Aller au contenu

LE SÉNAT — Le racisme

Le consentement d'étudier une question d'intérêt public urgente en vertu de l'article 8 du Règlement

18 juin 2020


Son Honneur le Président [ + ]

Honorables sénateurs, plus tôt aujourd’hui, le greffier a reçu de la part de l’honorable sénatrice Moodie une demande de débat d’urgence concernant la hausse marquée des actes de racisme signalés contre les Afro-Canadiens, les Autochtones du Canada et les Canadiens d’origine asiatique. Des copies de la demande sont disponibles sur vos bureaux.

Lorsqu’une demande de débat d’urgence est reçue, les déclarations de sénateurs sont remplacées par l’étude de la demande. La durée maximale de cette étude est de 15 minutes et les interventions sont limitées à 5 minutes par sénateur. À la fin des 15 minutes, je dois déterminer si, à la lumière des critères énoncés aux articles 8-2(1) et 8-3(2) du Règlement, la demande peut être accordée.

Je vais maintenant donner la parole à la sénatrice Moodie.

Votre Honneur, le 4 juin 2020, Chantal Moore a été abattue par la police, au Nouveau-Brunswick. Elle était membre de la Première Nation Tla-o-qui-aht de Colombie-Britannique.

Le 27 mai, Regis Korchinski-Paquet est morte à Toronto à la suite d’une rencontre avec la police. Elle était de race noire.

Ces deux femmes avaient moins de 30 ans.

Le 6 mai, la police de Vancouver a annoncé qu’il y avait eu, à ce jour, 20 crimes haineux visant la communauté asiatique, soit une très forte augmentation par rapport aux 12 crimes rapportés en 2019.

Ces tristes histoires font ressortir le racisme qui se manifeste clairement et systématiquement dans notre pays. La crise de la COVID-19 a profondément ébranlé notre pays et a contribué à brutalement mettre en lumière, dans toute sa laideur et sa grande sauvagerie, la maladie insidieuse appelée racisme que beaucoup connaissent bien parmi nous, mais qui a été trop longtemps ignorée.

Je dois maintenant vous démontrer que les deux critères prévus à l’article 8-3 (2) du Règlement sont remplis : premièrement, que la question touche aux responsabilités administratives du gouvernement ou pourrait entrer dans le champ d’action d’un ministère; deuxièmement, qu’il est peu probable que le Sénat soit saisi de cette question par d’autres moyens dans un délai raisonnable.

Votre Honneur, concernant le premier critère, je dois dire que le gouvernement n’a rien fait en matière de racisme. Aucune mesure d’importance n’a été prise à la suite des recommandations formulées par le Comité du patrimoine de la Chambre des communes dans son rapport en 2018 sur la discrimination systémique. De même, le gouvernement a annoncé, il y a peu, n’avoir plus l’intention de présenter un plan d’action ce mois-ci pour mettre en œuvre les recommandations de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Le gouvernement n’a pas non plus tenu sa promesse de réformer la fonction publique, d’adopter de meilleures politiques pour favoriser la prospérité économique, de réformer la justice pénale et la sécurité publique et de fournir des données sur la race pour orienter les décisions stratégiques. Ce sont tous des domaines qui relèvent de divers ministères qui n’ont pas su agir dans l’intérêt des Canadiens racialisés.

En ce qui concerne le deuxième critère, Votre Honneur, à cause de la pandémie, nous avons passé beaucoup moins de temps dans cette enceinte que prévu. Comme nous le savons tous, cette séance est la troisième séance ordinaire que nous tenons depuis le 13 mars. Nous ne savons malheureusement pas vraiment si nous aurons l’occasion de consacrer du temps à cette question cruciale — une démarche qui serait dans l’intérêt de tous les Canadiens — dans les semaines à venir.

J’ajouterais, Votre Honneur, que le Sénat se retrouve empêché de tenir ce débat dans un délai raisonnable, un débat qui, à mon avis, n’a déjà que trop tardé.

Votre Honneur, il m’apparaît évident que cette demande de débat satisfait aux critères prévus dans le Règlement du Sénat. J’espère que vous l’autoriserez. Merci.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ + ]

Votre Honneur, j’aimerais tout d’abord remercier la sénatrice Moodie d’avoir soulevé cette question très importante. Je conviens avec elle qu’il est effectivement urgent de débattre des questions de racisme et de discrimination. C’est pour cette raison que, mardi, j’ai donné avis au Sénat de mon intention de faire une interpellation sur la présence du racisme et de la discrimination au sein des institutions canadiennes.

Je ne pense pas qu’un débat d’urgence soit la meilleure façon de discuter de cette question pour les raisons suivantes.

Un débat de quatre heures n’est clairement pas suffisant pour examiner convenablement un enjeu d’une telle importance.

Les sénateurs ne peuvent pas tous être présents ici aujourd’hui en raison des mesures mises en place en conformité avec les consignes des autorités sanitaires publiques relativement à la pandémie de COVID-19.

De nombreux sénateurs de la région de l’Atlantique — Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve-et-Labrador — ne sont pas présents dans cette enceinte et ne pourront donc pas participer à ce débat en raison des restrictions de voyage et de la crise de la COVID-19.

Si des discussions devaient avoir lieu au sujet de la GRC, je pense que les sénateurs de la Nouvelle-Écosse, qui a été touchée récemment par une tuerie, devraient très certainement y prendre part.

Votre Honneur et chers collègues, je pense que la meilleure façon de tenir un débat sur cet enjeu important est une interpellation, qui permettra à tous les sénateurs d’avoir plus de temps pour s’exprimer sur cette question cruciale.

Il s’agit effectivement d’une question qui évolue, et je crois que nos débats évolueront aussi. Un débat d’une durée indéterminée nous donne le temps de réfléchir sérieusement et de procéder à un second examen objectif. Si nous le souhaitons, nous pouvons poursuivre ce débat à l’automne. J’espère sincèrement que nous le ferons. À mon avis, nous ne pourrons rien régler ici en une journée, voire au cours des prochains jours.

Néanmoins, Votre Honneur, nous nous en remettons à votre sagesse et à votre jugement. Je tiens à assurer à tous mes collègues et à la sénatrice Moodie que, si vous tranchez en faveur de la tenue d’un débat d’urgence et qu’il s’agit de la voie à suivre, le caucus conservateur coopérera et participera pleinement au débat. Merci.

L’honorable Scott Tannas [ + ]

Au nom de notre groupe, permettez-moi de vous rappeler quelle a été notre position tout au long du débat.

D’abord, je tiens à féliciter la sénatrice Moodie de son initiative. Elle est fort louable et très importante.

Certains sénateurs aimeraient prendre part au débat, mais ils ne le peuvent pas. Ils ressentent une grande frustration, et j’en ai parlé hier. Par conséquent, notre position est semblable à celle du sénateur Plett. Nous nous en remettons à la sagesse du Président et, si le débat va de l’avant, nous ne le contesterons pas et nous ne nous montrerons aucunement récalcitrants. Merci.

L’honorable Peter M. Boehm [ + ]

J’interviens pour appuyer la demande de débat d’urgence de ma collègue la sénatrice Moodie. Je suis d’avis que le Canada est arrivé à un tournant. Cette question ne nécessite pas uniquement la tenue d’un débat d’urgence, mais aussi la création d’un comité spécial, idéalement d’un comité plénier, ainsi que des travaux sur le sujet qui se poursuivront cet automne et au-delà.

Selon divers rapports, incluant celui fourni par le Caucus des parlementaires noirs, il existe déjà de nombreux remèdes et solutions. Ce n’est pas comme s’il fallait réinventer la roue. Nous connaissons les faits et la réalité. Nous devons en débattre et songer à l’avenir.

J’appuie sans hésitation la proposition de la sénatrice Moodie. Merci.

L’honorable Jim Munson [ + ]

Le Groupe progressiste du Sénat appuie sans réserve la demande de débat d’urgence de la sénatrice Moodie. Comme je l’ai dit hier, il est intéressant qu’il ait fallu qu’un chef soit blessé et que quelqu’un soit tué pour que cela attire notre attention.

J’ai eu un peu de difficulté à rassembler toutes ces notes afin d’appuyer cette demande de débat d’urgence, et le sénateur Plett a parlé de quatre heures. Eh bien, quatre heures, c’est un bon début.

Votre Honneur, vous aviez penché en faveur du sénateur Tkachuk lorsqu’il avait demandé un débat d’urgence le 6 février 2018. Il s’agissait d’un débat sur le prolongement du pipeline Trans Mountain. En rendant votre décision, vous aviez dit que la tenue d’un débat ne nous empêcherait pas de lancer une interpellation. Je crois que c’est un point important.

Au Canada, nous savons que le racisme systémique ou le racisme institutionnalisé sont présents partout, qu’il s’agisse d’embauche dans la fonction publique ou le secteur privé, du milieu artistique ou sportif, ou encore d’institutions comme celle-ci. Je crois que nous devons attaquer cette question de front.

Alors que nous commençons à exposer nos arguments en faveur de ce débat, il est intéressant de souligner que, il y a 30 ans, c’est-à-dire le 18 juin 1990, Nelson Mandela a pris la parole à l’autre endroit devant les parlementaires des deux Chambres au sujet d’une Afrique du Sud libre et inclusive. Aujourd’hui, nous devons parler d’un Canada libre et inclusif. Selon des enquêtes récentes, 61 % des Canadiens sont convaincus ou presque convaincus que le racisme systémique existe au pays. Je suis préoccupé par le point de vue des 39 % restants.

Votre Honneur, si nous examinons la question du racisme systémique, si vous approuvez la tenue d’un débat sur la question, j’aurai sans doute beaucoup à dire sur le sujet. Malheureusement, des sénateurs sont absents, mais, jusqu’à maintenant, d’autres sénateurs ont été en mesure de parler en leur nom. Nous sommes au moins 35 ou 40 présents aujourd’hui et, comme je l’ai dit au début de mon intervention, c’est déjà un bon début. Nous devons examiner ce dossier avec sérieux.

Pensons-y. Le racisme systémique découle de la supériorité et du pouvoir perçus des Blancs dans tous les aspects de la vie. C’est ce qui empêche quiconque n’est pas Blanc de jouir d’un accès égal à une vie prospère. Le plus souvent, nous ne sommes pas conscients du fait que notre comportement est raciste. C’est ce qu’on appelle les « préjugés inconscients ».

Votre Honneur, la décision vous revient. Toutefois, si nous n’examinons pas la question maintenant, quand le ferons-nous? Merci beaucoup.

L’honorable Kim Pate [ + ]

Honorables sénateurs, j’aimerais appuyer la demande de débat d’urgence de la sénatrice Moodie, et j’en profite pour la remercier de sa démarche.

Chers collègues, en ce moment, les Canadiens réclament haut et fort des changements systémiques, ils veulent la fin du racisme systémique, alors c’est notre responsabilité à nous, privilégiés qui sommes en position de pouvoir, d’exiger une nouvelle réalité où la discrimination n’a pas sa place et où les injustices historiques sont éradiquées.

La discrimination systémique n’est nulle part aussi visible que dans les prisons du pays. Mes amis, ceux qui nous ont accompagnés en prison, les membres des différents comités et moi-même, ont pu voir de leurs yeux qui croupit dans les cellules. S’il en est ainsi, c’est parce que les autres systèmes ont failli à la tâche et que la discrimination est ancrée en eux.

Les Canadiens racialisés sont surreprésentés en prison : dans les pénitenciers fédéraux, 9 % des hommes et 11 % des femmes sont noirs, tandis que 30 % des hommes et 42 % des femmes sont autochtones. Leur incarcération est le résultat de décennies — que dis-je, de siècles — d’inégalités dans toutes les sphères de la société. C’est maintenant, quand tout le monde est dans la rue et que la population réclame des changements systémiques, que nous devons tenir ce débat, et il doit avoir lieu ici même.

Le débat d’urgence que propose la sénatrice Moodie nous permettra de discuter des mesures qu’il faudrait prendre de toute urgence, comme nous le recommandent d’ailleurs d’innombrables rapports et recommandations depuis des dizaines d’années, pour éradiquer le racisme systémique dans l’appareil de justice pénale et partout ailleurs. Nous récoltons présentement les fruits de décennies d’inaction.

Le temps est venu, Votre Honneur, honorables collègues, de faire enfin quelque chose.

Son Honneur le Président [ + ]

Le temps pour étudier la demande de débat d’urgence est écoulé. Afin de préparer la décision, la séance sera suspendue pendant une courte période de temps. La sonnerie retentira pendant cinq minutes pour rappeler les sénateurs.

Haut de page