Aller au contenu

Finances nationales

Motion tendant à autoriser le comité à étudier une feuille de route pour une politique économique et sociale post-pandémie en vue d’aborder les coûts humains, sociaux et financiers occasionnés par la marginalisation et l’inégalité économiques--Ajournement du débat

25 novembre 2021


Conformément au préavis donné le 24 novembre 2021, propose :

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, une feuille de route pour une politique économique et sociale post-pandémie en vue d’aborder les coûts humains, sociaux et financiers occasionnés par la marginalisation et l’inégalité économiques, dès que le comité sera formé, le cas échéant;

Que, vu les appels à l’action des autorités compétentes autochtones, provinciales, territoriales et municipales, le comité examine en particulier des approches potentielles nationales pour une collaboration intergouvernementale afin de mettre en œuvre un revenu de base de subsistance garanti;

Que le comité soumette son rapport final au plus tard le 31 décembre 2022.

 — Honorables sénateurs, j’interviens au sujet de la motion no 6 portant que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, une feuille de route pour une reprise économique post-pandémie tenant compte des coûts humains, sociaux et financiers occasionnés par la marginalisation et l’inégalité économiques, et qu’il soumette son rapport au plus tard le 31 décembre 2022.

On a comparé la pandémie à une tempête en mer. Tandis que certains d’entre nous sont à bord d’un solide navire bien équipé, stable, comptant plusieurs ponts et doté de moteurs fiables, d’autres ont dû affronter les mêmes vagues sans un gilet de sauvetage, ni même une chaloupe sans rame. Cette pandémie n’a pas touché tout le monde dans la même mesure.

Pendant la première année de la pandémie, la situation financière d’un Canadien sur cinq, principalement ceux ayant un revenu supérieur à 100 000 $ s’est améliorée. Les gens comme nous ont été relativement bien protégés. La pandémie n’a jamais menacé notre emploi et notre revenu. Pendant la même période, beaucoup trop de gens ont vécu une situation très difficile. Le taux de chômage au pays a grimpé à des niveaux jamais vus depuis la Grande Crise.

En réponse à la pandémie, le gouvernement a déclaré qu’une économie saine, résiliente et dynamique est une économie « pour tous ». L’économie canadienne est à son mieux lorsque nous défendons des valeurs d’égalité réelle, lorsque l’économie est inclusive et lorsque personne n’est laissé dans la pauvreté ou que celle-ci empêche qui que ce soit de contribuer pleinement à sa collectivité.

Le gouvernement a créé des mesures d’aide financière louables, comme la Prestation canadienne d’urgence, ou PCU, pour assurer la sécurité et la dignité des gens ainsi que la stabilité économique. Pourtant, les personnes les plus démunies n’ont pas pu mettre la main sur ces « gilets de sauvetage », et ce, à dessein.

Les personnes bénéficiant de l’aide sociale qui ne pouvaient pas travailler avant la mise en œuvre de la PCU n’ont pas pu se prévaloir du programme, qui permettait aux personnes qui occupaient précédemment un emploi de toucher 2 000 $ par mois.

Comment croyez-vous qu’un enfant qui quitte le système de protection de l’enfance s’en tire à Toronto, par exemple, avec 390 $ pour se loger et 343 $ pour se nourrir chaque mois? Qu’en est-il d’une mère seule isolée qui dispose chaque mois de moins de 700 $ pour se loger, elle et ses enfants, et de 360 $ pour acheter des aliments nutritifs?

Trop souvent, les personnes qui ont reçu la PCU étaient aussi aux prises avec une situation financière désespérée. Selon les médias, les personnes handicapées et près de 90 000 aînés à faible revenu qui ont reçu la PCU précédemment n’ont maintenant plus accès au plein montant du soutien du revenu sur lequel il compte habituellement. La situation est particulièrement triste pour de nombreuses personnes qui ont reçu la PCU de bonne foi, mais qui sont maintenant obligées de la rembourser en plus de recevoir des prestations moins élevées que d’habitude. Leurs difficultés ressemblent à celles d’autres groupes marginalisés, particulièrement les bénéficiaires de l’aide sociale provinciale et territoriale et les jeunes qui sortent du système de « protection » de l’enfance de l’État.

Les politiques liées à la pandémie ont exclu les plus vulnérables et marginalisés en les laissant pour compte. Les conséquences sont dévastatrices tant sur le plan financier que sur les plans humain et social. Deux Canadiens sur cinq — les plus démunis et les personnes vivant dans la pauvreté — sont confrontés chaque jour à la réalité stressante que représentent la faim, la précarité du logement et l’insécurité personnelle, en plus du spectre de la maladie et de l’itinérance.

Cette semaine, dans le discours du Trône, le gouvernement a déclaré que la lutte contre la pauvreté chez les enfants comptait parmi ses priorités. Selon le récent rapport de Campagne 2000, plus de 1,3 million d’enfants, soit près de 20 % de ceux qui représentent l’avenir du Canada, grandissent dans la pauvreté et sont privés de biens essentiels et de possibilités à un point tel que cela devient intergénérationnel. Le fossé entre les enfants favorisés et les enfants défavorisés est large et profond.

Par ailleurs, l’Allocation canadienne pour enfants permet de tirer moins de personnes de la pauvreté qu’au moment de sa mise en œuvre. Elle n’offre pas une aide suffisante à ceux qui vivent dans une pauvreté extrême.

Le tableau est tout aussi sombre sur le plan du logement. Plus de 250 000 ménages canadiens ont accumulé plus de 350 millions de dollars d’arriérés de loyer depuis le début de la pandémie. Même si la Stratégie nationale sur le logement vise la construction de 150 000 nouveaux logements au cours des 10 prochaines années, environ 235 000 personnes sont sans abri à l’année et 1,7 million de ménages n’ont pas de logement adéquat.

Les Noirs et les Autochtones sont 2,7 fois plus à risque que le reste de la population d’avoir un revenu qui ne leur permet pas de payer leur loyer. Parmi les Autochtones vivant en milieu urbain, 1 sur 15 connaîtra l’itinérance, comparativement à 1 personne sur 128 pour la population en général.

Le fait de ne pas s’attaquer à la pauvreté entraîne aussi des coûts économiques punitifs pour le gouvernement et pour nous tous. En effet, selon une estimation prudente, le coût annuel de la pauvreté varie entre 27,1 et 33 milliards de dollars en Ontario et entre 72 et 84 milliards de dollars au Canada, sous forme de pertes de recettes fiscales et de coûts liés aux soins de santé, aux prisons et au système judiciaire.

Examinons la pauvreté dans le contexte des soins de santé. Les personnes qui vivent dans la pauvreté sont deux à trois fois plus susceptibles de développer le diabète et de subir des complications, comme la cécité et des maladies cardiovasculaires. Sur le plan humain, c’est inacceptable. Cependant, comme si ce n’était pas assez, la pauvreté entraîne également un coût supplémentaire estimé à 7,6 milliards de dollars pour le système de santé canadien.

Et qu’en est-il de la pauvreté dans le contexte du système de justice pénale? Parmi les femmes en prison, 80 % sont incarcérées pour des crimes liés à la pauvreté. Les femmes autochtones sont le plus souvent reconnues coupables de vol de moins de 5 000 dollars, de vol de plus de 5 000 dollars, de fraude et de trafic de drogues ou de biens volés. La plupart des femmes reconnues coupables d’ « infractions » violentes sont transformées en criminelles parce qu’elles ont tenté de se sortir de la pauvreté, de la violence et du racisme.

Dans cette optique, il n’est pas surprenant que l’Agence de la santé publique du Canada ait déclaré en 2008 que :

[…] 1 $ investi pendant la petite enfance permet des économies ultérieures de 3 $ à 9 $ pour les systèmes de santé et de justice pénale ainsi que pour l’assistance sociale […]

Honorables collègues, il est possible de corriger la situation malgré ces inégalités flagrantes. Nous pouvons travailler de concert afin d’aplanir ces disparités. Nous pouvons trouver la meilleure façon de procéder et devons le faire. L’étude dont nous discutons pourrait nous aider à montrer la voie à suivre.

Au plus fort de la pandémie, en 2020, le Comité des finances nationales a recommandé, parmi d’autres mesures, d’examiner si un revenu de base garanti pourrait être positif sur les plans humain, social et économique. L’étude proposée permettrait au comité d’explorer cette question en détail et en profondeur, d’examiner des enjeux tels que le rôle du gouvernement fédéral et le pouvoir fédéral de dépenser à la lumière de l’intersection entre les responsabilités, les programmes et les finances des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux; de la relation entre les nations autochtones et le gouvernement fédéral et des approches économiques favorisant la décolonisation; ainsi que des enjeux comme la conception et le coût des programmes, ce qui pourrait comprendre un examen de l’équité fiscale et des réformes possibles.

Cette étude nous donnerait l’occasion d’examiner, par exemple, comment le comté de Dufferin, en Ontario, a réussi malgré la pandémie à réduire de 50 % le taux d’itinérance chronique dans sa communauté en combinant des allocations de logement et des services de soutien; comment Guelph et le comté de Wellington ont réduit l’itinérance chronique chez les jeunes de 43 % pendant la première année de la pandémie; comment London, en Ontario, a éliminé l’itinérance parmi les vétérans; et comment Medicine Hat, en Alberta, est devenue la première ville canadienne à mettre fin à l’itinérance chronique.

Cette motion vise à établir les étapes pour susciter une collaboration intergouvernementale qui relancera l’économie en mettant l’accent sur le bien-être global, pas seulement le PIB. La relance économique doit inclure des mesures pour enrayer la pauvreté en tenant compte du contexte social et de l’égalité des genres et des races.

Ce mois-ci, nous soulignons le 50e anniversaire de rapport Croll, qui a été publié en 1971 par le Comité spécial du Sénat sur la pauvreté. Le comité avait recommandé ce qui suit :

[...] que le gouvernement du Canada mette en œuvre un programme à base uniforme et nationale de revenu annuel garanti [...] financé et administré par le gouvernement du Canada.

Depuis, la Commission royale sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada a publié les recommandations suivantes en 1985 :

[...] un Régime universel de sécurité du revenu comportant des niveaux de revenu garanti à des taux de récupération fiscale relativement faibles constitue un objectif valable à long terme pour le gouvernement fédéral et les provinces [...]

En 2008, l’ancien sénateur conservateur Hugh Segal et l’ancien sénateur libéral Art Eggleton se sont faits les champions du revenu de subsistance garanti dans cette enceinte et ailleurs. Par la suite, le Sous-comité sur les villes avait recommandé qu’un revenu annuel fédéral remplace les programmes d’aide provinciaux et les programmes d’aide sociale existants.

Il y a quatre ans à peine, le Sénat a adopté la motion du sénateur Eggleton tendant à encourager le gouvernement à soutenir les initiatives provinciales, territoriales et autochtones visant à évaluer le coût et l’incidence des programmes de revenu de base garanti.

Il y a deux ans, la Commission d’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a réclamé que le gouvernement mette en œuvre cette mesure financièrement responsable afin de répondre aux besoins des femmes autochtones et de les aider à fuir la violence et à éviter l’itinérance, la prison et la mort.

Honorables sénateurs, l’intérêt que l’on porte au revenu de base garanti est loin d’être nouveau. De plus, cette mesure est tout à fait faisable. Le directeur parlementaire du budget a présenté une manière de matérialiser le revenu de base garanti avec un coût net nul. Mme Evelyn Forget et d’autres économistes progressistes ont proposé d’autres approches. En Colombie-Britannique, une approche progressive est préconisée.

Pratiquement tout le monde s’entend pour remplacer les programmes d’aide sociale provinciaux et territoriaux existants par des transferts d’argent fondés sur le revenu qui fournissent des ressources suffisantes pour vivre. L’Île-du-Prince-Édouard cherche à obtenir une aide du fédéral pour mettre en œuvre un programme de revenu de base garanti.

Sur cinq ans, un revenu de subsistance garanti pourrait accroître le produit intérieur brut de 1,6 % à 2,4 %, générer entre 46 et 80 milliards de dollars supplémentaires de recettes pour l’État et créer de 298 000 à 450 000 emplois. Le potentiel d’augmentation de la croissance économique et du bien-être des personnes est évident.

Chers collègues, deux personnes sur trois au Canada estiment que l’instauration d’un revenu minimum garanti pour que chacun ait les moyens de combler ses besoins fondamentaux est la chose à faire. La motion à l’étude reflète le fait qu’il faut faire plus d’efforts pour ceux qui sont trop souvent oubliés ou laissés pour compte lorsque l’on pense à la relance nationale.

À l’heure actuelle, les gens qui ont de graves difficultés financières peuvent se retrouver dans une situation de pauvreté chronique. Cela peut arriver aux gens qui s’y attendent le moins, aux personnes qui tentent d’échapper à la violence dans leur foyer, aux personnes qui sont censées prendre soin des enfants, aux personnes âgées ou aux personnes handicapées, aux gens qui perdent leur emploi et aux personnes qui ont des problèmes de santé.

La pauvreté réduit l’espérance de vie d’environ 21 ans.

La pauvreté peut s’ajouter au racisme systémique et l’aggraver de diverses façons en fonction du sexe. Les femmes racisées sont 48 % plus susceptibles d’être au chômage et gagnent 55,6 % du revenu des hommes non racisés.

Honorables sénateurs, cette motion vise à permettre au Sénat de faire ce qu’il fait si bien, c’est-à-dire prendre en considération les intérêts des personnes dont les besoins ne sont pas au cœur des priorités à l’autre endroit. Veillons à ce que tous les Canadiens soient pris en considération lorsque nous tracerons la voie de la relance. Il me tarde de travailler avec chacun d’entre vous afin d’honorer le legs de ceux qui nous ont précédés et de défendre les intérêts des laissés-pour-compte.

Merci. Meegwetch.

Haut de page