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La Loi sur le casier judiciaire

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

20 février 2020


Propose que le projet de loi S-214, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement, soit lu pour la deuxième fois.

— Je prends la parole au sujet du projet de loi S-214, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement.

Cette année, la Loi sur le casier judiciaire a 50 ans. En 1970, cette loi a été adoptée parce que tout le monde, toutes allégeances politiques confondues, était d’avis qu’il était bon pour tous qu’une personne puisse vivre sa vie normalement et contribuer au sein de sa collectivité une fois qu’elle a payé pour ses actes et purgé sa peine.

Il y a 50 ans, le porte-parole conservateur pour les dossiers relevant du solliciteur général, Robert McCleave, soulignait la création du système de pardon en tenant les propos suivants :

[il est] important que des gens ne soient pas punis financièrement à cause d’une infraction pour laquelle ils ont purgé leur peine [...] Ils ne devraient pas avoir mauvaise réputation le reste de leur vie.

Plus tôt dans son intervention, il a dit :

Nous avons facilité l’obtention du pardon aux intéressés sans leur imposer d’effroyables frais judiciaires [...] la demande ayant été faite, on y donnera suite sans qu’il en coûte un sou à l’intéressé, si ce n’est le prix du timbre et le temps qu’il consacrera à écrire sa lettre.

Depuis, le système a changé de nom. On ne parle plus de système de pardon, mais de système de suspension de casier. Depuis que les règles ont été modifiées, les gens attendent plus longtemps, payent plus cher, doivent satisfaire à plus d’exigences et courent le risque que les casiers cessent d’être suspendus. Ces modifications ont été présentées comme un moyen d’accroître notre sécurité, mais les données disponibles montrent qu’il n’en est rien. Elles ont plutôt l’effet de punir et de favoriser la discrimination.

Le projet de loi S-214 propose un système simplifié d’expiration des casiers, aussi connu sous le nom de radiation, après deux ou cinq ans sans nouvelle condamnation ou accusation en instance. Le projet de loi part du principe que la possibilité d’une exonération et la sécurité publique vont de pair.

Il est bien connu, et les spécialistes le confirment, que les cas de violence contre les femmes et les enfants ne sont pas tous signalés. Les vérifications de casier à elles seules ne permettent donc pas de protéger efficacement les femmes et les enfants. Néanmoins, le projet de loi S-214 prévoit une dérogation à la suppression des casiers judiciaires et préserverait, dans les secteurs vulnérables, le mécanisme permettant de détecter les casiers expirés lorsqu’une personne postule un emploi auprès d’enfants ou d’autres personnes vulnérables.

L’humanité, la justice et le bon sens font partie des valeurs des Canadiens et il y a consensus général sur la nécessité qu’une exonération soit possible, indépendamment des partis.

En 2018, le Comité de la sécurité publique de la Chambre a publié un rapport multipartite reconnaissant que le système actuel de casiers judiciaires avait une incidence négative sur la « capacité de se trouver un emploi ou un logement, de suivre une formation, de voyager, et d’adopter des enfants ou d’en obtenir la garde ».

Les membres libéraux, conservateurs et néo-démocrates du comité ont convenu qu’il était temps que le gouvernement « envisage de se doter d’un mécanisme permettant de rendre automatique la suspension du casier », du moins dans certaines circonstances.

Un des principaux obstacles à l’accessibilité, dans le système actuel, c’est le coût. Les frais de suspension de casier ont monté en flèche, passant du prix du timbre-poste requis pour soumettre la demande qu’évoquait M. McCleave à 50 $ en 1995, 150 $ en 2010, puis 631 $ en 2012. C’est sans compter les frais additionnels, comme pour la prise d’empreintes digitales ou l’obtention d’une copie des dossiers originaux, qui peuvent se chiffrer en centaines de dollars. Une hausse automatique pour tenir compte de l’augmentation du coût de la vie ajoutera encore 13 $ à la note en avril. Dans un avenir assez rapproché, les frais pourraient dépasser 1 500 $.

Peut-être que pour certains d’entre nous la somme de 631 $ ne semble pas énorme. Cependant, la plupart des demandeurs cherchent à obtenir un allègement de leur casier judiciaire dans l’espoir de trouver un emploi et, généralement, pour se sortir eux-mêmes et leur famille de la pauvreté.

Depuis l’entrée en vigueur des frais de 631 $ pour la suspension du casier judiciaire, en 2012, les demandes de suspension ont chuté de 40 %. Des milliers de Canadiens sont dans l’impossibilité de demander une suspension non pas parce qu’ils sont considérés comme une menace pour la population, mais parce qu’ils sont pauvres.

Quand les frais ont été portés à 631 $, on a invoqué le recouvrement des coûts pour justifier cette hausse. La notion de recouvrement des coûts pose toutefois problème puisque, quand le nombre de demandeurs diminue, les frais d’administration associés à chaque demande augmentent. Si on conserve cette logique de recouvrement des coûts, les frais continueront de grimper pour devenir toujours plus inaccessibles.

Il serait illogique de maintenir cette façon de faire, surtout quand on la compare à d’autres méthodes de récupération des coûts. Les fonctionnaires du ministère de la Sécurité publique savent que chaque dollar dépensé pour l’élimination de casiers judiciaires rapporte au gouvernement 2 $ de revenus quand les personnes touchées peuvent trouver un emploi et payer de l’impôt. Ces fonctionnaires soulignent aussi que, parmi les programmes de leur ministère, seul le programme de suspension du casier judiciaire est assujetti au plein recouvrement des coûts.

On peut imaginer pourquoi. Les suspensions de casier sont souvent qualifiées de privilège mais, dans la plupart des systèmes judiciaires comparables au système canadien, cette ternissure que représente le casier judiciaire disparaît quand la personne n’a pas commis de crime depuis un certain nombre d’années.

Lorsque la Loi sur le casier judiciaire a été mise en place, en 1970, le casier judiciaire ne se voulait pas une punition permanente. Nous avons cessé de parler de pardon parce que cela laissait évidemment entendre qu’on allait pardonner ses actions à quelqu’un. Dans certains cas, un pardon pour une faute commise par le passé peut être demandé ou accordé par la victime ou par la collectivité, mais ce n’est pas toujours une façon exacte de décrire ce qui se passe après une condamnation. Un processus d’expiration du casier judiciaire n’est pas un processus de pardon. Il s’agit simplement d’appliquer le principe selon lequel une punition doit prendre fin à un certain moment, sinon, elle risque de perpétuer une injustice.

Une personne qui n’a pas les moyens de présenter une demande de suspension du casier judiciaire est pénalisée lorsqu’il s’agit de chercher un emploi, de trouver un logement, de poursuivre des études, de faire du bénévolat et même d’assumer des responsabilités parentales. Tout cela nuit à la sécurité publique au lieu de la renforcer. À cause de ce système discriminatoire, les plus pauvres sont pénalisés toute leur vie pour des fautes du passé pour lesquelles ils ont déjà purgé leur peine.

Depuis la présentation de la version précédente de ce projet de loi, l’année dernière, notre bureau a entendu des Canadiens et des membres de leur famille qui économisent en vue de présenter une demande de suspension du casier judiciaire et qui essaient de s’y retrouver dans ce système excessivement complexe. Trop souvent, ces gens n’osent pas dénoncer la situation, de peur de révéler publiquement leurs antécédents judiciaires ou ceux d’un proche. Ils ont apporté leur contribution. Ils s’efforcent d’apporter leur contribution à la société. Ils ont payé le prix de notre inaction et ils continuent d’en faire les frais.

Le projet de loi S-214 répond aux préoccupations que nous avons entendues de la part des Canadiens concernés, de la Commission des libérations conditionnelles du Canada et d’autres représentants du gouvernement, dans le cadre des consultations publiques, des travaux des comités parlementaires et des déclarations des ministres. Nous avons compris que les frais, la bureaucratie et les délais d’attente liés à la suspension des dossiers sont trop souvent insurmontables et donnent lieu à un système discriminatoire, surtout pour les personnes pauvres.

Comme solution, le projet de loi S-214 prévoit un système unique, moins lourd, dans lequel les condamnations pénales expirent après un certain nombre d’années sans perpétration de crime dans la communauté. Les recherches montrent en effet que si, pendant quelques années, une personne ayant des antécédents judiciaires ne commet aucun crime, elle n’est pas plus susceptible d’être condamnée ultérieurement que quelqu’un qui n’a jamais été condamné. Passé ce stade, il n’est ni utile ni juste de continuer à punir ces gens en maintenant leur casier judiciaire. En autorisant l’expiration des casiers judiciaires en fonction du temps écoulé sans condamnation ultérieure, nous pouvons réduire les coûts et éliminer les frais de demande punitifs. Nous pouvons également veiller à ce que la portée et les effets des casiers judiciaires n’empêchent pas les gens de trouver un endroit où vivre, de travailler pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille et d’apporter d’autres contributions à leur communauté, autant d’éléments qui conduisent à une intégration communautaire réussie et exempte de criminalité.

Le projet de loi S-214 s’appuie sur les travaux menés précédemment par le Sénat pour examiner et mettre en évidence la nécessité d’un allègement accessible et efficace du casier judiciaire.

L’année dernière, le projet de loi C-93 a eu pour effet de rendre plus complexe un système déjà surchargé. Avant le projet de loi C-93, la Commission des libérations conditionnelles du Canada avait déjà du mal à gérer trois différents types de demandes de dossiers — le processus général de suspension de casier, l’ancien processus de pardon pour ceux qui pouvaient encore y recourir et un processus de radiation pour les personnes criminalisées en raison d’une discrimination historique à l’encontre des membres des communautés LGBTQ2S. Le projet de loi C-93 a ajouté une quatrième catégorie de demandes, la suspension du casier lié au cannabis.

Lorsque nous avons adopté le projet de loi C-93 l’année dernière, nous l’avons fait en sachant que notre travail sur la Loi sur le casier judiciaire n’était pas terminé. Comme l’a reconnu Ralph Goodale, alors ministre de la Sécurité publique, le projet de loi C-93 « [...] ne porte que sur une petite partie du processus de pardon qui doit faire l’objet d’une réforme plus large [...] » en raison des problèmes considérables causés par des coûts punitifs et l’inaccessibilité.

Par ailleurs, l’efficacité de la procédure accélérée de suspension du casier judiciaire des personnes condamnées pour possession simple de cannabis est limitée parce qu’il faut faire une demande. La procédure n’est pas assortie de frais de traitement de dossier de 631 $ et d’une attente pouvant aller jusqu’à 10 ans comme pour les autres demandes de suspension, mais elle demeure une variation sur le même thème. Les demandeurs doivent consacrer temps et argent, souvent des centaines de dollars, pour obtenir leurs empreintes digitales et leur dossier de la GRC et trouver les documents juridiques originaux du tribunal et du service de police de l’endroit où les accusations ont été portées.

Compte tenu de ces obstacles, en décembre 2019, on n’avait enregistré que 234 demandes et 118 suspensions du casier judiciaire pour des infractions liées au cannabis. Ce résultat est insignifiant lorsqu’on sait qu’environ 250 000 Canadiens ont fait l’objet d’accusations pour possession de cannabis.

Chaque nouveau type de demandes de suspension du casier judiciaire a augmenté la complexité de la procédure et mis à mal les ressources de la Commission des libérations conditionnelles. Lors de leur témoignage devant le Comité des affaires juridiques, les représentants de la commission ont d’ailleurs souligné la nature complexe et bureaucratique du système de casiers judiciaires et affirmé qu’un système intégré pourrait simplifier la procédure. Le projet de loi S-214 propose précisément un processus efficace et simplifié d’expiration du casier judiciaire.

La difficulté de se prévaloir de la procédure actuelle de suspension du casier judiciaire a fait l’objet d’un examen approfondi. Les consultations publiques menées par le ministère de la Sécurité publique du Canada en 2017 ont révélé que plus de quatre Canadiens sur cinq appuient une expiration automatique du casier judiciaire sans qu’il soit nécessaire de présenter une demande.

Dans un rapport d’étude publié en 2018, le Comité de la sécurité publique et nationale de la Chambre a recommandé à l’unanimité que le gouvernement :

[...] examine la complexité du processus de suspension du casier, et songe à mettre en place d’autres mesures pour appuyer les demandeurs tout au long du processus et ainsi le rendre accessible [...] envisage de se doter d’un mécanisme permettant de rendre automatique la suspension du casier [...]

Au Comité des affaires juridiques, des experts, y compris l’Association du Barreau canadien et l’Association des avocats noirs du Canada, ont recommandé de ne pas exiger de demande pour la suspension des casiers judiciaires pour la possession simple de cannabis. Le comité a appris que le principal obstacle à cette proposition est de nature technologique, car celle-ci rendrait nécessaire un système de tenue de dossiers national et global.

Dans son rapport sur le projet de loi C-93, le comité demande au gouvernement :

[...] d’accélérer la réforme de la Loi sur le casier judiciaire [...] d’examiner comment il pourrait améliorer la coordination de la gestion des dossiers dans l’ensemble des provinces et des territoires et mettre en œuvre les solutions technologiques nécessaires permettant d’automatiser davantage la suspension des casiers judiciaires de façon à éliminer le processus de demande et les frais.

Le projet de loi S-214 nous permettra de dissiper les inquiétudes soulevées par le Comité des affaires juridiques et le Sénat lors de l’étude du projet de loi C-93. Il inclut une disposition prévoyant que les casiers judiciaires qui sont communiqués soient systématiquement enregistrés dans la base de données du Centre d’information de la police canadienne de la GRC. Le centre servirait alors de système centralisé des casiers judiciaires pour appuyer l’expiration automatisée, sans que la personne concernée ait à présenter de demande.

Honorables sénateurs, nous n’avons pas oublié les préoccupations soulevées pendant le débat sur le projet de loi C-93. Le projet de loi S-214 prévoit un moyen pour que nul ne soit privé d’une suspension de son casier judiciaire à laquelle il a droit, et pour que nul ne soit injustement puni en devant composer avec les préjugés associés à un casier judiciaire, simplement parce qu’il ne dispose pas des ressources juridiques ou financières.

Alors qu’il est devenu encore plus difficile d’obtenir la suspension d’un casier judiciaire, les vérifications ont explosé pour atteindre environ 7 % par année. Beaucoup d’employeurs exigent maintenant que les candidats et tous les nouveaux employés se soumettent à une vérification des antécédents par la police. Les vérifications de casiers judiciaires s’étendent bien au-delà de l’emploi. Elles touchent toutes les facettes d’une vie : se loger, fréquenter une école, faire du bénévolat et même, comme le rapportait récemment la Société John Howard, obtenir un lit dans un foyer.

Cela fait longtemps qu’on remet en question le fait que la vérification du casier judiciaire permettrait d’améliorer la sécurité publique. Des recherches ont démontré qu’une condamnation antérieure n’a aucun lien avec la probabilité de commettre une infraction dans le futur. On continue pourtant d’avoir recours à de telles vérifications, ce qui empêche les gens de réintégrer pleinement la société et nuit à leur autonomie.

La nature punitive des casiers judiciaires et de leur vérification impose en outre un fardeau disproportionné sur ceux qui sont déjà injustement stigmatisés. En ce moment, les personnes de descendance africaine représentent 8 % des détenus fédéraux et les Autochtones, 30 %, et cette proportion grimpe à 42 % dans le cas des femmes autochtones.

Le refus d’effacer un casier judiciaire augmente ce fardeau et cette stigmatisation pour des personnes qui sont déjà plus à risque d’être victimes de discrimination. Cela nuit à leurs possibilités d’emploi et de logement, ainsi qu’à leur bien-être, et affecte également leur famille, leurs enfants et les générations futures.

Honorables sénateurs, un nombre croissant de documents gouvernementaux et législatifs révèle et souligne les injustices au sein du système de casiers judiciaires. Nous savons que les casiers judiciaires sont source de discrimination à l’encontre des personnes pauvres, racialisées, ou qui ont des antécédents de traumatismes ayant entraîné des problèmes de santé mentale et de toxicomanie. Ils entravent les efforts de recherche d’emploi et de logement et d’inscription à des établissements scolaires. Nous savons qu’ils créent des obstacles à une réinsertion sociale réussie et qu’ils peuvent miner la sécurité publique plutôt que de l’améliorer. Nous savons que le processus de suspension des casiers judiciaires est très coûteux et complexe. Il est temps de modifier la loi.

Honorables collègues, travaillons ensemble pour apporter les changements au système des casiers judiciaires au Canada qui sont attendus depuis longtemps et fondés sur les faits. J’espère vraiment que vous appuierez ce projet de loi.

Meegwetch, merci.

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