de l’Ontario garantit des prestations de retraite aux participants et aux bénéficiaires des régimes à prestations déterminées à employeur unique, jusqu’à concurrence d’un montant précisé en cas d’insolvabilité du répondant du régime. Ce montant correspond à 1 500 $ de rentes mensuelles. C’est pour cette raison que, en Ontario, les pensionnés de Sears Canada sont assurés de recevoir ce montant, alors que, dans les autres provinces, les pensionnés de cette société ne jouissent pas de cette garantie.

Le gouvernement collabore-t-il avec le gouvernement de l’Ontario et d’autres provinces pour favoriser l’élaboration de fonds de ce genre et pour envisager la mise en place d’un fonds pancanadien de garantie des prestations de retraite? Il s’agit d’une prochaine étape importante.

Par ailleurs, il incombe au Sénat de tenir compte des dimensions régionales des politiques. En fait, je me demande si le gouvernement a tout mis en œuvre pour négocier avec les provinces et faire en sorte que les entreprises de partout au Canada protègent les fonds de pension.

En outre, les modifications à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité visent à obliger les tribunaux à se pencher sur le caractère approprié de la rémunération des cadres seulement un an avant la déclaration d’insolvabilité. Loin de moi l’idée de joindre les rangs de ceux qui vilipendent la rémunération des cadres. Je sais que les conseils d’administration passent beaucoup de temps à déterminer ce qui est nécessaire afin d’attirer le talent qui saura assurer le meilleur rendement de la société, pour ses clients et ses actionnaires.

Par exemple, Sears Canada a cessé de verser des dividendes à ses actionnaires en 2014, soit trois ans avant de déclarer faillite en 2017. Les données renfermaient des indices fiables de difficultés financières, qu’il s’agisse de dividendes retenus ou réduits, d’une diminution des stocks de la compagnie ou d’une réduction constante du flux d’exploitation, ce qui peut, selon les circonstances, indiquer que l’entreprise a des ennuis financiers. Dans ces situations, comme dans le cas de Sears, il y avait des signes avant-coureurs trois ans d’avance. Pourtant, durant ces trois années, la rémunération totale de la haute direction s’est chiffrée à 46,5 millions de dollars, avec des primes totalisant 7,2 millions de dollars. Je pose la question : est-il possible d’en faire davantage? Devrait-on prévoir l’intervention d’un tiers, peut-être les tribunaux? Qui devrait se pencher là-dessus afin d’assurer un équilibre?

J’en arrive finalement au plus grand problème. J’estime que c’est le problème le plus important dont ce projet de loi d’exécution du budget ne tient pas compte. Je parle du fait que les retraités sont actuellement considérés comme des créanciers non garantis. Cela signifie que, lorsqu’une entreprise fait faillite, éponger le déficit du régime de pension n’est pas considéré comme une priorité. Nombre de Canadiens se retrouvent donc avec un régime de pension réduit. Il y a déjà trois projets de loi qui visent à y remédier, soit les projets de loi C-405, C-384 et C-253. Le gouvernement a eu amplement le temps de les étudier.

Lorsque le Comité sénatorial des banques lui a demandé pourquoi il n’a pas inclus de mesures législatives dans le projet de loi d’exécution du budget pour que les bénéficiaires des régimes de pension soient considérés comme des créanciers privilégiés, le gouvernement a répondu qu’il a déterminé, après mûre réflexion, que cette solution n’était pas conforme à son approche pangouvernementale fondée sur les données probantes. Je ne comprends pas cette réponse. J’aimerais que le gouvernement fournisse toutes les raisons qui justifient sa décision. J’aimerais surtout qu’il se penche sur les nombreuses données probantes qui montrent l’importance de prendre de telles mesures.

Je suis consciente qu’il y a des limites à ce que les gouvernements doivent et peuvent faire. Cependant, lorsque des travailleurs canadiens apprennent qu’ils ne recevront pas leur pension et qu’ils ne pourront pas avoir l’esprit tranquille en ayant la certitude qu’ils auront droit à une pension, alors ce droit est loin d’être une garantie. Les Canadiens méritent d’avoir l’assurance que le gouvernement travaille fort pour protéger leurs pensions et qu’il prend tous les moyens nécessaires à cette fin.

Toutefois, comme le sénateur Boehm vient de le dire, un peu de progrès est mieux qu’aucun progrès.

Finalement, à des fins de réduction de la pauvreté, la section 20 de la partie 4 édicte la Loi sur la réduction de la pauvreté, laquelle prévoit un outil officiel et d’autres outils pour mesurer le taux de pauvreté au Canada, créé un préambule, définit ce qu’est la pauvreté et constitue, encore une fois, un conseil consultatif national. Je déplore la perte du Conseil national du bien-être social, le centre d’excellence et de recherche qui se trouvait ici. Cela ne le récréera pas complètement, mais j’espère que ce sera le cas à l’avenir.

Certaines des améliorations notables apportées à la Loi sur la réduction de la pauvreté de 2018 incluent l’exigence que le ministre élabore et mette en œuvre une stratégie de réduction de la pauvreté.

J’ai parlé pendant deux minutes à un collègue en qui j’ai confiance et qui travaille dans ce domaine depuis un certain nombre d’années. Il m’a dit que c’était important parce qu’il incombe au gouvernement de présenter un plan ayant un cycle de vie de cinq ans, comportant des cibles, des échéanciers et des engagements financiers. Il sera élaboré avec les Canadiens, et il institutionnalise les discussions et le débat.

Il convient de noter qu’il y a des plans, des lois et des mesures concernant la réduction de la pauvreté dans toutes les provinces et tous les territoires, et maintenant au sein du gouvernement fédéral. Il s’agit d’une approche concertée à l’échelle du Canada. Cela nous donne l’occasion d’examiner, de recueillir et de rassembler toutes les meilleures données disponibles et les prochaines mesures à prendre en vue d’établir des actions synchronisées qui pourront réellement améliorer les choses.

Ce qui est le plus important pour moi, c’est l’élaboration d’un rapport annuel et la prise de mesures sur la reddition de comptes et les questions transsectorielles de la sorte. Je suis entièrement favorable à ces initiatives, qui constituent un premier pas dans la bonne direction. Il y a beaucoup de premières étapes importantes à franchir, et je me réjouis à l’idée de poursuivre mon travail dans les années à venir pour appuyer le gouvernement dans ce dossier. Il s’agit d’enjeux importants. Merci beaucoup.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-97, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2019 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Par le biais de ce discours, j’aimerais, dans un premier temps, donner suite à mon intervention dans cette Chambre, le 14 mai dernier, quand j’ai posé une question au ministre des Finances. Ma question portait sur l’injustice fiscale envers les coopératives forestières, qui résulte notamment des modifications législatives adoptées en 2016 et 2017. Cette injustice fiscale, qui se perpétue, est encore une fois manifeste dans le projet de loi C-97.

Dans un deuxième temps, j’aborderai la problématique de la dette nationale afin de vulgariser la question du déficit, de son financement ainsi que de l’endettement des ménages canadiens. J’aimerais d’abord parler du contexte dans lequel s’inscrit ma critique du projet de loi C-97 en ce qui concerne les coopératives.

Avant 2016, les coopératives du domaine forestier pouvaient bénéficier de la déduction accordée aux petites entreprises, qu’on appelle couramment DPE, sur la totalité de leurs revenus. En 2016, à la suite de l’adoption du projet de loi C-29, le gouvernement fédéral a mis en place des mesures qui visaient à restreindre l’accès des sociétés à la DPE. L’objectif du législateur était de dissuader les entreprises de faire de la planification fiscale visant à multiplier la DPE au sein d’un même groupe économique, ce qui représentait un objectif louable et légitime.

Toutefois, il en a résulté que les sociétés privées sous contrôle canadien ont été privées de la DPE sur le revenu tiré des ventes effectuées à une coopérative de laquelle ils sont membres, même si leur implication auprès de celle-ci n’était que minime. Ces dispositions désavantageaient spécifiquement les sociétés privées sous contrôle canadien qui sont membres de coopératives, ou dont les actionnaires sont membres de coopératives. Même si les coopératives forestières et leurs membres n’étaient pas, a priori, ciblées par le législateur au moment de l’adoption du projet de loi, elles ont écopé fiscalement des suites de ces mesures, et le modèle coopératif est, par conséquent, devenu moins attrayant.

En 2017, les incidences négatives de ces mesures sur les coopératives forestières et ses membres sont devenues manifestes. Plus spécifiquement, il était évident qu’elles désavantageaient les communautés rurales, car la plupart des entreprises de ce milieu n’ont accès qu’à un nombre limité de consommateurs. Pour répondre aux préoccupations des contribuables quant à une incidence qui ne concorde pas avec l’intention du législateur, en mai 2017, la notion de « société coopérative déterminée » a été ajoutée à la loi afin de différencier les revenus provenant de coopératives de ceux provenant d’autres sociétés dans le calcul du maximum admissible à la DPE. Plus précisément, ces modifications visaient à rendre certains revenus tirés de la vente de produits de l’agriculture ou de la pêche admissibles à la DPE, excluant ainsi l’application des règles relatives au revenu de société coopérative déterminé à des sociétés coopératives œuvrant dans d’autres industries, dont l’industrie forestière.

La mesure exclut particulièrement les entreprises qui tirent des revenus du domaine de la foresterie qui ne sont pas compris dans les définitions de « revenu agricole », selon l’ARC et Revenu Québec, notamment les entreprises qui font la prestation de services aux propriétaires d’un boisé et les entreprises qui ont pour principal objet d’abattre ou de débiter du bois.

Le projet de loi C-97 continue de mettre à l’écart le secteur forestier. L’article 22 de la partie 1 du projet de loi d’exécution du budget met en œuvre certaines mesures relatives à l’impôt sur le revenu, dont l’élimination de l’exigence voulant que les ventes soient effectuées à une société coopérative agricole ou de pêche pour qu’elles soient exclues du revenu de société déterminé pour l’application de la DPE. Encore une fois, les deux seules industries visées par ces modifications sont celles de l’agriculture et de la pêche.

Difficile de dire pourquoi toutes les petites entreprises qui font partie d’une coopérative n’ont pas bénéficié des mêmes exemptions, même si elles ont toutes la même structure et qu’elles respectent toutes le critère disant qu’il doit s’agir de sociétés privées sous contrôle canadien.

Je repose aujourd’hui la même question : pourquoi le secteur forestier est-il exclu du projet de loi C-97? Car du moment où il est exclu, la parité fiscale entre tous les secteurs — et plus particulièrement entre le secteur des pêches, le secteur agricole et le secteur forestier — est impossible.

Les coopératives forestières se sont exprimées, et le gouvernement ferait mieux de songer aux répercussions de ses mesures législatives. Même s’il n’avait sans doute pas l’intention de nuire à ces entreprises et de les priver de cette exemption, il n’en demeure pas moins que le projet de loi C-97 perpétuera une injustice fiscale et rendra le modèle coopératif moins attrayant.

Ce modèle d’affaires a fait ses preuves, autant en milieu rural qu’en milieu urbain, alors si on souhaite que les coopératives forestières survivent, les entreprises qui en sont membres doivent jouir des mêmes avantages fiscaux que les coopératives des autres secteurs.

Je mets au défi le prochain gouvernement d’écouter les contribuables et d’adopter une loi qui donne suite aux revendications des coopératives forestières, car le secteur forestier contribue à l’essor économique et à la vitalité de nombreuses localités du Canada.

Je voudrais maintenant vous parler de la dette du Canada. Je demeure perplexe lorsque j’entends l’argument selon lequel le gouvernement actuel accumule les déficits, comme s’il était le seul à le faire ou à l’avoir fait.

La dette fédérale s’élevait à 481 milliards de dollars à la fin de l’exercice 2005-2006. Le gouvernement précédent avait repris le contrôle des dépenses du pays et permis au Canada de rétablir sa cote auprès du Fonds monétaire international. Au cours des 10 années suivantes, la dette a augmenté de 135 milliards de dollars, ce qui représente une hausse de 28 p. 100. C’est durant cette période que le budget déficitaire le plus important de l’histoire du Canada a été consigné, soit un déficit de 56 milliards au cours de l’exercice 2009-2010. Au cours des exercices financiers suivants, le déficit a été de 31,2 milliards, 33,3 milliards et 25,8 milliards de dollars.

En prenant les choses hors contexte et sans tenir compte de la situation économique mondiale ou de la stratégie du gouvernement pour gérer sa dette à l’époque, il est facile d’en arriver à des conclusions sensationnelles. Durant la même période, le Canada a connu une croissance du PIB soutenue, qui a entraîné une baisse significative du pourcentage de la dette par rapport au PIB, ce qui est un indice marquant de la santé financière d’un pays. Je peux comprendre les inquiétudes de mes collègues à propos de la dette du pays, parce que ce sont des inquiétudes partagées. Toutefois, les déficits ne devraient pas être la norme, mais l’exception, puisque la dette coûte cher aux contribuables, qu’elle est transmise aux générations suivantes et qu’elle pourrait constituer un jour un fardeau insupportable.

La tendance actuelle en matière d’endettement est inquiétante. On prévoit que la dette nationale atteindra 764,7 milliards de dollars en 2023-2024. De manière concomitante, le directeur parlementaire du budget avait estimé que le déficit budgétaire passerait de 19 milliards en 2017-2018 à 19,4 milliards en 2018-2019, pour ensuite diminuer à 9,4 milliards en 2023-2024. On prévoit donc une augmentation constante de la dette fédérale jusqu’en 2024, mais, en même temps, une baisse constante du déficit budgétaire et, ainsi, une progression vers l’équilibre budgétaire tant recherché. La stratégie du gouvernement dans sa gestion de la dette est un effet de sa compréhension de la situation d’endettement du pays relativement à la croissance économique. Cette vision est d’ailleurs cohérente et partagée par des économistes en ce qui a trait à l’emploi d’une mesure de la dette relative plutôt qu’absolue.

On mesure généralement la viabilité économique d’un pays en fonction du ratio de la dette par rapport au PIB, plutôt que de la dette fédérale, la dette accumulée en termes absolus.

Notons toutefois que la dette fédérale est souvent utilisée comme mesure de l’endettement dans les médias afin de simplifier l’information pour le grand public et/ou à des fins de sensationnalisme.

Dans son discours sur l’analyse du projet de loi C-97, ma collègue, la sénatrice Marshall, a mentionné que la dette du gouvernement du Canada contractée sur les marchés devrait atteindre 754 milliards de dollars à la fin de l’année, et que celle des sociétés d’État devrait s’élever à 316 milliards de dollars d’ici la fin de l’exercice financier.

Dans son budget de 2019, le gouvernement indique que cette dette, y compris celle des sociétés d’État, atteindra 1,07 billion de dollars. Bien que cette information soit exacte, il manque une donnée à l’équation, soit celle touchant les actifs qui viennent soutenir la dette des sociétés d’État. Ces actifs s’établissent à plus de 410 milliards de dollars. Il est bien de parler de sommes combinées, mais il est tout aussi important de les nuancer en tenant compte de la totalité des informations qui viennent les mettre en contexte.

La sénatrice Marshall a également indiqué dans son discours que le service de la dette devrait atteindre 26 milliards de dollars pour l’exercice actuel et respectivement 28 milliards, 30 milliards, 31 milliards et 33 milliards au cours des quatre prochaines années. Cette information est nécessaire pour bien comprendre l’ampleur des coûts associés à l’endettement. Mais il importe aussi de comprendre qui détient la dette et qui profite du service de la dette. À la fin de l’exercice 2018, les obligations sur le marché intérieur s’élevaient à 75 milliards de dollars, les obligations du Trésor, à 131 milliards, la dette extérieure était de 20 milliards de dollars et les valeurs mobilières étaient de 4 milliards de dollars. En conséquence, 69 p. 100 de la dette du Canada est financé par les intérêts et profite du service de la dette.

Pour veiller à la viabilité économique du pays dans sa planification fiscale, le gouvernement se fonde sur le ratio de la dette par rapport au PIB, ou comme on peut le lire dans l’énoncé économique de l’automne 2018 du gouvernement :

Le gouvernement continuera de s’assurer que ses investissements dans les gens, les communautés et l’économie s’accompagnent d’une saine gestion financière, soit le maintien d’un ratio de la dette par rapport à la taille de l’économie sur une trajectoire descendante, qui protégeront l’avantage du faible endettement du Canada pour les générations d’aujourd’hui et de demain.

La situation économique actuelle et les prévisions nous montrent qu’il y a une baisse constante du ratio de la dette par rapport au PIB, et ce, depuis plus de 15 ans, malgré une montée continue de la dette fédérale. Ce ratio se situe actuellement à 30,9 p. 100. Cette vision de l’endettement s’accompagne aussi d’un objectif en vue d’équilibrer le budget à moyen terme, un objectif qui est fidèle aux prévisions financières du directeur parlementaire du budget. On prévoit que la croissance économique des prochaines années entraînera des diminutions continues du poids relatif de la dette. Dans les Perspectives économiques et financières d’octobre 2018 du directeur parlementaire du budget, on explique que les recettes fédérales devraient croître plus rapidement que le PIB nominal, la mesure la plus importante de l’assiette fiscale du gouvernement, et que, d’ici 2023-2024, le total des recettes devrait atteindre 392 milliards de dollars, ou 14,7 p. 100 du PIB.

Mon prochain point touche l’endettement des ménages, qui est certes, à l’heure actuelle, l’indicateur le plus inquiétant de la santé financière des Canadiens. La Société canadienne d’hypothèques et de logement, dans un nouveau rapport, indique qu’il a atteint un niveau record à la fin de l’année dernière, même si l’activité hypothécaire a ralenti par rapport à l’année précédente. Le ratio de la dette par rapport au revenu des Canadiens aurait atteint un niveau record de 178,5 p. 100 au quatrième trimestre de l’année dernière. Donc, il en coûte 1,78 $ à un Canadien pour payer ses dettes quand il gagne 1 $.

Le coût élevé des habitations est le facteur qui inquiète le plus le Fonds monétaire international. S’il advenait une crise hypothécaire, la SCHL pourrait devoir faire face à des pertes potentielles importantes, évaluées par le FMI à plus de 20 milliards de dollars.

Dans le projet de loi C-97, le gouvernement a prévu un volet portant spécifiquement sur le logement. Cette approche s’inscrit dans un plan global comportant plusieurs objectifs. Le programme, divisé en trois grandes catégories, vise à soutenir les acheteurs d’une première habitation, à accroître l’offre de logements grâce à des partenariats et à des investissements ciblés et à renforcer l’équité et les règles de conformité au sein du marché de l’habitation au Canada. Ainsi, nous devrions assister à une croissance modérée des prix des logements, ce qui aura pour effet de stabiliser la croissance de l’endettement des ménages, de permettre une meilleure accession à la propriété pour les jeunes ménages et d’avoir un environnement facilitant le contrôle du blanchiment d’argent par les personnes qui achètent des propriétés avec les produits de la criminalité et qui font augmenter les prix des propriétés.

Il reste à voir si cette initiative s’avérera adéquate et permettra aux ménages canadiens d’améliorer leur ratio d’endettement et répondra aux préoccupations du FMI.

Pour conclure, les projets de loi budgétaires sont volumineux et comportent une multitude de réformes, de projets et d’initiatives. Ils présentent les grandes intentions du gouvernement fédéral pour notre pays. Chacune des composantes fait partie d’une stratégie concertée et réfléchie et a trait à une abondance d’éléments qui sont interreliés et interdépendants. Avoir le privilège d’étudier et de comprendre les grandes priorités et les grands enjeux de notre pays nous place au cœur des changements qui touchent la croissance et les progrès du Canada. C’est une position fort enviable, qui nous permet de mieux comprendre et saisir la portée des choix du gouvernement. Je vous invite donc à donner votre appui au projet de loi C-97.

Je vous remercie de votre attention.

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