Le Code criminel
Adoption de la motion d'amendement
9 février 2021
Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que le projet de loi C-7 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié :
a) à l’article 1, à la page 3, par adjonction, après la ligne 6, de ce qui suit :
« (2.1) Le paragraphe 241.2(2.1) de la même loi est abrogé. »;
b) à la page 9, par adjonction, après la ligne 33, de ce qui suit :
« Entrée en vigueur
5 Le paragraphe 1(2.1) entre en vigueur dix-huit mois après la date de sanction de la présente loi. ».
Merci. Meegwetch.
Procédons au débat sur l’amendement.
Honorables sénateurs, je vais appuyer l’amendement du sénateur Kutcher. J’ai longuement parlé dans le discours que j’ai prononcé hier, tout comme dans celui que j’ai prononcé au mois de décembre, de la discrimination que subissent les personnes atteintes de troubles mentaux en ce qui concerne la disposition contenue dans le projet de loi C-7. Évidemment, tout cela forcera encore une fois des gens démunis et vulnérables à faire appel aux tribunaux pour faire déclarer ce projet de loi inconstitutionnel. D’ailleurs, ce projet de loi sera manifestement déclaré inconstitutionnel en vertu de la jurisprudence de la Cour suprême.
Il faut éviter de placer le poids des contestations judiciaires sur les personnes démunies. L’avantage d’une disposition de temporisation fait en sorte que, pendant cette période — personnellement, j’aurais suggéré une période de 12 mois, et pas nécessairement de 18 mois — avec laquelle je suis tout de même à l’aise, le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux, ainsi que les ordres professionnels seront en mesure d’établir les critères de la pratique, la façon de faire et la manière d’évaluer si l’on va autoriser l’aide médicale à mourir pour les personnes qui ont des troubles mentaux, pour en arriver à créer un certain consensus.
On a vu que nous avons progressé au Québec; évidemment, l’arrêt Truchon a retiré le concept de mort raisonnablement prévisible contenu dans la loi fédérale, mais il a aussi supprimé un critère équivalent de fin de vie dans la loi québécoise. Le Québec, au lieu de demander une suspension, a immédiatement travaillé avec l’Association des médecins psychiatres du Québec pour établir des critères et des façons d’examiner la question avec le Collège des médecins du Québec. On a déjà commencé à poser des balises en conséquence; j’ai vu un échange de lettres entre le ministre de la Santé, M. Dubé, et le ministre de la Justice, M. Jolin-Barrette, échange qui a été partagé avec leurs homologues au gouvernement fédéral et dans lequel ils ont proposé de contribuer à l’exercice et de partager le fruit de leurs recherches.
La période de 18 mois sera donc importante pour mettre en place les éléments requis en vue d’atteindre cet objectif, et cela ne se fera pas sur le dos des personnes démunies. Il y a aussi un autre avantage à cette période de 18 mois, car si on laisse les gens contester cette disposition, celle-ci sera, de toute façon, déclarée inconstitutionnelle, et la cour risque fort d’accorder un délai afin d’organiser les choses.
Cela ferait en sorte qu’une personne atteinte de maladie mentale ne pourrait donc pas, de toute façon, avoir accès rapidement à l’aide médicale à mourir. Je crois donc que la période de 18 mois permettra de trouver un équilibre entre les droits des personnes et la mise en place d’un système qui sera en mesure de protéger le public et de respecter les droits de chacun.
Je vais donc appuyer l’amendement du sénateur Kutcher et je le félicite de l’avoir proposé.
Je prendrai le ballon qu’a lancé le sénateur Carignan, parce que je partage tout à fait sa position.
Comme vous le savez tous maintenant, le projet de loi C-7 propose de refuser l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes vivant des souffrances intolérables et prolongées en raison d’une maladie mentale, et ce, même si leur problème de santé est grave et irrémédiable. Selon le gouvernement, cette exclusion automatique est nécessaire pour protéger les personnes qui souffrent d’une maladie mentale parce que l’évaluation de la capacité est plus difficile à effectuer dans les cas où il est question de maladie mentale et où le désir de mourir constitue un symptôme de la maladie. C’est le raisonnement du gouvernement.
Cette exclusion générale soulève de nombreux problèmes, comme l’excellent mémoire du sénateur Joyal le montre. J’ai eu l’honneur de le distribuer à vous tous dimanche passé.
Aux réunions du comité, nous avons entendu de nombreux experts qui ont expliqué comment les problèmes de santé mentale et physique s’entremêlent souvent, comment les troubles de l’esprit peuvent affecter le corps et vice-versa.
Nous avons aussi entendu des témoignages selon lesquels il est illogique d’exclure les Canadiens qui souffrent uniquement de maladie mentale tout en permettant l’accès à ceux qui ont des problèmes de santé mentale et physique. Dans ces cas, il faut aussi effectuer des évaluations de la capacité, et il semble que c’est possible sans grande difficulté en pratique.
En réalité, comme beaucoup de témoins l’ont dit, l’exclusion proposée renforce, perpétue et exacerbe les mythes et les préjugés entourant la maladie mentale, y compris la croyance selon laquelle les souffrances associées aux maladies mentales sont en quelque sorte moins légitimes que celles causées par les problèmes physiques et que les personnes atteintes d’une maladie mentale n’ont pas la capacité de prendre des décisions par rapport à leurs propres souffrances en toute autonomie.
Plus récemment, en Ontario, dans l’affaire Ontario (Procureur général) c. G, la Cour suprême a jugé que l’exclusion automatique de toutes les personnes souffrant de maladies mentales était discriminatoire, et elle a fourni ces explications :
Même si les traitements les plus odieux dont les personnes atteintes de troubles mentaux ont fait l’objet au début du 19e siècle sont chose du passé, certaines attitudes stigmatisantes subsistent encore à ce jour au sein de la société canadienne [...] Bien que des attitudes et des effets discriminatoires subsistent malheureusement à l’égard des personnes souffrant de troubles mentaux, ils ne doivent pas avoir force de loi.
La Cour suprême ajoute que pour être valide, l’exclusion doit inclure le processus qui prévoit des évaluations individuelles. En d’autres mots, une exclusion automatique généralisée ne convient pas. Il faut permettre des évaluations au cas par cas.
En comité, des experts ont affirmé que l’évaluation des demandes d’aide médicale à mourir des personnes atteintes de maladies mentales pouvait être réalisée au cas par cas sans problème, et qu’on avait d’ailleurs déjà procédé ainsi. Ainsi, l’exclusion générale déborde du cadre de ce qui est nécessaire pour protéger ceux qui souffrent de maladies mentales.
Je préférerais retirer complètement la disposition ayant trait à l’exclusion. Cependant, je comprends qu’il faut un certain temps à la profession médicale pour mettre en place des normes uniformes à travers le pays afin d’assurer le respect des exigences prévues au projet de loi C-7. Pour cette raison, j’appuie l’idée d’une disposition de temporarisation, comme le propose le sénateur Kutcher.
Je tiens à souligner que cette période de temporarisation ne vise pas à assurer que les psychiatres reçoivent une formation sur l’évaluation de l’aptitude à consentir ou sur la suicidalité. Comme l’Association des médecins psychiatres du Québec l’a fort bien dit, ils sont déjà des experts sur ces questions, qui font partie de leur formation fondamentale.
L’Association des médecins psychiatres du Québec, l’une des organisations les plus avancées sur la question au Canada, nous a indiqué que le système pourrait être opérationnel au Québec d’ici 12 mois. Je comprends cependant que ce n’est peut-être pas la situation à l’échelle du pays et que, par conséquent, une période de 18 mois semble raisonnable.
Il ne faut pas non plus écarter la possibilité que le gouvernement souhaite apporter un ajustement aux mesures de sauvegarde d’ici la fin de la période d’exclusion. Une telle intervention du gouvernement et du Parlement, surtout dans le contexte actuel, pourrait requérir davantage qu’un délai de 12 mois.
Pour conclure, je remercie le sénateur Kutcher d’avoir proposé cet amendement et j’invite tous les sénateurs à se joindre à moi pour l’appuyer. Je vous remercie.
Honorables sénateurs, j’interviens dans le débat pour appuyer l’amendement louable proposé par le sénateur Kutcher, qui prévoit une disposition de caducité dont on a bien besoin relativement à l’exclusion de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir pour les personnes souffrant d’une maladie mentale.
Avant de préciser davantage ma pensée, j’aimerais profiter de l’occasion pour remercier tous ceux qui ont travaillé d’arrache-pied pour veiller à ce que les témoignages et les mémoires soient bien reçus par le Comité des affaires juridiques. Je remercie tout particulièrement la présidente, la sénatrice Jaffer, et la vice-présidente, la sénatrice Batters. Il n’y a pas de mots pour exprimer à quel point ce fut une occasion incroyable et instructive, de même qu’un privilège, d’observer chaque jour les séances du comité en ligne.
Je veux aussi remercier les nombreux citoyens qui m’ont fait part avec passion, par courriel, de leurs inquiétudes à l’égard de l’ensemble des aspects du projet de loi C-7. Je salue également les membres d’organisation avec lesquels j’ai eu l’honneur de m’entretenir en ligne et qui ont continué à alimenter mes réflexions.
Cette exclusion s’ajoute à la liste des innombrables exemples où l’on ne prend pas au sérieux les Canadiens souffrant d’une maladie mentale, comme si leur souffrance était incomprise ou qu’elle n’existait pas en quelque sorte. Je crois que cette situation, qui dure depuis longtemps, s’explique par l’incapacité de comprendre leur situation et donc de faire preuve d’empathie. Nous pouvons saisir certaines conditions physiologiques visibles qui amèneraient une personne à envisager une aide à mourir. Même si cette option rend mal à l’aise bon nombre d’entre nous, nous sommes capables de nous mettre à la place de cette personne. Pour moi, le projet de loi repose sur l’idée qu’il faut pouvoir se mettre à la place de l’autre.
Cependant, il est difficile pour les gens de se mettre à la place d’une personne qui souffre de maladie mentale. À moins d’avoir souffert d’une telle maladie ou de connaître une personne qui en a souffert ou qui en souffre, il est difficile de comprendre ce que la personne malade vit. C’est pourquoi, pendant très longtemps, on disait à ceux qui souffraient d’une maladie mentale de se secouer, de se ressaisir, de se reprendre en main ou de se bouger. La société refusait d’admettre que ces personnes luttaient véritablement parce que nous n’étions pas capables d’appréhender ou de comprendre leurs problèmes. Il y a tant de personnes qui souffrent de maladies mentales et se battent toute la journée pour rester en vie, essayer de gérer leurs symptômes et développer des stratégies leur permettant de survivre à la journée. Comme beaucoup d’entre vous, je vois cela tous les jours.
Nous avons fait beaucoup de progrès dans notre manière d’aborder et de traiter la maladie mentale. C’est pourquoi le libellé de cette mesure législative est décourageant. Il laisse entendre que les souffrances de ces gens ne sont pas jugées dignes de bénéficier toutes les solutions offertes par notre système de santé. Ils ne peuvent pas faire les meilleurs choix et obtenir le meilleur soutien, notamment la possibilité de mettre fin à leur vie paisiblement et dignement en se prévalant de l’aide médicale à mourir.
Je crois que le sénateur Kutcher a trouvé un bon compromis en présentant cet amendement. La disposition de caducité permettrait d’atteindre un juste équilibre entre, d’une part, le respect des droits des Canadiens qui souffrent d’une maladie mentale chronique et non traitable et qui devraient, eux aussi, pouvoir se prévaloir de l’aide médicale à mourir et, d’autre part, la marge de manœuvre dont nous devons disposer afin d’établir les mesures de sauvegarde qui seront nécessaires lorsque ces Canadiens voudront effectivement se prévaloir de l’aide. Ces mesures doivent être élaborées avec la participation de ceux qui souffrent le plus. Cela nécessite du temps, de l’écoute, des compétences diverses et du respect. Il faut recueillir les données pertinentes et élaborer un programme de formation accessible.
En outre, cet amendement me rassurerait parce que, tandis que nous nous demandons comment protéger au mieux la partie de la population qui souffre d’une maladie mentale, je crains que nous passions rapidement à autre chose une fois le projet de loi adopté, si jamais il l’est. Grâce à la disposition de caducité, nous aurions le temps de réfléchir comme il faut pour déterminer la meilleure façon d’aider et de traiter ceux qui souffrent de ce genre de maladies.
Je rappelle aux sénateurs qu’au Canada, environ un quart des sans-abri souffrent de maladie mentale. Ce sont des personnes qui ont été abandonnées par la société et qui n’ont pas accès à des soins et à des traitements appropriés, ou pratiquement pas. Si nous voulons vraiment protéger cette partie de la population canadienne et veiller à ce que ces gens puissent demander l’aide médicale à mourir en derniers recours, assurons-nous qu’ils ont accès à d’autres options. Faisons en sorte que tout le monde ait accès au soutien et aux ressources dont on peut avoir besoin pour être en santé et vivre dans la dignité. Veillons à ce que l’aide médicale à mourir soit uniquement considérée lorsque toutes les autres options auront été épuisées sans qu’on parvienne à rendre supportables les souffrances du malade.
Pour terminer, chers collègues, je pense qu’il est important de se souvenir que l’aide médicale à mourir n’est pas un suicide. Il m’est arrivé deux fois de trouver une personne qui venait de se suicider. Cela n’a rien de paisible. Ce n’est pas un choix. Lorsque nous excluons les personnes atteintes de maladie mentale, nous ignorons leurs préoccupations tout à fait réelles et légitimes, ce qui, dans de rares cas, pourrait les amener à envisager le suicide.
Nous pouvons aider ces personnes grâce à l’amendement du sénateur Kutcher. Nous pouvons faire de notre mieux. Partout au pays, nous pouvons prendre le temps de nous acquitter de notre obligation de diligence, mais en fin de compte, lorsque la souffrance sera tout simplement insupportable et que des mesures de sauvegarde suffisantes seront appliquées, la décision de recourir à l’aide médicale à mourir appartiendra à la personne qui souffre. À mon avis, refuser ce droit à un malade est cruel, et je vous demanderais de voter pour l’amendement dont nous sommes saisis aujourd’hui. Merci, meegwetch.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour m’opposer à cet amendement visant à assortir l’exclusion concernant la maladie mentale prévue dans le projet de loi C-7 d’une disposition de caducité. L’expression « disposition de caducité » n’est qu’un euphémisme pour dire que l’on mettra un terme à la vie de personnes vulnérables. En réalité, après une courte période de 18 mois, la maladie mentale deviendrait un motif accepté pour être mis à mort. J’ignore comment je pourrais l’exprimer plus clairement.
Certains sénateurs considéreront peut-être cette proposition d’une disposition de caducité comme offrant un juste milieu, un compromis apparemment sans danger s’ils sont ambivalents en ce qui a trait à l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes d’une maladie mentale.
Honorables sénateurs, il n’y a pas de juste milieu. Une disposition de caducité signifie que l’exclusion concernant la maladie mentale serait automatiquement abolie à la conclusion du délai précisé si bien que, dans 18 mois, soit probablement avant même que nous procédions à l’examen parlementaire de la question promis par le gouvernement Trudeau depuis 2016, la maladie mentale pourrait dès lors être la seule condition médicale invoquée pour qu’une personne puisse obtenir un suicide assisté. Un délai de 18 mois, c’est probablement plus court que le temps qu’une personne atteinte d’une maladie mentale grave doit attendre avant de réussir à consulter un psychiatre.
Au Canada, l’un des critères fondamentaux pour être admissible au suicide assisté est que la condition ou la maladie invoquée doit être irrémédiable, c’est-à-dire incurable et irréversible. De nombreux spécialistes en médecine venus témoigner devant le Comité des affaires juridiques estiment que la maladie mentale ne satisfait pas à ce critère. Le Dr John Maher nous a dit :
Il est impossible de déterminer si une maladie psychiatrique bien précise est de nature irrémédiable; certains patients se rétablissent après 2 ans, d’autres après 15 ans. Il est arrivé plusieurs fois qu’un psychiatre m’envoie un patient et me dise que ce dernier ne pourrait jamais se rétablir. Toutefois, lorsque ces patients ont pu accéder à des soins intensifs, j’ai toujours constaté une amélioration de leurs symptômes et une diminution de leur souffrance. Lorsque des soins inadéquats sont prodigués à un patient, des maladies que l’ont peut traitées peuvent sembler incurables.
Le Dr Trevor Hurwitz a résumé ce phénomène en termes simples : « [...] une maladie mentale qui pousse un patient au suicide n’est pas incurable. »
Les tenants de cette approche affirment que ces quelques mois donneraient à la communauté médicale le temps de parvenir à un consensus sur l’irrémédiabilité et la prévisibilité des maladies mentales. C’est absurde. Le Conseil des académies canadiennes, qui regroupe les plus brillants spécialistes médicaux et juridiques, s’est réuni pendant 18 mois pour tenter d’arriver à un consensus sur la question de savoir s’il faut autoriser un patient à avoir recours à l’aide médicale à mourir si sa seule affection sous-jacente est un trouble mental. Tous ces experts n’ont pas pu s’entendre.
Deux des plus grandes organisations nationales de santé mentale au pays — l’Association canadienne pour la santé mentale et la Commission de la santé mentale du Canada — n’ont même pas encore énoncé leur position officielle sur l’exclusion de la santé mentale dans le projet de loi C-7. Des psychiatres experts ont témoigné que l’absence de consensus sur l’irrémédiabilité d’un trouble mental est due essentiellement à un manque de preuves.
Le Dr Mark Sinyor a dit :
[...] J’aimerais que ces données existent parce que nous pourrions ainsi avoir une conversation éclairée sur la façon d’aller de l’avant. Malheureusement, il s’agit d’un tout nouveau champ de recherche, et on vous a laissé entendre que les données qui en découlent sont déjà concluantes et bien comprises. Ce n’est pas le cas.
Nous pouvons tous avoir des opinions, mais, en tant que pays, il faut appuyer la science et non les discours, même si ces derniers sont habiles ou enflammés [...]
Le Dr Sonu Gaind, psychiatre expert, en convient, et il a carrément rejeté l’idée d’une disposition de caducité. Il a déclaré ceci :
Certains font valoir qu’il s’agit seulement d’une absence de consensus et proposent d’appliquer une disposition de temporarisation pour exclure les troubles mentaux, le temps d’élaborer des normes. Le problème, ce n’est pas l’absence de consensus; le problème, c’est plutôt le manque de données probantes pour prédire l’irrémédiabilité des troubles mentaux [...] [U]ne disposition de temporarisation reviendrait à mettre la charrue devant les bœufs sans même savoir si les bœufs sont là.
Quand j’ai questionné le Dr Harvey Schipper au sujet de la disposition de caducité, il a répondu sans détour :
Non, même à mon dernier jour sur terre, je ne pourrais pas ne fût-ce que commencer à appuyer cette idée [...] Franchement, une disposition de temporisation me semble relever de la malhonnêteté politique.
Certains partisans de la disposition de caducité l’utilisent comme moyen de contourner le débat sur l’irrémédiabilité. La Dre Karine Igartua, de l’Association des médecins-psychiatres du Québec, nous a dit ceci :
[...] Nous n’apprendrons rien d’important au sujet du pronostic ou du traitement des maladies mentales dans les prochaines années qui permettrait de changer cette situation délicate. Par conséquent, nous réclamons avec insistance que l’exclusion relative à la maladie mentale soit immédiatement retirée du projet de loi C-7. Sinon, nous demandons l’ajout d’une disposition de caducité pour que l’exclusion expire sans qu’une autre mesure législative soit nécessaire [...]
N’apprendrons-nous rien sur le pronostic ou le traitement des maladies mentales dans les prochaines années? Vraiment? Qui dit cela? Devrions-nous donc précipiter pour permettre le suicide assisté dans le cas de personnes atteintes d’une maladie mentale avant que ces questions ne soient réglées? C’est insensé et dangereux. L’idée d’une disposition de caducité semble pourtant tellement inoffensive.
Honorables sénateurs, ne soyez pas dupes. Pour certains Canadiens, une telle disposition signifie qu’on mettra fin à leur vie avant qu’ils n’aient accès aux traitements ou aux autres options qui pourraient très bien soulager leurs souffrances et leur permettre de vivre encore bien des années. Il est inadmissible de perdre même une seule vie inutilement. Croyez-en la parole de quelqu’un qui le sait très bien.
John Maher a donné des conseils au comité sur cette question. Voici ce qu’il a dit :
Avec la suppression de la disposition sur la « mort raisonnablement prévisible », l’emploi du critère « irrémédiable » est en fait modifié de « définitivement irrémédiable » à « possiblement irrémédiable ». « Possiblement », est-ce assez quand ce ne sont pas six mois que la personne risque de perdre, mais 60 ans? Voici la maxime morale à appliquer : En cas de doute, ne le faites pas.
Ce sont de sages conseils, honorables sénateurs : « En cas de doute, ne le faites pas. » Je vous demande, s’il vous plaît, de ne pas faire cela. Merci.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer l’amendement du sénateur Kutcher portant sur l’inadmissibilité des Canadiens qui demandent l’aide médicale à mourir et dont le seul problème médical est une maladie mentale.
Depuis l’automne dernier, j’avais préparé un discours sur l’interpellation no 10 concernant l’immigration et la prospérité du Canada. Je voulais que mon premier discours porte sur ce sujet, qui me tient vraiment à cœur, mais le projet de loi C-7 est trop important et je ne pouvais pas laisser passer cette occasion d’intervenir.
Après mûre réflexion, je suis arrivé à la conclusion qu’une personne dont le seul problème invoqué est un trouble mental devrait être admissible à l’aide médicale à mourir. Non seulement c’est juste, mais c’est aussi la bonne chose à faire.
Soyons clairs. Je crois à la vie, je crois au droit de vivre dans la dignité et je crois au droit de mourir dans la dignité. Je crois surtout que nous avons l’obligation de mieux soutenir les personnes atteintes d’une maladie mentale. L’aide médicale à mourir ne doit jamais affaiblir l’engagement de la société à prévenir le suicide et à améliorer l’accessibilité aux services de santé mentale.
En ce qui concerne l’aide médicale à mourir, l’Association des médecins psychiatres du Québec explique que « l’établissement d’un régime permettant l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué doit être accompagné d’un engagement à la fois de la société et du système de santé envers l’offre d’options thérapeutiques pour ces personnes. »
Bien entendu, l’aide médicale à mourir devrait servir de dernier recours, quand tous les autres traitements ont été envisagés et qu’ils n’ont pas réussi à réduire les souffrances à un degré qui permettrait au patient d’avoir une qualité de vie acceptable. Les personnes elles-mêmes sont les mieux placées pour savoir ce qui constitue pour elles une qualité de vie acceptable.
L’Ordre des psychologues du Québec en convient : « Le ressenti de la souffrance est ainsi propre à chaque personne. »
Compte tenu de l’exclusion de la maladie mentale que l’on retrouve au paragraphe (2.1) du projet de loi C-7, il est évident que le gouvernement n’est pas encore disposé à considérer la maladie mentale comme une maladie, une affection ou un handicap en fonction des critères de l’aide médicale à mourir. Je crois cependant que s’il est nécessaire, l’amendement du sénateur Kutcher, qui accorderait au gouvernement 18 mois pour examiner davantage la question et mettre en œuvre des mesures de sauvegarde additionnelles, s’avère un compromis adéquat.
Si l’aide médicale à mourir était éventuellement élargie pour inclure la maladie mentale comme seule condition évoquée, les mesures de sauvegarde actuelles devraient être revues et renforcées au besoin. L’Association des médecins-psychiatres du Québec a proposé de nouvelles mesures de sauvegarde, notamment que le médecin traitant ne participe pas à la prise de décision et qu’il y ait une durée minimale de traitement actif et d’expérience avec la pathologie.
Des professionnels de la santé collaborent déjà à la conception d’un programme multidisciplinaire de formation professionnelle sous l’autorité d’organismes d’accréditation, afin de créer des évaluations normalisées pour l’aide médicale à mourir incluant des composants pour les maladies mentales. La disposition de caducité de cet amendement nous donne le temps d’aboutir au meilleur programme qui soit.
Il ne faut pas oublier que les patients doivent continuer de répondre à d’autres critères d’admissibilité, notamment que la maladie doit leur causer des souffrances physiques ou psychologiques persistantes qui leur sont intolérables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions acceptables. Des mesures de sauvegarde assurent qu’il n’est pas facile d’être admissible à l’aide médicale à mourir et que des examens complets comportant des critères d’admissibilité stricts seront toujours effectués.
L’aide médicale à mourir n’est pas destinée aux personnes en crise. Comme de nombreux praticiens nous l’ont rappelé, le programme est destiné aux personnes qui tentent de se rétablir depuis des années, voire des décennies. Cette solution s’adresse aux personnes qui ont essayé divers programmes, thérapies ou prescriptions.
Voici ce que l’Ordre des psychologues du Québec a écrit en décembre dernier :
Tout comme les personnes ayant des incapacités physiques, les personnes souffrant d’une maladie mentale peuvent éprouver des souffrances persistantes et intolérables. Une demande visant à les soulager de leur souffrance psychologique est donc tout aussi légitime [...]
L’Ordre des psychologues du Québec poursuit :
Le fait d’interdire l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’une maladie mentale comme seule condition médicale invoquée constituerait une violation de leurs droits, un manque de respect de leur dignité et une violation du principe d’équité [...]
L’Association du Barreau canadien partage le même avis et soutient que l’exemption visant les personnes atteintes de maladie mentale prévue dans le projet de loi C-7 porte atteinte à l’égalité des droits. L’association fait également valoir que la disposition fera probablement l’objet d’une contestation en vertu de la Constitution.
Au-delà de ces enjeux, j’ai aussi l’impression que le gouvernement réserve un traitement discriminatoire aux personnes souffrant de troubles mentaux en les excluant dans le projet de loi C-7. Cela perpétue les préjugés associés aux maladies mentales.
L’évaluation des demandes d’aide médicale à mourir ne peut jamais être parfaite, car la souffrance d’une personne n’est jamais parfaitement mesurable. La confiance doit donc être le fil conducteur de tout ce processus. Je dis souvent que la confiance est le ciment d’une relation. Or, la démocratie est d’abord une question de confiance.
La société que nous formons fait confiance aux professionnels de la santé pour toutes sortes d’autres questions de vie ou de mort, et personne ne doute que les conseils qu’ils prodiguent à leurs patients sont étayés et exacts. Pourquoi en irait-il autrement dans le cas de l’aide médicale à mourir?
Quand il est passé devant le Comité des affaires juridiques, le Dr Gus Grant, du Collège des médecins et des chirurgiens de la Nouvelle-Écosse, nous a rappelé que, selon le Code d’éthique et de professionnalisme de l’Association médicale canadienne — et je terminerai là-dessus, honorables sénateurs —, les professionnels de la santé doivent « toujours agir dans l’intérêt des patients et promouvoir le bien-être de ces derniers ».
Le même code précise que les médecins doivent :
Toujours traiter les patients avec dignité et respecter la valeur égale et intrinsèque de chaque personne.
Toujours respecter l’autonomie des patients.
Ne jamais exploiter les patients à des fins personnelles.
Je fais entièrement et totalement confiance aux hommes et aux femmes qui ont fait ce serment, et c’est pourquoi j’appuie l’amendement du sénateur Kutcher. Selon moi, les personnes souffrant d’une maladie mentale devraient pouvoir demander l’aide d’un médecin pour mourir. J’estime que cet amendement constitue un premier pas vers cet objectif. Les patients aux prises avec des problèmes de santé mentale qui respectent tous les autres critères devraient eux aussi avoir le droit d’alléger leurs souffrances.
Je vous remercie. Meegwetch.
Honorables sénateurs, je prends la parole pour participer au débat sur le projet de loi C-7 et appuyer l’amendement proposé par notre collègue, le sénateur Kutcher.
D’abord, je dois dire que chaque discours que j’ai entendu au sujet de ce projet de loi était excellent et sincère. J’admire le courage dont font preuve les sénateurs quand ils expriment leurs opinions. C’est une question qui me touche profondément et je sais que c’est le cas pour beaucoup d’entre vous et de Canadiens.
D’une manière ou d’une autre, nous devrons tous prendre conscience du caractère inéluctable de notre propre mort. De nombreuses personnes seront confrontées à cette fatalité pour leurs êtres chers en prenant des décisions sur la fin de leur vie ou en y participant. Même si les décisions et les intentions sont formulées longtemps d’avance, il est toujours difficile d’arriver à cette étape. Ce qui est encore plus difficile, c’est le fait que « fin de vie » ne veut pas nécessairement dire « vieux ».
Je suis le fils de deux parents âgés de 93 ans. Je suis aussi le père d’un fils de 32 ans qui est autiste et non verbal. Mon expérience personnelle — et remplie de défis — avec la maladie mentale et mon engagement dans des causes liées à la maladie mentale m’amènent à appuyer l’amendement proposé par le sénateur Kutcher pour que la disposition d’exclusion du projet de loi C-7 soit abrogée 18 mois après la sanction royale.
La disposition excluant les maladies mentales comme raison acceptable pour demander l’aide médicale à mourir est l’une des questions les plus contentieuses et chargées d’émotions de nos débats depuis la présentation du projet de loi C-7 à l’autre endroit, l’année dernière. Les personnes atteintes de maladies mentales méritent d’être traitées de la même manière que toute autre personne devant la loi. Cela ne relève pas uniquement d’un idéal humaniste, chers collègues. En réalité, c’est la loi. En effet, l’article 15.(1) de la Charte canadienne des droits et libertés stipule que :
« La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination […] »
Nul besoin d’être un expert de la Charte — et il y en a plusieurs en cette enceinte — pour constater que l’exclusion des maladies mentales dans le projet de loi C-7 pose un sérieux problème. Cependant, à cette exception près, j’appuie le projet de loi, même s’il n’est pas parfait. Aucun projet de loi n’a jamais été ou ne sera jamais parfait, mais il contribuera à soulager la détresse profonde ressentie par les Canadiens et leurs êtres chers qui souffrent tellement qu’ils estiment que l’aide médicale à mourir est leur seule option. C’est pourquoi j’appuie l’amendement proposé par le sénateur Kutcher, qui me semble être un compromis raisonnable.
Si cet amendement est adopté, la disposition d’exclusion relative aux maladies mentales sera abrogée 18 mois après que le projet de loi C-7 eut reçu la sanction royale. Cet amendement vise à indiquer clairement que les Canadiens atteints de maladies mentales doivent être traités également devant la loi, comme le dicte la Charte, et que le fait de souffrir d’une maladie mentale ne signifie pas forcément qu’une personne n’a pas la capacité de donner son consentement libre et éclairé et de comprendre les conséquences irréversibles de l’aide médicale à mourir. L’amendement assurerait le respect des droits à l’autonomie et à l’autodétermination de tous les Canadiens et veillerait à ce que ces derniers aient tous un accès égal à l’aide médicale à mourir, en supposant qu’ils aient fait l’objet d’une évaluation en bonne et due forme pour déterminer leur capacité de donner leur consentement.
Durant la période de 18 mois entre la sanction royale et l’abrogation de la disposition d’exclusion, les experts médicaux, y compris les organisations professionnelles nationales de médecins et de personnel infirmier, seraient appelés à mettre au point des cours et de la formation de grande qualité sur l’évaluation de la capacité et l’administration de l’aide médicale à mourir. En fait, comme l’a mentionné le sénateur Kutcher dans son intervention, la création de ce programme est déjà en cours et recevra l’accréditation du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada et du Collège des médecins de famille du Canada. Cet élément de l’amendement a un impact majeur : tous les Canadiens, peu importe leur territoire ou leur province, auront un accès égal à de l’aide médicale à mourir répondant aux mêmes normes élevées, qu’il s’agisse de l’évaluation ou de l’administration.
Le projet de loi C-7 modifie le Code criminel, ce qui n’est pas une avenue qui s’impose d’emblée pour légiférer dans le domaine des soins de santé. Ainsi, la période de 18 mois donnera le temps aux autorités de la santé, y compris les évaluateurs et les administrateurs du régime d’aide médicale à mourir dans toutes les provinces et territoires au pays — incluant, et c’est capital, les communautés autochtones — d’adapter les futures normes nationales à leur propre réalité régionale tout en maintenant le niveau élevé de soins et d’accès pour tous les Canadiens. C’est important, non seulement pour l’égalité, mais aussi la protection des patients et des professionnels de la santé. Bien qu’il ne soit pas idéal de maintenir l’exclusion pour l’instant, je crois fermement qu’il s’agit d’un compromis juste et raisonnable en réponse à un problème difficile.
Trop de Canadiens endurent des douleurs et des souffrances horribles sans avoir un accès adéquat à l’aide médicale à mourir. Ils méritent d’être en mesure de choisir comment et quand mettre fin à leurs jours et de le faire avec la dignité inhérente à tous les êtres humains. Le projet de loi C-7 devrait être adopté, chers collègues, mais il pourrait être grandement amélioré par l’adoption de l’amendement proposé par le sénateur Kutcher. Je vous presse, honorables sénateurs, de voter en faveur de cet amendement et en faveur du projet de loi C-7. Merci.
Honorables sénateurs, comme la plupart d’entre vous, je prends la parole aujourd’hui en portant un masque par souci de protéger le personnel et mes collègues dans cette Chambre et de suivre les mêmes mesures de sécurité que nous demandons aux Canadiens de respecter.
Depuis ma nomination, survenue peu après l’entrée en vigueur des dispositions du projet de loi C-14, mon bureau a reçu un trop grand nombre de lettres et d’appels téléphoniques de la part de détenus qui me demandent d’intervenir pour les aider à recevoir l’aide médicale à mourir. Certains d’entre eux ont une maladie en phase terminale ou sont aux prises avec des souffrances intolérables, et ils n’ont pas pu se prévaloir des procédures qui leur permettraient de bénéficier d’un transfert vers un hôpital ou un centre de soins palliatifs, ou encore d’une libération pour des raisons de compassion. Ces procédures sont prévues dans la loi, mais le processus décisionnel adopté par les autorités correctionnelles les rend pratiquement inaccessibles. Nombre de ces personnes seraient visées par cette modification. Elles ne sont pas mourantes, mais elles sont aux prises avec des souffrances intolérables en raison des problèmes de santé mentale créés ou exacerbés par leurs conditions de confinement. Nombre d’entre nous ont observé directement les conditions punitives et restrictives qui sont imposées aux détenus en isolement et dans lesquelles, trop souvent, les détenus atteints de troubles mentaux dépérissent.
Même si le projet de loi C-83 devait mettre fin à l’isolement en cellule, nous avons constaté que de telles pratiques, si elles portent maintenant d’autres noms, perdurent encore aujourd’hui, tout comme les dommages irréversibles à la santé physique, psychologique et neurologique qui y sont associés. Avec l’arrivée de la COVID-19, des prisons entières ont été soumises à des conditions revenant à l’isolement pour des semaines et des mois, depuis presque une année complète.
Lors de son témoignage devant le Comité des affaires juridiques, l’enquêteur correctionnel a affirmé qu’il est actuellement plus facile d’obtenir l’aide médicale à mourir que toute autre mesure, en particulier la libération pour des raisons de compassion liées à la santé. Il a souligné des cas de détenus qui ont demandé l’aide médicale à mourir parce qu’aucun autre choix ne s’offrait à eux. De plus, il n’est pas obligatoire de faire rapport des cas qui ont eu recours à cette procédure ni de passer en revue les décisions. Par conséquent, en plus de demander un moratoire sur l’aide médicale à mourir en milieu carcéral, il a recommandé de tenir compte de ces réalités alors que nous envisageons de permettre l’accès à cette procédure en l’absence de maladie physique.
Pour les femmes et les hommes soumis à des conditions qui, selon le droit international, équivalent à de la torture, des gens incapables de voir leur famille et leurs proches, comment peut-on affirmer que l’aide médicale à mourir qu’on leur offre alors qu’ils ne sont pas en fin de vie est un choix, surtout lorsque l’alternative consiste à vivre dans des conditions de confinement cruelles où les soins de santé généraux et de santé mentale sont absolument inadéquats? Qu’en est-il de ceux dans la communauté qui éprouvent des souffrances psychologiques et qui n’ont pas les moyens de s’offrir des soins de santé mentale, des médicaments et d’autres nécessités de la vie essentielles à leur bien-être mental et physique, comme un logement adéquat et sûr? Ou encore ceux qui, en l’absence de telles mesures de soutien, se retrouvent trop souvent dans la rue ou encore en prison, parce que c’est le seul établissement qui ne peut les refuser après une crise en raison de leur santé mentale? Autrement dit, je parle des personnes pour qui cet amendement précipitera l’offre de mourir, malgré le fait que le Canada n’a jamais réellement investi de manière équitable dans leur vie.
Le fait d’insister pour dire que l’aide médicale à mourir offerte lorsqu’une personne n’est pas en fin de vie relève d’une décision personnelle masque la dure réalité : ce n’est réellement un choix que pour les personnes qui ont le privilège d’avoir accès à d’autres sources de soins. C’est aussi oublier l’absence d’accès à la gamme complète d’options, une absence qui caractérise de façon disproportionnée la vie, et peut-être maintenant la mort, des personnes qui ont été marginalisées en raison de la pauvreté, du sexisme, du racisme et de la discrimination fondée sur la capacité physique qui ont été érigés en système. Je peine à comprendre comment nous pouvons justifier la priorité accordée à l’élargissement des droits des privilégiés sans réclamer avec la même insistance la mise en place de mesures de soutien sur le plan de la santé, de la santé mentale, des besoins sociaux, du logement et de l’économie qui sont nécessaires pour que chacun d’entre nous ait réellement la possibilité de faire des choix. Voilà mon dilemme, honorables collègues.
Meegwetch. Merci.
Honorables sénateurs, je suis heureuse d’avoir l’occasion de parler de cet amendement. Je tiens à préciser clairement que je l’appuie sans réserve. Je remercie le sénateur Kutcher du travail qu’il a effectué, conjointement avec d’autres honorables sénateurs qui ont travaillé sur ce dossier. Je veux remercier les honorables sénateurs d’autres groupes auxquels je me suis adressée pour discuter de cet enjeu et savoir ce qu’ils en pensent. Cela m’a beaucoup aidée à faire ma propre réflexion.
Premièrement, je suis tout à fait d’accord que nous devons prendre au sérieux notre responsabilité d’évaluer la constitutionnalité et la conformité à la Charte de l’exclusion de la maladie mentale. En m’appuyant sur les débats antérieurs aux projets de loi C-14 et C-7 ainsi que sur les décisions et les directives prises par les tribunaux au fil des ans, je suis à peu près certaine que cette exclusion sera contestée avec succès devant les tribunaux.
Par ailleurs, j’ai été déçue par le débat et la discussion que j’ai entendus, surtout de la part de psychiatres. Je ne m’attarderai pas là-dessus. Je pense que la sénatrice Batters a longuement abordé le sujet dans son intervention.
Il me semble que l’application d’une disposition de caducité ne constitue pas uniquement un compromis. À mon avis, c’est une nécessité puisqu’il y a de fortes chances que la disposition d’exclusion soit jugée inconstitutionnelle. Je pense qu’il est important de contester cette disposition et de prévoir le temps, le soutien et les ressources nécessaires à l’élaboration et à l’établissement de lignes directrices adéquates. Je tiens à rappeler aux sénateurs que lorsqu’une personne présente une demande d’aide médicale à mourir, elle ne reçoit pas le service du jour au lendemain. Sa demande doit d’abord être soumise à un processus d’évaluation. Tous les efforts sont déployés pour veiller à ce que les mesures de sauvegarde soient respectées.
À l’instar du sénateur Loffreda, je crois très fermement dans l’éthique professionnelle de praticiens de la santé provenant d’un large éventail de disciplines qui unissent leur savoir-faire pour soutenir ce processus.
Ce qui me choque particulièrement — peut-être parce que je l’ignorais —, c’est qu’il n’existe pas de normes nationales quant à l’examen des demandes d’aide médicale à mourir et à l’application des lignes directrices et des mesures de sauvegarde. Je suis très consciente de la responsabilité des provinces en ce qui concerne la prestation des soins de santé, mais je pense qu’une question de la sorte — qui, après tout, porte sur un amendement au Code criminel et n’est pas simplement une politique générale en matière de soins de santé — justifie l’élaboration de normes nationales. Je trouve très encourageant de constater qu’il y a un mouvement en faveur de l’élaboration de normes d’accréditation et que des programmes de développement professionnel sont en cours d’élaboration en ce moment. Selon moi, les 18 mois dont il est question sont essentiels pour que le travail consistant à établir des normes pour l’examen et l’approbation des demandes d’aide médicale à mourir continue de progresser et de se consolider.
C’est pourquoi j’appuie sans réserve la disposition de caducité proposée.
J’espère qu’au fur et à mesure de nos travaux, nous travaillerons fort pour cerner les problèmes sur lesquels nous devrons nous pencher au cours des examens qui, je le regrette — comme nous tous —, n’ont pas eu lieu comme prévu et comme l’avions souhaité nombre d’entre nous qui avions des inquiétudes quant au projet de loi C-14 et à sa constitutionnalité.
Je n’en dirai pas plus. Je tiens simplement à remercier les gens pour leur formidable contribution au débat et pour le travail qui a été accompli. Quelle que soit notre opinion sur un quelconque amendement ou le projet de loi lui-même, nous avons tous travaillé très fort pour mieux comprendre certains de ces problèmes. Je suis convaincue qu’au bout du compte, nous choisirons, avec sagesse, la meilleure approche qui soit en ce moment, pour tous les Canadiens.
Honorables sénateurs, j’appuie l’amendement proposé par le sénateur Kutcher. Il reconnaît le caractère constitutionnel de l’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes souffrant de maladie mentale et donne aux psychiatres suffisamment de temps pour terminer leurs recherches en cours sur le plan de la compétence des patients, de l’approche normalisée en matière d’évaluation et du développement de formations normalisées pour les professionnels participant au processus d’aide médicale à mourir.
L’amendement du sénateur Kutcher mérite qu’on l’appuie parce qu’il est en conformité avec d’importantes décisions de justice et le principe d’égalité énoncé dans la Charte canadienne des droits et libertés. En outre, le délai de 18 mois qui est proposé illustre bien la complexité des évaluations et de la prise de décision dans ce domaine. L’amendement prend aussi en compte le fait que, bien qu’il ouvre la porte à l’aide médicale à mourir aux personnes en état de prendre ces décisions importantes, il pourrait potentiellement happer au passage des personnes vulnérables. En d’autres termes, l’accès doit être assorti de mesures de sauvegarde.
Chers collègues, bon nombre de ces mesures de sauvegarde existent déjà. Elles sont intégrées dans l’éthique, la formation professionnelle, les normes professionnelles, les codes de déontologie et les protocoles et procédures bien établis qui régissent la profession médicale, notamment, sans doute, dans les centres de soins palliatifs, qui, de par leur nature, sont évidemment des centres de soins de fin de vie. Cela dit, un travail supplémentaire s’impose. En étendant le régime d’aide médicale à mourir au domaine de la maladie mentale, nous serions loin de partir de zéro et loin de nous engager sur une pente savonneuse. La profession psychiatrique, y compris les spécialistes de l’éthique médicale, élabore des protocoles relatifs à l’aide médicale à mourir depuis 2015. Ces protocoles sont déjà rigoureux, mais nécessiteront un peaufinage et une collaboration entre les experts de la médecine de partout au pays en vue d’élaborer des normes nationales de détermination de la compétence et d’évaluation des demandes provenant de patients atteints d’une maladie mentale grave. On nous dit que ce processus pourrait être achevé en moins d’un an. Ainsi, un délai de préparation de 18 mois devrait suffire à cette fin.
Comme dans le cas de l’évaluation des problèmes de santé physique majeurs, l’évaluation des troubles mentaux nécessiterait que l’on évalue la possibilité que les symptômes très graves puissent être atténués relativement à la probabilité que les souffrances persistent ou s’intensifient. Ces évaluations seraient beaucoup plus rigoureuses qu’un simple examen du risque de suicide. En fait, on nous dit que la présence de pensées suicidaires soulèverait probablement des questions quant à la capacité du patient de prendre une décision éclairée à l’égard de l’aide médicale à mourir.
Il est difficile pour beaucoup d’entre nous d’imaginer le degré de souffrance dont il est question ici ou la complexité et les nuances des processus d’évaluation. Ainsi, sur l’invitation du sénateur Kutcher, deux psychiatres hautement qualifiés ayant fait des travaux dans le domaine de l’éthique médicale ont donné quelques exemples instructifs du genre de patients qui satisferaient probablement aux critères vraisemblablement très stricts d’admissibilité à l’aide médicale à mourir.
Mona Gupta est psychiatre et chercheuse en philosophie et en éthique à l’Université de Montréal. Elle est également chercheuse principale dans le cadre d’un projet de recherche financé par les Instituts de recherche en santé du Canada qui se penche sur les processus d’évaluation clinique des demandes d’aide médicale à mourir. La Dre Justine Dembo est psychiatre au Sunnybrook Health Sciences Centre. Elle est évaluatrice de l’aide médicale à mourir depuis l’arrêt Carter, rendu en 2015, et étudie l’interaction entre l’aide médicale à mourir et les troubles mentaux depuis 2009.
Ces deux médecins décrivent leur travail et leur expérience pour ce qui est de l’évaluation des demandeurs d’aide médicale à mourir. Chaque médecin a présenté le cas d’un de ses patients. Bien qu’ayant un vécu très différent, les deux patients ont souffert toute leur vie d’une maladie psychiatrique faisant suite à des expériences traumatisantes remontant à l’enfance. On parle ici d’une souffrance insoutenable et irrémédiable qui dure depuis des décennies et qui s’est aggravée au troisième âge. Tous deux ont connu de nombreuses et longues périodes d’hospitalisation — 40 hospitalisations dans un cas. Un patient a fait plusieurs tentatives de suicide, mais aucune depuis les 10 dernières années. Les deux patients ont accepté un large éventail de thérapies, y compris plusieurs classes de médicaments, un traitement convulsivant à l’électrochoc et diverses formes de thérapie comportementale, mais aucune n’a réussi à atténuer les souffrances graves et à long terme. Les deux patients sont désormais incapables de travailler ou de pratiquer des activités qu’ils trouveraient autrement utiles. Ils sont tous les deux confinés chez eux et considérés comme étant dans un état de souffrance, de douleur et de détresse constantes et insoutenables, qui ne peut être amélioré par aucune thérapie connue.
Chers collègues, les caractéristiques communes à ces patients sont susceptibles d’ouvrir droit à l’aide médicale à mourir. Si ces deux personnes n’y sont pas admissibles, il est difficile de savoir qui pourrait l’être. Il convient également de noter la longueur et la rigueur du processus d’évaluation mis en cause ici, qui...
Sénateur Dean, je dois vous interrompre. Les six minutes dont vous disposiez sont écoulées.
J’appuie l’amendement. Merci.
Honorables sénateurs, je remercie les sénateurs qui participent à ce débat profondément humain. À titre de membre du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, j’ai eu l’occasion d’écouter attentivement des dizaines de témoignages et de consulter attentivement les mémoires présentés.
Je n’interviens jamais à la légère sur des enjeux d’une telle importance, surtout lorsque le sujet dépasse largement mon champ de compétences, ce qui est vrai concernant les questions de soins de santé soulevées par ce projet de loi et cet amendement. Mais comme l’ont déclaré de nombreux sénateurs, le flou, et en particulier l’exclusion de l’accès à l’aide médicale à mourir lorsque la maladie mentale est la seule condition sous-jacente d’un patient, est — à mon avis —, probablement inconstitutionnel.
Ainsi, cette disposition me place devant un terrible dilemme, à l’instar, je crois, d’autres sénateurs aux vues similaires. Toutefois, l’amendement du sénateur Kutcher comble cette lacune. Il comble cette lacune de façon à — je me permettrai de reprendre une métaphore que j’ai employée dans les observations que j’ai présentées en décembre dernier — bâtir un pont pour franchir des eaux agitées pour les Canadiens qui souffrent gravement à cause d’une maladie mentale. En ce sens, je crois que l’amendement répond à mes préoccupations, tant en matière de droit constitutionnel que de droits de la personne. Il aboutit à un régime qui, grâce à la disposition de caducité — ou ce que je préférerais appeler disposition d’entrée en vigueur différée —, respecte les malades qui souffrent d’atroces souffrances en leur donnant la possibilité d’envisager la mort dans la dignité et permet aux professionnels de la santé de planifier les processus décisionnels et la formation appropriés au service des Canadiens.
En revanche, comme beaucoup d’entre vous le savent, si la maladie mentale demeure hors du champ d’application de l’aide médicale à mourir, j’envisage de présenter un amendement qui vise à demander à ce que la question de l’exclusion de la maladie mentale comme seule condition médicale invoquée soit tranchée par la Cour suprême du Canada. J’ajouterai ceci : il s’agit d’une approche moins convenable pour de nombreuses raisons. La transition vers l’aide médicale à mourir envisagée grâce à l’amendement du sénateur Kutcher constitue une approche beaucoup plus convenable.
À cet égard, bien que je ne sois pas d’accord avec tout ce qu’a dit le sénateur Woo hier, je suis d’accord avec lui pour dire que, s’il existe des mécanismes qui nous permettent de prendre les bonnes décisions, nous devrions les utiliser. Il est donc de loin préférable que nous prenions les bonnes décisions, ce que l’amendement du sénateur Kutcher ferait, je pense, un peu comme ce que le Sénat a essayé de faire sans succès en 2016 avec un amendement concernant la mort qui n’est pas raisonnablement prévisible. Je vais appuyer l’amendement et j’espère que vous le ferez aussi. Je vous remercie beaucoup.
Honorables sénateurs, nous avons passé 45 minutes plus tôt aujourd’hui à saluer la première facilitatrice du Groupe des sénateurs indépendants, qui a été décrite comme un esprit indépendant et une non-conformiste. Je lui rends maintenant peut-être le meilleur hommage en offrant un point de vue indépendant et, peut-être, non conformiste.
Je voudrais commencer par dire qu’il serait injuste de présumer que l’un d’entre nous, quel que soit son camp, manque d’empathie pour les personnes souffrant de maladies mentales, cherche à les dénigrer ou ne veut pas essayer de comprendre ce qu’elles vivent. Le sénateur Boehm et d’autres ont décrit des expériences personnelles que nous avons tous vécues. Partons du principe que la question nous tient à cœur et que nous la comprenons très bien, quelle que soit la manière dont nous voterons sur l’amendement et sur le projet de loi en général.
Je remercie le sénateur Kutcher de l’amendement qu’il a proposé, car il s’agit en fait d’un compromis qui se veut une solution pratique à une situation très difficile.
Chers collègues, il y a deux raisons d’appuyer l’amendement. Chacune le justifie à elle seule. La première raison est si vous croyez fermement que l’exclusion des troubles mentaux est inconstitutionnelle. La deuxième raison est si vous croyez, avec beaucoup de certitude, que la profession médicale dispose déjà des outils et des connaissances nécessaires pour effectuer une évaluation des capacités. Si vous êtes fermement convaincu de l’une ou l’autre de ces raisons, voire des deux, non seulement vous pouvez appuyer l’amendement, mais vous devriez aussi appuyer l’élimination complète de l’exclusion. C’est ce que nous ont dit le sénateur Carignan et, dans une certaine mesure, le sénateur Dalphond.
Si vous êtes plus ou moins convaincu de la deuxième raison, à savoir que les professionnels de la santé ont des compétences bien établies pour effectuer l’évaluation et ainsi de suite, vous ouvrez alors la porte à l’idée d’une période de mise en œuvre graduelle, ce qui correspond précisément ce que nous propose le sénateur Kutcher.
Cependant, vous devez vous demander ce que vise la période de mise en œuvre graduelle. Si vous pensez déjà que les professionnels de la santé possèdent les compétences nécessaires et qu’il s’agit simplement, par exemple, de former plus de gens, pourquoi n’excluriez-vous pas les troubles mentaux dès maintenant? Les compétences sont établies. Pourquoi causerions-nous plus de souffrances — pour reprendre les paroles de certains sénateurs — en retardant les choses davantage?
Si, d’autre part, vous estimez que la profession médicale n’est pas encore tout à fait en mesure d’évaluer la capacité; qu’il existe toujours — je ne connais pas les divers termes — des normes ou des protocoles ou des mesures rigoureuses; que le fonctionnement de cette période d’attente, de cette période de caducité, n’est pas totalement clair; si vous pensez qu’il reste du travail à faire, vous devez donc vous poser les questions suivantes : Combien de travail reste-t-il à faire? Est-ce que la période de 18 mois sera suffisante?
Nous avons entendu le terme « disposition de caducité » ou « disposition d’entrée en vigueur différée » et une variété d’autres désignations. Tout cela me fait penser au décollage d’un avion. Avec ses connaissances et son expertise, le sénateur Kutcher — pour qui j’ai une grande admiration — propose que la piste de décollage soit de 18 longs mois. Qu’arrivera-t-il si l’avion n’est pas prêt à décoller dans 18 mois? Qu’arrivera-t-il si le problème n’est pas de former un plus grand nombre de personnes ou d’harmoniser les normes, mais plutôt de régler les difficultés ou de relever les défis qui font que le monde médical n’arrive pas à déterminer comment évaluer la capacité?
Le sénateur Kutcher n’est pas du même avis. Je précise simplement la façon dont nous devons aborder cet amendement et la façon dont nous voterons. Si vous êtes déjà persuadés qu’il est inconstitutionnel, si vous êtes persuadés que la profession possède les outils, les capacités et les compétences nécessaires pour évaluer la santé mentale comme seule condition médicale invoquée, alors rien ne nous empêche de l’éliminer complètement. Si, comme moi, vous doutez qu’il y ait plus de travail à faire, alors la piste n’est peut-être pas assez longue et nous devrions peut-être maintenir l’exclusion pour le moment. Merci, chers collègues.
Honorables sénateurs, je voulais seulement poser une question au sénateur Kutcher plutôt que de prendre la parole pour participer au débat, car je ne m’étais pas bien préparée pour le faire. C’est peut-être un petit hommage à notre ancienne collègue la regrettée sénatrice Elaine McCoy. Elle était très habile dans ses discours. En fonction de ce que j’ai entendu, je me sens obligée de me faire la voix de quelqu’un avec qui j’ai parlé la semaine dernière et de simplement rendre publique cette discussion.
Tout d’abord, je tiens a remercier tous les sénateurs des discours qu’ils ont préparés et livrés jusqu’à maintenant, et à remercier le sénateur Kutcher du travail qu’il a accompli. Je sais qu’il a consacré sa vie à sa profession et qu’il est très compétent.
Je tiens à mettre le Sénat en garde au sujet de ce que propose l’amendement. La question nous entraîne dans un tout autre débat. J’ai l’impression que nous ne traitons pas du projet de loi C-7 dans sa version dont nous étions saisis, car il est soudainement question d’élargir davantage l’aide médicale à mourir. Je ne dis pas que les Canadiens dont la maladie mentale est la seule raison invoquée n’ont pas de droits. J’ai écouté le débat et j’entends tout ce qui s’est dit. Je voulais faire part de mes préoccupations et expliquer pourquoi nous devrions prendre notre temps et peut-être ne pas en arriver là maintenant, mais peut-être un peu plus tard. Je ne sais pas combien de temps encore les partisans de l’amendement sont prêts à patienter, mais voilà, ce sont les observations que je voulais faire.
En ce qui concerne ce que le sénateur Kutcher a dit, à savoir que tout sera organisé, le calendrier ne me semble pas très opportun. En cette période de COVID-19, et compte tenu de l’étendue de notre pays, du fossé entre les secteurs urbains et ruraux, des préoccupations exprimées par les témoins et des réserves de certains professionnels de la santé quant à l’inclusion, dans le régime, des personnes souffrant de maladie mentale, je pense que cette période d’ajustement de 18 mois n’est toujours pas assez longue. En tout cas, un an serait loin d’être suffisant. Nous n’avons même pas encore fait l’examen qui devait avoir lieu après cinq ans. J’aurais d’ailleurs aimé que nous commencions par là avant de nous demander quelles mesures de sauvegarde nous devons supprimer et lesquelles nous devons ajouter.
De nombreux sénateurs se sont dits d’avis que nous devrions adopter cette motion, car nous aurions alors 18 mois pour nous pencher sur la réglementation et les mesures de sauvegarde. Or, il est aussi question d’en éliminer dès maintenant, alors je me demande parfois si nous ne sommes pas en train d’ouvrir la porte à de plus grands dangers sans nous y être préparés adéquatement.
J’essaie encore de m’y retrouver dans ce premier amendement et dans toutes les interventions que nous avons entendues.
J’ai parlé à Gabrielle Peters, de Dignity Denied. Mme Peters est à la fois handicapée et pauvre. Son témoignage, qui a été présenté par le truchement de Spring Hawes, elle aussi de Dignity Denied, était particulièrement marquant. Je leur ai parlé au téléphone et je reviendrai sur ce qu’elle m’a dit plus tard, dans un autre débat, car je tiens à faire entendre sa voix et celle de tous les Canadiens qui s’interrogent sur ce qui se passe ici, notamment dans le dossier du projet de loi C-7.
La sénatrice Lankin a mentionné la formation et les normes nationales, tout comme l’a fait le sénateur Kutcher. À mon avis, chaque fois qu’on parle d’une mesure « nationale » au Canada, le défi est de vraiment l’appliquer à l’échelle du pays comme il se doit. Pour ce qui est de l’adaptation aux normes autochtones, je ne vois pas trop, alors que de telles normes n’existent pas encore, comment nous pourrions procéder. Des témoins ont fait valoir que les communautés autochtones n’ont pas été suffisamment consultées. La majorité des Canadiens vivant avec un handicap nous ont fait part de leurs préoccupations. Des médecins ont parlé de leur liberté de conscience.
Ainsi, alors que nous n’avons toujours pas accès à un examen quinquennal pour pleinement évaluer la situation et préparer les types d’amendements que nous proposons, on nous demande d’examiner maintenant cet amendement, ce qui est très alarmant. D’un point de vue personnel, des membres de ma famille, avec qui j’entretiens des liens très étroits, vivent avec une maladie mentale. Nous ne nous sommes pas penchés sur la question de la pharmacologie. À ceux qui n’ont pas eu l’occasion de l’observer directement, je peux dire que si ces personnes que j’aime profondément avaient eu accès à l’aide médicale à mourir à un moment où la médication leur donnait l’impression d’être un morceau de bois coincé dans une pièce pendant toute une année — et un ancien collègue a parlé du fait que ce même médicament l’avait rendu suicidaire —, je sais qu’elles ne seraient plus avec nous aujourd’hui.
Je mets en garde la Chambre et la prie de prendre son temps. Continuons avec le projet de loi C-7. Certes, je suis consciente de la disposition de caducité et de la période proposée, mais je tiens à dire, selon tout ce que nous avons entendu — et, à Vancouver, avec la crise des opioïdes, nous ne pouvons même pas traiter des troubles de santé mentale, sans parler de ce qui se passerait si on ouvrait l’accès à l’aide médicale à mourir dans 18 mois —, que c’est alarmant. La crise des opioïdes dure depuis des années — les places manquent dans les centres de désintoxication — et le problème prend de l’ampleur partout au pays, pas seulement en Colombie-Britannique.
Pour toutes ces raisons, je presse tous les sénateurs de considérer les choses soigneusement et de prendre leur temps. Je crois que 18 mois ne suffisent pas, compte tenu de tout ce qui s’est passé jusqu’à présent et du fait que l’examen quinquennal n’a pas eu lieu. Merci.
J’aimerais à mon tour apporter ma perspective par rapport à cet amendement. Tout d’abord, je voudrais remercier le sénateur Kutcher pour tout le travail qu’il a accompli dans sa carrière, mais aussi pour l’attention qu’il porte à ce dossier et pour l’amendement que nous avons devant nous.
Sénateur Kutcher, comme vous le savez, je reconnais que l’amendement que vous proposez vise à imposer une date butoir, garantissant ainsi que les mesures de sauvegarde seront examinées et mises en place rapidement. Toutefois, vous connaissez comme moi le rapport présenté par le Conseil des académies canadiennes au sujet de l’aide médicale à mourir dans les cas où une maladie mentale est invoquée.
Pendant l’étude préalable, nous avons entendu en comité d’importants témoignages d’experts en santé mentale. Ceux-ci, divisés en deux camps, ont exprimé des opinions, des convictions et des arguments solides sur les questions de savoir s’il existe des cas où l’aide médicale à mourir est appropriée ou si elle est indiquée lorsque la maladie mentale est la seule condition invoquée et, le cas échéant, quels seraient les types de mesures de sauvegarde qui permettraient de veiller à ce qu’on ne mette jamais fin à la vie d’une personne de manière prématurée lorsqu’il aurait été possible d’améliorer plutôt sa qualité de vie.
Je vous ai confié plus d’une fois que je peine à prendre une décision dans ce dossier. Je suis convaincue que nous ne pouvons pas discriminer ou isoler un groupe et je suis entièrement d’accord sur le fait que la maladie mentale peut se traduire par des souffrances intolérables. Cependant, j’ai de la difficulté à me faire une idée en raison des témoignages entendus en comité, même si j’ai confiance dans la compétence des professionnels.
À mon avis, il serait prudent que le Parlement maintienne l’exclusion de la maladie mentale, comme le propose le projet de loi C-7, jusqu’à ce que l’aide médicale à mourir puisse être offerte de manière sûre dans les cas de maladie mentale et une fois que nous aurons étudié les mesures de sauvegarde connexes qui doivent être prévues au Code criminel.
Cependant, si le Sénat appuie une disposition de caducité, nous devons nous assurer que le Parlement et le gouvernement disposent du temps nécessaire pour examiner la question, tenir des consultations à cet égard et mettre sur pied un programme d’aide médicale à mourir dans les cas où la maladie mentale est la seule condition invoquée, programme qui devra tenir compte de toutes les complexités liées à cette question. Merci.
J’ai une question pour la sénatrice Petitclerc. À titre de marraine du projet de loi, il s’agit bien évidemment d’un aspect important de celui-ci. Je vous accorde un peu plus de temps pour défendre votre point de vue.
Je ne suis pas sûre de comprendre la question.
Je vous prie de prendre un peu plus de temps pour en parler. C’est vous qui parrainez ce projet de loi. C’est un aspect important de votre projet de loi. Je vous invite à prendre un peu plus de temps pour défendre les personnes atteintes d’une maladie mentale et pour parler de cette partie du projet de loi.
J’ai dit ce que j’avais à dire à ce sujet et je maintiens mes propos. Merci.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
L’honorable sénateur Kutcher, avec l’appui de l’honorable sénateur Dalphond, propose en amendement que le projet de loi C-7 ne soit pas lu pour la troisième fois, mais qu’il soit modifié... Puis-je me dispenser de lire l’amendement?
Que les sénateurs qui sont contre la motion d’amendement veuillent bien dire non.
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion et qui sont sur place veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs qui sont contre la motion et qui sont sur place veuillent bien dire non.
À mon avis, les non l’emportent.
Nous procéderons à un vote à 17 h 3, après une sonnerie de 15 minutes.
Convoquez les sénateurs.
Honorables sénateurs, conformément à l’ordre du 17 décembre 2020, il y a eu un léger ajustement dans le processus de vote pour les sénateurs qui participent par Zoom. Vous apparaîtrez sur la caméra lorsque vous voterez. Je vous prie d’en tenir compte et de vous assurer que votre visage et votre carte sont visibles. Si vous recevez un message contextuel au cours du vote, vous pouvez simplement l’ignorer.
Une fois que votre nom a été appelé, vous pouvez retirer votre carte.
Honorables sénateurs, j’aimerais avoir l’occasion d’expliquer les motifs de mon abstention.
Oui.
Merci. Je me suis abstenue parce que je crois qu’il est irresponsable de se précipiter pour élargir l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes qui ne sont pas en fin de vie, au nom du maintien de l’autonomie individuelle et de la liberté de choix sans avoir d’abord — ou également —, insisté avec le même sentiment d’urgence et la même conviction sur un accès équitable et véritable à des soins de santé physique et mentale, de même qu’à du soutien social, financier et pour le logement.
De telles mesures sont essentielles pour faire en sorte que les personnes qui souffrent, y compris celles atteintes de maladies mentales, aient réellement la possibilité de faire un choix lorsqu’il s’agit d’alléger leurs souffrances. Merci, Votre Honneur.
Honorables sénateurs, je propose un amendement pour éviter des conséquences non désirées par le gouvernement, qui risquent de découler de l’exclusion de la maladie mentale comme seule condition invoquée pour interdire l’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes souffrant d’un trouble neurocognitif, comme la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson, la maladie de Huntington ou la démence.
L’admissibilité à l’aide médicale à mourir est établie en fonction des critères définis au paragraphe 241.2(1) du Code criminel, que le projet de loi C-7 ne propose pas de modifier. Pour avoir accès à l’aide médicale à mourir, une personne doit notamment être affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables, ce qui signifie que la personne doit être atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables.
Le projet de loi C-7 propose d’ajouter que « la maladie mentale n’est pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap » et, avec l’amendement que nous avons adopté, cette exclusion serait quand même applicable pendant 18 mois. Si la Chambre des communes agrée à notre proposition, pendant les 18 prochains mois, l’exclusion de maladie mentale s’appliquera toujours. L’effet pratique de cette exclusion est de restreindre l’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes souffrant uniquement d’une maladie mentale, tant et aussi longtemps que l’exclusion sera en vigueur.
Outre les inquiétudes relatives à la stigmatisation et à la discrimination dont nous avons parlé il y a quelques instants, bon nombre d’experts ont parlé des incertitudes que soulève l’utilisation même de l’expression « maladie mentale ».
La Dre Mona Gupta, psychiatre et présidente du comité consultatif sur l’aide médicale à mourir de l’Association des médecins psychiatres du Québec, comité chargé par le Collège des médecins d’étudier la question, a déclaré ce qui suit au Comité des affaires juridiques, et je cite :
[...] cette expression de « maladie mentale » n’est pas claire. Dans la terminologie standard en psychiatrie, on parle de troubles mentaux. Il s’agit d’une sphère assez vaste.
Fleur-Ange Lefebvre de la Fédération des ordres des médecins du Canada a ajouté :
Premièrement, il y a le manque de clarté. La « maladie mentale » n’est pas un terme médical précis. En médecine, « maladie » peut s’entendre de l’expérience individuelle d’un patient qui souffre d’une affection.
Le manque de précision jette un doute et pourrait mener au débat, en pratique et possiblement devant les tribunaux, à savoir si oui ou non les troubles neurocognitifs tels que la maladie de Parkinson et la maladie d’Alzheimer constituent une maladie mentale aux fins de l’exclusion. Le Dr Timothy Holland, médecin et évaluateur de l’aide médicale à mourir, a dit ceci :
La maladie mentale et la définition de la maladie elle-même font l’objet de débats aussi bien en médecine qu’en philosophie. Tellement de personnes définissent la maladie mentale comme un ensemble précis de maladies qui se retrouvent dans l’esprit et dans les critères du DSM-5, comme l’anxiété et la dépression. D’autres soutiennent qu’il pourrait s’agir de la maladie de Parkinson ou de la maladie d’Alzheimer.
L’incertitude est exacerbée encore davantage par le fait que toutes les formes de démence et d’autres troubles neurocognitifs se retrouvent, à l’instar d’autres troubles mentaux, dans les deux principaux manuels de classification utilisés en psychiatrie, comme la professeure Donna Stewart de l’Université de Toronto l’a expliqué :
L’American Psychiatric Association et l’Organisation mondiale de la santé ont chacun élaboré une classification des maladies. La classification américaine, appelée DSM-5, qui signifie Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, cinquième édition, inclut toutes les formes de démences, ainsi qu’un certain nombre d’autres troubles neuropsychologiques. La classification internationale des maladies, la CIM-10 élaborée par l’Organisation mondiale de la santé inclut également les formes de démences. Ces deux types de classifications sont extrêmement larges, et toutes deux incluent l’ensemble du spectre des troubles mentaux.
Il est important de souligner que les personnes qui souffrent de troubles neurocognitifs, comme la démence, répondent aux critères d’admissibilité fixés par le projet de loi C-14. Comme l’a expliqué la professeure Jocelyn Downie de l’Université Dalhousie :
Les patients atteints de démence peuvent répondre aux critères d’admissibilité prévus par le projet de loi C-14. En fait, ils peuvent répondre aux quatre critères. Ils peuvent avoir toutes leurs capacités et répondre aux critères d’état de déclin et de capacité irréversible, raisonnablement prévisible, grave et incurable, et de la souffrance intolérable. C’est pourquoi les patients atteints de démence ont présentement accès à l’aide médicale à mourir en vertu du système actuel.
Une incertitude dans le Code criminel concernant la signification de la maladie mentale peut donc entraîner une véritable régression des droits des personnes atteintes de troubles neurocognitifs. Il existe un risque réel d’effet néfaste dans la pratique. Pour éviter toute accusation criminelle potentielle, les médecins peuvent choisir de pécher par excès de prudence et refuser les demandes d’aide médicale à mourir aux patients atteints de troubles neurocognitifs qui, autrement, seraient admissibles à ce programme.
Devant le comité, le ministre de la Justice, David Lametti, a tenté d’atténuer l’incertitude en faisant référence aux explications contenues dans le « Contexte législatif Projet de loi C-7 : Réponse législative du gouvernement du Canada à la décision Truchon de la Cour supérieure du Québec », un document d’accompagnement publié par le ministère de la Justice. Celui-ci prévoit ce qui suit, et je cite :
Malgré l’absence d’une définition claire et unique de la maladie mentale, dans le contexte des discussions canadiennes sur l’AMM, ce terme a été décrit comme désignant généralement les affections qui relèvent principalement du domaine de la psychiatrie […] Dans le contexte de la législation fédérale sur l’AMM, l’expression « maladie mentale » n’inclurait pas les troubles neurocognitifs ou neurodéveloppementaux, ni d’autres conditions susceptibles d’affecter les capacités cognitives, comme les démences, les troubles du spectre de l’autisme ou les déficiences intellectuelles, qui peuvent être traités par des spécialités autres que la psychiatrie […] ou des spécialités autres que la médecine […]
Devant le comité, le ministre Lametti a ajouté ce qui suit, et je cite :
Pour que ce soit clair : il n’est pas prévu que l’exclusion vise les troubles neurocognitifs associés à la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson [...]
Malgré les commentaires du ministre et les explications données dans le document d’accompagnement, il reste que la précision n’apparaît pas dans le texte de loi. Je crains malheureusement que, pour les praticiens, cela ne pose des difficultés.
Des questions se sont aussi posées sur le poids que pourrait avoir le document d’accompagnement devant les tribunaux lorsque le temps viendra d’interpréter l’expression « maladie mentale ». En réponse à une question du sénateur Carignan, le professeur Patrick Taillon, de l’Université Laval, a donné les explications suivantes, et je cite :
[...] il n’est pas inusité qu’on utilise des documents autres que des lois ou règlements pour des fins d’interprétation, mais dans le domaine du droit criminel cela me semble moins naturel ou, en tout cas, moins fréquent, surtout sur la question de la santé mentale.
Le problème auquel nous sommes confrontés est le manque de clarté du projet de loi C-7. En l’absence d’une définition légale, des incertitudes vont probablement persister, et un débat aura lieu concernant la question de savoir si l’exclusion des maladies mentales est censée inclure les troubles neurocognitifs. Ces personnes pourraient se retrouver exclues du cadre de l’aide médicale à mourir même si ce n’est pas l’intention du gouvernement. Cette conséquence involontaire peut être évitée par une simple modification du libellé proposé dans le projet de loi C-7.
Lorsqu’elle a comparu devant le comité, Fleur-Ange Lefebvre a souligné l’importance de la clarté et du langage utilisé, et je voudrais la citer à nouveau :
[...] je suis sûre que vous serez tous d’accord pour dire que la loi doit être claire. Le libellé ne doit laisser aucune place à des interprétations divergentes ou à des incertitudes. Les patients, leur famille, le public, les médecins et les autres professionnels de la santé et les organismes d’application de la loi doivent tous avoir la même interprétation de la loi.
Honorables sénateurs, il est important, par souci de clarté dans la loi, de garantir qu’il n’y ait pas de régression sur le plan de l’accès des Canadiens atteints de troubles neurocognitifs à l’aide médicale à mourir.
Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que le projet de loi C-7, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à nouveau, à l’article 1, à la page 3, par substitution, à la ligne 5, de ce qui suit :
« tale, autre qu’un trouble neurocognitif, n’est pas considérée comme une maladie, une affec- ».
L’article en entier se lirait donc maintenant comme suit:
Pour l’application de l’alinéa (2)a), la maladie mentale, autre qu’un trouble neurocognitif, n’est pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap.
Merci.
Madame la Présidente, j’ai une question à poser au sénateur Dalphond.
Oui, il reste trois minutes au sénateur Dalphond. Est-ce que le sénateur Dalphond accepterait de répondre à une question?
Avec plaisir.
Sénateur Dalphond, ma question est la suivante : pourquoi ne pas attendre de faire une révision complète de la loi, soit l’année prochaine ou dans un avenir rapproché, avant de proposer ce genre d’amendement?
Je le comprends et je suis d’accord avec vous, mais je ne suis pas certaine que le projet de loi C-7 soit le bon véhicule pour effectuer tous ces changements. Qu’en pensez-vous?
Merci de la question, sénatrice Bellemare.
Il ne s’agit pas d’un amendement qui modifie l’intention du gouvernement, mais qui vise plutôt à confirmer son intention relativement à l’exclusion de la maladie mentale, ce qui est nouveau et qui n’était pas prévu dans le projet de loi C-14. C’est donc pour confirmer ce que le ministre a dit devant le comité et ce que le document d’explications du gouvernement indique aussi.
Entretemps, si nous devions attendre un an et demi avant de revenir sur la question, cela créerait de l’incertitude et des Canadiens n’auraient pas accès à l’aide médicale à mourir. Malheureusement, leurs psychiatres concluraient qu’ils n’y ont pas droit parce qu’ils souffrent de l’alzheimer ou de la maladie de Parkinson, qui sont classés dans les manuels de psychiatrie comme étant des maladies mentales.
J’espère que cela répond à la question.
Sénateur Dalphond, accepteriez-vous de répondre à une autre question?
Bien sûr.
J’appuie l’intention de votre amendement ainsi que l’intention avouée du gouvernement. Voici ce que je veux savoir : lors de la rédaction de l’amendement, en énumérant certains troubles qui ne seront pas inclus dans la définition de maladie mentale — en l’occurrence les troubles neurologiques —, n’y a-t-il pas un risque que d’autres troubles soient inclus d’emblée parce qu’ils n’ont pas été expressément exclus? Avez-vous examiné cette question lors de la rédaction de l’amendement? Je tente seulement d’obtenir des précisions pour veiller à ce que cet amendement ne crée pas de nouveau problème.
Merci de cette excellente question.
N’étant pas psychiatre, je laisse au sénateur Kutcher le soin d’expliquer l’aspect psychiatrique. Néanmoins, je peux vous dire que, depuis quelques semaines, je travaille avec l’Association des médecins-psychiatres du Québec, la Dre Gupta, le Dr Green, de l’extérieur du Québec, et de nombreux autres psychiatres pour trouver d’abord une définition de la maladie mentale. Elle est devenue impossible à définir, mais ces personnes conviennent clairement que l’exclusion proposée permet d’atteindre les objectifs dans le domaine et de réaliser ce que le gouvernement tente de faire.
D’autres sénateurs ont-ils des questions? La motion d’amendement est la suivante :
Que le projet de loi C-7, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à l’article 1, à la page 3, par substitution, à la ligne 5, de ce qui suit :
« tale, autre qu’un trouble neurocognitif, n’est pas considérée comme une maladie, une affec- ».
Honorables sénateurs, j’appuie l’amendement proposé par mon collègue le sénateur Dalphond, et je vais vous exposer mes raisons.
Comme il a été répété plusieurs fois lors de discussions au sein du comité, l’exclusion de la maladie mentale est un aspect du projet de loi qui est considéré par beaucoup de nos témoins comme étant anticonstitutionnel et discriminatoire. C’est également une mesure qui ne précise pas avec exactitude les personnes concernées par cette exclusion. Comme le disait la professeure Downie, de l’Université Dalhousie, lorsqu’elle a comparu devant le comité, la frontière entre le physique et le mental n’est pas nette chez les spécialistes de la santé mentale. Or, le projet de loi n’est pas net non plus lorsqu’il a pour effet d’introduire cet article sur l’exclusion sans réellement apporter de définition claire sur le sujet.
Il y a un sujet qui m’apparaît extrêmement important et sur lequel je vais proposer un amendement plus tard : il s’agit des personnes atteintes de troubles neurocognitifs. Les maladies neurodégénératives ou neurocognitives se situent sur cette frontière floue entre la maladie physique et mentale. Nous savons qu’il existe à la fois un aspect physique, qui est la dégénérescence des cellules du cerveau, et qu’il peut y avoir également un aspect mental où les pertes cognitives affectent l’intellect du patient.
Lorsque j’ai parlé avec Joanne Klineberg, avocate générale par intérim, Section de la politique en matière de droit pénal du ministère de la Justice, elle m’a certifié que les maladies neurodégénératives ne sont pas exclues si le patient répond à tous les critères de l’aide médicale à mourir.
Nous devons tous reconnaître que l’expression « maladie mentale » est un sujet vaste et que la définition fournie par le ministère de la Justice n’est pas claire lorsqu’il précise que l’exclusion concerne les affections qui relèvent principalement du domaine de la psychiatrie.
Or, comme l’a démontré le sénateur Dalphond dans ses explications, et je le cite :
L’incertitude n’est pas atténuée par l’explication que l’on trouve dans le contexte législatif du projet de loi C-7. Comme l’explique l’Association des médecins psychiatres du Québec :
Cette déclaration est […] déconcertante, car les troubles neurodéveloppementaux ne sont pas soumis à la clause d’exclusion. Les troubles neurodéveloppementaux comprennent, entre autres, des affections telles que les troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité (TDAH), les troubles d’apprentissage et le bégaiement. Il serait contre-intuitif pour les cliniciens que de telles conditions puissent être admissibles aux demandes d’aide médicale à mourir, mais des conditions beaucoup plus graves comme la schizophrénie ou le trouble bipolaire soient exclus. Cela pourrait semer un doute quant à savoir qui exactement le gouvernement a l’intention d’inclure et d’exclure par la clause d’exclusion des maladies mentales.
Cette imprécision qui subsiste dans le projet de loi pourrait avoir des conséquences sur les demandes d’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de troubles neurocognitifs. Des praticiens de la santé pourraient exclure certaines demandes — par prudence ou par hésitation — en raison de ce flou qui est entretenu par la législation actuelle et par le manque de définition claire des maladies mentales.
Sur la base de cette incertitude, je crois que l’amendement préparé par le sénateur Dalphond prend tout son sens. Il apporte une précision au texte de loi qui me semble nécessaire à son application. Avec cette précision, le Sénat fait son devoir en s’assurant que le projet de loi sera compréhensible et applicable en vertu de son champ d’application.
J’appuie donc sans réserve l’amendement du sénateur Dalphond.
J’appuie également l’amendement du sénateur Dalphond. Je pense que c’est important pour la clarté. Le projet de loi est beaucoup plus clair maintenant. Ce libellé ne figurait pas dans la mesure législative, mais le ministre nous a dit que c’était l’intention du projet de loi, selon lui. Il est primordial de rendre le projet de loi plus clair.
L’amendement est une précision qui contribuera à garantir que personne ne perdra son droit à l’évaluation de la demande d’aide médicale à mourir en fonction d’un diagnostic rendu au cours des 18 prochains mois. À mon avis, il s’agit également d’un pas dans la bonne direction pour mieux comprendre les troubles mentaux et en parler, car le libellé employé est cliniquement reconnaissable. Comme nous pouvons tous examiner les critères cliniquement reconnaissables, nous comprenons mieux le contenu du projet de loi C-7.
Cette plus grande clarté sera importante pour les personnes qui envisagent de bénéficier du programme d’aide médicale à mourir. Elle sera très importante pour les fournisseurs, les cliniciens et les régulateurs de l’aide médicale à mourir. Si une contestation judiciaire ou une décision judiciaire devait être rendue sur cette question au cours des 18 prochains mois, la plus grande clarté aidera les tribunaux chargés de prendre une décision.
Je remercie le sénateur Dalphond de l’amendement et j’invite les sénateurs à l’appuyer. Je vous remercie.
J’aurais une question à poser au sénateur Kutcher.
Sénateur Kutcher, accepteriez-vous de répondre à une question de la sénatrice Dupuis?
Certainement. De combien de temps disposons-nous?
Vous disposez encore de trois minutes.
Merci beaucoup.
Sénateur Kutcher, dans l’amendement proposé, on utilise l’expression « trouble neurocognitif ». Pouvez-vous me confirmer que l’on utilise également les termes « déficits neurocognitifs »? Selon vous, est-ce que cela inclut les déficits neurocognitifs majeurs, de même que ceux qui sont légers?
Je pense que ce projet de loi rend plus claires les catégories de diagnostic regroupées actuellement sous l’appellation des troubles neurocognitifs. Il s’agit de maladies telles que la maladie d’Alzheimer, les autres types de démence et ce genre de troubles.
Pour commencer mes brefs commentaires en faveur de l’amendement de mon collègue le sénateur Dalphond, j’aimerais remercier les membres du comité qui se sont prononcés aujourd’hui et qui nous ont éclairés tout au long du processus.
J’appuierai ce projet de loi comme j’ai l’intention d’appuyer les amendements des sénateurs Kutcher et Dalphond. Cependant, même si leurs amendements sont rejetés, que ce soit par le Sénat ou par la Chambre des communes, je continuerai d’appuyer le projet de loi, car je crois qu’il répond à un besoin.
Le train a quitté la gare. L’aide médicale à mourir est un droit reconnu. Pour les Canadiens, ce projet de loi vise à améliorer la loi actuelle et non à relancer le débat. Nous ne pouvons revenir en arrière. Les gens de partout au Canada, et en particulier les Québécois, espèrent des éclaircissements, mais je crois qu’ils continueront d’appuyer le projet de loi C-7, comme ils ont appuyé le projet de loi C-14.
Je crois que l’amendement du sénateur Dalphond apporte une clarté et une certitude à la question des maladies mentales, afin que les personnes atteintes de troubles qui affectent leurs capacités cognitives, comme la maladie d’Alzheimer ou d’autres démences, puissent avoir l’assurance qu’ils pourront prendre une décision avant que leur maladie ne leur enlève leurs fonctions cognitives.
Beaucoup d’entre vous ont parlé des lettres qu’ils ont reçues, et l’une des raisons pour lesquelles j’interviens aujourd’hui, c’est que, pour moi, il s’agit d’une question personnelle.
Je suis probablement le seul sénateur prenant part au présent débat qui ait participé à l’exercice du droit de mourir. Ma belle-sœur a reçu un diagnostic de cancer après que le projet de loi C-14 a été adopté. Seulement, elle avait encore toute sa tête.
Elle avait des métastases au cerveau qui allaient lui enlever, si elle attendait trop longtemps, la liberté de faire son propre choix.
Après avoir reçu son diagnostic, au cours de l’été 2019, elle a décidé de respecter le fait qu’elle allait mourir, mais qu’elle voulait le faire dans la dignité; elle voulait le faire d’une façon et à une période qui lui convenaient.
Le projet de loi C-14 avait été adopté et elle a exercé le droit que la loi lui accordait désormais. Nous lui avons donné ce droit. Elle aurait pu attendre, étant donné son diagnostic. Elle aurait pu se prévaloir de son droit d’attendre, mais elle avait des tumeurs au cerveau et, comme je l’ai dit avant en français, elle voulait exercer son droit. Elle aurait perdu ses capacités cognitives, notamment sa capacité de décision. Elle était lucide et fière de sa décision. Son mari, mon frère, ainsi que ses enfants ont respecté sa décision.
Le jour J, comme l’a dit mon ami Pierre dans son discours hier, nous avons célébré sa vie dans une atmosphère intime, autour d’un petit verre de vin, un matin. Des amis et la famille étaient dans la pièce et, quelques minutes avant que la décision soit exécutée, on nous a demandé de sortir. Seuls mon frère et ses enfants sont restés. Nous sommes revenus deux minutes plus tard.
Elle avait décidé d’exercer son droit de mourir. Tout cela n’avait rien d’austère ni de froid. Ce fut un acte d’amour, et non un acte purement médical. Ce fut un acte d’amour partagé avec ses amis, sa famille, ses êtres chers. Elle a fait comme elle l’entendait. Elle nous a quittés en souriant et avec dignité.
Elle n’aurait pas survécu; elle a donc voulu partir selon ses conditions. Cela a été, et cela demeure, l’un des moments les plus émouvants de ma vie.
J’ai voté en faveur du projet de loi C-14 et j’en étais fier. À ce moment-là, j’ai compris que c’était un droit qu’on ne pouvait plus enlever aux Canadiens.
Mon bon ami Serge Joyal avait soulevé certaines objections au sujet du projet de loi C-14. Il disait que le projet de loi n’était pas parfait, ce à quoi j’ai répondu que la perfection est l’ennemi du bien, et que si on avait continué à en débattre, la loi n’aurait probablement pas été adoptée et ma belle-sœur n’aurait pas eu le droit d’exercer ce qui est maintenant un droit acquis.
Je vous dis que oui, j’appuierai certains amendements, mais je veux que ce soit clair, j’appuierai toujours le projet de loi même si les amendements sont rejetés à l’autre endroit.
J’appuie l’amendement du sénateur Dalphond qui souligne que l’exclusion des maladies mentales n’est pas destinée aux personnes souffrant de troubles neurocognitifs qui leur enlèveront le privilège de prendre leurs propres décisions.
Je tiens à remercier tous ceux qui ont travaillé sur ce projet de loi. Vous avez fait un travail formidable. Ce sera probablement ma seule intervention. Cette question m’émeut beaucoup étant donné que j’ai moi-même participé à l’exercice des droits conférés par cette loi. J’y suis toujours très sensible. Merci beaucoup.
L’honorable sénateur Dalphond, avec l’appui de l’honorable sénateur Munson, propose en amendement :
Que le projet de loi C-7, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à l’article 1, à la page 3, par substitution, à la ligne 5, de ce qui suit :
« tale, autre qu’un trouble neurocognitif, n’est pas considérée comme une maladie, une affec- ».
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion d’amendement de l’honorable sénateur Dalphond est adoptée avec dissidence.)
Honorables sénateurs, dans le cadre de l’étude du projet de loi C-7, notre comité a entendu plus d’une centaine de témoins de tous les horizons, qui ont livré des témoignages instructifs, enrichissants et souvent très émouvants. Des experts, des familles et des associations nous ont permis de mieux comprendre certains aspects de l’aide médicale à mourir et les lacunes relatives au projet de loi C-7.
Rappelons que ce projet de loi vise à corriger les failles du projet de loi C-14, qui a été adopté en 2016 même s’il ne répondait pas complètement à l’arrêt Carter. En 2019, la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire de Truchon et Gladu a confirmé la nécessité de revoir la Loi sur l’aide médicale à mourir. Je tiens à souligner que le Sénat avait déjà fait des recommandations en 2016 dans le contexte de l’étude du projet de loi C-14 pour éviter la situation dont nous sommes témoins aujourd’hui.
Malheureusement, le gouvernement a préféré la rapidité au détriment de la pertinence.
Je l’ai déjà affirmé, l’aide médicale à mourir fait d’abord appel à nos valeurs personnelles plutôt qu’à nos valeurs collectives, ce qui rend nos débats à la fois difficiles, hautement émotifs et touchants. Adopter une loi si puissante sur le plan humain est un grand défi législatif, surtout quand le droit de mourir dignement, qui est garanti par certains articles de notre Constitution, se heurte à des valeurs religieuses, culturelles ou communautaires qui ne reconnaissent pas ce droit.
Depuis le début de nos travaux, je souhaite que l’adoption du projet de loi C-7 ne laisse pas en plan, encore une fois, d’autres personnes qui souffrent, comme cela a été le cas avec le projet de loi C-14 au cours des cinq dernières années.
Au-delà de la question constitutionnelle et des failles relatives au projet de loi C-7 que j’ai déjà mentionnées dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, il me semble que ce projet de loi fait fi de la souffrance des patients aux prises avec des maladies graves, notamment des maladies dégénératives cérébrales comme l’alzheimer ou la démence.
Lorsqu’une personne reçoit un diagnostic de maladie dégénérative, un grand sentiment d’incertitude, de confusion et d’insécurité s’empare de sa vie.
Les maladies neurodégénératives, appelées aussi atteintes neurocognitives, affectent de manière irréversible les patients qui en sont atteints et entraînent une dégradation lente et pénible de leur qualité de vie. Cette dégradation entraîne une perte d’autonomie graduelle sur les plans physique et mental. La perte de conscience de soi-même et de son état est un des éléments les plus problématiques de la dégénérescence cérébrale. C’est la raison pour laquelle ce type de maladie, qui est à la fois psychiatrique et physique, exige de laisser au patient le choix d’avoir recours à une demande anticipée ou procuratoire pour bénéficier de l’aide médicale à mourir.
Le paragraphe 3.2 de l’article modificatif 1 du projet de loi C-7 semble prévoir une mince ouverture pour les consentements anticipés, mais cette ouverture n’est pas suffisamment définie et ne répond pas à la complexité des situations que vivent les personnes atteintes de maladies neurodégénératives.
Pire encore, dans le contexte du projet de loi à l’étude, certains témoins nous ont affirmé qu’une personne atteinte de ce type de maladie pourrait avoir recours au suicide pour mettre fin à ses jours hâtivement, de peur de ne plus posséder la capacité à consentir à l’aide médicale à mourir. Cette situation la priverait de vivre quelques mois de plus, voire quelques années de plus. Voilà dans quelle prison le projet de loi C-7 enferme ces personnes en les privant de leur droit de mourir dignement, entourée de leur famille.
À titre d’exemple, la maladie d’Alzheimer est une maladie évolutive propre à chacun. Une personne peut vivre des années avec l’alzheimer sans connaître le moment où elle perdra réellement la maîtrise de ses capacités cognitives et où elle sera dans l’incapacité de consentir à l’aide médicale à mourir. Un consentement anticipé lui permettrait de vivre sereinement tout en sachant que, lorsque le moment viendra, elle et sa famille n’auront pas à subir la terrible souffrance qu’engendre la maladie d’Alzheimer à son stade ultime. Le projet de loi entretient une zone floue sur la manière dont ces personnes peuvent avoir accès à l’aide médicale à mourir et le ministre de la Justice a été clair : ce projet de loi ne prévoit pas de demandes par procuration.
Il est donc incompréhensible que le gouvernement n’ait pas présenté un projet de loi plus exhaustif sur les maladies neurodégénératives, alors qu’il disposait de quatre ans pour légiférer sur cette question.
Cette semaine, j’ai été touché par de nombreux témoignages de personnes concernées par la dégénérescence cérébrale. C’est le cas de Mme Sandra Demontigny, une mère de trois enfants âgés de 14, 18 et 22 ans, qui a reçu à l’âge de 39 ans un terrible diagnostic de maladie d’Alzheimer. Cette jeune mère, âgée de 41 ans et auteure d’un livre intitulé L’urgence de vivre : ma vie avec l’Alzheimer précoce, a décidé de prendre publiquement la parole pour convaincre les autorités chargées d’étudier la question de l’aide médicale à mourir de l’importance d’élargir les critères d’admissibilité. Elle souhaite que des personnes comme elle, qui reçoivent un diagnostic de maladie dégénérative et irréversible comme l’alzheimer, puissent faire une demande anticipée ou procuratoire d’aide médicale à mourir. Ainsi, même si elles n’étaient plus mentalement aptes à faire une telle demande, elles y auraient quand même droit le moment venu.
Je cite les propos de Mme Demontigny au sujet de son père, qui est décédé à l’âge de 53 ans de la maladie d’Alzheimer :
Vers la fin, il était dans un lit d’hôpital, contentionné au torse, aux jambes et aux bras… C’était l’horreur. Mon frère et moi, on a des images. On voyait la détresse dans ses yeux, il était apeuré, fou, il ne pouvait plus bouger, il ne reconnaissait plus personne… On se souvient encore des sons qu’il faisait quand il criait.
Elle a également affirmé ceci :
Je veux pouvoir donner des directives anticipées, je veux pouvoir dire : “Quand je ne reconnaîtrai plus mes enfants, je veux qu’on me donne l’aide médicale à mourir.” Un peu comme un mandat d’inaptitude…
Par l’intermédiaire de la journaliste Véronique Lauzon, de La Presse, j’ai pu entrer en communication avec Sandra Demontigny.
J’ai eu le privilège d’échanger avec cette dame courageuse à propos de son parcours et j’ai pu lui offrir mon soutien dans le combat qu’elle mène afin que le projet de loi que nous étudions actuellement au Sénat réponde aux attentes de patients comme elle.
De plus, le Québec, qui s’apprêtait à modifier sa propre loi sur l’aide médicale à mourir afin d’inclure les demandes anticipées, attend actuellement la suite des travaux parlementaires du gouvernement fédéral. L’adoption du projet de loi C-7, tel qu’il est rédigé, serait un recul pour le Québec.
C’est la raison pour laquelle je souhaite déposer un amendement afin que le Parlement puisse faire un examen de la loi pour les personnes atteintes de maladies neurodégénératives dans les 90 jours suivant la sanction royale, afin de faire des recommandations pour apporter des modifications législatives au texte de loi.
En terminant, j’aimerais souhaiter bon courage à toutes les familles dont un proche souffre de cette terrible maladie. Au nom de Sandra Demontigny et de toutes les personnes qui souffrent de cette maladie, je compte déposer un amendement au projet de loi afin de leur apporter de l’espoir.
Je crois sincèrement qu’une personne qui reçoit un tel diagnostic a le droit de choisir le moment où elle veut cesser de vivre afin qu’elle puisse mourir dans la dignité entourée de sa famille.
J’espère seulement que, maintenant que le ministre David Lametti s’est engagé à étudier sérieusement les amendements du Sénat, il ne s’agit pas de paroles en l’air, comme ce fut le cas en 2016 lors de l’adoption du premier projet de loi sur l’aide médicale à mourir, le projet de loi C-14.
Si c’est le genre de prison dans laquelle le projet de loi risque d’enfermer dans la souffrance ces personnes et leur famille pendant des années, sans que la science puisse y faire quoi que ce soit, nous avons la responsabilité de trouver la clé pour les libérer. J’espère seulement que l’histoire ne se répétera pas avec ce gouvernement et qu’il ne laissera pas ces malades souffrir encore en ignorant un droit que la Cour suprême leur a reconnu en 2015.