Aller au contenu

Projet de loi sur l'apprentissage et la garde des jeunes enfants au Canada

Deuxième lecture

28 septembre 2023


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada. Je me réjouis de l’arrivée de ce projet de loi au Sénat, car il solidifie un projet de société indispensable en matière d’accès au marché du travail pour les parents canadiens, et plus particulièrement pour les mères canadiennes. L’accès au marché du travail, pour plusieurs d’entre elles, dépend en grande partie de l’accès à un service de garde abordable.

Mon discours vise à mettre en lumière les enjeux d’équité en matière d’accès aux services de garde dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Le projet de loi à l’étude est l’occasion de nous donner les moyens de nos ambitions et de faire en sorte que ces enfants aient accès à des services d’éducation préscolaire et de garde d’enfants de qualité équivalente à ceux auxquels a accès la majorité anglophone.

Pour les parents francophones, l’accès à des services de garde d’enfants en français est une question de survie linguistique puisqu’on assiste à la diminution constante du poids démographique des francophones au sein du Canada. Pour ces parents, la transmission de leur langue — dès le plus jeune âge — permet à leurs enfants d’accéder à l’enseignement de la langue française tout au long du continuum en éducation. Servant de courroie de transmission linguistique et culturelle, les services d’éducation préscolaire et de garde d’enfants contribuent à la survie et à la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire, de génération en génération.

La préservation de la vitalité linguistique au moyen de l’éducation de la petite enfance est également une question de droits pour ces communautés.

L’accès à des services de garde dans la langue de la minorité est indispensable à la mise en œuvre de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui prévoit le droit à l’instruction dans la langue des minorités de langue officielle.

Pour offrir des chances de succès égales aux enfants francophones, ceux-ci doivent avoir accès à des services éducatifs en français dès la petite enfance. Le milieu préscolaire prépare les jeunes enfants à l’école par la transmission de compétences langagières essentielles à leur succès pour la suite de leur parcours scolaire et académique.

L’envers de la médaille est l’assimilation. Avant même d’avoir commencé à parler, ces enfants qui n’ont pas accès à des services de garde dans leur langue sont confrontés à des pressions assimilatrices importantes, qui pourraient compromettre leurs chances de vivre en français.

De manière pratique, s’ils se retrouvent dans un milieu de garde anglophone à défaut d’avoir accès à des services en français, les parents de ces enfants pourraient favoriser leur intégration aux écoles de langue anglaise, par crainte d’un manque sur le plan des compétences langagières nécessaires à leur réussite au sein des écoles de la minorité. C’est l’un des facteurs pouvant expliquer que, petit à petit, nous voyons le poids démographique des francophones dégringoler au Canada.

Effectivement, l’accès à l’enseignement de la langue française tout au long du continuum en éducation est un défi monumental pour de nombreux parents francophones dans des provinces et territoires à majorité anglophones.

Dans un rapport de 2016 intitulé La petite enfance : vecteur de vitalité des communautés francophones, le Commissariat aux langues officielles nous faisait part des enjeux importants auxquels sont confrontés les parents francophones. Le Commissariat aux langues officielles disait notamment ceci :

Les programmes et les services à l’intention des jeunes enfants sont mis sur pied en faisant appel à divers systèmes de gouvernance, modes de financement et approches en matière de formation. Par conséquent les familles font face à un paysage hautement fragmenté ayant une variété de modèles, de critères d’admissibilité et d’exigences relativement aux frais en matière de services à la petite enfance.

Cette observation du commissariat suggère que, à la genèse d’un système national d’apprentissage et de garde de la petite enfance, les besoins des communautés francophones en situation minoritaire doivent être au premier plan.

L’encadrement législatif de ce système devrait manifestement prévoir un engagement du gouvernement fédéral pour assurer un financement de base solide à ces communautés.

Permettez-moi de vous illustrer, en évoquant quelques chiffres, les disparités qui existent dans certaines provinces à l’heure actuelle.

Selon les données du recensement de 2021 de Statistique Canada, 141 635 enfants de zéro à quatre ans sont des francophones ayant droit à l’instruction en français au titre de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. En vertu de la Constitution, ces enfants ont le droit d’être éduqués dans leur langue dès la petite enfance. Cependant, selon la Commission nationale des parents francophones, seulement 20 % de ces enfants bénéficient de services en français. Ils sont environ 29 000 qui fréquentent des garderies préscolaires en français. Il y en a donc plus de 110 000 qui ne le font pas.

Au Nouveau-Brunswick, par exemple, sur les 1 900 places en garderies annoncées seulement 300 étaient réservées à des francophones. Ce chiffre représente à peine 16 % de la population, alors que les francophones du Nouveau-Brunswick représentent environ 30 % de la population. En Alberta, sur les 1 500 nouvelles places annoncées, seulement 19 étaient réservées aux francophones — soit un pourcentage de 0,013 % du total — alors que les francophones constituent 2 % de la population albertaine.

On observe la même tendance à l’échelle du Canada, dans toutes les provinces et les territoires. Les données du Rapport annuel sur le système de la petite enfance et des services de garde d’enfants de l’Ontario, 2022 révèlent qu’il manque 36 567 places en garderies francophones pour répondre aux besoins des enfants ontariens dont la langue maternelle est le français — et c’est sans compter les enfants dont la première langue officielle est le français, mais dont la langue maternelle n’est pas le français.

Je propose de vous donner un aperçu du projet de loi du point de vue des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Soulignons que la première version de cette mesure législative présentée à la Chambre des communes ne faisait mention ni des communautés de langue officielle en situation minoritaire ni des langues officielles. Cette question concerne tout le Canada autant que le Québec. Inutile de dire que je suis déçue de constater que les communautés linguistiques minoritaires doivent toujours être vigilantes si elles ne veulent pas que les gouvernements cessent de se préoccuper d’elles, qu’il s’agisse des gouvernements provinciaux et territoriaux ou du gouvernement fédéral.

S’agit-il d’une méconnaissance ou d’un oubli de l’existence des droits linguistiques de la petite enfance par le ministère de l’Emploi et du Développement social du Canada, ou encore d’un manque de collaboration entre les différents ministères, dont Patrimoine canadien?

Étant donné que j’ai étudié de manière approfondie la modernisation de la Loi sur les langues officielles, je sais que les oublis de ce genre sont malheureusement courants au sein du gouvernement. Nous devons faire mieux et nous attendre à mieux afin que les droits des communautés de langue officielle en situation minoritaire soient intégrés d’emblée dans les projets de loi lorsqu’il est pertinent de le faire.

Le projet de loi a été adopté par le Comité permanent des ressources humaines, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes le 2 mai 2023.

Heureusement, des amendements adoptés au comité de l’autre endroit ont grandement bonifié le projet de loi à ce sujet. Ces amendements ont rassuré les communautés, mais des inquiétudes persistent. La Commission nationale des parents francophones (CNPF) et la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), qui sont la voix des parents francophones au pays dans ce dossier, nous ont fait part de leurs inquiétudes relativement au texte de loi tel qu’il a été adopté par l’autre endroit, en soulignant l’omission des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) à l’article 8.

Trois amendements adoptés par le comité ont ajouté une mention des CLOSM dans le texte de loi.

L’article 7 énumère les objectifs des investissements fédéraux dans le domaine de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants. Cet article a fait l’objet d’un amendement qui a permis d’ajouter les mots « […] et de ceux issus des minorités linguistiques francophones et anglophones, qui respectent et valorisent la diversité […]» .

Le deuxième amendement adopté par le comité ajoute un paragraphe à l’article 7 en énonçant les engagements du gouvernement. Le nouveau paragraphe spécifie que :

[…] les investissements fédéraux concernant les programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants faisant l’objet d’un accord conclu avec une province sont guidés par les engagements énoncés dans la Loi sur les langues officielles.

Le troisième amendement modifie l’article 11, qui concerne les nominations des membres du Conseil consultatif national sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants. La modification précise que les communautés de langue officielle en situation minoritaire doivent être représentées au conseil. Les peuples autochtones ont également été ajoutés à cette disposition dans le cadre du même amendement — c’était une drôle d’omission à faire.

Voilà qui montre bien l’importance d’un texte législatif fort et sans ambiguïté.

En vertu de la partie VII de la Loi sur les langues officielles, plusieurs obligations en matière de langues officielles incombent déjà au gouvernement lorsqu’il dépense des fonds en matière d’éducation de la petite enfance. Malgré le manque d’investissements, les enveloppes liées à cette loi sont habituellement attribuées au ministère du Patrimoine canadien.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, la première version du projet de loi n’incluait pas les communautés de langue officielle en situation minoritaires. Les CLOSM sont passées sous le radar du ministère de l’Emploi et du Développement social. La prudence est donc de mise dans le cadre de la rédaction d’un texte de loi qui encadrera la gestion des enveloppes par ce ministère.

Cela m’amène à me demander si le texte du projet de loi, avec les amendements apportés par le Comité des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées, suffit pour assurer une mise en œuvre conforme au respect des droits linguistiques des CLOSM en vertu de l’article 23 de la Charte et conformément aux obligations du gouvernement en vertu de la partie VII de la Loi sur les langues officielles.

Bien que la plupart des ententes bilatérales entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux prévoient des dispositions visant à répondre aux besoins des CLOSM, celles-ci sont vagues et ne prévoient pas de cible précise.

Les communautés de langue officielle en situation minoritaire sont au fait de la fragilité et du caractère éphémère de ces ententes. Ces ententes bilatérales découlent ultimement de textes de loi qui doivent avoir du mordant et doivent être dépourvus d’ambiguïté.

Ce sont les leçons que nous avons tirées quand nous avons étudié le projet de loi C-13, visant à réformer la Loi sur les langues officielles.

Sur le plan de la mise en œuvre de la loi, l’omission des CLOSM dans certaines dispositions peut avoir un impact sur les programmes qui seront déployés par le gouvernement par le biais de la fonction publique, sur les politiques qui découleront du projet de loi et sur la négociation et la mise en œuvre de futures ententes avec les provinces et les territoires.

En matière d’interprétation législative, dans le cadre de l’étude des projets de loi, le législateur doit aussi se pencher sur l’interrelation entre le texte d’une loi et l’interprétation éventuelle que pourraient en faire les tribunaux. L’interprétation des lois requiert la prise en considération par les juges d’une série de facteurs qui sont pondérés en vue d’établir le sens véritable ou le meilleur sens d’un texte d’une loi.

Avec la judiciarisation des conflits linguistiques au Canada, le législateur doit prendre au sérieux cet exercice afin de rendre le texte de loi le plus clair possible et le plus fidèle à son intention véritable. Il importe d’étudier les impacts de l’omission d’une mention des communautés de langue officielle en situation minoritaire à l’article 8 notamment, car celui-ci codifie l’engagement du maintien du financement à long terme des programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants.

Le projet de loi C-35 pourrait être amélioré afin de mieux prendre en compte les besoins des CLOSM. J’ose espérer que mes collègues au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie sauront étudier ce projet de loi en adoptant une perspective inclusive des communautés de langue officielle en situation minoritaire, et plus particulièrement des francophones.

J’appuie le renvoi de ce projet de loi au comité dans les plus brefs délais.

Je vous remercie de votre attention.

L’honorable René Cormier [ - ]

J’aurais une question à poser, si madame la sénatrice veut bien y répondre.

Bien sûr, sénateur Cormier.

Le sénateur Cormier [ - ]

D’abord, je veux vous remercier pour cette mise en contexte et cette préoccupation par rapport à cette loi importante pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Je vous remercie également d’avoir fait un lien avec les obligations du gouvernement en vertu de la Loi sur les langues officielles.

Vous avez parlé de trois ajouts qui ont été faits. Je fais référence au paragraphe qui traite des engagements et de la Loi sur les langues officielles. Sous la rubrique qui s’intitule « Engagement financier », comme vous l’avez mentionné, on dit ce qui suit :

[…] les programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants faisant l’objet d’un accord conclu avec une province sont guidés par les engagements énoncés dans la Loi sur les langues officielles.

Évidemment, vous avez parlé des défis qui se posent dans les relations bilatérales entre le gouvernement fédéral et les provinces. Je viens du Nouveau-Brunswick, et il y a, au Nouveau-Brunswick, un défi majeur sur le plan du non-respect de la Loi sur les langues officielles. Vous donnez des chiffres très clairs sur la situation presque discriminatoire qui existe entre les communautés anglophone et francophone. Je crois qu’il serait opportun d’entendre les décideurs du Nouveau-Brunswick, qui pourront nous éclairer sur leurs obligations et sur la façon dont le projet de loi C-13 sera respecté, en tenant compte des obligations de la Loi fédérale sur les langues officielles.

Je vous remercie de la question.

Je suis tout à fait d’accord avec vous, sénateur. Il serait important qu’on entende les personnes impliquées dans ces fameux calculs, car elles peuvent nous procurer les liens... Nous manquons de temps et je ne sais pas si on pourra nous en accorder un peu plus.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Consentez-vous à accorder plus de temps à la sénatrice Moncion pour terminer sa réponse au sénateur Cormier?

Merci, chers collègues.

Le groupe qui s’occupe de cette question nous a envoyé les chiffres en dollars et en nombre de places en garderie. Oui, nous allons vous donner cette information. Nous allons demander au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie d’inviter ces gens, car ils ont vraiment beaucoup d’information qui a été recueillie d’un océan à l’autre. Ces gens-là, avec la FCFA, seront en mesure de nous aider à bien encadrer la révision de la loi pour reconnaître et faire respecter tant les droits des francophones à l’extérieur du Québec que ceux des anglophones au Québec.

Je ne pense pas répondre complètement à votre question, mais je crois que, dans l’étude de ce dossier, on va veiller au grain, comme on dit, et que certaines personnes garderont un œil de lynx sur le projet de loi et sur les répercussions qu’il peut avoir sur les familles francophones à l’extérieur du Québec et sur les familles anglophones au Québec.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada à titre de porte-parole officielle.

Je veux d’abord souligner l’importance et la nécessité des services de garde et d’éducation préscolaire. En tant que mère et ex‑éducatrice, je comprends très bien la nécessité absolue de services de garde accessibles et de qualité.

En principe, j’appuie l’objectif du projet de loi C-35, qui est d’offrir à toutes les familles canadiennes des services de garde accessibles, abordables et de qualité. Cependant, il y a quelques éléments qui me préoccupent dans le projet de loi et que je voudrais aborder en tant que porte-parole.

Le projet de loi C-35 propose d’inscrire dans la loi les principes du Cadre multilatéral pour l’apprentissage et la garde des jeunes enfants et il fait également référence au Cadre d’apprentissage et de garde des jeunes enfants autochtones pour ce qui est des principes qui guident le financement. Permettez-moi, chers collègues, de parler brièvement de ces deux cadres.

Le Cadre multilatéral pour l’apprentissage et la garde des jeunes enfants :

[...] énonce les principes qui guident le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux dans la concrétisation de la vision selon laquelle tous les enfants au Canada ont accès à des programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants de qualité qui favorisent leur développement et qui leur permettent d’atteindre leur plein potentiel.

Il sert de fondement aux ententes sur l’éducation préscolaire et les garderies que le gouvernement a signées avec chacune des provinces et chacun des territoires.

Le deuxième, le Cadre d’apprentissage et de garde des jeunes enfants autochtones, a été élaboré par le gouvernement du Canada en collaboration avec les peuples autochtones et il :

[...] énonce les principes qui guident les intéressés dans la concrétisation de la vision selon laquelle tous les enfants et toutes les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis sont appuyés par un système d’apprentissage et de garde des jeunes enfants qui est coordonné, exhaustif, enraciné dans les connaissances, les cultures et les langues autochtones et dirigé par les peuples autochtones.

Si les cadres nationaux peuvent être utiles comme lignes directrices générales, ils peuvent, en revanche, ne pas tenir compte de spécificités régionales et locales.

Dans un pays aussi grand et culturellement riche que le Canada, une approche universelle risque de ne pas tenir compte des besoins précis de chaque province, de chaque famille et de chaque communauté, ce qui risque d’entraîner des disparités au niveau de la qualité et de l’accessibilité des services. Il est essentiel de mettre en place des cadres souples afin de répondre aux besoins régionaux et culturels de tous les Canadiens, d’un bout à l’autre du pays.

Dans le cadre de l’étude de ce projet de loi au comité, je pense que nous devons nous poser trois questions au sujet de l’importance des initiatives régionales en matière de services de garde d’enfants pour ce qui est de favoriser le développement de l’enfant, de soutenir les parents qui travaillent, et d’encourager le dynamisme de la communauté:

Premièrement, le projet de loi tient-il compte de l’importance d’adapter les solutions aux besoins régionaux? Les initiatives régionales en matière de services de garde d’enfants permettent d’adapter les services aux besoins précis des communautés. Elles tiennent compte de facteurs tels que la composition démographique, la diversité culturelle et les conditions économiques, tout en veillant à ce que les programmes de garderies soient pertinents et efficaces dans leurs contextes précis.

Deuxièmement, le projet de loi traite-t-il de l’accessibilité et de l’abordabilité? En se concentrant sur des solutions régionales, les initiatives peuvent cibler les régions où l’accès à des services de garde de qualité est limité, dans le but de rendre ces services plus accessibles et abordables pour les familles, en particulier celles qui résident dans des régions mal desservies ou éloignées, et d’aider les parents à réintégrer le marché du travail sans sacrifier la qualité des soins que reçoivent leurs enfants.

Troisièmement, le projet de loi tient-il compte de l’importance de l’engagement et de la collaboration communautaires? Les initiatives régionales encouragent la collaboration entre les intervenants locaux, notamment les parents, les éducateurs et les décideurs politiques. Cet effort collectif favorise un sentiment de mobilisation et d’adhésion de la collectivité à l’égard de l’élaboration des programmes de garde d’enfants, ce qui conduit à de meilleurs résultats pour les enfants.

En procédant à l’examen approfondi des nuances du Cadre d’apprentissage et de garde des jeunes enfants autochtones, on constate que son élaboration conjointe, bien que louable, soulève certaines questions quant à l’étendue de cette collaboration. On peut se demander si toutes les collectivités autochtones ont été représentées de manière égale.

L’accent mis sur le fait d’être « enraciné dans les connaissances, les cultures et les langues autochtones » est important, mais on risque d’homogénéiser les diverses cultures autochtones dans une interprétation unique. La reconnaissance de la diversité respecte l’autonomie des communautés autochtones. Elle leur permet de façonner leurs propres systèmes éducatifs, afin de veiller à ce que l’éducation corresponde à leurs valeurs et à leurs besoins uniques sur le plan culturel.

Alors que nous sommes aux prises avec les complexités des cadres nationaux et leurs répercussions sur les diverses collectivités, nous devons également porter notre attention sur les défis pressants que constituent la demande et la disponibilité limitée des éducateurs de la petite enfance.

Selon le directeur de la responsabilité financière de l’Ontario, la demande va dépasser de 220 000 places en garderie les plans d’expansion actuels d’ici 2026, ce qui est ahurissant. Cet écart imminent en matière de places disponibles est aggravé par une diminution préoccupante de la main-d’œuvre. Selon Statistique Canada, le nombre d’emplois dans les services de garde a chuté de 21 % pendant la pandémie de COVID-19, par rapport à 3 % dans les autres professions au Canada.

Un article du Rapport sur l’éducation à la petite enfance a présenté les résultats suivants tirés de récents sondages menés auprès du personnel de garderies accréditées au Canada. En Alberta, 62 % des exploitants de garderies ont dû recruter du personnel au cours des deux dernières années; près de 30 % rapportent des problèmes d’embauche; et 6 % ont eu des postes vacants pendant plus de quatre mois. À l’Île-du-Prince-Édouard, 82 % des exploitants ont de la difficulté à embaucher du personnel possédant les qualifications nécessaires.

La majorité des éducateurs de la petite enfance qui ont démissionné en Ontario l’ont fait pour chercher un emploi ailleurs que dans des garderies accréditées. Cette baisse démontre qu’il est difficile de répondre à la demande quant à l’embauche de personnel qualifié et qu’il est important de valoriser et de soutenir nos éducateurs.

Il faut donc se demander si le projet de loi C-35 permet de s’attaquer à cet enjeu essentiel qu’est la rémunération adéquate d’une profession dont les membres sont, historiquement, moins bien payés que leurs homologues qui enseignent de la maternelle à la 12e année, ce qui dissuade souvent les candidats éventuels de poursuivre une carrière dans ce domaine.

En plus de la faible rémunération, les éducateurs de la petite enfance reçoivent souvent une formation et un perfectionnement professionnel inadéquats. Le domaine exige des professionnels hautement qualifiés capables de favoriser le développement. Or, l’accès limité à des occasions de formation et de perfectionnement professionnel de qualité peut décourager les personnes d’amorcer ou de poursuivre une carrière dans cette profession.

Un autre aspect fondamental du projet de loi C-35 qui mérite qu’on s’y attarde est le rôle des parents dans l’éducation de leur enfant. Les parents forment indéniablement le fondement du monde d’un enfant, façonnant ses opinions, ses valeurs et ses croyances.

Les parents sont la principale source de soutien affectif et d’attachement d’un enfant. Le lien étroit formé en bas âge a une incidence profonde et durable sur le sentiment de sécurité et de bien-être affectif d’un enfant.

Les parents inculquent des valeurs sociales et morales essentielles à leurs enfants. En donnant un modèle de comportement, en enseignant l’empathie et en établissant des limites, les parents contribuent à forger le caractère et les valeurs de l’enfant. Ces leçons apprises en bas âge jettent les jalons des futures relations de l’enfant et de sa prise de décisions morales. Les parents jouent un rôle crucial dans la transmission de l’héritage culturel et de l’identité sociale. Ils exposent leurs enfants à leurs pratiques culturelles, à leurs traditions et à leurs valeurs, ce qui favorise le développement du sentiment d’appartenance et de l’identité.

L’introduction de conditions à l’admissibilité des garderies au programme du gouvernement soulève quelques questions. De quelle manière ces conditions tiennent-elles compte de la riche mosaïque de croyances et de valeurs qui sont chères aux familles canadiennes? Il est impératif que toute condition imposée respecte cette diversité et ne porte pas atteinte au droit des parents de guider le développement moral et social de leurs enfants.

Les familles canadiennes devraient avoir la liberté de choisir la formule de garde d’enfants qui correspond à leurs besoins. La force du Canada réside dans sa diversité. Ce qui convient à une famille ne convient pas nécessairement à une autre dont la situation diffère à bien des égards.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-35 semble favoriser les garderies publiques sans but lucratif, ce qui risque de marginaliser les garderies privées qui jouent un rôle central dans le système de garderies. Au fil des ans, les services de garde privés sont devenus des piliers essentiels pour un grand nombre de familles canadiennes. Leur force réside dans leur capacité d’offrir une vaste gamme de programmes diversifiés élaborés en fonction des besoins, des valeurs et des préférences uniques des familles. Ces fournisseurs privés comblent souvent les lacunes dans des régions où les services publics sont rares ou dans des secteurs nécessitant des services spécialisés. En marginalisant les garderies privées, le projet de loi risque de créer un réseau de garderies standardisé dénué de la richesse et de la variété qu’offrent les fournisseurs privés.

Il est crucial que la mesure législative reconnaisse et valorise la contribution des garderies privées qui appartiennent surtout à des femmes entrepreneures et qui sont exploitées par des femmes. À ce sujet, je cite ma collègue, la députée Michelle Ferreri, qui est porte‑parole du projet de loi à l’autre endroit :

L’Association des entrepreneurs en garderies de l’Alberta a déclaré que la majorité des garderies privées de la province sont dirigées par des femmes, dont bon nombre sont des immigrantes, et que cette entente et l’intention du gouvernement fédéral de privilégier un modèle de fonctionnement plutôt que l’abordabilité, l’accessibilité et la qualité des services nuira aux femmes. L’Association ajoute qu’une industrie dirigée principalement par des femmes se voit désormais mise hors circuit, et que des femmes partout dans la province sont confrontées à la faillite et à la perte de leur maison après avoir signé cette entente dans l’espoir d’avoir des services de garde d’enfants abordables.

Il faut non seulement reconnaître la contribution des entrepreneurs en garderies, mais aussi leur offrir un accès équitable aux ressources, à la formation et aux services de soutien. Le fait de les inclure et de les soutenir n’est pas uniquement une question d’équité; il s’agit de préserver la diversité et le caractère multidimensionnel des services de garde au Canada, ce qui est essentiel pour répondre aux divers besoins des familles canadiennes.

Dans le milieu diversifié des services de garde, la province de l’Alberta se démarque, alors que 67 % de ses garderies sont dirigées par des entrepreneurs. Il ne s’agit pas d’organismes publics ou sans but lucratif, mais d’entreprises, dont bon nombre répondent aux besoins de la région avec efficacité. Ce modèle, florissant en Alberta, témoigne du fait que des entreprises privées peuvent coexister harmonieusement avec les secteurs public et sans but lucratif et fournir des services de qualité.

Les fournisseurs de services de garde privés proposent un vaste éventail de services, notamment des garderies, des garderies en milieu familial et des programmes spécialisés. Cette diversité permet aux parents de choisir l’option qui convient le mieux aux besoins de leur enfant et à l’emploi du temps de leur famille, ce qui leur donne beaucoup plus de souplesse et de commodité. Les garderies privées peuvent avoir des heures d’ouverture prolongées ou atypiques, ce qui permet aux parents qui ont des horaires de travail irréguliers d’accéder plus facilement à des services de garde.

En ce qui concerne les familles qui ont des préférences culturelles ou religieuses précises, les fournisseurs de services de garde d’enfants privés peuvent offrir des programmes qui concordent avec ces valeurs et traditions, créant ainsi un milieu adapté à la culture et stimulant.

La présence de fournisseurs de services de garde privés peut stimuler la concurrence et l’innovation dans le secteur des services de garde, ce qui encourage les fournisseurs privés et publics à améliorer continuellement la qualité des services et des programmes qu’ils offrent. Il est essentiel que le gouvernement reconnaisse la valeur des contributions de ces entités privées et qu’il adopte une approche équilibrée qui ne désavantage pas par inadvertance un secteur qui a joué un rôle déterminant dans le cadre de garde d’enfants de la province.

Une autre préoccupation soulevée par la députée Ferreri dans son discours de troisième lecture porte sur le Conseil consultatif national. Elle a dit :

Les conservateurs ont proposé des amendements concrets au projet de loi de sorte que le Conseil consultatif national assure le suivi des données sur la mise en œuvre du programme de garderies, y compris la disponibilité des services de garde, le nombre de familles sur les listes d’attente pour une place en garderie et les progrès réalisés dans la réduction de leur nombre. Il s’agit de reddition de comptes et de suivi. Comment peut-on évaluer la réussite si on n’en fait pas le suivi [...] [Qu’est-]ce qui est arrivé à cet amendement? Il a été rejeté.

L’adoption d’un tel amendement aurait assurément amélioré le projet de loi, et peut-être que le comité ou le Sénat pourrait réexaminer cet amendement.

En réfléchissant aux détails du projet de loi C-35 et du plan d’apprentissage et de garde des jeunes enfants pancanadien, on constate clairement que, même si l’intention du gouvernement de mettre en place un système national de garderies est admirable, il faut répondre à d’importantes préoccupations. Même s’il s’agit d’une somme substantielle, l’investissement de 30 milliards de dollars proposé ne pourra peut-être pas régler les problèmes multidimensionnels liés à la pénurie de main-d’œuvre, aux longues listes d’attente et au manque de places. L’analyse du directeur parlementaire du budget révèle d’autres lacunes possibles, notamment un écart important entre le nombre de places subventionnées et la demande réelle pour une politique véritablement universelle de services de garde à 10 $ par jour.

Honorables sénateurs, bien que le projet de loi C-35 représente un pas important vers un système national de garderies, il est impératif d’aborder sa mise en œuvre avec un regard critique, en veillant à ce que les divers besoins de toutes les familles canadiennes soient satisfaits, à ce que la main-d’œuvre soit valorisée et appuyée, et à ce que les leçons tirées de l’histoire guident notre cheminement.

Sur ce, je tiens à saluer le travail de la sénatrice Moodie, la marraine du projet de loi au Sénat. J’espère que le projet de loi C-35 fera l’objet d’un examen attentif et approfondi au comité. Merci.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Haut de page