Le Sénat
Motion concernant les pêcheurs et les communautés mi’kmaq--Suite du débat
17 novembre 2020
Honorables sénateurs, j’appuie la motion que notre collègue le sénateur Brian Francis a présentée. Les facteurs juridiques et constitutionnels et les facteurs relevant des traités qui sous-tendent le conflit sur la pêche côtière au homard dans le Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse sont des questions de longue date, qui auraient dû être réglées pleinement et équitablement dans le cadre de discussions de nation à nation, il y a longtemps. Cependant, elles ne l’ont pas été. Il est impératif qu’elles soient réglées maintenant.
Alors que nous progressons vers cette nécessaire réconciliation de nation à nation, le processus doit se faire sans violence ni menace de violence contre les personnes et les biens. Il doit avoir lieu dans un contexte où les responsables du respect du droit qui a été reconnu font un meilleur travail. Les négociations ne peuvent pas avancer dans un climat de menace ou de peur. La violence est toujours présente si un conflit ouvert est remplacé par des rumeurs, des insinuations et de l’intimidation en ligne. Toutes ces formes d’attaques doivent cesser.
Je salue et remercie de tout mon cœur les sénateurs Francis et Christmas, qui ont consacré de longues heures et beaucoup d’efforts à apaiser le conflit et à trouver une solution. Cela s’ajoute aux années de travail qu’ils ont accomplies avant la situation actuelle. Ils se sont tous les deux efforcés de trouver une solution juste aux nombreux problèmes concernant les droits de la nation mi’kmaq par des négociations de nation à nation qui ont eu lieu dans la région de l’Atlantique et ailleurs. Ce travail n’est pas terminé et j’ai bon espoir que les idées et les conseils des sénateurs Francis et Christmas éclaireront et guideront le déroulement du processus qui s’entame.
Les aspects juridiques et réglementaires qui sous-tendent et enveniment le conflit ne sont pas nouveaux. En effet, certains remontent aux traités du début des années 1760. Dans ces documents comme dans ceux qui ont suivi, y compris la Loi constitutionnelle de 1982 et l’arrêt Marshall de la Cour suprême de 1999, le cadre pour la réconciliation a été défini. Malheureusement, on n’a pas adhéré à ce cadre et la mise en place et la concrétisation de la jouissance collaborative, équitable et juste des ressources communes n’ont pas eu lieu. Néanmoins, une solution est nécessaire, car les négociations de nation à nation constituent le fondement sur lequel s’appuiera la réussite actuelle et future.
Il faut trouver une manière différente et plus acceptable de faire les choses à l’avenir. Il se peut que cette approche ne repose pas sur une solution unique. Il faut tenir compte d’un certain nombre d’approches qui peuvent sembler quelque peu différentes les unes des autres, mais qui nous mènent toutes à des résultats positifs.
La situation dans le Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse présente d’autres complexités que nous devons examiner attentivement. Des pêcheurs non autochtones pratiquent la pêche côtière à cet endroit depuis des dizaines, voire des centaines d’années. Il existe actuellement une pêche commerciale importante et fructueuse à laquelle participent des pêcheurs autochtones et non autochtones, et c’est grâce à cette assise économique que les pêcheurs sont en mesure de subvenir aux besoins de leur famille et de maintenir le dynamisme et la vitalité de leurs collectivités. Alors que les discussions de nation à nation se poursuivent, il est primordial que toutes les voix soient entendues. Si les personnes impliquées dans cette situation ne font pas partie de la solution, les problèmes pourraient fort bien se poursuivre.
Il ne s’agit pas uniquement de tenir compte des considérations commerciales, des responsabilités légales ou des droits. Nous devons cultiver un environnement où toutes les parties se respectent et manifestent leur volonté d’apprendre à se connaître, où elles s’efforcent d’écouter les opinions des autres et de comprendre qu’il faut plus que des lois et des procédures judiciaires pour parvenir à une à véritable réconciliation. À mon avis, il faut établir de nouvelles conceptualisations...
Honorables sénateurs, nous éprouvons des difficultés techniques, alors, si vous le voulez bien, nous allons écouter la prochaine intervenante sur ma liste, soit la sénatrice Pate, puis reviendrons au sénateur Kutcher par la suite, en espérant que le problème sera réglé.
Honorables sénateurs, nous devons une fière chandelle à nos collègues, les sénateurs Christmas et Francis. Nous les remercions d’avoir fait tout en leur pouvoir pour maintenir et favoriser la paix en dépit de la montée en puissance du racisme envers les Autochtones et de l’anarchie tandis que les pêcheurs mi’kmaqs exerçant leurs droits ont été la cible d’actes de violence et de terrorisme qui ont détruit des propriétés et mis des vies en danger.
Comme l’a bien résumé la sénatrice Keating dans son intervention, cela fait 21 ans que les droits de pêche des Mi’kmaqs ont été reconnus par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Marshall. Ces droits sont sauvegardés par les traités de paix et d’amitié de 1760 et de 1761 ainsi que par l’article 35 de la Loi constitutionnelle du Canada.
Pourtant, comme dans tant d’autres cas, à la lumière des récents événements, force est de constater que détenir un droit sans disposer de recours pour le faire valoir équivaut à n’avoir aucun droit. Ni les lois du Canada ni les forces de l’État chargées de faire respecter ces droits ne protègent les Mi’kmaqs. Les personnes les plus désavantagées et tenues de lutter pour faire respecter leurs droits sont trop rarement assistées par celles qui détiennent le privilège, le pouvoir et les ressources voulus pour les exploiter.
Je ne vais pas me répéter, mais je tiens à préciser clairement que je me range du côté des sénateurs Christmas, Francis et Keating. Par ailleurs, je vous demande de réfléchir un instant à l’arrêt Marshall de 1999. Donald Marshall fils, surnommé Junior par sa famille et ses amis, a été victime de racisme pendant toute sa vie. Accusé et reconnu coupable à tort de meurtre, il est resté 11 longues années en prison avant que sa condamnation et sa peine d’emprisonnement à perpétuité soient annulées. Bon nombre d’entre nous qui ont travaillé avec Junior et l’ont accompagné se souviennent des années de combat contre un système pénal, judiciaire et correctionnel au racisme corrosif, où règne encore trop souvent une présomption de culpabilité, plutôt que d’innocence.
La commission royale créée après l’acquittement et la libération de Junior a exposé en détail une foule de lacunes discriminatoires qu’on observe dans les deux systèmes et qui existent encore de nos jours. Malgré la disculpation de Junior, ces lacunes ont nui à ses efforts ultérieurs, ainsi qu’à ceux de bien d’autres personnes remises en liberté.
Les préjugés liés aux condamnations au criminel et aux peines d’emprisonnement nuisent trop souvent à la capacité des personnes touchées de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille, ainsi que de soutenir leur collectivité, et ce, qu’elles aient été condamnées à tort ou non. Le racisme et d’autres attitudes discriminatoires aggravent encore plus la situation.
Le combat pour la justice de Junior a eu des effets néfastes sur lui, de même que sur l’ensemble de sa famille et de sa collectivité. Son père, qui au moment de son arrestation, était grand chef de la nation mi’kmaq et un entrepreneur prospère, a souffert d’une grande marginalisation économique. Junior a été aux prises avec des problèmes de dépression et d’alcoolisme toute sa vie. Son cas est considéré comme un exemple judiciaire pour tous les autres Canadiens condamnés injustement pour meurtre.
Junior tenait particulièrement à aider les jeunes Autochtones. Nous étions tous les deux préoccupés par la judiciarisation et l’incarcération croissantes des jeunes pauvres et racialisés. À peu près à la même époque où il pêchait et vendait des anguilles et s’engageait dans une bataille juridique qui allait durer six ans à propos de droits ancestraux, il m’a invitée à participer avec lui à un rassemblement près d’ici, dans Kitigan Zibi.
En août de chaque année, l’aîné algonquin de renommée mondiale William Commanda — grand-père de notre chère amie Claudette Commanda — organisait un rassemblement du Cercle de toutes les nations dans le cadre des activités d’un mouvement international de paix. Nous nous sommes joints à des centaines de visiteurs du monde entier venus pour entendre les enseignements de l’aîné Commanda sur l’importance de l’élaboration et de l’adoption de ce qui est aujourd’hui la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la nécessité de lutter contre le racisme et la discrimination en favorisant de bonnes relations entre les nations ainsi que la protection de la Terre mère.
Lorsqu’il est allé devant les tribunaux pour confirmer les droits de pêcher des Mi’kmaqs, Junior Marshall savait qu’il le faisait dans un système judiciaire qui perpétue le racisme systémique et qui ne le traiterait probablement pas de manière équitable. D’ailleurs, Junior a été accusé et condamné par deux tribunaux avant de finir par voir ses droits respectés et de réussir à obtenir d’un tribunal canadien la reconnaissance du droit exercé par les pêcheurs mi’kmaqs aujourd’hui.
Comme vous le savez, l’affaire de Junior s’est rendue jusqu’à la Cour suprême du Canada non pas une fois, mais bien deux, et a abouti en 1999 à un arrêt historique qui a confirmé les droits de pêche et de chasse des Mi’kmaqs, sous réserve uniquement d’un processus très restrictif pour justifier les exigences de conservation et d’autres objectifs publics importants. Avec la compassion et l’humilité qui le caractérisent, Junior nous a rappelé à tous qu’il n’agissait pas uniquement dans son propre intérêt, mais dans celui de son peuple.
À la suite du jugement Marshall, le Canada n’a pas pris des mesures adéquates pour négocier avec les Mi’kmaqs l’exercice de leurs droits de pêche ou pour prévenir le harcèlement et la violence contre ceux qui tentent de les exercer. Pire encore, les fonctionnaires du ministère des Pêches et des Océans se sont joints au harcèlement contre les Mi’kmaqs. Cela s’est traduit par des amendes, des arrestations et des accusations contre ceux qui exerçaient leurs droits, ainsi que par des tactiques violentes comme celles qui ont été employées à Burnt Church et à d’autres endroits.
Ces gestes laissaient entendre que ce que faisaient les Mi’kmaqs était en quelque sorte mal et illégal. C’est ainsi que certains pêcheurs commerciaux ont été incités récemment à commettre des actes violents.
Le Canada a délivré des permis de pêche commerciale à des communautés, tout en les informant que ces permis n’étaient pas destinés à leur reconnaître leurs droits de pêche. Certaines communautés autochtones ont néanmoins pu s’en servir pour mettre sur pied des usines de transformation et pour développer leurs activités commerciales dans des secteurs connexes.
En 2013, le Canada a promis de relancer les négociations en réponse à une poursuite intentée par 12 communautés mi’kmaqs, mais n’a réalisé aucun progrès dans les sept années qui ont suivi. Des juristes soulignent qu’un tel accès à la pêche est bien loin de respecter le droit à une subsistance convenable protégé par les traités d’amitié et la Constitution canadienne, surtout dans le contexte des siècles de politiques d’assimilation et de la saisie injuste des terres et des ressources des Autochtones qui les ont trop souvent confinés à la marge de la société et de l’économie.
Aujourd’hui, plus de deux décennies après la décision Marshall, les limites imposées par le Canada à l’exercice des droits de pêche des Mi’kmaqs demeurent inconstitutionnelles. Comme ils l’ont fait auparavant, les Mi’kmaqs élaborent des plans de gestion des pêches fondés sur le concept et le principe de longue date de Netukulimk, qui met l’accent sur le fait de ne prélever sur les terres et les ressources que ce qui est nécessaire au bien-être de la communauté. Il est essentiel de comprendre que toutes les activités des Mi’kmaqs sont régies par le Netukulimk, un mode de vie ou un code de conduite qui leur enseigne le respect de la terre et de ses ressources et qui les encourage à n’utiliser que ce qui est nécessaire pour respecter des normes acceptables pour nourrir la communauté et assurer sa vitalité économique sans compromettre l’intégrité, la diversité ou la productivité de l’environnement. Il favorise ainsi une exploitation durable et responsable des ressources pour les générations à venir.
Ces dernières années, alors que les Mi’kmaqs se sont efforcés d’exercer leurs droits, une violence raciste troublante a refait surface. Des gardiens de l’eau mi’kmaqs ont couru le risque d’être arrêtés, judiciarisés et emprisonnés pour avoir revendiqué des droits au titre de la loi mi’kmaq en vue de protéger le territoire traditionnel non cédé de leur peuple contre la dégradation de l’environnement. L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a montré comment la violence et les poursuites judiciaires sont trop souvent utilisées contre les Autochtones qui cherchent à protéger leurs droits et leur communauté.
Les allusions à la primauté du droit sont presque omniprésentes comme outil pour judiciariser les gardiens des terres et de l’eau autochtones, mais, trop souvent, cette notion devient presque inexistante lorsqu’il est question de les protéger.
En ce qui concerne la situation des pêcheurs mi’kmaqs, des dirigeants autochtones ont remis en question à maintes reprises l’incapacité de la police et du gouvernement fédéral à intervenir pour défendre les droits et assurer la sécurité des Autochtones.
L’Assemblée des Premières Nations et l’Association des femmes autochtones du Canada, notamment, nous signalent qu’en n’intervenant pas, le gouvernement avalise les actes de violence contre les Autochtones. Certains ont invoqué la protection des stocks de homard pour justifier leurs actes racistes, comme la sénatrice Keating nous l’a rappelé, mais les pêcheurs mi’kmaqs représentent moins de 1 % de la flotte commerciale habituelle, et les nombreuses personnes qui militent maintenant avec zèle pour la conservation sont muettes en ce qui a trait à la surpêche effectuée précédemment par les pêcheurs commerciaux sur le territoire traditionnel et non cédé des Mi’kmaqs.
Par ailleurs, l’activité des pêcheurs mi’kmaqs est axée sur le bien-être de la communauté et la protection de l’environnement. Elle respecte les normes mondiales telles que les objectifs de développement durable des Nations unies. Au Mi’kma’ki, nous observons ce qui a trop souvent été une tendance au Canada : des violations de la primauté du droit, l’incapacité de l’État de protéger les peuples autochtones contre le racisme et les inégalités systémiques permanents, des attaques racistes violentes visant des personnes et des collectivités ainsi que l’absence de mesures visant à promouvoir la réconciliation et l’autodétermination.
Il faut prendre des mesures proactives immédiates pour mettre un terme à la situation et réparer les torts. Nous ne devons pas laisser la situation perdurer. Il est temps que le gouvernement fédéral fasse preuve d’un véritable engagement à négocier de bonne foi avec les Mi’kmaqs, en honorant les obligations du Canada issues de traités, afin de trouver une solution durable.
Nous devons tous nous opposer aux idées, aux attitudes et aux gestes racistes. Nous devons nous engager à faire tout notre possible pour arriver à la réconciliation. Nous remercions nos collègues autochtones d’avoir une fois de plus montré la voie.
Wela’lioq, Meegwetch, merci.
Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de prendre la parole au Mi’kma’ki, le territoire non cédé du peuple mi’kmaq.
Chers collègues, hier, alors que je préparais mon intervention en appui à la motion no 40 du sénateur Francis au sujet des pêcheurs mi’kmaqs, je me suis rendue à l’endroit où Donald Marshall fils pêchait l’anguille en 1993. C’est dans le comté d’Antigonish, près de chez moi, dans le secteur de la réserve Welnek de la nation mi’kmaw Paqt’nkek, derrière l’église St. Anne, dans l’anse Church du havre Pomquet.
Toujours pour mes préparatifs, j’ai parcouru le roman à succès L’Indien malcommode, de Thomas King. Le livre s’ouvre sur un poème tout simple écrit par une poète mi’kmaq bien connue, la regrettée Rita Joe :
Je suis l’Indien.
Et son fardeau
Demeure mien.
Chers collègues, la motion no 40 nous demande de reconnaître que ce fardeau, ce poids que portent actuellement, en cette période de crise en Nouvelle-Écosse, les pêcheurs mi’kmaqs, les dirigeants de la communauté, nos collègues parlementaires mi’kmaqs et l’ensemble de la nation mi’kmaq, ils ne devraient pas le porter seuls.
Ce fardeau appartient à nous tous. Du fait de leur citoyenneté, les Canadiens sont tous visés par les traités. Ceux-ci sont porteurs à la fois de nombreux droits et de responsabilités considérables, dont la responsabilité de se renseigner sur les traités et celle d’apprendre à connaître et à comprendre la situation et les aspirations de nos partenaires aux fins des traités. Nous avons la responsabilité de respecter les obligations découlant des traités ainsi que la responsabilité de suivre l’exemple de nos voisins autochtones lorsqu’ils expriment ce qui est le mieux pour eux.
En tant que sénateurs, nous avons les responsabilités de légiférer, de nous pencher sur des questions d’importance nationale et de représenter nos régions, nos provinces et nos territoires. Plus particulièrement, nous devons défendre les droits et les intérêts de ceux qui peuvent être oubliés ou défavorisés, comme les aînés, les enfants, les jeunes, les détenus, les anciens combattants, les gens vivant dans la pauvreté, les personnes qui vivent avec un handicap, les immigrants, les populations rurales et, surtout, les Premières Nations, les Métis et les Inuits.
Les sénateurs de la Nouvelle-Écosse ont la responsabilité de défendre les intérêts des quelque 1 million de résidants de cette province. Cela comprend la population mi’kmaq, qui connaît une croissance très rapide, des 13 communautés mi’kmaqs ainsi que des autres parties de la province. Pour cette raison, je ne peux m’empêcher de rejoindre le sénateur Francis et le sénateur Christmas et d’appuyer la motion no 40.
Le 16 octobre, les sénatrices Bernard et Cordy, les sénateurs Deacon, Kutcher et Mercer ainsi que moi-même, qui représentons tous la Nouvelle-Écosse, avons publié une déclaration pour condamner la violence contre les pêcheurs mi’kmaqs de la baie St. Mary’s. Nombre de nos collègues du Sénat représentant des régions de partout au Canada partagent nos préoccupations, comme en témoigne leur participation à ce débat. Voici ce que nous avons dit dans notre déclaration :
Nous, sénateurs représentant la province de la Nouvelle-Écosse, condamnons et dénonçons avec véhémence l’escalade de violence dirigée contre les pêcheurs mi’kmaqs. Quelles que soient les revendications en cause, rien ne justifie qu’on se fasse justice soi-même ni le racisme flagrant dont nous sommes actuellement témoins.
Nous exhortons par conséquent la Gendarmerie royale du Canada à s’acquitter rapidement et efficacement de ses responsabilités et à rétablir la paix et l’ordre. Elle doit veiller à ce que les actes honteux et violents qui ont pu se produire au cours des dernières semaines ne soient plus tolérés d’aucune façon, et à ce que les responsables soient tenus responsables de leurs actes.
Par la présente, nous demandons au gouvernement du Canada d’intervenir rapidement, respectueusement et de façon appropriée pour répondre aux préoccupations très légitimes de la nation des Mi’kmaq à l’origine du conflit.
Pour comprendre ces préoccupations légitimes à propos des droits des Mi’kmaqs à la source du conflit, j’ai consulté les traités, les protections constitutionnelles et les décisions de la Cour suprême sur le sujet, ainsi que les accords internationaux pertinents que notre pays a signés.
Le Traité de paix et d’amitié qui a été signé par la Couronne britannique, les Mi’kmaqs, les Malécites et les Pescomodys a mis fin à une guerre de trois ans entre la Nouvelle-Angleterre et les communautés autochtones de la région de l’Atlantique. Les Britanniques voulaient pacifier les relations avec les peuples autochtones et les encourager à laisser tomber leurs alliances avec les Français.
Les groupes autochtones craignaient que les colonies de la Nouvelle-Angleterre s’étendent vers le nord et souhaitaient prévenir d’autres pressions agressives de la part des pêcheurs de la Nouvelle-Angleterre dans les eaux au large des côtes de la Nouvelle-Écosse. Certes, ces disputes sur les pêches ont un passé long et compliqué.
Contrairement aux traités signés dans d’autres parties du Canada, les traités de paix et d’amitié n’obligeaient pas les Premières Nations à renoncer aux droits et aux ressources qu’elles avaient traditionnellement utilisées et occupées. Dans le Traité de paix et d’amitié de 1752, on peut lire :
On est plus convenu que la susditte Tribu des Sauvages, ne sera aucunement empêchée mais au contraire, aura une entière Liberté de chasser et de pêcher comme de coutume. Et qu’au cas que les dits Sauvages demandassent quil leur fut alloué un Magazin d’Echange sur la Rivière Chubenaccadie, ou dans toute autre Place de leurs Habitations, ils en aurront un de batis remplis des Marchandizes convenables pour être échangées avec celles des Sauvages, et qu’au même tems les dits Sauvages auront un entière Liberté d’apporter vendre à Halifax ou dans quelqu’autre Plantation que ce soit dans cette Province, les Pelletries, Vollailles Poissons, et toute autre Chose quils auront à vendre et le tout a tel Avantage quils en pourront tirer.
C’est la promesse que les Britanniques ont faite aux peuples autochtones, et c’est ce traité qui a été confirmé dans l’arrêt Marshall de la Cour suprême en 1999.
Le Traité de paix et d’amitié de 1760 décrit les promesses faites aux Britanniques par les groupes autochtones de la région de l’Atlantique. Je cite un extrait du document :
Et je promets en mon nom et au nom de ma tribu, de ne molester aucun des sujets de Sa Majesté et des personnes à leur charge, dans leurs établissements actuels ou futurs, ou dans leur commerce ou dans quelque autre chose dans ladite province de Sa Majesté ou ailleurs […]
La Loi constitutionnelle de 1867 a conféré au Parlement la compétence législative à l’égard des Indiens et des terres réservées pour les Indiens. Dans la Constitution de 1982, remaniée et rapatriée, on précise ceci à l’article 35 :
35. (1) Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.
La participation du Canada à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones donne encore plus de poids à cet article puissant de la Constitution canadienne, qui confirme les droits des Autochtones. Selon l’article 32 de cette déclaration :
Les peuples autochtones ont le droit de définir et d’établir des priorités et des stratégies pour la mise en valeur et l’utilisation de leurs terres ou territoires et autres ressources.
Puis, à l’article 37 de la même déclaration, on peut lire ceci :
Les peuples autochtones ont droit à ce que les traités, accords et autres arrangements constructifs conclus avec des États ou leurs successeurs soient reconnus et effectivement appliqués, et à ce que les États honorent et respectent lesdits traités, accords et autres arrangements constructifs.
En septembre 2015, le Canada et 192 autres États membres des Nations Unies ont adopté le Programme de développement durable à l’horizon 2030. Le Programme 2030, qui s’articule autour d’un ensemble de 17 objectifs de développement durable, constitue un appel à l’action mondial pour mettre fin à la pauvreté, pour protéger la planète et pour veiller à ce que toutes les personnes dans le monde, notamment les Canadiens, connaissent la paix et la prospérité d’ici 2030.
Chers collègues, c’est précisément sur cette question que porte la motion no 40 du sénateur Francis, c’est-à-dire notre responsabilité en tant que pays de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour veiller à ce que les droits des Mi’kmaq et ceux de leurs voisins relativement aux moyens de subsistance, aux occasions et aux protections de la personne soient respectés. Nous pourrons ainsi garantir que ces personnes, ainsi que leurs communautés, puissent ultimement vivre en paix et connaître la prospérité.
Honorables sénateurs, le Programme 2030 a pour objectif de réclamer l’égalité pour tous et est axé sur le principe fondamental selon lequel personne ne sera laissé de côté. Le test ultime de l’efficacité de ce Programme, c’est de voir quel effet il aura sur les peuples autochtones.
Maintenant que nous avons un peu de contexte, examinons brièvement le conflit lié aux pêcheries de homard en Nouvelle-Écosse. Qu’il suffise de dire que ce produit de base de grande valeur est à l’origine de nombreux conflits dans notre région depuis des centaines d’années, dont certains n’ont rien à voir avec les pêcheurs Mi’kmaq. Ces conflits s’attisent et s’apaisent par intermittence, notamment depuis l’affaire Marshall de 1999.
Puisque la motion no 40 consiste à faire respecter le droit à une pêche de subsistance convenable et à protéger les pêches des Premières Nations, examinons rapidement la situation sous l’angle de trois générations de la famille Marshall, telle que le décrit l’article de Stephen Maher paru dans le numéro du 2 octobre du magazine Maclean’s. Je cite l’article :
Lorsque Michael Sack, chef de la nation Sipekne’katik de la Nouvelle-Écosse, a distribué les permis de pêche au homard des Mi’kmaqs le 17 septembre, les premières étiquettes ont été remises à Randy Sack. [...]
Le père de Randy Sack était Donald Marshall Jr. [...].
M. Sack défend maintenant la même cause que son père a défendue : il lutte pour faire reconnaître son droit de pêcher [...].
Après avoir obtenu ses étiquettes, M. Sack et ses confrères pêcheurs mi’kmaqs sont allés dans la baie St. Marys, où ils ont été accueillis par des pêcheurs non autochtones qui étaient déterminés à les arrêter [...].
La nation a inauguré ses activités de pêche le jour du 21e anniversaire de la victoire du père de M. Sack dans le jugement historique de la Cour suprême du Canada concernant les droits de pêche.
En 1993, Donald Marshall Jr. pêchait l’anguille dans le havre Pomquet lorsque son épouse, mon amie et ancienne collègue, Jane McMillan, et lui ont été interpellés par des agents du ministère des Pêches. Il a fallu six ans pour prouver que M. Marshall Jr. avait raison de dire qu’il n’avait pas besoin de permis parce que le traité de 1752 lui conférait le droit de pêcher.
La participation du jeune Randy Sack à la pêche au homard est le fruit d’une lutte multigénérationnelle pour faire valoir les droits issus de traités. En 1986, le grand-père de M. Sack — c’est-à-dire le père de M. Marshall Jr. —, Donald Marshall Sr., qui était alors grand chef des Mi’kmaqs, a proclamé le 1er octobre comme étant le Jour anniversaire du traité, lequel commémore le rôle déterminant des traités dans la relation entre les Mi’kmaqs de la Nouvelle-Écosse et la Couronne.
En Nouvelle-Écosse, la pêche au homard a atteint une valeur de 771 millions de dollars en 2018. Il est donc compréhensible que les Mi’kmaqs souhaitent obtenir une part considérable de cette pêche lucrative, que ce soit en pratiquant une pêche de subsistance convenable, des activités de pêche communale et commerciale, lesquelles ont été considérablement étendues à la suite de l’arrêt Marshall, ou en participant à la pêche hauturière à la suite de l’annonce récente de l’achat de Clearwater Seafoods par une coalition de sept communautés mi’kmaqs, en partenariat avec Premium Brands.
La situation actuelle concernant le droit des Mi’kmaqs de pêcher et de vendre le produit de leur pêche s’inscrit véritablement dans l’enjeu plus général de la souveraineté, de l’autodétermination et de l’autonomie des nations autochtones. En Nouvelle-Écosse, il y a eu un leadership visionnaire de la part de la communauté mi’kmaq ainsi que des progrès extraordinaires dans les dossiers qui touchent l’éducation, la culture, l’eau, l’énergie, les services à l’enfance et à la famille ainsi que le développement économique.
Pour conclure mon intervention à l’appui de la motion no 40, puisque nous avons tous la responsabilité de trouver une façon de résoudre cette crise de manière pacifique et équitable, je crois que nous avons maintenant l’occasion de mieux faire les choses en tant que parties aux traités. Selon le point iii de l’appel à l’action 45 de la Commission de vérité et réconciliation, nous devons :
établir des relations qui se rattachent aux traités et qui sont fondées sur les principes de la reconnaissance mutuelle, du respect mutuel et de la responsabilité partagée, et ce, de manière à ce qu’elles soient durables, ou renouveler les relations de ce type déjà nouées.
C’est essentiel à la réconciliation et absolument essentiel pour l’avenir des nations du pays.
Chers collègues, en joignant notre voix à celle de nos collègues mi’kmaq, nous reconnaissons que le fardeau dont a parlé la poète Rita Joe ne devrait pas seulement être porté par ces peuples. Le fardeau — mais aussi l’occasion — de bâtir un avenir meilleur, afin que nous puissions tous vivre dans la paix, l’amitié et la prospérité, est l’affaire de tous.
Honorables collègues, adoptons la motion no 40, et poursuivons nos travaux urgents. Wela’lioq, merci.
Honorables sénateurs, il semble que les problèmes techniques du sénateur Kutcher aient été réglés, alors nous revenons à lui pour le reste du temps prévu pour son discours.
Je vais reprendre là où la sénatrice Coyle s’est arrêtée et parler de l’importance de développer des relations fondées sur une compréhension accrue et un réel respect de nation à nation, d’individu à individu.
Sans une compréhension mutuelle renouvelée de qui nous sommes, il sera très difficile de nous rendre là où nous devons aller. Personnellement, je suis bien content de voir des avancées à ce sujet avec les discussions qui ont présentement lieu entre les diverses parties impliquées dans le conflit, discussions qui ne visent pas seulement à régler le conflit, mais aussi à établir une meilleure compréhension des facteurs culturels, constitutionnels, juridiques et relevant des traités qui entrent en ligne de compte. Ces discussions ont pour objectif de créer un climat permettant des négociations qui vont au-delà des désaccords relatifs à la pêche côtière, qui mènent à une prise en compte des droits informée et respectueuse.
À mon avis, cela pourrait mener à de meilleures relations humaines entre les personnes, entre les communautés et entre les nations, au genre de relations humaines qui doivent servir de base pour la résolution de la crise, mais aussi pour de nouvelles avancées en matière de réconciliation.
Il faut trouver un terrain d’entente et bâtir à partir de là. Pour la suite des choses, toutes les parties doivent réaliser que la ressource renouvelable que constitue la pêche côtière doit être partagée équitablement dans le respect des droits de la nation mi’kmaq. En même temps, il est essentiel que toutes les parties concernées gèrent de façon durable cette ressource halieutique. Enfin, la santé de nos océans doit être préservée et améliorée. Il s’agit d’un enjeu fondamental pour qu’une pêche soit durable.
Honorables sénateurs, les problèmes que la crise a mis en évidence sont nombreux et complexes. Leur complexité ne doit cependant pas dissuader tous ceux qui travaillent fort pour les régler. En effet, il n’y a pas mieux que le moment présent pour mener les discussions difficiles et parfois pénibles, mais respectueuses qui sont nécessaires pour régler le présent conflit et atteindre l’objectif plus vaste de la réconciliation.
La crise actuelle offre l’occasion de trouver une autre manière d’être ensemble, l’occasion d’aborder nos différences à la lumière de la vérité et de la compréhension et, ce faisant, de tendre vers une société où les différences sont une richesse et non une source de divisions; une société qui peut remplacer les déchirures qui divisent par une cohésion rassembleuse; une société dans laquelle tous reconnaissent que ce n’est que lorsque nous créons un environnement fertile en misant sur nos points communs que nous obtenons les meilleurs résultats.
Honorables sénateurs, je vous exhorte à appuyer à l’unanimité la motion dont nous sommes saisis. Le Sénat a l’occasion de montrer à tous les Canadiens que nous comprenons la nécessité de remplacer la version divisée de notre société par une version saine, que nous sommes conscients que les liens qui nous unissent sont plus importants que ce qui nous sépare. Honorables sénateurs, nous pouvons donner l’exemple en montrant que nous sommes tous solidaires.
En appuyant cette motion, nous ferions savoir aux Canadiens que la véritable réconciliation est nécessaire et possible. Elle sera alors l’expression de ce qu’il y a de meilleur en nous. Je vous remercie.