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Projet de loi sur l'apprentissage et la garde des jeunes enfants au Canada

Troisième lecture--Motion d'amendement--Débat

5 décembre 2023


L’honorable Yvonne Boyer [ + ]

Sénatrice Moodie, vous avez mentionné qu’on avait consulté des dirigeants autochtones au sujet du projet de loi et qu’ils l’appuyaient. Les a-t-on aussi consultés quand un amendement a été proposé par le comité? Si oui, qu’en pensaient-ils?

L’honorable Rosemary Moodie [ + ]

Nous en avons effectivement discuté au comité. Lorsque nous avons posé la question au dirigeant autochtone, le président Natan Obed, il a fait une observation. Je vais le citer parce que j’ai la réponse sous les yeux.

La question était la suivante : « Est-ce qu’un tel amendement aurait un quelconque impact pour les peuples autochtones, à votre avis? Si oui, lequel? »

M. Obed a répondu :

Je n’étais pas au courant de l’amendement dont vous faites mention, mais très souvent, le statut de langue officielle du français et de l’anglais amène les autorités à imposer par la manière forte ces deux langues et à les rendre dominantes dans nos communautés. L’histoire de la participation des Inuits au Canada dans les systèmes de santé, d’éducation et de gouvernance en est une de dépossession de l’inuktitut face aux lois fédérales, provinciales et territoriales qui donnent préséance à l’anglais et au français, même dans nos communautés où l’inuktitut prédomine.

La sénatrice Boyer [ + ]

Si l’un des témoins autochtones a dit cela, ne croyez-vous pas qu’en ce qui concerne toutes ces dispositions qui touchent les peuples autochtones, nous devrions les consulter au sujet d’un amendement aussi important qui pourrait avoir des répercussions sur leurs droits?

La sénatrice Moodie [ + ]

Ce serait judicieux, en effet.

L’honorable Rose-May Poirier [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui afin d’appuyer l’amendement du sénateur Cormier au projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada.

Comme le sénateur l’a si bien expliqué, l’amendement à l’article 8 du projet de loi C-35 confirmerait l’engagement du gouvernement fédéral à financer à long terme des programmes et des services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Chers collègues, en tant que sénatrice issue d’une communauté de langue officielle en situation minoritaire — la communauté de Saint-Louis-de-Kent — et fière Acadienne, je dois me joindre au débat et appuyer mon collègue le sénateur Cormier.

Depuis que le gouvernement fédéral a signé des ententes bilatérales avec les provinces, les communautés de langue officielle en situation minoritaire s’inquiètent du fait que le financement accélérera l’assimilation des générations futures.

Tant dans les témoignages entendus au Comité sénatorial permanent des langues officielles que dans les communications que mon bureau a reçues, les parents ont montré leur inquiétude pour la survie de leur langue.

Pour certains d’entre vous, c’est peut-être la première ou l’une des rares fois que vous entendez parler des difficultés qu’éprouvent les francophones à l’extérieur du Québec pour accéder à une éducation dans leur langue maternelle. Cela demeure une préoccupation importante pour bien des parents. Dans mon discours sur le projet de loi C-13 à l’étape de la deuxième lecture, j’ai parlé des difficultés qu’éprouvent les communautés de langue officielle en situation minoritaire pour accéder efficacement à une éducation dans la langue officielle de leur choix pour leurs enfants âgés de 5 à 17 ans. J’ai expliqué qu’à l’extérieur du Québec, environ 35 % des enfants de cet âge admissibles ne reçoivent pas leur éducation en français, malgré leurs droits.

Un problème comparable existe pour les enfants de 4 ans et moins. À l’heure actuelle, il n’y a pas suffisamment de places en garderie pour les enfants francophones hors Québec. Le directeur général de la Commission nationale des parents francophones, Jean‑Luc Racine, a confirmé cette difficulté pendant l’étude du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie :

La situation est alarmante. Selon le dernier recensement, en 2021, 141 635 enfants de 0 à 4 ans ont droit à l’éducation en français à l’extérieur du Québec. Cependant, le nombre de places autorisées ne permet de servir que 20 % de ces enfants. Dans 80 % des cas, les parents doivent donc se tourner vers les garderies anglophones.

Comme tous les francophones le savent, il s’agit d’une lutte permanente. Chers collègues, c’est ainsi que l’assimilation a lieu et qu’elle s’accélère. Partout au pays, un trop grand nombre de parents francophones s’inquiètent de l’éducation de leurs enfants : cette assimilation sera-t-elle d’abord culturelle, linguistique, ou commencera-t-elle à l’âge de 2 ans? Un trop grand nombre de parents se voient contraints d’inscrire leur nom sur une liste d’attente avant même la naissance de leur enfant. Chers collègues, imaginez leur inquiétude de ne pas savoir si leur enfant aura ne serait-ce que la possibilité de fréquenter une garderie dans sa langue et dans sa culture.

Nicole Arseneau Sluyter, présidente de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, en a donné un exemple concret au Comité des affaires sociales dans le cadre de son étude du projet de loi C-35 :

Permettez-moi de vous parler d’une expérience personnelle que je vis depuis que je suis à Saint-Jean et qui montre bien l’importance du continuum en éducation. Si on échoue par rapport à ce continuum, on contribue directement à l’assimilation à l’anglais. Il n’y a pas assez de garderies en français, et certains parents n’ont d’autre choix que d’inscrire leurs enfants dans des écoles anglophones. Résultat : leurs enfants finissent par perdre leur langue maternelle.

Une de mes amies de Saint-Jean, Acadienne francophone, n’a pas eu le choix d’inscrire ses enfants dans une école anglophone. Elle m’a dit : « Nicole, j’ai honte, mon enfant ne parle plus français. »

La situation est semblable en Ontario et dans chaque province. La survie des communautés de langue officielle en situation minoritaire à l’échelle du pays dépend d’engagements financiers à long terme de la part du gouvernement fédéral. Nous ne pouvons pas prendre le risque que le gouvernement fédéral alimente le processus d’assimilation en n’assurant pas d’engagements financiers à long terme dans les accords bilatéraux sur les garderies. Il est irresponsable de la part du gouvernement de refuser un amendement aussi raisonnable.

Comme le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, l’a dit dans le mémoire qu’il a présenté au comité :

[…] investir dans des centres de la petite enfance destinés à des CLOSM [communautés de langue officielle en situation minoritaire] renforce le processus de transmission de la langue et, par le fait même, contribue à la vitalité de ces communautés. Comme le commissaire Fraser l’a mentionné dans son étude de 2016, « le développement de la petite enfance est un domaine d’intervention positive, préventive et précoce pour la revitalisation des langues et des communautés francophones. »

Si la situation ne change pas, chers collègues, le fait français au Canada disparaîtra lentement, mais sûrement. Le gouvernement fédéral doit être responsable lorsqu’il octroie des sommes d’argent importantes, comme il le fait pour le programme des garderies. Il doit y avoir des engagements clairs envers les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Avec le projet de loi C-13, le gouvernement s’est engagé à rétablir le poids démographique des francophones du Canada à 6,1 %, comme il l’était en 1971. Cet engagement doit être un effort collectif de la part du gouvernement fédéral, et le projet de loi C-35 en fait partie. Grâce à l’amendement proposé par le sénateur Cormier, on donne un coup de pouce aux communautés de langue officielle en situation minoritaire afin de maintenir leur poids démographique. On leur donne non seulement un outil pour s’assurer que le gouvernement honore son engagement lors des négociations futures, mais on leur donne aussi un outil pour les aider si elles doivent aller devant les tribunaux. En effet, trop souvent, les francophones du Canada doivent se tourner vers les tribunaux pour que leurs droits soient respectés.

Les minorités linguistiques au Canada sont une réalité. Trop souvent, il faut demander aux tribunaux d’affirmer nos droits.

Chers collègues, comme je l’ai mentionné à quelques reprises, je suis un exemple de cette forme d’assimilation. Parce qu’il n’y avait pas d’écoles francophones dans la région de Miramichi à l’époque, j’ai dû fréquenter des écoles anglophones alors que je vivais dans un foyer francophone. À l’extérieur de la maison, tout se passait en anglais. Lentement, mais sûrement, l’anglais a pris plus de place que le français. Mes capacités en lecture et en écriture du français en ont souffert. Encore aujourd’hui, je parle souvent en anglais aux membres de ma famille. Chers collègues, dans le contexte actuel avec Internet, les réseaux sociaux et toutes les technologies, les enfants francophones risquent encore plus de perdre leur français par rapport à l’époque où nous avons grandi avec la radio et quelques chaînes de télévision.

Honorables sénateurs, l’amendement proposé par le sénateur Cormier s’applique aux futurs accords avec les provinces sur les services de garde. Nous votons pour aider les générations futures à maintenir la vitalité de leur langue, de leur culture et de leur identité. En amendant l’article 8 du projet de loi C-35, nous aidons le gouvernement à remplir son engagement envers les communautés de langues officielles, un engagement qu’il a réitéré lors des débats au sujet du projet de loi C-13.

Je tiens à répéter trois mots tirés du rapport du commissaire Graham Fraser de 2016 sur le développement de la petite enfance : positive, préventive et précoce. C’est l’essence de l’amendement du sénateur Cormier. Chers collègues, nous nous plaignons souvent de l’approche réactive du gouvernement fédéral face à différents problèmes. Dans le cas présent, c’est bien l’approche qu’il adopte. Par conséquent, optons pour une approche préventive et précoce au moyen d’un amendement positif au projet de loi C-35 et assurons le financement à long terme des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Je tiens à remercier personnellement mon collègue le sénateur Cormier des efforts qu’il déploie inlassablement pour défendre les Acadiens et les francophones de tout le pays. Honorables sénateurs, envoyons un message fort à toutes les communautés de langue officielle en situation minoritaire au pays et appuyons l’amendement à l’étude.

Merci, chers collègues.

À trois reprises cet après-midi, il a été question de l’interprétation des lois. Je voudrais faire un contraste avec la question d’un « libellé juridiquement contraignant », parce qu’il y a une nuance importante à apporter à ce contexte. Je vais donc commencer sans texte, puis je passerai à mon discours.

Je prends la parole sur l’amendement proposé par le sénateur Cormier à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada.

L’amendement vise à inclure de manière explicite une garantie de financement à long terme aux communautés de langue officielle en situation minoritaire, les CLOSM, à l’article 8 du projet de loi C-35. Je le remercie, ainsi que son équipe, pour tout le travail qui a été entrepris dans ce dossier. Son bureau et le mien ont travaillé ensemble à ce projet. Dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, j’ai exprimé mes préoccupations sur le fait qu’un ministère peut élaborer un projet de loi aussi crucial pour la vitalité et la survie des CLOSM sans toutefois en faire mention.

Mes préoccupations se sont accentuées au moment de l’étude article par article au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. J’ai constaté une grande méconnaissance des droits et garanties constitutionnels des CLOSM chez les fonctionnaires d’Emploi et Développement social Canada, ainsi qu’un manque de curiosité et de sensibilité envers les réalités vécues par ces communautés, ainsi que par rapport à l’impact potentiel du projet de loi sur leur vitalité et leur épanouissement.

Dans ce discours, je vais exposer les risques associés à l’absence d’une telle garantie à l’article 8 ainsi que les impacts de l’amendement proposé, en tenant compte de la jurisprudence pertinente. Dans le cadre de cette analyse, je m’efforcerai de réfuter l’interprétation avancée par le gouvernement quant aux soi-disant probables désagréments que pourrait engendrer l’amendement en question.

À mon avis, les interprétations avancées sont erronées et même préoccupantes, surtout si les tribunaux devaient s’inspirer des propos tenus au comité par certains fonctionnaires pour faire l’analyse de l’intention du législateur, au regard de l’interrelation entre les droits des peuples autochtones et ceux des minorités de langue officielle en situation minoritaire.

Premièrement, je vais vous parler des dangers avérés d’une omission pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Pourquoi cet amendement est-il si important? Comme je l’ai fait valoir à l’étape de la deuxième lecture, l’accès à des services de garde dans la langue de la minorité est indispensable à la mise en œuvre de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui prévoit le droit à l’instruction dans la langue des minorités de langue officielle.

Le projet de loi vise à créer un système national de garde et d’apprentissage des jeunes enfants afin de rendre les services accessibles pour tous. Conformément aux ententes bilatérales actuelles, les fonds sont notamment dépensés de manière à garantir les services pour les enfants des ayants droit et des peuples autochtones. Le gouvernement et les fonctionnaires ont tenté de nous rassurer en faisant valoir les termes de ces ententes, mais vous comprendrez que l’objet de l’étude est le projet de loi C-35, et non les ententes.

De plus, en tant que francophone en situation minoritaire, je comprends fort bien la hiérarchie juridique entre une entente bilatérale et une loi fédérale. Ainsi, l’inclusion des CLOSM dans ces accords ne me rassure pas à long terme. Je tiens également compte du fait que les gouvernements changent, alors que les lois perdurent — d’où l’importance d’envisager une modification à l’article 8, comme le suggère le sénateur Cormier.

Par ailleurs, lorsqu’il s’agit des services financés dans le cadre de l’exercice des pouvoirs de dépenser du gouvernement fédéral, nous devons nous attendre à ce que des services d’une qualité équivalente soient offerts tant aux francophones qu’aux anglophones du pays. Il est aussi impératif que les peuples autochtones reçoivent un financement adéquat, conformément à l’exercice de leurs droits garantis en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

En ce qui concerne les CLOSM plus particulièrement, les faits, tels que documentés au fil de nombreuses années de jurisprudence et par les parties prenantes qui ont été entendues au comité, mettent en lumière les barrières systémiques et structurelles auxquelles ces communautés font face dans la reconnaissance et l’exercice de leurs droits constitutionnels en matière d’accès à l’éducation dans leur langue.

Cette jurisprudence met également en lumière une histoire de tensions entre les CLOSM et les gouvernements provinciaux en ce qui concerne le respect des droits de ces minorités. Ces tensions sont alimentées par des omissions semblables à celles que nous retrouvons actuellement à l’article 8, ce qui permet aux provinces et aux territoires de justifier des atteintes aux droits des CLOSM partout au pays depuis des années. Il est temps de changer cette dynamique et d’octroyer à ces communautés les moyens de faire valoir leurs droits devant les tribunaux.

Le projet de loi, dans sa forme initiale, ne prévoyait aucune garantie spécifique pour les CLOSM. Bien que trois mentions aient été ajoutées au Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de l’autre endroit, le professeur, avocat et expert en droits linguistiques François Larocque, ainsi que l’honorable Michel Bastarache, ancien juge à la Cour suprême du Canada, ont tous deux souligné, dans leurs témoignages au Comité des affaires sociales, les incohérences persistantes et les risques liés à l’omission des communautés de langue officielle en situation minoritaire à l’article 8 du projet de loi.

La clarification directement inscrite dans la loi revêt une importance cruciale, car elle joue un rôle déterminant dans l’analyse de l’interprétation de l’intention du législateur par les tribunaux, en tenant compte de la preuve intrinsèque.

Effectivement, la jurisprudence canadienne en matière de droits linguistiques est très claire à ce sujet. Me François Larocque, dans le mémoire qu’il a soumis au comité, a fait référence à l’arrêt Caron c. Alberta, dans lequel la Cour suprême du Canada a refusé de reconnaître l’existence de droits linguistiques, en raison de l’absence de garanties explicites dans les documents constitutionnels et législatifs pertinents.

Chers collègues, les risques juridiques liés à cette omission sont réels et étayés par les faits et par la jurisprudence pertinente en droits linguistiques. L’absence d’une mention explicite à l’article 8 est donc source d’une grande inquiétude pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire. À mon avis, le comité aurait dû profiter de cette occasion pour clarifier l’intention du législateur directement dans le texte de loi, afin de minimiser au maximum les risques de préjudices envers les minorités de langue officielle en situation minoritaire.

Cependant, le gouvernement s’est opposé catégoriquement à tout amendement et a induit le comité en erreur à plusieurs égards dans ses arguments.

En ce qui concerne le nouveau mécanisme de financement, à l’origine, le gouvernement a prétendu que l’amendement proposé établirait un nouveau mécanisme de financement pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire. J’estime respectueusement que cette interprétation de l’amendement proposé est inexacte.

Michelle Lattimore, directrice générale du Secrétariat fédéral responsable de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants à Emploi et Développement social Canada, a déclaré ceci :

[...] sur le plan juridique, les minorités francophones et anglophones n’ont pas le même statut ni le même rôle que les partenaires provinciaux, territoriaux et autochtones dans la prestation des programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants et dans l’élaboration et la préservation de ce système pancanadien. Le fait d’inclure une référence à ce groupe, à l’article 8, créerait une attente relativement à un financement accru qui lui serait réservé.

Bien que la fonctionnaire ait eu raison d’établir des distinctions entre les rôles dans la prestation des programmes, l’interprétation de l’amendement est trompeuse. Nulle part dans l’amendement il n’est question de traiter les communautés de langue officielle en situation minoritaire comme des corps dirigeants ayant droit à un financement direct du gouvernement fédéral.

En réponse à une question posée par le parrain du projet de loi au Comité des affaires sociales, le professeur Larocque a fait la déclaration suivante pour aider le comité dans ses délibérations :

L’article 8, par ailleurs, spécifie que le financement est transmis dans le cadre d’ententes entre le fédéral, les provinces et les territoires, et pas directement aux communautés, et ce n’est pas ce qui est demandé et reflété dans les amendements suggérés.

Donc, ce n’est pas un nouveau mécanisme qui est proposé ici, mais tout simplement, comme le suggère mon collègue, la prise en compte des droits linguistiques des communautés de langue officielle en situation minoritaire dans l’engagement ferme à long terme.

L’article 8, dans sa forme actuelle, se lit ainsi :

Le gouvernement du Canada s’engage à maintenir le financement à long terme des programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, notamment ceux destinés aux peuples autochtones.

On peut donc voir que l’engagement inscrit à l’article 8 concerne le système pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants et précise que cet engagement vise le financement à long terme des programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants pour les Autochtones. Toutefois, l’article n’est pas explicite quant à savoir si les communautés de langue officielle en situation minoritaire sont incluses dans cet engagement ou non, et là est le problème. Voici la suite de l’article 8 :

Ce financement doit être accordé principalement dans le cadre d’accords avec les gouvernements provinciaux, les corps dirigeants autochtones et autres entités autochtones qui représentent les intérêts d’un groupe autochtone et de ses membres.

Cette énumération établit que le financement doit être versé au moyen du mécanisme approprié. Pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire, si elles étaient couvertes par l’article 8, ce mécanisme serait les provinces. Les communautés de langue officielle en situation minoritaire n’ont pas de relation de nation à nation avec le gouvernement fédéral, contrairement aux corps dirigeants autochtones. L’ajout d’une référence aux communautés de langue officielle en situation minoritaire ne changerait pas le droit canadien en profondeur. Il est absurde de prétendre le contraire.

L’ajout d’une référence explicite aux communautés de langue officielle en situation minoritaire concernant le financement garanti à long terme par le gouvernement fédéral n’affaiblit en rien la protection et les garanties accordées aux peuples autochtones au titre de cette loi et de la Constitution. Elle n’accorde pas non plus aux communautés de langue officielle en situation minoritaire des droits qu’elles ne possèdent pas déjà. Elle leur fournit un outil juridique si les services dans leurs langues sont moins nombreux et de moindre qualité que ceux fournis à la majorité d’une province donnée.

Le deuxième argument invoqué par le gouvernement concerne les droits concurrents. Des fonctionnaires ont déclaré que l’amendement pourrait nuire aux langues autochtones. Cheri Reddin, directrice générale du Secrétariat de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants autochtones à Emploi et Développement social Canada, a déclaré ce qui suit :

Je tiens à souligner que nous, les fonctionnaires, avons écouté les témoignages des représentants autochtones qui ont comparu la semaine dernière. Comme l’a mentionné la sénatrice Moodie, le président Obed s’est exprimé haut et fort sur l’absence de références à la Loi sur les langues autochtones et a laissé entendre que les références exclusives aux langues officielles se faisaient au détriment des langues autochtones.

D’abord et avant tout, cette déclaration serait incompatible avec l’article 3 du projet de loi, qui garantit explicitement les droits des peuples autochtones. Il indique ceci :

La présente loi maintient les droits des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982; elle n’y porte pas atteinte.

La déclaration de Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, a été déformée, à la fois devant le comité et à l’étape de la troisième lecture du projet de loi. En comité, quand j’ai demandé à M. Obed de nous faire part de ses impressions sur cet amendement potentiel à l’article 8, il a répondu ceci :

Je n’étais pas au courant de l’amendement dont vous faites mention, mais très souvent, le statut de langue officielle du français et de l’anglais amène les autorités à imposer par la manière forte ces deux langues et à les rendre dominantes dans nos communautés. L’histoire de la participation des Inuits au Canada dans les systèmes de santé, d’éducation et de gouvernance en est une de dépossession de l’inuktitut face aux lois fédérales, provinciales et territoriales qui donnent préséance à l’anglais et au français, même dans nos communautés où l’inuktitut prédomine.

Dans ce contexte, M. Obed parlait des langues officielles alors que les membres du comité ont cru que sa déclaration portait sur l’amendement, qui concerne spécifiquement les communautés de langue officielle en situation minoritaire plutôt que sur les langues officielles. L’emploi des termes « langues officielles » et « communautés de langue officielle en situation minoritaire » de façon interchangeable par les représentants du gouvernement et la marraine du projet de loi a semé la confusion quand on a informé les sénateurs des répercussions de l’amendement sur les peuples autochtones. Permettez-moi de vous expliquer la distinction entre ces deux notions.

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