La Loi sur la procréation assistée
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
12 mars 2020
Propose que le projet de loi S-216, Loi modifiant la Loi sur la procréation assistée, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en tant que marraine du projet de loi S-216, Loi modifiant la Loi sur la procréation assistée. Ce projet de loi sème la controverse chez celles et ceux qui considèrent la procréation assistée comme une forme de commercialisation de la femme et de marchandage de l’enfant. L’opinion des Canadiens et des Canadiennes par rapport à la procréation assistée est partagée sur cette question, tout comme elle l’est sûrement aussi dans cette Chambre.
Dans l’intérêt supérieur de toutes les personnes concernées par la procréation assistée qu’elles soient des femmes, des enfants, des couples infertiles, des membres de la communauté LGBTQ2+ ou des membres de la profession médicale, et aussi pour les besoins de la cause, je vous invite donc, honorables sénateurs, à entamer l’étude du projet de loi S-216 dans un esprit d’ouverture, en passant outre aux idéologies, opinions, idées préconçues et préjugés qui pourraient nuire à l’exercice d’un débat réfléchi et objectif sur une question aussi importante.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais préciser que, pour les fins de ce discours, j’utiliserai les expressions « maternité pour autrui », « gestation pour autrui », « maternité de substitution » et « recours à une mère porteuse » de manière interchangeable, en vous épargnant les débats sémantiques.
Au cours des dernières années, le sujet de la procréation assistée a fait l’objet de nombreux reportages et études menés par des journalistes d’enquête et des chercheurs du milieu universitaire. Les articles et les reportages sont nombreux. Ils concernent tous les aspects de la procréation assistée.
Le 2 mars dernier, CBC dévoilait les résultats d’une autre enquête qui dénonçait, en premier lieu, les pratiques douteuses de certaines agences de maternité de substitution en ce qui a trait aux dépenses admissibles. En effet, ces agences encourageraient les mères porteuses à soumettre des reçus en vue d’atteindre systématiquement le montant maximum remboursable en vertu de l’entente conclue avec les parents d’intention.
Le résultat de ces pratiques, c’est que les parents d’intention craignent de devoir rembourser des dépenses inadmissibles en vertu de la Loi sur la procréation assistée, qui est un geste criminel passible d’une peine d’emprisonnement de 10 ans et d’une amende de 500 000 $.
Le débat au sujet de la gestation pour autrui met généralement en évidence la vulnérabilité des mères porteuses. Les résultats de cette première partie de l’enquête de CBC ont révélé que les parents d’intention peuvent également être vulnérables et ont démontré qu’un régime juridique foncièrement criminel empêche de tenir une discussion ouverte sur l’optimisation de la réglementation de la procréation assistée au Canada.
La deuxième partie de l’enquête de CBC portait sur la vulnérabilité des mères porteuses. Elle a mis au jour le manque de rigueur des professionnels de la santé, qui ne fournissent pas toujours toute l’information pertinente relativement aux risques liés à la grossesse des futures mères porteuses, ce qui soulève des questions quant à la possibilité pour ces femmes de donner un consentement éclairé. L’enquête a rapporté le cas spécifique d’une femme qui n’avait pas été informée des risques liés au fait de subir des grossesses consécutives sans période de répit adéquate.
Le Dr John Kingdom, médecin et professeur à l’Université de Toronto, a dénoncé le manque de règlements au Canada en ce qui a trait à la période d’attente obligatoire entre les grossesses des mères porteuses.
Notons que le cas répertorié dans l’enquête est celui d’une mère porteuse qui n’avait pas reçu de rétribution, et qui avait donc posé un geste tout à fait légal au Canada. Le Dr John Kingdom a par conséquent démystifié la fausse dichotomie entre la vulnérabilité que l’on associe aux femmes qui deviendraient mères porteuses moyennant une rétribution et celles qui le font à des fins altruistes. Il a dit ceci, et je cite :
Je crois qu’il faut reconnaître que les femmes porteuses sont des personnes altruistes et bienveillantes exposées au déséquilibre des forces en présence.
Bien que ce soit notamment sur la base de cette dichotomie que le législateur canadien justifie la nécessité d’une criminalisation de la gestation pour autrui à des fins commerciales, cette dichotomie n’est fondée sur aucune preuve empirique. Au contraire, les plus récentes études nous ont démontré que le profil typique de la mère porteuse aux États-Unis, et de manière générale dans les pays occidentaux, est tout autre.
En 2015, Maneesha Deckha, professeure et titulaire de la chaire Lansdowne en droit à l’Université de Victoria, a publié un article dans la Revue de droit de McGill dans lequel elle étaye ses propos au moyen d’études américaines. Pour dresser le profil des mères porteuses dans les pays occidentaux, elle cite Erin Nelson, professeure en droit de la responsabilité délictuelle :
[...] contrairement aux arguments féministes présentés dans les premiers temps des techniques de procréation assistée, les mères porteuses ne sont pas des femmes de couleur, pauvres et sans éducation formant une sorte de « quart-monde » reproducteur pour servir les besoins des riches femmes blanches.
Les auteures s’entendent pour dire que les préoccupations féministes canadiennes à l’égard de l’exploitation des mères porteuses par des gens de pays riches ont été réfutées par les preuves empiriques.
Selon une publication de 2016 du Conseil du statut de la femme du Québec, le recours à la gestation pour autrui à des fins commerciales est une atteinte à la dignité des personnes. Le conseil s’exprime sans réserve contre l’aspect commercial de la chose et justifie vaguement une approche plus souple envers la gestation pour autrui à des fins altruistes. Le conseil nous dit ce qui suit, et je cite :
[…] il est clair que la pratique commerciale porte atteinte à la dignité des personnes, parce qu’elle implique la marchandisation du corps des femmes et de la vie humaine. La pratique à titre gratuit peut elle aussi comporter des atteintes à la dignité des femmes et c’est pourquoi le respect de ce principe doit être évalué dans le contexte de situations concrètes.
Qu’on soit d’accord ou non avec cette position, si l’on se soucie le moindrement de la dignité des personnes, la criminalisation n’est pas une solution. Karen Busby, professeure de droit et directrice du Centre for Human Rights Research de l’Université du Manitoba, abonde dans le même sens. Elle a dit ceci, et je cite :
Nous devrions rouvrir le débat sur l’éthique de la maternité de substitution à des fins commerciales. La sûreté, la sécurité et le bien-être des mères porteuses, des enfants qu’elles portent et des futurs parents pourraient être mieux protégés par des régimes de réglementation que par des interdictions pénales.
Il ne faut pas oublier que ce n’est pas parce qu’une mère porteuse ou une donneuse de gamètes se fait rémunérer que sa décision de porter l’enfant d’une autre personne ou de subir des procédures médicales invasives pour le prélèvement des gamètes n’est pas également motivée par l’altruisme. Alors qu’on se penche sur l’argument, il faut remettre en question cette présomption, qui est l’un des fondements de la criminalisation de la rémunération des mères porteuses et des donneuses de gamètes.
Ensuite, cette dichotomie représente également la glorification de l’altruisme féminin, dont les nobles attributs comme l’empathie, la générosité et l’abnégation renforcent les stéréotypes fondés sur le sexe et les obstacles à l’égalité des sexes. Il serait naïf de croire que le renforcement de ce stéréotype n’a aucune incidence sur la capacité des gens à reconnaître la discrimination systémique fondée sur le sexe dans la société canadienne.
Dans tous les cas, peu importe qu’une femme porte un enfant pour une autre personne à des fins altruistes ou commerciales, la meilleure façon de protéger les femmes et les futurs parents est de mettre en place une réglementation appropriée. Pour atteindre cet objectif, toutes les parties concernées doivent pouvoir participer au débat public et se tourner vers les tribunaux, au besoin, sans crainte de sanctions ou de peines d’emprisonnement.
Ce qu’il faut retenir du reportage de la CBC, c’est que la criminalisation favorise un climat de peur et de silence, ce qui étouffe la discussion et augmente le risque que des personnes vulnérables soient exploitées — qu’il s’agisse de mères porteuses, des parents d’intention, des donneurs de gamètes, des receveurs de gamètes ou des enfants.
Sarah Cohen, avocate et professeure à la faculté de droit Osgoode Hall et présidente de Fertility Matters Canada, estime que le Canada devrait décriminaliser la rémunération des mères porteuses afin que les parents puissent dénoncer les mauvaises pratiques sans craindre de graves conséquences juridiques. Elle affirme que l’une des raisons pour lesquelles il faudrait décriminaliser la rémunération des mères porteuses, c’est que les parents d’intention et les mères porteuses doivent être suffisamment à l’aise pour dénoncer les torts qu’ils subissent sans craindre que des des sanctions pénales leur soient imposées ou soient imposées aux autres parties. Comme les parents craignent d’avoir enfreint la loi, ils ne demanderont pas l’aide d’un tribunal lorsqu’ils sont lésés, et les mères porteuses ne veulent pas que les parents d’intention soient envoyés en prison, même si ceux-ci leur ont causé du tort. Les parents d’intention et les mères porteuses se retrouvent donc dans une situation délicate et tentent de se frayer un chemin dans une zone grise sans bénéficier du système judiciaire habituel pour les soutenir.
Le travail d’enquête de CBC ainsi que ces témoignages font la lumière sur les effets pervers inhérents à la criminalisation de la rétribution des mères porteuses et nous force, en qualité de législateurs, à nous poser des questions sérieuses sur la pertinence du régime juridique en vigueur d’un point de vue pragmatique plutôt qu’idéologique.
L’objectif de mon discours est de susciter un débat éclairé en vous présentant les différentes perspectives qui façonnent le débat public, ainsi que les résultats de ma propre recherche et de ma réflexion sur le sujet de la décriminalisation. Après avoir fait un travail d’étude et d’analyse rigoureux et approfondi sur ces questions, j’en conclus que la décriminalisation est la voie à privilégier dans l’intérêt supérieur de tous les Canadiens et de toutes les Canadiennes qui ont recours aux méthodes alternatives de procréation. J’aimerais d’emblée souligner que la décriminalisation de la rétribution des mères porteuses est une façon pour les femmes de réaffirmer leur faculté à réfléchir par elles-mêmes et à prendre des décisions par rapport à leur corps tout en protégeant les personnes vulnérables, y compris les femmes qui n’auraient pas la capacité mentale à consentir et celles qui sont âgées de moins de 21 ans.
Cette approche féministe se dissocie d’un féminisme paternaliste qui nie aux femmes leur faculté de décider par elles-mêmes sur la base d’idéaux ou de craintes telles que les questions éthiques que soulèvent l’utilisation des organes de reproduction à des fins commerciales ou les risques allégués que des femmes vulnérables sont exploitées lorsqu’elles reçoivent une compensation pour être mères porteuses comme si, ironiquement, elles risquaient moins d’être victimes d’exploitation si elles le faisaient gratuitement.
En somme, la loi actuelle et les écoles de pensée qui ont façonné ce féminisme sont remplies de contradictions. Dans son article intitulé « Une comparaison entre les lois états-uniennes sur la gestation pour autrui et celles d’autres pays : devrait-il y avoir une loi fédérale uniforme qui autorise la gestation commerciale pour autrui? », Victoria Guzman résume la position des opposants à ce féminisme paternaliste comme suit :
[...] un tel point de vue se fonde sur le postulat paternaliste selon lequel les femmes ont besoin d’être sauvées d’elles-mêmes et il minimise la liberté de choix que les mères porteuses ont en matière de reproduction. Qui plus est [...] ne pas rémunérer les mères porteuses dévalorise le travail qu’elles accomplissent.
Certains croient aussi que la gestation commerciale pour autrui est avantageuse pour les femmes parce qu’elle leur offre une source importante de revenu, qui est jugée utile par la société et qui est exempte de concurrence masculine.
La question de la procréation assistée au Canada mérite réflexion. En tentant de comprendre la raison d’être de la présente mesure législative, je me suis posé les questions suivantes :
Pourquoi un parent qui paie une mère porteuse ou un intermédiaire qui effectue le paiement est-il passible d’une peine d’emprisonnement de 10 ans et d’une amende de 500 000 $? Pourquoi la gestation commerciale pour autrui est-elle un crime, mais pas la gestion pour autrui à des fins altruistes? Pourquoi cette dichotomie arbitraire existe-t-elle? Pourquoi une femme risque-t-elle moins de se faire exploiter si elle offre un service gratuitement au lieu de se faire rémunérer équitablement pour ce service? Pourquoi le système juridique encourage-t-il les Canadiens à se rendre dans l’hémisphère Sud pour trouver des mères porteuses pauvres et racialisées qui ne sont pas vraiment protégées contre les mauvais traitements et l’exploitation au lieu d’offrir le service au Canada, dans un cadre juridique et médical plus sûr pour les femmes? Pourquoi les médecins et les organismes qui travaillent dans le domaine de la procréation assistée peuvent-ils tirer profit de cette industrie, alors qu’il est illégal pour les mères porteuses et les donneurs de gamètes d’être rémunérés équitablement?
Tous les honneurs et le crédit derrière l’ingéniosité et l’audace du projet de loi S-216 reviennent au député Anthony Housefather qui, rappelons-le, avait déposé à l’autre endroit le projet de loi C-404 lors de la 42e législature. J’ai choisi de parrainer ce projet de loi au Sénat parce que le sujet mérite une réflexion approfondie et que nous sommes en mesure, dans cette Chambre, de lui accorder l’attention et la rigueur nécessaires, qui mèneront à un régime juridique beaucoup plus sain et équilibré en matière de procréation assistée au Canada. Le régime actuel facilite l’exploitation de femmes vulnérables et racisées ailleurs dans le monde. Il renforce les inégalités entre les couples hétérosexuels fertiles et toute autre personne qui désire avoir un enfant, mais n’est pas en mesure de le faire, particulièrement les couples LGBTQ2+, les couples infertiles et les personnes célibataires, en plus de brimer la liberté des femmes et de leur nier la capacité mentale de prendre des décisions par rapport à leur corps dans un contexte arbitraire, soit celui de la gestation pour autrui moyennant rétribution.
La prochaine partie de mon allocution portera d’abord sur l’état du droit en matière de procréation assistée au Canada du point de vue fédéral et les changements qui sont proposés dans le projet de loi S-216. J’aborderai la question de la raison d’être de la criminalisation en faisant un survol de l’historique des débats et de la législation en matière de procréation au Canada. Je ferai également un survol des enjeux de juridiction qui caractérisent la réglementation de la procréation assistée au Canada.
Le droit canadien en matière de gestation pour autrui et de don de gamètes est régi en grande partie par la Loi sur la procréation assistée, qui interdit certaines activités, mais en autorise certaines autres. Les pratiques permises sont, pour la plupart, réglementées par les provinces, conformément à leur compétence en matière de santé et de droit de la famille.
Dans les provinces et les territoires, le paysage est très disparate en matière de jurisprudence et de réglementation. Par exemple, en Ontario, en ce qui a trait à la filiation, depuis la récente réforme de la Loi portant réforme du droit de l’enfance, les donneurs et les mères porteuses ne sont pas les parents présumés de l’enfant, tandis qu’au Québec, la femme qui a accouché de l’enfant est présumée mère de l’enfant, conformément au vieil adage mater semper certa est. De plus, au Québec, les conventions de gestation pour autrui sont nulles en vertu dans l’article 541 du Code civil. Dans la plupart des provinces, la mère porteuse est reconnue comme étant la véritable mère de l’enfant, ce qui oblige les parents à entreprendre un processus d’adoption formel. Sur le plan fédéral, la Loi sur la procréation assistée prévoit les contraintes suivantes : il est interdit de rétribuer une femme pour qu’elle agisse à titre de mère porteuse; il est interdit d’accepter d’être rétribué pour obtenir les services d’une mère porteuse; il est interdit de rétribuer une personne à titre d’intermédiaire pour qu’elle obtienne les services d’une mère porteuse. Notons que la publicité et l’offre d’une rétribution sont interdites également.
Les seuls frais pouvant être remboursés à une mère porteuse sont ceux qu’elle a encourus pour agir à ce titre. Ils sont énumérés dans la loi et dans les règlements à venir. Il en sera de même pour les donneurs de gamètes.
Les règlements remboursant les frais admissibles entreront en vigueur en juin 2020, soit 16 ans après la loi de 2004. Jusqu’à présent, l’absence de règlements clairs concernant les frais admissibles a souvent causé une incertitude chez les personnes qui utilisent de tels moyens de procréation assistée, parce que ces personnes craignent que le remboursement d’un frais inadmissible soit vu comme une rétribution illégale. Cette situation encourage ceux qui en ont les moyens à se rendre dans des pays comme l’Inde et le Mexique, où ils auront accès aux services d’une mère porteuse dans un cadre juridique moins contraignant.
Cette pratique entraîne un éventail de problèmes, notamment l’exploitation des femmes pauvres et racialisées dans d’autres pays et la difficulté d’obtenir des gamètes et de trouver des mères porteuses au Canada. En théorie, on pourrait dire que l’approche législative du Canada est hypocrite, car nous ignorons l’exploitation des femmes dans d’autres pays pour éviter d’exploiter des Canadiennes. Dans son article, Maneesha Deckha cite le travail de Kristin Lozanski pour souligner cette hypocrisie législative :
[...] La Loi sur la procréation assistée affirme que la maternité de substitution à visées commerciales est immorale en raison [...] des lourdes répercussions sur les femmes qui enfreignent ce code moral. Pourtant, lorsque cette exploitation se produit à l’étranger, le Canada ne s’en préoccupe pas. En fait, il aidera même les Canadiens à accueillir à la maison le bébé d’une mère porteuse à visées commerciales [...]
[...] cela porte atteinte aux principes d’égalité des sexes et de lutte contre la marchandisation qui sous-tendent la Loi sur la procréation assistée.
La Loi sur la procréation assistée impose les restrictions suivantes en ce qui concerne l’achat et la vente de gamètes : Il est interdit d’acheter ou d’offrir d’acheter des ovules ou des spermatozoïdes à un donneur ou à une personne agissant en son nom. Il est interdit d’acheter ou d’offrir d’acheter un embryon in vitro. Il est interdit d’acheter ou d’offrir d’acheter des cellules humaines ou des gènes humains avec l’intention de les utiliser pour la création d’un être humain.
Dans la loi, on assimile au fait d’« acheter » ou de « vendre » le fait d’acquérir ou de disposer en échange de biens ou services. La publicité est aussi interdite. Dans ce contexte, il est illégal de payer un donneur. Paradoxalement, le Canada permet l’importation de gamètes provenant d’autres pays, même si le donneur y a été payé. Cela explique pourquoi environ 90 % des dons de sperme au Canada proviennent des États-Unis, alors que seulement de 5 à 10 % proviennent de donneurs canadiens. En permettant les importations, le gouvernement renonce à contrôler le cadre juridique qui régit le prélèvement de la plupart des gamètes qui se trouvent dans les banques canadiennes de sperme et d’ovules.
La Loi sur la procréation assistée prévoit des infractions à l’article 60 pour quiconque contrevient aux actes interdits à l’article 6, qui concerne la rétribution des mères porteuses, et à l’article 7, qui a trait à la rétribution des donneurs de gamètes.
On prévoit des amendes pouvant aller jusqu’à 500 000 $ et un emprisonnement maximal de 10 ans.
Parlons maintenant de l’objet du projet de loi S-216 et des problèmes qu’il permettrait de résoudre s’il était adopté. D’une part, en légalisant la commercialisation des capacités reproductives des tissus humains, le projet de loi S-216 vise à augmenter l’offre de gamètes et à faciliter le recours aux mères porteuses au Canada afin de satisfaire à la demande des Canadiennes et des Canadiens pour qui il est impossible ou risqué de procréer de manière naturelle.
Dans un article publié en 2019, Anne-Isabelle Cloutier de l’Université McGill explique cet argument, lequel a largement appuyé par la recherche universitaire. Elle dit :
Le prétendu manque de donneurs et de mères porteuses est attribué à l’absence d’incitations économiques et à l’existence d’un marché gris qui jette une ombre d’incertitude juridique sur l’ensemble du processus. Cette « aura d’illégalité » [...] dissuade certains Canadiens d’agir en tant que donneurs ou mères porteuses et fait craindre aux futurs parents d’être sanctionnés pénalement si le remboursement qu’ils versent est jugé sans rapport ou déraisonnable. La dépénalisation de la rémunération des donneurs de gamètes et des mères porteuses, affirme-t-on, résoudrait les deux problèmes et augmenterait ainsi le nombre de donneurs et de mères porteuses canadiens [...]
Améliorer l’accès à d’autres méthodes de reproduction contribue à l’égalité entre les couples qui n’ont aucune difficulté à concevoir et d’autres personnes, comme les couples infertiles, les couples de même sexe et les personnes célibataires. Par ailleurs, en facilitant le recours à une mère porteuse au Canada, le projet de loi contribuerait à réduire l’exploitation de femmes à l’étranger par des Canadiens. Comme je l’ai mentionné tout à l’heure, beaucoup de Canadiens voyagent dans des pays où les mères porteuses font face à un risque d’exploitation croissant et omniprésent. Maneesha Deckha explique clairement la logique de cet argument dans l’article que j’ai cité plus tôt :
Même si des féministes peuvent être sceptiques quant à l’absence d’observations empiriques indiquant que des mères porteuses sont exploitées, elles peuvent tout de même admettre qu’il peut y avoir une différence considérable entre les conditions des mères porteuses au pays et celles des mères porteuses à l’étranger, selon la façon dont les conditions sanitaires et économiques sont réglementées dans le pays où se trouve la mère porteuse. Par exemple, on trouve au Canada des dispositions législatives sur la parentalité et des normes en matière de soins de santé publique qui n’existent pas actuellement en Inde et qui, advenant la légalisation de la rémunération des mères porteuses, protégeraient contre les conditions de travail et de santé abusives toute Canadienne qui pourrait travailler comme mère porteuse rémunérée.
Dans un article de 2016, Mme Guzman présente un argument semblable :
Bien que la situation en Inde puisse être considérée comme de l’exploitation par certaines personnes, on ne peut pas en dire autant de la situation des mères porteuses aux États-Unis, où la mère porteuse est généralement « mariée, âgée de 21 à 37 ans, diplômée du secondaire, mère au foyer et dépendante du revenu de son conjoint ». Selon des résultats de recherche, les mères porteuses américaines aiment leur expérience de mère porteuse, elles estiment qu’elles font quelque chose de bénéfique, elles se servent de ce travail comme source de revenus supplémentaire et non comme unique source de revenus, et elles sont rarement démunies.
Le projet de loi S-216 permettrait également aux provinces et au gouvernement fédéral de réglementer de manière adéquate le recours aux services d’une mère porteuse et le don de gamètes. La décriminalisation de telles pratiques permettrait aux provinces de les réglementer, ainsi que de protéger les personnes utilisant d’autres moyens de procréation et celles qui les aident à le faire. Le principe juridique selon lequel nul n’est censé ignorer la loi signifie que la méconnaissance de la loi ne peut être invoquée comme défense pour avoir commis un acte illégal. Comment le gouvernement du Canada peut-il s’attendre à ce que le grand public sache distinguer ce qui est interdit de ce qui ne l’est pas dans le régime actuel? Les parents d’intention, les organismes, les avocats, les médecins, les mères porteuses, les donneurs de gamètes et les receveurs de gamètes s’entendent tous pour dire que l’incertitude juridique et la contradiction inhérente de ce régime sont fort problématiques.
Pensons par exemple à la question du remboursement de frais et aux résultats de l’enquête de CBC. L’incertitude juridique ne favorise personne, et elle accroît le risque que des personnes vulnérables se fassent exploiter à cause des rapports de force inégaux qui sous-tendent l’utilisation d’autres moyens de procréation.
En définitive, le projet de loi S-216 vise à remédier aux contradictions multiples et à l’incohérence du régime juridique en vigueur en reconnaissant aux femmes la faculté de prendre des décisions par rapport à leur corps.
Une mère de famille monoparentale qui a de la difficulté à subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants pourrait, de manière complètement rationnelle, décider qu’elle préfère devenir mère porteuse plutôt que d’occuper deux emplois au salaire minimum et de travailler en moyenne 80 heures par semaine pour joindre les deux bouts.
L’argument vaut tout autant pour le don de gamètes. Qui est-on, femme ou homme, pour empêcher de manière arbitraire une femme ou un homme de prendre ce genre de décision? À mon sens, cette approche paternaliste est incohérente avec les valeurs de la plupart des Canadiens.
Les modifications proposées par le biais du projet de loi S-216 touchent principalement les articles ayant trait à la gestation pour autrui, l’article 6, et au don de spermatozoïdes ou d’ovules, l’article 7. Pour l’essentiel, le projet de loi décriminalise le versement d’une somme d’argent en contrepartie d’un contrat de gestation ou de don de spermatozoïdes ou d’ovules en abrogeant les dispositions qui interdisent ces actes.
De plus, le projet de loi prévoit des restrictions en ce qui a trait aux gens qui peuvent devenir donneurs de spermatozoïdes et d’ovules. Un donneur doit être âgé d’au moins 18 ans, être capable de consentir au don et ne pas être forcé de le faire par un tiers.
En ce qui a trait à la gestation pour autrui, le projet de loi précise également des restrictions quant aux personnes qui peuvent devenir mères porteuses : elles doivent être âgées d’au moins 21 ans, être capables de consentir au don et ne pas être forcées de le faire par un tiers.
De plus, le projet de loi élimine l’interdiction de remboursement pour les dépenses encourues par les mères porteuses sous certaines réserves. Ainsi, plutôt que de prohiber de manière générale le remboursement des dépenses, sauf celles qui sont énumérées dans un règlement qui n’a, précisons-le, même pas encore vu le jour, on autorise la rétribution de manière générale et on simplifie le processus.
En résumé, les difficultés liées à l’incertitude quant aux dépenses remboursables viennent du fait qu’une dépense jugée « non remboursable » pourrait être perçue comme une forme de rétribution, ce qui rend son remboursement ipso facto criminel, tant pour la mère porteuse que pour les parents qui ont recours à ses services.
La décriminalisation générale des paiements, elle, délivre plutôt du fardeau qu’impose une réglementation extrêmement rigide du remboursement de frais. En théorie, le cadre juridique actuel pourrait exposer une personne qui commet simplement une erreur accidentelle à de graves pénalités. Le nouveau cadre juridique permettrait aux parties de s’entendre sur les conditions de remboursement des frais, notamment sur les types de frais remboursables, la somme maximale remboursable et les documents exigés. Le remboursement de frais serait une question de droit contractuel plutôt que criminel. De plus, contrairement au projet de loi C-404 de la 42e législature, le projet de loi S-216 entrerait en vigueur 180 jours après la sanction royale. Le gouvernement fédéral et les assemblées législatives provinciales disposeraient ainsi d’un délai raisonnable pour exercer, au besoin, leurs pouvoirs de réglementation.
Je vais maintenant faire l’historique de cette question afin d’expliquer pourquoi le fait de payer pour la procréation assistée a été criminalisé.
En 1989, le gouvernement fédéral a créé la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, aussi appelée la Commission Baird, pour étudier la question de la procréation assistée. Dans son rapport final intitulé Un virage à prendre en douceur, publié en 1993, la Commission Baird s’est dite préoccupée par certaines pratiques de la procréation assistée et a exhorté le gouvernement à adopter un projet de loi pour répondre à ce problème. La même année, le ministre de la Justice du Québec a déclaré que le recours à une mère porteuse était contraire à l’ordre public.
En 1995, le ministre de la Santé a annoncé un moratoire volontaire sur certaines techniques, notamment sur le clonage humain et les paiements versés aux mères porteuses. Enfin, en 2004, le gouvernement fédéral a adopté la Loi sur la procréation assistée, fondée sur le rapport de la Commission Baird et élaborée en collaboration avec les provinces, les territoires et des groupes d’intérêt.
De nombreux facteurs ont contribué à la criminalisation de telles pratiques. Elle a pris sa source dans les années 1990 et 2000, dans des idéologies qui étaient courantes dans les sociétés canadiennes, notamment dans certains courants de pensée féministes et traditionnels qui défendaient les conceptions conventionnelles de la procréation et de la famille.
L’engouement autour du bien-fondé de la législation et la recherche de la légitimité de la position adoptée ont été exagérés à l’époque de l’adoption, en 2004, de la Loi sur la procréation assistée. L’autrice Anne-Isabelle Cloutier souligne le fait que plusieurs auteurs, dont Dave Snow, sont d’avis que seuls les créateurs de la Loi sur la procréation assistée et les partisans de celle-ci ont affirmé que la loi jouissait d’une forte légitimité sociale au moment de son adoption, alors qu’en fait, il n’y avait aucune preuve à l’appui d’une telle prétention, car un sondage d’opinion datant de 2002 a montré que 55 % des Canadiens étaient en faveur d’autoriser la rétribution pour l’assistance à la procréation. Plusieurs auteurs abondent dans le même sens. Maneesha Deckha nous dit ce qui suit, et je cite :
[...] les interdictions pénales de la marchandisation prévues par la Loi sur la procréation assistée reposent sur des principes moraux douteux qui n’ont jamais joui d’un vaste appui et qui ne tiennent pas compte des mœurs sociales canadiennes actuelles [...]
À cette contingence s’ajoutait l’urgence législative ressentie dans la foulée des avancées technologiques en matière de procréation assistée. Le clonage humain était imminent et il fallait agir rapidement. Par conséquent, le gouvernement a essentiellement reproduit les recommandations du rapport de 1993 dans sa loi de 2004.
À mon avis, compte tenu des publications universitaires récentes, des témoignages de la part d’intervenants et des données empiriques tirées de la recherche sur la procréation assistée, une partie des recommandations de la Commission Baird sont désuètes et ne correspondent plus à la réalité. C’est particulièrement le cas de celles sur la commercialisation de la gestation pour autrui et du don de gamètes.
Les craintes qui ont mené à l’interdiction de ces activités se sont révélées non fondées. Cette constatation concorde avec les travaux universitaires qui s’appuient sur des données empiriques.
De plus, les valeurs et les normes sociales ont évolué. À l’époque, les Canadiens avaient une conception plus traditionnelle de la famille et de la procréation. Le mariage entre conjoints de même sexe n’était pas encore légal. Ainsi, personne ne savait combien de gens feraient appel à des mères porteuses ou à des dons de gamètes au Canada. Bref, les temps ont changé.
Le gouvernement fédéral justifie la criminalisation de la gestation commerciale pour autrui sur une base idéologique plutôt qu’empirique, ce qui est pourtant fondamentalement contraire à la façon dont le gouvernement actuel entend légiférer.
Dans les provinces, on peut observer ce même phénomène en matière de filiation. Marie-France Bureau, professeure agrégée à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, et Édith Guilhermont, chercheuse postdoctorale, dans l’article intitulé « Maternité, gestation et liberté : Réflexion sur la prohibition de la gestation pour autrui en droit québécois », publié en 2010 dans la Revue de droit et santé de l’Université McGill, ont conclu que les motivations du législateur pour criminaliser la commercialisation de la gestation pour autrui étaient d’abord de nature idéologique. Le rapport faisait cette conclusion, et je cite :
Les craintes exprimées depuis une vingtaine d’années, de même que les arguments avancés contre la gestation pour autrui, ne semblent pas validés par les études empiriques sur la pratique en Occident et relèvent davantage du désir de maintenir une certaine représentation de la maternité.
Depuis longtemps, la conception de la maternité à laquelle adhèrent les juristes québécois est que la femme qui accouche de l’enfant est naturellement la mère de l’enfant [...]
À une époque où les techniques d’assistance à la procréation ont considérablement progressé et compte tenu du fait que de nombreuses personnes ont recours à des tiers pour mener à bien leur projet parental, les certitudes en matière de filiation s’en trouvent ébranlées. Cependant, plutôt que de repenser les notions de maternité et de filiation au regard de cette réalité, le législateur québécois, à l’instar de ceux d’autres pays comme la France, continue d’interdire la pratique de la gestation pour autrui, sanctionne de nullité les conventions qui ont pour objet de l’organiser et persiste à relier automatiquement la maternité au ventre.
Tant et aussi longtemps que le gouvernement fédéral ne joue pas un rôle de leader en matière de réglementation, et en maintenant une prohibition de nature criminelle il envoie aux provinces le message qu’il est acceptable de légiférer sur des bases idéologiques plutôt qu’empiriques. En 2020, la plupart des Canadiens s’attendent à une plus grande sagesse de la part du législateur. Il est grand temps de mener une étude visant à atteindre une cohérence entre le texte de la loi et son objet.
Les principes directeurs énoncés à l’article 2 de la Loi sur la procréation assistée sont notamment les suivants : la protection et la promotion de la santé, de la sécurité et de la dignité et des droits des êtres humains; la santé et le bien-être des femmes; le consentement libre et éclairé de la personne; enfin, l’idée selon laquelle les personnes cherchant à avoir recours aux techniques de procréation assistée ne doivent pas faire l’objet de discrimination, notamment sur la base de leur orientation sexuelle ou de leur statut matrimonial.
Pour toutes les raisons évoquées dans le cadre de ce discours, je suis d’avis que la criminalisation de la gestation pour autrui et du don de gamètes à des fins commerciales ne concorde pas avec ces principes et nuit à l’adoption d’une réglementation adéquate. Une déconstruction des discours ayant mené à la criminalisation nous permet de bien comprendre l’incohérence et les contradictions entre ces grands principes et ce qui se passe réellement sur le terrain.
Parlons maintenant des questions de juridiction. Le projet de loi S-216 ne pose pas de difficulté sur le plan du droit constitutionnel, puisqu’il vise simplement à lever des interdictions de nature criminelle. Il serait très risqué de proposer un cadre juridique qui irait au-delà de la décriminalisation. Comme l’a montré la jurisprudence sur la question, il est risqué, sur le plan constitutionnel, de proposer une législation nationale globale en matière de procréation assistée.
La capacité du gouvernement fédéral de réglementer les technologies de reproduction est sans contredit limitée. Les provinces canadiennes ont juridiction en matière de droit de la famille, de transfert de parentage, d’enregistrement des naissances, d’adoption et de santé. Le gouvernement fédéral exerce une compétence exclusive en matière de droit criminel.
En 2010, dans son renvoi concernant la procréation assistée, la Cour suprême a invalidé une bonne partie de la Loi sur la procréation assistée, statuant que le gouvernement fédéral avait outrepassé sa compétence législative lorsqu’il a réglementé la fécondation in vitro, entre autres, pour la délivrance des permis des cliniques. Cependant, la cour n’a pas invalidé les dispositions qui rendent certains actes criminels, notamment les infractions à l’article 6, sur les mères porteuses, et celles à l’article 7, concernant le don de gamètes, puisque ces infractions enfreignent le droit pénal et relèvent plus clairement de la compétence fédérale.
Comme le projet de loi S-216 décriminaliserait certaines pratiques, les provinces devraient légiférer et réglementer certaines questions liées à la rémunération des mères porteuses et des donneurs de gamètes. Dans son article intitulé La politique de procréation assistée dans un État fédéral : ce que le Canada peut apprendre de l’Australie, David Snow explique les leçons que le Canada devrait tirer du modèle de fédéralisme coopératif australien, qui a permis aux provinces d’adopter des lois sur la procréation assistée sans qu’un régime législatif chaotique en résulte. Dans l’article, l’auteur affirme ceci :
Avec l’arrêt de la Cour suprême [...] l’établissement d’une réglementation nationale sur les aspects non criminels de la technologie de procréation n’est plus possible au Canada, de sorte que, si on veut une uniformisation, il faut absolument s’inspirer d’un modèle semblable à celui de l’Australie [...]
David Snow soutient que la décriminalisation, comme facteur de décentralisation, ne mine pas la cohérence ni les principes fondamentaux des différentes provinces. Au Canada, on peut penser que chaque province trouvera des points communs et certains principes de base, comme l’importance de mettre fin à l’exploitation des femmes, la protection de la santé et de la sécurité de la patiente, l’importance du consentement libre et éclairé et un cadre juridique clair.
Il donne l’exemple de l’État de Victoria, en Australie, dont la réglementation a été utilisée comme modèle par les autres États du pays.
Au Canada, l’Ontario se présente comme un leader en matière de réglementation de la procréation assistée. Les provinces sont donc en mesure d’instaurer des changements et d’utiliser de bonnes pratiques de consultation afin de rédiger une réglementation adéquate.
Pour les domaines qui ne font pas partie des champs de compétence du gouvernement fédéral, il existe plusieurs façons d’assurer une cohérence et une uniformité de la réglementation provinciale en la matière. Par exemple, le gouvernement peut émettre des lignes directrices non contraignantes qui font état des bonnes pratiques en matière de procréation assistée.
De plus, la réglementation à laquelle sont soumis les professionnels de la santé offre déjà un cadre réglementaire aux patients qui ont recours aux méthodes alternatives de reproduction en matière de gestation pour autrui et au don de gamètes à des fins altruistes et en ce qui a trait au consentement libre et éclairé d’un patient. Par conséquent, la décriminalisation de l’aspect commercial de ces pratiques ne s’insère pas dans un cadre réglementaire dépourvu de balises.
Notons que le gouvernement fédéral conserve ses pouvoirs de réglementation par rapport à tout ce qui est criminel dans la loi.
Ce qu’il importe de retenir du renvoi de 2010, c’est que la question de la procréation assistée touche à la fois des compétences fédérales et provinciales et que, généralement, lorsque des activités sont permises par le gouvernement fédéral, que ces activités sont décriminalisées et qu’elles touchent la santé ou les questions de parentage et de filiation, la réglementation requise sera avant tout provinciale. Une harmonisation de la réglementation demeure possible et réaliste dans le contexte d’un fédéralisme coopératif, comme l’a fait l’Australie et comme on l’observe au Canada dans d’autres domaines de compétences qui sont a priori provinciales.
Le projet de loi S-216 ne pose donc pas de difficulté en matière de partage des compétences et est conforme à l’interprétation restrictive de la juridiction du gouvernement fédéral en matière criminelle qu’a faite la Cour suprême dans le renvoi de 2010. Un projet de loi trop ambitieux, qui aurait pour objet de centraliser la réglementation par le biais d’une loi fédérale, risquerait fort d’être jugé inconstitutionnel à la lumière du renvoi de 2010 et du partage des compétences telles qu’elles sont énoncées dans la Loi constitutionnelle de 1867.
Dans le cadre de ce discours, j’ai cherché à répondre à la question suivante : quelle est la pertinence du maintien de l’interdiction de la gestation pour autrui et du don de gamètes à des fins commerciales?
Pour quelle raison, s’il y en a une, privilégier un cadre juridique criminel plutôt qu’un cadre juridique réglementaire?
Il n’existe pas de raison valable pouvant justifier, encore aujourd’hui, le maintien de ces interdictions. Les preuves empiriques recensées dans la littérature académique récente et les témoignages des différentes parties prenantes m’ont permis d’en arriver à cette conclusion. De plus, j’espère que ces preuves et ces témoignages entraîneront un débat éclairé et objectif au Sénat. Mon plaidoyer vient s’opposer au sixième principe énoncé dans la Loi sur la procréation assistée, à l’alinéa 2f), principe qui est d’ailleurs abrogé dans le projet de loi S-216.
Je suis d’avis que les questions de santé et d’éthique que soulève la commercialisation de la gestation pour autrui et du don de gamètes n’en justifient plus l’interdiction.
Le temps est venu de cesser de faire l’autruche et de regarder en face la question de la procréation assistée. Nous sommes en 2020. Il est temps que le Parlement se sorte la tête du sable et examine l’ampleur des données empiriques qui soutiennent la décriminalisation de la maternité de substitution à des fins commerciales et du don de gamètes à des fins commerciales, pour que les Canadiens bénéficient d’une réglementation qui protégera réellement leur santé et leur sécurité et fera en sorte que soient traitées avec justice et équité les personnes qui en aident d’autres à devenir parents.
Il est grand temps de réexaminer cette question dans le cadre d’une étude exhaustive qui permettra d’examiner tous les aspects de la procréation assistée et d’offrir des solutions concrètes à un enjeu que le Parlement refuse de réglementer adéquatement depuis trop longtemps.
Je vous remercie de m’avoir écoutée avec attention pendant les 40 dernières minutes.
Sénatrice Miville-Dechêne, vous avez deux minutes.
Sénatrice Moncion, nous avons parlé de ce projet de loi. Vous ouvrez un champ de réflexion énorme et complexe de questions éthiques. J’ai fait partie de celles qui ont écrit l’avis du Conseil du statut de la femme qui disait que la gestation altruiste pour autrui était la seule avenue possible pour des raisons de dignité et pour empêcher la marchandisation du corps. Cela n’est pas seulement du féminisme paternaliste, comme vous dites. Vous réduisez tout cela à des étiquettes, alors qu’il y a des idéologies en présence des deux côtés.
Je dois vous dire, en tout respect, qu’avoir un enfant n’est pas un droit. Je ne veux pas avoir l’air de manquer de cœur vis-à-vis des personnes infertiles. J’ai moi-même souffert d’infertilité, donc je peux parler de ces questions en essayant de comprendre le pour et le contre de chacune des options. Ce n’est pas simple de commercialiser la gestation pour autrui. Cela veut dire que des intermédiaires vont faire des profits sur ces pratiques. Vous dites que le fait de se faire payer pour porter un enfant, c’est l’équivalent d’un emploi à l’extérieur. Eh bien non, parce que, à un moment donné, une femme ne peut plus porter d’enfant. Que fait-elle à ce moment-là? Elle n’a plus d’emploi. Ce n’est pas équivalent pour ce qui est de l’indépendance des femmes relativement à leur revenu.
C’est une question extrêmement complexe. Le débat ne fait que commencer. Ma question est la suivante : qu’est-ce que vous dites à ces femmes qui, justement, portent un enfant et signent un contrat et qui, à la fin, veulent...
Je m’excuse, sénatrice Miville-Dechêne, mais le temps de parole de la sénatrice Moncion est écoulé. Voulez-vous encore cinq minutes, sénatrice Moncion?
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
J’entends un « non ». Je suis désolé, votre temps de parole est écoulé.
J’aimerais savoir si la sénatrice Miville-Dechêne souhaite intervenir dans le débat, ou si elle le fera plus tard.
J’aimerais avoir quelques minutes pour finir d’exprimer ma pensée. Est-ce possible?
Une autre fois.