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La Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

16 mars 2021


Honorables sénateurs, j’aborderai aujourd’hui le projet de loi S-213. En vertu de ce projet de loi, le ministre des Femmes et de l’Égalité des genres serait tenu d’examiner les effets possibles des projets de loi sur les femmes, surtout sur les femmes autochtones. J’aimerais remercier la sénatrice McCallum d’avoir présenté ce projet de loi et d’avoir travaillé si fort chaque jour, lors des débats dans cette enceinte et lors de ses rencontres avec les sénateurs, pour défendre les droits des femmes, des Autochtones et d’autres groupes de personnes marginalisées.

En ce qui concerne ce projet de loi, sénatrice McCallum, nous devons souligner votre persévérance pour que la législation du Canada rende justice aux réalités que vivent les femmes autochtones.

Notre débat actuel sur le projet de loi C-7 a mis l’accent sur le besoin fondamental de tenir compte des enjeux en matière de féminisme, d’invalidité et d’ethnicité quand nous examinons des projets des lois. Les systèmes pénal, juridique et carcéral sont d’autres exemples flagrants qui démontrent cette nécessité.

En 1988, le rapport Daubney a sonné l’alarme au sujet de la crise de la surreprésentation des Autochtones dans les pénitenciers. En 1992, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition a été promulguée et présentée comme une loi axée sur les droits de la personne, dont l’un des objectifs était de réduire la population autochtone dans les prisons. En 1996, le Code criminel a été amendé pour obliger les juges à considérer en priorité d’autres sanctions que l’incarcération, surtout pour les Autochtones.

Malgré ces réalités, en 1999, lorsque la Cour suprême du Canada est intervenue, 12 % des prisonniers condamnés à l’échelle fédérale étaient autochtones. Aujourd’hui, ce chiffre s’élève à 32 %, et si l’on considère uniquement les femmes, il s’élève à 44 %. Les deux tiers des femmes incarcérées dans les prisons fédérales sont des mères qui assument les responsabilités parentales. Leur incarcération perpétue des décennies de politiques de séparation forcée, notamment des enfants autochtones de leurs parents, de retrait des enfants par l’État et de pratiques et politiques discriminatoires en matière de protection de l’enfance.

Les dispositions législatives adoptées par le Parlement ont indéniablement contribué à la surreprésentation des femmes autochtones dans la population carcérale ainsi que parmi les femmes qui vivent dans la pauvreté, qui souffrent de déficiences, qui sont sans abri ou qui sont disparues, mourantes ou décédées.

Depuis l’élimination du Régime d’assistance publique du Canada en particulier, nous avons assisté à l’éviscération du filet de sécurité sociale, économique et sanitaire du Canada. Un trop grand nombre de personnes ont été abandonnées à la pauvreté, à l’itinérance ou au système auquel on a fini par s’en remettre, c’est-à-dire, bien sûr, les systèmes juridique et pénal, pour s’occuper des personnes les plus à risque ou qui vivent en marge de la société.

Parallèlement, le nombre de mesures de détermination de la peine a connu une croissance exponentielle : dans le droit pénal, le nombre de peines minimales obligatoires est passé d’environ 10 à près de 72. Les peines minimales obligatoires empêchent les juges d’accomplir leur travail, qui est de tenir compte de la situation du délinquant et des circonstances de l’infraction, puis de se demander si d’autres types de peine ne conviendraient pas mieux, notamment lorsqu’il est question de reconnaître et de corriger les torts causés par le colonialisme et le racisme systémique dans la vie des Canadiens autochtones, noirs, de couleur et handicapés.

C’est pourquoi la Commission de vérité et réconciliation et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont formulé des appels à l’action sur les peines minimales obligatoires. Il y a aussi eu une augmentation des frais, des délais d’attente et des exigences liés aux demandes visant à se libérer du fardeau que représente le casier judiciaire, ce qui permet aux gens de tourner la page et de réussir leur réinsertion sociale. Les casiers judiciaires empêchent d’accéder à des emplois, à des possibilités d’éducation, à des occasions de bénévolat, à des logements, voire à des soins de longue durée. Il s’ensuit de la marginalisation, des préjugés et de la pauvreté, non seulement pour les femmes non autochtones et autochtones qui ont déjà été déclarées coupables et qui ont depuis longtemps subi les conséquences de leurs actes, mais aussi pour leurs enfants et leur famille.

L’histoire d’une jeune Autochtone qui a été condamnée récemment après avoir plaidé coupable d’actes qu’elle a commis lorsqu’elle était adolescente, sur le point de devenir adulte, a mis tristement en évidence les résultats inéquitables du système juridique actuel et des structures qui s’y rattachent. Cette jeune femme occupait un emploi au salaire minimum, mais puisque son revenu, ses avantages sociaux et ses soutiens sociaux et économiques étaient insuffisants pour qu’elle puisse subvenir à ses besoins, elle a commencé à trafiquer des stupéfiants.

Tel que permis, voire encouragé, par les mesures sévères de détermination de la peine, comme l’imposition des peines minimales obligatoires, prévues dans le Code criminel, la Couronne cherchait à obtenir une peine d’emprisonnement pour cette jeune femme. Elle avait accepté la responsabilité des torts qu’elle avait causés et elle s’efforçait de les réparer au sein de plusieurs communautés, dont la sienne. Si on l’avait envoyée en prison, cela l’aurait privée de sa relation avec son enfant, de son logement et de l’emploi qu’elle avait trouvé. Une peine d’emprisonnement n’aurait absolument pas été avantageuse pour personne.

Au bout du compte, elle a eu une peine suspendue, ce qui veut dire que même si elle doit porter le fardeau d’un casier judiciaire, elle a échappé à une peine d’emprisonnement pour une erreur qu’elle avait commise à un très jeune âge et qu’elle continue de tenter de réparer, ce qui aurait été un simulacre de justice.

Le projet de loi S-213 permettrait de veiller à ce que nous ne perdions pas de vue les conséquences des lois que nous adoptons.

Alors que les projets de loi d’intérêt public du Sénat S-207 et S-208, qui ont été présentés l’automne dernier dans le but de contribuer à l’élimination des inégalités, du racisme et du sexisme systémiques associés, respectivement, aux peines minimales obligatoires et au casier judiciaire, le projet de loi S-213 permettrait d’obtenir des données d’analyse qui aideraient les parlementaires à analyser l’effet de ces phénomènes sur les femmes, particulièrement sur les femmes autochtones.

Contrairement aux énoncés concernant la Charte instaurés par le gouvernement fédéral il y a quelques années, le projet de loi S-213 s’appliquerait non seulement aux mesures législatives du gouvernement, mais aussi aux projets d’initiative parlementaire, lesquels nécessiteraient une analyse lorsqu’ils seraient renvoyés au comité. Dans le cas des mesures législatives du gouvernement, les renseignements exigés par le projet de loi S-213 serviraient de complément aux énoncés concernant la Charte.

Pendant la dernière législature, l’énoncé concernant la Charte associé au projet de loi C-83 sur l’isolement cellulaire dans les pénitenciers fédéraux nous a permis de constater, de façon frappante, qu’il nous faut plus de détails sur les inégalités auxquelles sont confrontées les femmes, en particulier les femmes autochtones. En effet, alors que ces enjeux n’étaient pas abordés dans l’énoncé concernant la Charte, des témoins ont expliqué au comité sénatorial chargé de cette étude quelles personnes se retrouvaient le plus souvent en isolement. Ces témoignages ont remis en question les hypothèses selon lesquelles il était nécessaire d’avoir recours à des périodes de séparation et d’isolement néfastes et semblables à de la torture pour gérer les « problèmes de sécurité ».

En effet, on a constaté qu’environ la moitié des femmes mises en isolement sont autochtones et presque autant souffrent de troubles mentaux invalidants. Des recherches menées par les services correctionnels du Canada ainsi que la Commission des libérations conditionnelles du Canada révèlent que les femmes, en particulier les femmes autochtones qui ont été maltraitées toute leur vie et celles qui ont des troubles mentaux, ne présentent que peu, ou pas, de menace pour la sécurité publique. La discrimination systémique leur fait plutôt subir la marginalisation, la criminalisation et l’institutionnalisation de manière disproportionnée. En détention, la discrimination se poursuit en raison des outils d’évaluation employés, de la classification et des politiques qui limitent subséquemment leur accès à des programmes et à des services.

En réponse à ces conclusions, entre autres, le Sénat a amendé le projet de loi C-83 afin de prévoir des mécanismes de surveillance et de reddition de comptes, en plus de favoriser le recours aux options de libération visant à réduire le nombre de détenus autochtones et noirs ainsi que le nombre de détenus ayant des problèmes de santé mentale.

Le projet de loi C-83 a été présenté comme une solution pour mettre fin à l’isolement dans les prisons fédérales, mais c’est tout le contraire. En effet, comme le révèle les travaux du groupe consultatif du ministère qui surveille la mise en œuvre du projet de loi, des personnes continuent d’être mises dans des conditions qui se résument à la mise en isolement et à la torture, et les femmes autochtones sont surreprésentées parmi ces personnes. Cette tendance s’est exacerbée durant la pandémie de COVID-19, au cours de laquelle des prisons entières ont été illégalement mises en confinement et la plupart des détenus placés dans des conditions d’isolation et de confinement interdites par le projet de loi C-83.

Récemment, le projet de loi C-7 et la crise de la COVID-19 ont tout deux exposé au grand jour de grandes inégalités concurrentes façonnées par les politiques sanitaires, sociales et économiques du Canada. Ces inégalités montrent le besoin vital pour le genre d’optique proposé par le projet de loi S-213. Depuis le début de la pandémie — et c’était le cas même avant —, les femmes et les femmes autochtones sont plus susceptibles de vivre sous le seuil de la pauvreté et d’occuper un emploi précaire, risquent davantage de perdre leur emploi et d’être inadmissibles à l’assurance-emploi, ont davantage tendance à effectuer du travail non rémunéré pour prendre soin d’un proche, qu’il s’agisse d’un enfant, d’un aîné ou d’une personne handicapée, et risquent davantage de subir de la violence familiale ou des mauvais traitements.

Les appels lancés publiquement pour réclamer des lois, des politiques et des pratiques plus adaptées, plus transparentes et assorties d’une reddition de comptes accrue sont évidents dans tout ce que nous faisons et sont actuellement mis en évidence par notre examen de l’incidence de décennies de négligence en ce qui a trait à nos systèmes sociaux, économiques et de santé.

Tandis que nous envisageons d’autres débats, nous devons être à l’écoute des femmes marginalisées, y compris des femmes handicapées et des femmes autochtones. Beaucoup signalent que nous risquons d’aggraver toutes sortes de problèmes intersectionnels lorsque nous n’examinons pas l’intersectionnalité des soutiens économiques, sociaux et sanitaires — ou, plus précisément, leur insuffisance — et que nous ne faisons pas en sorte que la qualité de vie promise par l’article 15 de la Charte soit accessible et offerte à tous.

Grâce à une analyse rigoureuse de l’incidence des projets de loi sur les personnes les plus marginalisées, nous serons mieux en mesure d’adopter des projets de loi qui honorent la promesse du gouvernement de « rebâtir en mieux » et de ne laisser personne pour compte. Le projet de loi S-213 nous permettrait d’être mieux outillés afin que les mesures législatives que nous adoptons mènent à une société plus juste et plus équitable pour tous.

Meegwetch, merci.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer [ - ]

Honorables sénateurs, je parlerai aujourd’hui du projet de loi S-213, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres. Je remercie d’ailleurs la sénatrice McCallum de l’avoir présenté, car elle a fait preuve de vision.

Ce projet de loi est aussi simple que les réclamations traditionnelles des femmes, car il permet de se poser la question suivante : en quoi cette politique ou ce processus influeront-ils sur les hommes et sur les femmes? Aussi simple soit-il, il est malgré tout porteur d’une transformation immense qui pourrait changer la vie de tous les Canadiens, et pour le mieux.

Pendant son émouvant discours à l’étape de la deuxième lecture, la sénatrice McCallum a surtout parlé des femmes autochtones et du fait que ce projet de loi permettra de corriger une anomalie à l’origine de trop nombreuses tragédies.

Les analyses comparatives entre les sexes aident le gouvernement à comprendre les facteurs qui, dans les politiques et les projets de loi qu’il entend proposer, risquent d’avoir des répercussions sur les femmes. Il permet de connaître l’effet que tel ou tel projet public aura sur elles et de prendre en considération la réalité et les besoins des deux sexes. Il tient aussi compte d’autres facteurs comme l’âge, la race et les limitations fonctionnelles.

En ratifiant la Déclaration et le Programme d’action de Beijing, en 1995, le Canada s’est engagé à avoir recours aux analyses comparatives entre les sexes. Pourtant, dans un rapport publié en 2015, le vérificateur général concluait que les ministères et organismes gouvernementaux du Canada en faisaient un usage incomplet ou s’en servaient mal, et ce, c’est s’ils l’utilisaient, point.

Bien que le gouvernement du Canada actuel se soit engagé à réaliser une analyse comparative entre les sexes dans tous les ministères et les organismes gouvernementaux, comme la sénatrice Boyer l’a mentionné dans son discours, une telle analyse est entreprise à la discrétion et selon le bon vouloir du gouvernement. Rien n’oblige le gouvernement à entreprendre cette analyse. Ce n’est pas une mesure durable et cela ne suffit pas à assurer l’égalité des sexes en tout temps.

Nous connaissons la réalité des femmes en grande partie, mais la loi ne la reflète pas toujours. Par exemple, nous savons que le taux d’emploi des femmes demeure inférieur à celui des hommes. Nous savons que les femmes sont plus susceptibles que les hommes d’occuper un poste temporaire ou à temps partiel. Nous savons que les femmes sont plus susceptibles que les hommes d’obtenir un horaire de travail réduit ou de s’absenter du travail pour offrir des soins à un proche. Nous savons que 26 % des familles avec une mère célibataire vivent avec un faible revenu, comparativement à 13 % pour les familles avec un père célibataire. Les femmes sont plus touchées par les écarts en matière de rémunération, notamment les femmes racialisées, noires et autochtones.

En 2006, le Conseil canadien pour les réfugiés a publié une analyse comparative entre les sexes à l’égard de l’établissement. Cette recherche comprenait diverses questions devant être posées au moment de planifier des initiatives ou des projets de loi. Je doute cependant que nous ayons la moindre idée de l’impact que nous pourrions créer en réalisant une analyse approfondie. Les chercheurs ont soulevé des questions très pertinentes quant à la différence entre les sexes associée à certains enjeux d’établissement.

Dans le contexte de l’immigration, les politiques et les pratiques ont des répercussions différentes selon les groupes de réfugiés ou d’immigrants. On constaterait toute une différence si une analyse comparative entre les sexes était toujours réalisée. Nous savons que les pires situations concernent les femmes célibataires, les veuves et celles qui n’ont nulle part où aller. Elles doivent faire partie de l’analyse comparative entre les sexes.

De nos jours, alors que les iniquités sociales et fondées sur le sexe sont mises en lumière en raison de la pandémie, ce projet de loi est essentiel pour faire en sorte que les femmes ne soient pas oubliées, en particulier les femmes autochtones, racialisées et noires.

Selon un mémoire des Nations unies sur les politiques, dans tous les domaines, y compris la santé, l’économie, la sécurité ou la protection sociale, les femmes et les filles ont été plus durement touchées par les effets de la pandémie de COVID-19 en raison de leur sexe.

La Commission canadienne des droits de la personne a fait des observations semblables. Cependant, pour les femmes autochtones, la situation était encore pire. L’Alliance féministe pour l’action internationale, un organisme canadien, et Pamela Palmater, titulaire de la chaire de gouvernance autochtone de l’Université Ryerson, ont publié un rapport qui fait état de la détérioration des conditions socioéconomiques et de l’augmentation des cas de violence fondée sur le sexe, d’exploitation, de disparition et d’assassinat chez les femmes et les filles autochtones.

Avec le projet de loi S-213, on pourra s’assurer que toutes les politiques gouvernementales prennent en considération les conséquences démesurées subies par les femmes. Par exemple, les mesures proposées pour la relance après la pandémie pourront être soumises à une analyse des effets sur les femmes, plus particulièrement les femmes autochtones, les femmes racialisées et les femmes noires. Si on peut soumettre tous les projets de loi à une analyse comparative entre les sexes, cela améliorera la vie de tous les Canadiens.

Honorables sénateurs, nous avons appris récemment que, même si le gouvernement a mené des analyses comparatives entre les sexes, celles-ci n’incluaient pas les femmes racialisées. Il y a beaucoup de travail à faire, et je remercie la sénatrice McCallum de cette initiative très importante. Merci.

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