Le Sénat
Motion tendant à exhorter le gouvernement du Canada à déposer un projet de loi afin de geler les indemnités de session des parlementaires, étant donné la situation économique et la pandémie en cours--Ajournement du débat
29 octobre 2020
Conformément au préavis donné le 27 octobre 2020, propose :
Que le Sénat du Canada exhorte le gouvernement du Canada à déposer un projet de loi afin de geler les indemnités de session des parlementaires pour une période de temps que le gouvernement estime appropriée étant donné la situation économique et la pandémie en cours ou pour une période maximale de trois ans.
— Honorables sénateurs, il y a deux jours, j’ai déposé un préavis de motion qui dit ce qui suit :
Que le Sénat du Canada exhorte le gouvernement du Canada à déposer un projet de loi afin de geler les indemnités de session des parlementaires pour une période de temps que le gouvernement estime appropriée étant donné la situation économique et la pandémie en cours ou pour une période maximale de trois ans.
En appuyant cette motion, on envoie le message suivant au gouvernement : les sénateurs désirent que leur statut privilégié ne soit pas dépourvu de sens et de considération pour la dure réalité économique que vivent de nombreux Canadiens et Canadiennes.
En raison des effets dévastateurs qu’a provoqués la pandémie de COVID-19, tant sur les finances des particuliers que sur celles de l’État, il est de mise que le gouvernement prenne des mesures dans le but de ne pas octroyer d’augmentation de salaire aux parlementaires.
Je prends la parole aujourd’hui pour vous faire part des principales raisons qui m’ont incitée à présenter cette motion à la Chambre haute. À titre de membre du Comité de la régie interne et, plus précisément, de présidente du Sous-comité du budget des dépenses, j’ai pu observer directement comment les indemnités des sénateurs sont fixées et comment les montants sont répartis parmi les divers secteurs du Sénat.
L’augmentation de notre salaire est fixée par la loi. Année après année, elle est incluse dans le budget du Sénat, et le calcul se fait automatiquement. Si nous ne voulons pas toucher cette indemnité, il faut modifier la loi.
Ma motion a donc comme objectif d’exhorter le gouvernement à modifier la loi en vue de geler les salaires des parlementaires pendant l’exercice 2021-2022 et, si cela est jugé approprié, de prolonger le gel pour une période pouvant aller jusqu’à deux ans. Renoncer à l’augmentation de nos indemnités de session est un geste simple qui, selon moi, ne coûterait pas très cher à chaque sénateur. On parle d’une somme d’un peu plus de 3 000 $ par année.
En 2010, les parlementaires ont renoncé à la hausse de leur indemnité de session pour trois exercices financiers consécutifs en raison de la crise économique qui sévissait alors. La situation économique actuelle s’apparente à celle de l’époque. Le Sénat devrait communiquer clairement au gouvernement que le contexte économique actuel appelle à la mise en œuvre de cette mesure, une fois de plus.
Le Sénat, la Chambre du second examen objectif, peut donner l’exemple. À titre de sénateurs, nous pouvons agir en amont par rapport à l’étude de la réponse du gouvernement à la pandémie de COVID-19, en étant nous-mêmes soucieux de l’incidence de nos indemnités de session sur l’état des finances du pays. L’impact financier ne sera pas significatif, mais le geste pourrait bien l’être.
Permettez-moi, chers collègues, d’expliquer plus longuement la première raison qui m’a menée à présenter cette motion. Elle a trait aux avantages que nous avons, en tant que sénateurs canadiens.
Il est indéniable que notre statut de sénateur nous procure plusieurs avantages, notamment celui qui est lié à notre indemnité de session et à l’augmentation annuelle y étant associée. Ces avantages financiers sont toutefois dépourvus de sens lorsqu’ils sont juxtaposés à la dure réalité que vivent de nombreux Canadiens et Canadiennes aujourd’hui. Plusieurs d’entre eux ont perdu leur emploi et certaines industries peinent à survivre à cette deuxième vague de pandémie de la COVID-19.
Plus que jamais, la crise actuelle fait appel à notre solidarité et à notre sensibilité à la réalité socioéconomique des Canadiens. La pandémie a creusé les inégalités et mis en lumière les problèmes sociaux qui sous-tendent le fossé croissant entre riches et pauvres. Je pense plus particulièrement au racisme systémique. Selon un sondage réalisé par Innovative Research Group Inc., en collaboration avec l’African Canadian Civic Engagement Council, les Noirs sont plus susceptibles que les autres Canadiens de contracter la COVID-19 et de subir les conséquences financières de la pandémie.
Dans la population active, la pandémie a davantage touché les femmes que les hommes. Ainsi, selon la Chambre de commerce de l’Ontario, à cause de la pandémie, le taux de participation des femmes à l’économie de la province est à son plus bas en 30 ans. Les personnes âgées, les enfants et les travailleurs migrants font également partie des groupes vulnérables qui souffrent davantage de la pandémie. S’il est vrai que cette motion n’entraînera pas d’économies substantielles, elle témoigne néanmoins de notre solidarité avec les Canadiens. En appuyant cette motion, nous reconnaissons la position avantageuse que nous occupons dans la société canadienne et le fait qu’elle est renforcée par la situation économique découlant de la pandémie de COVID-19.
Dans un deuxième temps, je veux vous faire part de la pertinence de présenter et d’appuyer cette motion dès maintenant. À cette fin, je me dois de faire un bref retour sur le gel de l’indemnité de session qui avait été adopté par le Parlement en 2010, en réponse à la crise financière de 2008-2010. En 2010, le gouvernement de l’époque avait présenté le projet de loi C-9, la Loi sur l’emploi et la croissance économique. Parmi les dispositions de cette loi omnibus, il y avait l’article 1649, qui a remplacé l’article 55 de la Loi sur le contrôle des dépenses. À compter du 12 juillet 2010, l’article 55 prévoyait que les indemnités et traitements des sénateurs et députés ne seraient sujets à aucune augmentation pour les exercices financiers de 2010-2011, 2011-2012 et 2012-2013.
Pour répondre à la crise financière de 2008-2010, les parlementaires avaient donc jugé que la meilleure chose à faire était de renoncer à toucher une augmentation de leur salaire pendant trois ans. Tout récemment, certains députés de l’autre endroit ont parlé publiquement de leur souhait que le gouvernement actuel propose une telle mesure.
La situation économique actuelle est semblable à celle d’alors — certains diront même qu’elle est pire — et, par conséquent, devrait susciter une réponse équivalente de la part des parlementaires. Les sénateurs comptent parmi les principaux intéressés dans ce débat et devraient s’exprimer clairement en prenant position sur la motion.
Puisque le Sénat est conscient des dépenses gouvernementales suscitées par la pandémie, il doit donner l’exemple en demandant que le gouvernement fédéral présente un projet de loi afin de geler les indemnités de session pour une période appropriée. Le Sénat a donné instruction au Comité sénatorial permanent des finances nationales et au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie de mener une étude sur les mesures prises par le gouvernement fédéral en réponse à la pandémie de COVID-19.
De plus, le Sénat a créé, ou créera, un comité sénatorial qui se penchera sur les leçons apprises de la pandémie de COVID-19 et l’avenir de la protection civile.
Dans cette Chambre, nous exprimons souvent nos préoccupations par rapport aux dépenses du gouvernement dans la gestion de la crise actuelle. L’appui d’une mesure qui propose le gel de nos indemnités parlementaires atteste de nos préoccupations quant à l’état des finances du pays.
Par souci de cohérence, le Sénat se doit d’appuyer des mesures favorables à une gestion responsable des finances de l’État. Il va de soi que la motion que je propose abonde dans ce sens.
En somme, la motion que je propose aujourd’hui exhorte le gouvernement à déposer un projet de loi qui serait susceptible de mener au gel du salaire des sénateurs et des députés pour un maximum de trois ans, ou pour une période que le gouvernement estime appropriée, étant donné la situation économique et la pandémie en cours.
Pour certains, cette mesure peut sembler superficielle ou même symbolique, puisque l’on sait que les économies générées par le gel du salaire des parlementaires ne seront pas substantielles. J’ai fait un calcul rapide et, si l’on combine les sommes pour le Sénat et la Chambre des communes, on parle de 1,7 million de dollars par année.
Je crois toutefois qu’en appuyant la motion à l’étude, nous faisons preuve de solidarité envers les Canadiens en cette période difficile et montrons, dans notre travail de parlementaires, que nous sommes conscients de notre statut et de l’écart de richesse qui, malheureusement, s’élargit dans la société canadienne.
Chers collègues, soyons solidaires et appuyons la motion, afin d’envoyer un message clair et assuré au gouvernement. Je vous remercie de votre attention.
Merci, madame la sénatrice.
Avez-vous évalué le coût de votre motion par sénateur sur une période de 10 ans?
Je l’ai fait sur une période d’un an, et non sur une période de 10 ans. Sur une période de 10 ans, il faudrait faire des calculs exponentiels, donc j’ai calculé le montant sur une période d’un an.
Si on faisait un calcul exponentiel et qu’on calculait sur trois ans? Vous avez parlé de 3 000 $, donc, pour la troisième année, on parle de 9 000 $. Quand on parle de 9 000 $ récurrents sur 10 ans, on parle d’un montant de 100 000 $ auquel vous demandez aux sénateurs de renoncer sur une période de 10 ans.
Je ne suis pas certaine de comprendre votre calcul.
Quand on regarde les sommes que l’on reçoit, en y additionnant notre taux marginal d’impôt, la somme représentée est de 3 300 $ environ, mais, une fois qu’on soustrait les impôts, la somme diminue sur une période de 10 ans.
J’aimerais préciser ma question.
Si vous renoncez une fois à 3 000 $, la deuxième année, vous renoncez à 6 000 $, et la troisième année, à 9 000 $. Si vous faites cela pendant 10 ans, vous avez donc renoncé à 100 000 $, un montant qui doit être indexé.
Je veux juste être certain que vous avez bien compris combien il en coûtera, sur 10 ans, de renoncer à 3 ans d’indexation.
Je comprends votre calcul, et je pourrais vous donner des chiffres plus importants. C’est un bon calcul, même très bon, sauf que, étant donné que nous sommes sénateurs, je ne suis pas certaine que c’est un calcul qui est facilement justifiable aux yeux des contribuables canadiens. En conséquence, c’est un calcul que l’on doit pondérer, si je peux m’exprimer ainsi.
Je vous remercie de cette motion, sénatrice Moncion, car elle est très intéressante. Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que la pandémie a eu un impact catastrophique sur la santé économique et mentale des Canadiens. Nous n’avons jamais vu une inquiétude aussi grande que celle qui prévaut dans la société canadienne à propos de la pandémie.
Je trouve que votre motion est beaucoup plus symbolique, parce que, en réalité, l’impact de la COVID-19 sur l’économie représente plusieurs certaines de milliards de dollars, ce n’est pas une question de quelques millions de dollars.
Voici ce que je me demandais : aviez-vous songé, avant de présenter une motion du genre, à élargir un peu la portée? La vérité, c’est que, dans la fonction publique, autant les parlementaires que les fonctionnaires partout au pays, au fédéral et au provincial — pour l’instant, il est question du fédéral — travaillent tous à distance.
Concrètement, nous avons tous vu notre charge de travail être réduite en raison de la pandémie, mais aucun d’entre nous n’a eu à faire les sacrifices que bien des Canadiens ont dû faire.
Si vous regardez les impacts pour les Canadiens dans le secteur privé, on parle de 30 à 40 %. Ce n’est pas rien. Dans certains cas, l’impact est tel que les gens ont perdu leur emploi.
Aviez-vous envisagé la possibilité d’élargir la portée de la motion à toute la fonction publique, mais pendant une période plus courte, durant la pandémie afin que tous les fonctionnaires, et pas seulement les parlementaires, puissent contribuer aux sacrifices des Canadiens et partager la souffrance qu’ils vivent?
Je vous remercie de votre question, sénateur. Non, je ne suis pas allée aussi loin. Il m’apparaît difficile d’aller aussi loin.
Les employés ont des conventions collectives et, en tant qu’employeurs, nous devons les respecter. Il y a beaucoup de règles en place. Comme vous l’avez dit et comme je l’ai dit dans mon discours, c’est beaucoup plus symbolique que significatif sur le plan financier, mais je crois que cette motion envoie un message. Elle envoie un message à plusieurs groupes et à plusieurs personnes qui sont relativement bien payées, qui sont fortunées et qui n’ont pas été affectées de la même façon par la pandémie. C’est vraiment un message symbolique, et ce que je demande au gouvernement, c’est d’étudier au moins cet aspect.
L’autre élément que j’aimerais également mentionner et dont je n’ai pas parlé dans mon discours, c’est que, lorsque nous avons reçu une augmentation de salaire cette année, au début de la pandémie, les gens nous ont demandé de les remettre sous forme de dons. J’ai trouvé cette proposition intéressante et, tous les mois depuis le début de l’année, je remets une somme identique, mais je choisis des œuvres de charité différentes. Cela signifie que cet argent, même si je le reçois en salaire et que je paie de l’impôt sur ce montant, j’en fais don en versant un montant équivalent. J’ai fait un don à la banque alimentaire, j’ai fait un don à un établissement de santé local, j’ai fait des dons à plusieurs groupes d’intérêt. Cependant, il existe aussi d’autres méthodes pour remettre des fonds à des organismes et à d’autres groupes.
Honorables sénateurs, je ne voulais pas intervenir dans le débat, mais je me sens obligé de le faire. Je trouve cela tout à fait louable que la sénatrice remette son augmentation de salaire à des banques alimentaires, parce qu’évidemment, c’est à titre personnel qu’elle le fait.
J’ai négocié plusieurs conventions collectives par le passé, et je peux vous dire que, dans les années 1980, le gouvernement du Québec s’est retrouvé dans une situation financière précaire; il a donc mis en place une loi spéciale pour geler tous les salaires.
Pour aller dans le même sens que le sénateur Housakos, si nous devons poser un geste aussi significatif, cela ne devrait pas seulement toucher les parlementaires, mais aussi l’ensemble de la fonction publique. Le gouvernement n’hésitera pas à adopter une loi spéciale, et c’est tout à fait son droit. C’est l’argument que je voulais apporter.
Sénateur Dagenais, j’ai entendu les arguments de la sénatrice Moncion et j’ai entendu également votre perspective. J’éprouve une certaine inquiétude en tant que sénateur et en tant que Canadien.
Il y a, en réalité, deux classes de citoyens au Canada : il y a une classe privilégiée, formée de gens qui travaillent pour le gouvernement fédéral ou provincial, qui sont des fonctionnaires avec des conventions collectives; aussi, il y a l’autre classe, formée de salariés du secteur privé qui ne peuvent pas compter sur des conventions collectives pour les protéger dans des périodes de crise.
Sénateur Dagenais, en tant que membres de la Chambre haute, nous avons une obligation de protéger et d’être solidaires des citoyens dans une période de crise. Ne croyez-vous pas que cela est injuste et anormal de voir deux classes de citoyens, une qui est très protégée et l’autre qui ne l’est pas suffisamment?
Je vous remercie de cette question, monsieur le sénateur Housakos. Je ne peux pas être en désaccord avec ce que vous dites. Cependant, il s’agit d’un geste simplement symbolique qui n’aura aucune incidence sur les dépenses du gouvernement.
Ce qui est décevant, c’est de voir un premier ministre qui se comporte comme un adolescent qui aurait la carte de crédit de son père un samedi soir. Je peux vous dire qu’on estime actuellement que le Canada pourrait faire face à un déficit de 450 milliards de dollars. C’est donc très bien de poser des gestes symboliques, mais il faudrait plutôt s’inquiéter des dépenses que le gouvernement fait sans compter.
Quand vous dites qu’il y a deux classes de citoyens, il faut faire attention. Évidemment, j’ai été policier, j’étais syndiqué et j’avais des privilèges, mais il faut dire que les gens ont ces privilèges en raison de leur fonction. Je peux vous dire que, quand j’étais policier, nous avons subi des gels de salaires à l’époque, et je n’étais pas d’accord. Il faut faire attention lorsqu’on parle de classe privilégiée et non privilégiée. La société est ainsi faite et, chaque fois qu’on reçoit une augmentation, il ne faut pas se flageller tous les jours. Je ne vous demande pas d’être d’accord avec mon point de vue, mais c’est ce que je crois.
Il faut poser des gestes dans l’intérêt des Canadiens, et c’est ce que nous avons fait tout récemment. Nous avons appuyé des projets de loi, comme le projet de loi C-2 — pour ce qui est du projet de loi C-4, je m’en veux de l’avoir approuvé en une journée et demie seulement. Le Sénat est venu en aide aux Canadiens, il a fait son travail. Je pense que notre travail est d’approuver, de peaufiner et de prendre le temps d’étudier les projets de loi pour aider les Canadiens plutôt que de simplement poser un geste symbolique. Cela peut épater la galerie, mais cela n’aidera en rien les finances du pays.