L'aide médicale à mourir
Interpellation--Ajournement du débat
3 novembre 2020
Ayant donné préavis le 27 octobre 2020 :
Qu’elle attirera l’attention du Sénat sur :
a)une décision rendue par la Cour supérieure du Québec en septembre 2019 selon laquelle certaines dispositions des lois fédérale et provinciale sur l’aide médicale à mourir sont trop restrictives;
b)l’impact de la pandémie de la COVID-19 sur les bénéficiaires et les praticiens de l’aide médicale à mourir, y compris les restrictions à l’accès, la pénurie d’équipement de protection individuelle et une hausse de la demande;
c)le travail continu et inlassable de Dying with Dignity Canada, organisme sans but lucratif qui défend les intérêts des Canadiens vulnérables concernant leur droit de mourir;
d)les conclusions du rapport de l’Association des académies canadiennes de décembre 2018, mandaté par le gouvernement fédéral, concernant les demandes anticipées d’aide médicale à mourir;
e)l’urgence pour le Sénat d’étudier et de proposer de nouvelles règles concernant les demandes anticipées d’aide médicale à mourir.
— Honorables sénateurs, chaque jour, la mort se manifeste de nombreuses façons dans notre vie : la mort d’une relation, la mort d’une carrière et, bien trop souvent en cette période de la COVID-19, la mort d’un être cher. Les personnes qui ont vécu dans la dignité, à savoir celles qui ont mené une vie convenable, ont travaillé fort et ont fait de leur mieux, méritent de mourir dans la dignité.
Honorables sénateurs, ces paroles vous sont peut-être familières. J’ai pris la parole de nombreuses fois dans cette enceinte depuis 2015 au sujet des demandes anticipées d’aide médicale à mourir. J’ai commencé cette enquête particulière en février. Ensuite, il y a eu la prorogation. Évidemment, personne ne pouvait prédire cette pandémie mondiale qui a bouleversé nos vies, nous a plongés dans une crise économique et a fait des établissements de soins de longue durée les épicentres de la crise. Maintenant, les personnes âgées se retrouvent seules et sont confrontées à la réalité terrifiante qu’elles pourraient mourir sans être accompagnées de leurs amis ou de leur famille.
Il n’est donc guère surprenant que les enquêtes sur l’aide médicale à mourir se soient multipliées depuis le début de la pandémie. Les lacunes des mesures législatives en place sont devenues douloureusement apparentes. Des médecins hésitent à offrir l’aide médicale à mourir pour des raisons de sécurité. Les pénuries d’équipement de protection individuelle ont eu pour effet de retarder ou d’empêcher l’aide médicale à mourir. Ceux qui veulent avoir l’esprit tranquille tout de suite en obtenant la garantie de pouvoir mourir paisiblement au moment de leur choix, avant de perdre les facultés cognitives nécessaires pour prendre cette décision, se voient refuser ce droit. C’est une honte.
Je crois que toute personne a le droit et l’immense responsabilité de prendre ses propres décisions sur sa fin de vie. En tant que législateurs, nous avons la responsabilité de clarifier le rôle des gouvernements, des médecins et des familles dans la prise de décisions aussi fondamentales et difficiles.
Mon point de vue se fonde sur le fait d’avoir vu mes parents mourir d’une mort lente et douloureuse, mon père étant mort du cancer, et ma mère, de la maladie d’Alzheimer. Cette souffrance inutile aurait pu être évitée. Lorsqu’ils étaient encore lucides, leur unique souhait était qu’on leur épargne ce sort qui les attendait inévitablement. Les lois leur refusaient le droit d’être entendus, de se voir accorder le souhait qu’ils avaient depuis toujours, celui de mourir au moment et dans les circonstances de leur choix.
Sans possibilité de présenter une demande anticipée pour l’aide médicale à mourir, nous avons vu des Canadiens atteints de maladies en phase terminale mettre fin à leur vie prématurément par crainte de ne plus en avoir l’option — ou pire — de passer les derniers moments de leur vie confus et craignant de perdre leur capacité de consentement avant de recevoir l’aide médicale à mourir et d’être contraints de vivre sans avoir toute leur tête, en perte d’autonomie et sans ressources financières ou humaines. Si une personne perd la capacité de consentement ou si elle n’est pas atteinte d’une maladie jugée en phase terminale ou que sa mort n’est pas jugée raisonnablement prévisible, elle doit accepter un sort inconnu, et c’est cruel.
Actuellement, l’impasse vraiment cruelle est celle dans laquelle se trouvent les Canadiens atteints de démence et d’Alzheimer, qui ne peuvent pas recevoir l’aide médicale à mourir. Dès le diagnostic, on leur refuse le droit de demander l’aide médicale à mourir lorsque leur état s’aggrave inévitablement, même si aujourd’hui ils ne présentent pas de symptômes et ils sont en mesure de prendre une décision judicieuse et de présenter une demande concernant leur avenir.
Étonnamment, la maladie d’Alzheimer n’est pas considérée comme étant suffisamment grave pour justifier l’aide médicale à mourir. Cependant, pour ceux d’entre nous qui ont observé la lente descente aux enfers des personnes atteintes de cette maladie, une telle chose est inacceptable. Bon nombre de ces gens passeront le reste de leur vie, et assurément leurs derniers jours, avec des étrangers qui étaient autrefois des êtres chers, ou ils passeront des mois, voire des années, à anticiper le pire avant de se retrouver à souffrir seuls dans un univers qui leur est désormais inconnu. Souvent, ils auront des moments de lucidité lors desquels ils se rendront douloureusement compte qu’ils ne sont plus ceux qu’ils étaient. Ces gens perdent leur dignité, leur caractère, leur personnalité et leur capacité de faire des choix.
Voilà où nous en sommes. Personne ne peut rédiger une déclaration demandant l’aide médicale à mourir, c’est-à-dire des directives anticipées, avant d’avoir perdu la capacité de donner son consentement, et certainement pas après, car ce serait contraire à la loi et aux précédents. C’est extrêmement injuste. Heureusement, l’automne dernier, une décision de la Cour supérieure du Québec a invalidé le critère selon lequel la mort naturelle doit être « raisonnablement prévisible » ainsi que l’article de la loi du Québec qui exige que la personne soit « en fin de vie ». La Cour supérieure du Québec estime que nul ne peut nous priver de notre droit, protégé par la Charte canadienne des droits et libertés, de faire nos propres choix concernant notre droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de notre personne. Nos lois doivent refléter ce droit.
Nous pouvons examiner les rapports récents demandés par le gouvernement lui-même pour avoir une idée de ce à quoi pourrait ressembler une mesure législative sur les demandes anticipées. Même si le gouvernement l’a empêché de formuler des recommandations, le Conseil des académies canadiennes définit trois degrés d’accessibilité dont il pourrait tenir compte.
Le premier degré, c’est quand la demande d’aide médicale à mourir de la personne a déjà été approuvée, mais qu’on ignore combien de temps il lui reste à vivre. Il s’agit de la situation terrible dans laquelle se trouvait Audrey Parker, 57 ans, qui a dû décider d’avoir recours à l’aide médicale à mourir de façon prématurée avant que son cancer du sein de stade 4 ne se propage à son cerveau, ce qui l’aurait empêché de la demander.
Le deuxième degré, c’est quand on permet à une personne de demander l’aide médicale à mourir après qu’elle a reçu un diagnostic de maladie grave, mais avant qu’elle y soit admissible. Les personnes qui sont aux premiers stades de la maladie d’Alzheimer ou de la démence pourraient faire partie de ce groupe, mais le libellé concernant cette maladie doit être explicite.
Le troisième degré consiste à permettre à tous les Canadiens, qu’une demande d’aide médicale à mourir ait été approuvée ou non, de faire une demande anticipée dans un testament biologique. Là encore, il faudrait qu’une telle demande puisse avoir une valeur légale.
Personnellement, j’estime que tout le monde devrait légalement avoir le droit de présenter une demande anticipée dans un testament biologique. Nul ne devrait être forcé de vivre le reste de ses jours dans un lit d’hôpital parce qu’il a perdu soudainement ses capacités dans un accident. C’est pour cette raison que nous avons des ordonnances de non-réanimation déjà en place. Je considère la demande anticipée comme l’exercice de ce même droit. Nos décisions sans équivoque et bien étayées concernant notre propre vie devraient être respectées et honorées, même si nous perdons la capacité de réaffirmer consciemment cette décision le moment venu.
La grande majorité des Canadiens appuient les demandes anticipées; 86 % estiment que les personnes atteintes d’une maladie dégénérative grave et incurable devraient pouvoir demander et obtenir l’aide médicale à mourir et 74 % estiment que l’aide médicale à mourir devrait être accessible aux personnes atteintes d’une maladie incurable, même si leur mort n’est pas imminente.
Il est maintenant évident que les instances judiciaires, les groupes de défense des intérêts des patients et le grand public s’entendent pour dire que nous devrions pouvoir présenter une demande anticipée pour nous-mêmes et pour la tranquillité d’esprit de notre famille.
Les Canadiens comprennent que la loi sur l’aide médicale à mourir est une affaire de choix. Il ne s’agit pas de forcer qui que ce soit à choisir la mort ni de l’imposer comme une option abordable pour faire face à un trop grand nombre de personnes âgées. Nous sommes tous d’accord sur le fait que la loi doit prévoir des mesures pour protéger les personnes vulnérables, handicapées ou ayant des problèmes de santé mentale. Il faut également continuer d’aider les provinces à accroître leurs services de soins palliatifs. Il faut cependant souligner que les lois en vigueur entraînent d’importantes lacunes sur le plan de l’accessibilité. Les lois ne sont pas appliquées de manière équitable ou uniforme, ni en temps voulu.
Les choses sont particulièrement difficiles dans les communautés rurales, qui se trouvent souvent à bonne distance d’un hôpital important et ont peu de médecins et d’avocats sur place. Dans ma province, la Saskatchewan, il y a un écart entre le nombre de personnes dont la demande d’aide médicale à mourir a été approuvée et le nombre qui l’obtiennent. En 2018, seulement 67 des 172 personnes dont la demande avait été approuvée en Saskatchewan ont reçu l’aide médicale à mourir.
L’élargissement de la portée de l’aide médicale à mourir inquiète certaines personnes, dont des médecins. C’est une question importante, mais l’accessibilité l’est aussi, plus particulièrement ces jours-ci. Personne ne va demander à un médecin de faire une chose qui constituerait à ses yeux un manquement à son serment, mais ce médecin devrait être obligé d’aiguiller les patients vers quelqu’un qui va respecter leur volonté et leurs besoins.
Beaucoup d’entre nous qui avons vécu ce cauchemar s’inquiètent pour leur propre avenir. Compte tenu de mes antécédents familiaux, je recevrais probablement un jour ou l’autre un diagnostic de maladie d’Alzheimer. Je n’ai pas d’enfants ou de mari pour plaider ma cause. Je vous prie donc de me laisser et de laisser les autres personnes dans ma situation présenter une demande anticipée.
En tant que législateurs, je pense que nous devons aux familles, aux aînés, aux personnes les plus vulnérables, aux médecins et, surtout, à nous-mêmes, de garantir ce droit à une qualité de vie et, très certainement, à une qualité de mort. Je vous remercie.
Honorables sénateurs, j’aimerais poser une question à ma collègue, si elle accepte d’y répondre.
Sénatrice Wallin, je vous remercie de votre discours ainsi que de votre réflexion et de votre étude en cours sur la question. Nous avons déjà discuté du sujet et nous partageons certainement le même avis quant à l’importance de l’autonomie et de l’autodétermination.
Vous avez parlé du résumé du rapport du Conseil des académies canadiennes. J’aimerais savoir ce que vous pensez à ce sujet. Il est indiqué quelque part dans le rapport que certaines organisations soutiendront que les demandes anticipées, à l’instar d’autres mesures, peuvent avoir une incidence sur la valeur que place la société sur les personnes ayant perdu leurs capacités. Nous avons entendu dire que de telles demandes augmentent parfois les préjugés.
Le rapport mentionne qu’il y a peu de preuves de cela. Je n’ai jamais vraiment pris connaissance de preuves à ce sujet, mais je voulais savoir ce que vous en pensez étant donné que vous avez passé beaucoup de temps à étudier le sujet et à y réfléchir. Êtes-vous d’avis que certaines organisations et personnes qui s’opposent aux demandes anticipées diront que de telles demandes envoient le message que votre vie a moins de valeur si vous perdez vos capacités? Avez-vous des idées à ce sujet?
Comme j’ai tenté de le faire valoir ici et à maintes reprises, cette question relève d’un choix personnel. De nombreuses mesures de sauvegarde prévues dans le régime empêchent les étrangers ou les membres de la famille d’imposer ce choix à une personne dont les capacités sont réduites ou qui est en perte de capacité au fil du temps. Ces mesures de sauvegarde existent. Il y a un débat distinct sur la maladie mentale et ces autres questions.
Cet aspect est très précis, et nous en discutons depuis la première décision rendue par la Cour suprême à ce sujet. Il s’agit de demandes anticipées pour les gens qui prennent cette décision délibérément tôt dans leur vie, avant d’avoir reçu un diagnostic ou avant qu’une maladie leur ait fait perdre leurs facultés d’une façon ou d’une autre. On parle donc d’un groupe très restreint. Le seul fait de permettre les demandes anticipées n’entraîne pas qu’une telle décision puisse être imposée à quiconque. Aucun mécanisme ne le permet.
Dans ma famille, ma sœur a travaillé pendant de nombreuses années auprès de personnes handicapées physiquement ou mentalement. Il existe de nombreuses mesures de sauvegarde visant les membres de la famille qui veulent avoir accès à de l’argent ou qui refusent de passer du temps avec des personnes ayant une déficience intellectuelle. Le système prévoit de nombreuses mesures de sauvegarde. Ce n’est pas une source d’inquiétude pour moi. Ce qui m’inquiète, c’est que des gens doivent vivre une vie même s’ils ont exprimé clairement et explicitement qu’ils n’en voulaient pas dans certaines circonstances.
J’ai déjà parlé de mes parents. Je n’entrerai pas dans les détails, mais ils se sont exprimés très clairement à ce sujet : ils ne voulaient pas être frappés d’incapacité de cette manière. Ma mère était enseignante, une femme intelligente, une meneuse qui a su prêcher par l’exemple. Nous en avons parlé, elle et moi, parce que sa mère était également passée par là. Elle m’a dit ceci : « Je ne crois tout simplement pas que c’est cela, la vie. Si je ne peux pas y participer, si je ne reconnais pas les personnes que j’aime, qui font partie de ma famille et à qui je tiens, quelle raison ai-je d’exister? »
Je ne veux pas me faire trop existentialiste, mais nous avons circonscrit les règles. Les demandes anticipées représentent un droit clair et bien délimité dont les gens devraient pouvoir se prévaloir dans une société où existent des garanties juridiques et sociales.
Aimeriez-vous poser une question, sénatrice Pate?
Sénatrice Wallin, votre temps est écoulé, mais une sénatrice souhaite poser une question. Demandez-vous cinq minutes de plus?
Oui. Merci.
Y a-t-il des honorables sénateurs s’y opposent?
Je vous remercie, sénatrice Wallin. Je ne vous apprendrai sans doute rien si je dis que nos situations parentales se ressemblent beaucoup, vous et moi.
J’ai été profondément choquée, dernièrement, d’entendre dire que certaines personnes handicapées ne se faisaient offrir aucune autre option à part l’aide médicale à mourir. La situation dans les prisons a aussi de quoi m’inquiéter.
J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Avez-vous eu l’occasion de vous pencher là-dessus?
Selon moi, le médecin qui offre l’aide médicale à mourir à une personne handicapée ou à un détenu devrait perdre son permis sur-le-champ.