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La Loi sur le casier judiciaire

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

30 novembre 2021


Propose que le projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je souhaite intervenir dans le débat sur le projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement. Ce projet de loi vise à éliminer des obstacles inutiles qui nuisent à l’intégration communautaire des personnes ayant un casier judiciaire qui ont été tenues responsables de leurs actes, qui ont purgé la totalité de leur peine et qui tentent de reprendre une vie normale.

Le projet de loi S-212 propose trois mesures clés. Premièrement, il prévoit l’expiration du casier judiciaire plutôt qu’une simple suspension, sauf dans de rares cas lorsque le casier judiciaire est lié à une agression sexuelle. Deuxièmement, il propose de rétablir les délais prévus à l’origine dans la Loi sur le casier judiciaire, soit un délai de deux ans pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, et un délai de cinq ans pour les infractions punissables par mise en accusation. Troisièmement, il propose de transférer à des intervenants gouvernementaux la responsabilité de veiller à l’expiration du casier judiciaire une fois que le délai s’est écoulé sans qu’il y ait eu de condamnations ou d’accusations subséquentes, au lieu qu’il incombe à des particuliers d’assumer les coûts élevés qui sont actuellement rattachés au traitement des demandes.

Le projet de loi S-212 souligne que l’expiration du casier judiciaire est une question de justice et d’équité, et que cela ne devrait pas être un privilège accordé uniquement aux personnes les mieux nanties. Il reconnaît que le système de casier judiciaire actuel contribue à renforcer le racisme systémique et cherche à rectifier la situation. Au lieu de suggérer des mesures fondées sur des idées préconçues de la répression de la criminalité, le projet de loi se fonde sur des faits et adopte des politiques qui rendront les collectivités plus sûres et plus justes pour nous tous. Il permet aussi d’économiser de l’argent et des ressources, tant pour le gouvernement que pour les gens qui ont besoin que leur casier judiciaire soit expiré.

Durant la dernière législature, nous avons renvoyé une version antérieure du projet de loi au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. J’ai hâte de travailler avec vous tous pour assurer l’étude rapide du projet de loi pendant la session en cours.

Aujourd’hui, je passerai en revue les questions fréquemment posées et les raisons pour lesquelles le projet de loi S-212 mérite d’être appuyé et examiné rapidement par le Sénat.

Premièrement, qu’est-ce que l’expiration du casier judiciaire fera de plus que le système actuel de suspension du casier? Deuxièmement, est-ce que l’expiration du casier judiciaire rend les peines plus clémentes? Troisièmement, est-ce que la suppression des exigences rigoureuses liées aux demandes mettra la société en danger? Quatrièmement, est-ce que l’effacement du casier judiciaire entraînera la perte de données importantes? Cinquièmement, le gouvernement a-t-il les moyens de mettre en place un système d’expiration des casiers judiciaires? Sixièmement, le Canada dispose-t-il de la technologie requise pour gérer l’expiration des casiers judiciaires? Septièmement, le gouvernement ne travaille-t-il pas déjà à un projet de loi sur les casiers judiciaires?

La première question était : qu’est-ce que l’expiration du casier judiciaire fera de plus que le système actuel?

Un système d’expiration lèverait les obstacles actuels en matière de suspension des casiers judiciaires qui empêchent les personnes reconnues coupables de retrouver une vie normale après leur libération. Les personnes qui ont payé leur dette à la société et qui ont assumé les conséquences de leurs actes doivent pouvoir travailler, se loger, s’instruire et faire du bénévolat. Leur capacité à réintégrer la société et à y contribuer de façon positive est essentielle à leur sécurité, à leur santé et à leur bien-être, ainsi qu’à ceux de leur collectivité.

Malgré cette réalité, des règles de plus en plus punitives et contraignantes ont rendu la suspension d’un casier plus difficile et, comme nous le verrons plus tard, elles ont été mises en place à l’encontre des recherches qui montrent qu’une inculpation criminelle antérieure n’est pas corrélée au risque de récidivisme et de commission d’une nouvelle infraction dans le futur.

Lorsque la réhabilitation a été instaurée en 1970, Robert McCleave, le porte-parole des conservateurs pour les questions relatives au solliciteur général, insistait pour que le coût, outre le temps requis, se limite au prix d’un timbre. C’était 6 ¢ à l’époque.

En 1995, le coût pour demander la suspension d’un casier judiciaire était de 50 $. Ce montant est passé à 150 $ en 2010, puis à 631 $ en 2012 et, aujourd’hui, il atteint 657,77 $ et continue d’augmenter automatiquement par le biais de l’indexation au coût de la vie. Outre les frais exigés, la personne doit couvrir des centaines de dollars en frais connexes comme la prise des empreintes digitales, la recherche de casier et les services de juristes, sans parler des milliers de dollars versés à des entreprises qui prétendent posséder une expertise en matière de suspension de casier judiciaire.

En plus de la hausse des frais, la période d’attente avant de pouvoir présenter une demande a doublé et le délai de traitement des demandes a augmenté de façon exponentielle. En outre, certains types de condamnations sont devenus complètement inadmissibles à l’expiration du casier judiciaire.

Pendant ce temps, le recours à la vérification du casier judiciaire se multiplie, augmentant de 7 % par année, ce qui exacerbe encore plus les effets de ces restrictions. Trois employeurs sur cinq à Toronto exigent maintenant une vérification des antécédents par la police pour tous leurs nouveaux employés. Une personne est appelée à se soumettre à une vérification du casier judiciaire dans tous les aspects de sa vie, que ce soit dans le cadre de responsabilités parentales, d’une demande de logement, d’activités scolaires, de bénévolat et même pour être admise dans une maison de soins infirmiers.

Des 3,8 millions de Canadiens détenant un casier judiciaire, environ 9 sur 10 n’ont pas de réhabilitation ni de suspension de casier judiciaire.

Nous commettons tous, à un moment donné, des actes répréhensibles que nous regrettons ensuite. Toutefois, la plupart d’entre nous avons la chance de ne pas être définis en permanence par les choses négatives que nous avons faites et l’étalage de celles-ci ne nous précèdent pas lorsque nous rencontrons un employeur potentiel, des amis ou des voisins. Un casier judiciaire n’est pas le portrait complet d’une personne; c’est l’instantané d’un moment de notre vie, habituellement le pire.

À l’heure actuelle au Canada, seuls cinq provinces et territoires, soit le Yukon, la Colombie-Britannique, le Québec, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador, offrent une protection minimale contre la discrimination basée sur un casier judiciaire non réhabilité ou suspendu. Dans toutes les autres provinces et tous les autres territoires, de même que selon la Loi canadienne sur les droits de la personne, toute personne, qu’il s’agisse d’un propriétaire ou d’un employeur, peut discriminer ceux qui n’ont pas eu accès à une suspension de leur casier judiciaire, même si rien ne le justifie du point de vue de la sécurité publique.

Une telle discrimination se conjugue à d’autres inégalités systémiques. Pour des motifs n’ayant rien à voir avec la sécurité publique, les personnes les plus pauvres sont les moins susceptibles d’avoir les moyens d’assumer les coûts d’une suspension de casier judiciaire. Dans le système de justice pénale, le racisme systémique fait en sorte que les personnes racialisées subissent de façon disproportionnée les conséquences liées à l’incapacité d’accéder à la suspension de leur casier judiciaire. Rappelons que les Afro-Canadiens constituent 3 % de la population canadienne, mais environ 7 % à 8 % des prisonniers fédéraux. Quant à eux, les Autochtones représentent 32 % des prisonniers fédéraux, et ce nombre grimpe à 44 % pour les femmes autochtones.

En outre, lorsque des employeurs ou d’autres personnes prennent des décisions discrétionnaires pour accorder une chance à quelqu’un qui a un casier judiciaire, les décisions en question renforcent trop souvent le racisme systémique et d’autres formes d’inégalité. Une étude américaine a indiqué que la probabilité d’être rappelé pour une entrevue d’embauche chute de 50 % pour les candidats blancs qui ont dû révéler à un employeur potentiel qu’ils avaient un casier judiciaire. Pour les candidats noirs, cette probabilité chute de 65 %.

Lorsque la suspension du casier judiciaire n’est pas accessible, la marginalisation qui en découle devient intergénérationnelle. Les parents peinent à fournir un soutien économique et d’autres formes de soutien à leurs enfants, et les enfants subissent les conséquences des casiers judiciaires de leurs parents.

L’expiration du casier judiciaire proposée dans le projet de loi S-212 vise à rendre une telle mesure accessible à tous en temps opportun, y compris les personnes les plus marginalisées, en éliminant les frais applicables et l’obligation de présenter une demande. L’objectif est d’empêcher qu’un casier judiciaire devienne une condamnation à vie pour ceux qui ont depuis longtemps purgé leur peine.

J’en viens à la deuxième question : l’expiration du casier judiciaire rend-elle les peines plus clémentes?

En un mot : non. D’abord, l’objectif ici n’est pas de donner les peines les plus sévères ou les plus punitives, mais plutôt celles qui sont équitables, justes et proportionnelles aux faits reprochés. L’un des principaux objectifs de la détermination de la peine est la réadaptation, et les approches trop punitives nuisent à son atteinte de façons qui nous désavantagent tous.

Il faut aussi distinguer les peines et les effets des casiers judiciaires, lesquels durent après que la peine a été purgée. Les juges imposent des peines en fonction de ce qu’ils considèrent comme nécessaire et approprié pour qu’une personne en particulier soit tenue responsable de ses actes, en sachant en théorie — mais pas nécessairement en pratique — comment les peines interagissent avec les autres parties du système de justice pénale.

Par exemple, les juges peuvent présumer que les personnes revendiqueront leur droit de demander une libération conditionnelle et auront accès à une suspension quelconque de leur casier judiciaire une fois que leur peine est purgée.

Or, la réalité est tout autre. À cause des conditions de détention et de l’accès limité aux programmes et aux services, les peines sont souvent, en fin de compte, bien plus sévères que le juge l’avait prévu et que ce qu’il avait déterminé être équitable et juste.

De plus, les peines minimales obligatoires empêchent les juges d’imposer une peine appropriée. Dans l’ensemble, dans le cadre du système actuel, les prisonniers vivent fréquemment dans un isolement rigoureux et passent plus de temps que nécessaire en prison, devant souvent attendre bien après la date de leur admissibilité à la libération conditionnelle pour être libérés.

En outre, et c’est très pertinent au débat d’aujourd’hui, le fait qu’il n’existe pas de moyens opportuns et accessibles de suspendre un casier judiciaire prolonge les préjugés et la marginalisation dont est victime une personne bien après la fin de sa peine.

L’expiration du casier reflète le principe selon lequel quand la société décide de tenir quelqu’un criminellement responsable de ses méfaits, lui infliger des difficultés supplémentaires équivaut à commettre ou à perpétuer une injustice. C’est pourquoi l’alinéa 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés interdit de punir les personnes après qu’elles ont fini de purger leur peine. Le système de casier judiciaire actuel enfreint ce principe.

La troisième question est la suivante : est-ce que la suppression des exigences complexes liées à la suspension des casiers augmente les risques pour la population?

Les règles punitives de suspension des casiers, qui sont actuellement en place, semblent souvent motivées par une volonté politique de donner l’impression d’être intransigeants envers les criminels.

Toutefois, en dépit des belles paroles, il est important de souligner que ces modifications n’ont pas amélioré la sécurité publique. Avant les modifications apportées en 2010 et en 2012 à la Loi sur le casier judiciaire, une proportion très élevée — plus de 95 % — des personnes qui avaient obtenu une réhabilitation n’ont jamais eu d’autres démêlés avec la justice et ont continué à respecter les exigences rigoureuses en matière de bonne conduite. Les modifications législatives punitives font effectivement augmenter les peines, mais elles ne font rien pour améliorer la sécurité des collectivités.

Ce qui a changé, c’est que, après l’augmentation des frais et l’entrée en vigueur de procédures de demande plus onéreuses, le nombre de personnes présentant une demande de suspension du casier judiciaire a chuté de 40 %.

Les règles punitives ont essentiellement empêché de nombreuses personnes d’avoir accès à la suspension du casier judiciaire alors qu’elles y étaient autrement admissibles et qu’elles ne présentaient aucune menace pour la sécurité publique.

Les recherches démontrent que l’un des meilleurs indicateurs qui révèlent qu’une personne ne sera pas judiciarisée de nouveau est le simple fait de vivre quelques années sans commettre d’acte criminel après avoir purgé sa peine. Les personnes qui ont un casier judiciaire ne sont pas plus susceptibles que d’autres d’être accusées d’un crime.

En outre, libérées du fardeau du casier judiciaire, les personnes concernées peuvent trouver un toit et des moyens de subsistance, ce qui contribue à une réintégration réussie dans la société. En effet, plus les revenus d’une personne ayant un casier augmentent, moins celle-ci a de chances de retomber dans la criminalité.

Si on limite l’accès à l’expiration du casier judiciaire, les conséquences négatives en matière de sécurité publique sont précisément la raison pour laquelle un ancien ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels a qualifié de « mesures stupides » les modifications apportées en 2010 et 2012 à la suspension du casier judiciaire.

C’est aussi pour cette raison que plus de 60 groupes communautaires ont formé la coalition Nouveau départ pour réclamer le type de mesures proposées dans le projet de loi S-212. Cette coalition comprend des organismes travaillant avec et pour ceux qui ont été incriminés, mais aussi pour les victimes, notamment la Clinique commémorative Barbra Schlifer, le Huron Women’s Shelter, Luke’s Place, la coalition des centres anti-viol de l’Ontario, la coalition d’Ottawa contre la violence faite aux femmes, le refuge pour femmes et enfants de Barrie, le refuge Women in Crisis pour Timmins et ses environs, les services aux victimes de la région de Durham et Hébergement femmes Canada.

Cela nous amène à la quatrième question : la suppression des casiers judiciaires induit-elle une perte de données importantes?

Le projet de loi S-212 s’appliquerait à la plupart des types de casiers judiciaires qui se trouvent dans le système de données du Centre d’information de la police canadienne de la GRC. Il interdirait également aux autres organismes qui possèdent des copies des casiers judiciaires, comme les postes de police, de divulguer les casiers judiciaires expirés. À l’heure actuelle, la Loi sur le casier judiciaire prévoit deux utilisations principales pour les casiers judiciaires visés par la réhabilitation ou la suspension. Le projet de loi S-212 continuerait d’autoriser ces deux utilisations.

Tout d’abord, lorsque la police trouve des empreintes digitales dans le cadre d’une enquête sur un crime ou qu’elle cherche à identifier une personne décédée ou frappée d’incapacité, le système peut continuer à divulguer des renseignements sur cette personne à la police même si son casier judiciaire a expiré.

Le projet de loi préserve également le régime de la Loi sur le casier judiciaire pour les vérifications des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables. Lorsqu’une personne pose sa candidature pour travailler ou faire du bénévolat auprès d’enfants ou d’autres personnes vulnérables, ces vérifications permettent de repérer et de signaler les casiers judiciaires qui contiennent des condamnations pour agression sexuelle. Compte tenu des réalités auxquelles sont confrontés les femmes et les enfants qui ont été victimes de crimes violents en raison de l’absence de protection contre les agresseurs et de responsabilité de leur part, il faut reconnaître que les vérifications du casier judiciaire ne constitueront jamais, à elles seules, un moyen efficace de protéger les gens contre les dangers.

En raison des obstacles au signalement des agressions sexuelles, le projet de loi S-212 prévoit aussi une exception à l’expiration permanente et définitive des casiers judiciaires. Les casiers judiciaires qui concernent une agression sexuelle visée aux annexes 1 et 2 peuvent être récupérés sous prétexte que des informations ultérieures indiquent que le comportement d’une personne devrait la rendre inadmissible à l’expiration de son casier judiciaire.

La cinquième question concerne les coûts : le gouvernement a-t-il les moyens de mettre en place un système d’expiration des casiers judiciaires? Actuellement, l’expiration du casier judiciaire est le seul programme de Sécurité publique Canada assujetti au plein recouvrement des coûts. L’idée a été introduite il y a seulement 10 ans, parmi une foule de mesures censées réprimer la criminalité. Cette approche fait fi tant de l’intérêt des personnes qui réussissent leur réinsertion sociale que du principe juridique voulant qu’il ne faille pas continuer de punir les gens qui ont fini de purger leur peine.

Pour bon nombre d’entre nous qui ont le privilège de siéger au Sénat, des frais de demande de 657,77 $ plus des coûts supplémentaires de centaines de dollars ne semblent peut-être pas prohibitifs. Toutefois, rappelez-vous que la plupart des gens qui souhaitent faire suspendre leur casier judiciaire le font pour obtenir de la formation ou un emploi afin de se sortir de la pauvreté.

Les données de Sécurité publique Canada montrent que parmi les 11 158 personnes qui n’avaient pas obtenu un pardon ou la suspension de leur casier 14 ans après avoir été libérées d’une prison fédérale, seulement 51 % avaient réussi à trouver un emploi par rapport à 69 % pour la population générale. Le revenu médian de ces personnes est de zéro dollar.

Parmi ceux qui avaient un emploi, le revenu moyen s’élevait à 14 000 $ par année, soit 1 167 $ par mois, ce qui est bien inférieur au seuil de pauvreté et moins de la moitié du revenu moyen des Canadiens qui ne sont pas marginalisés sur le plan économique. En supposant que le loyer mensuel d’un appartement à une chambre à coucher varie de 753 $ à 2 216 $ environ selon l’endroit au pays, la majorité de ces gens vivraient dans la rue ou dans un logement inadéquat, seraient endettés ou dans l’impossibilité d’acheter de la nourriture ou des vêtements, que ce soit pour eux ou leurs enfants, ou encore d’utiliser un moyen de transport.

Est-ce qu’un ami ou un parent pourrait les aider à couvrir ces coûts? Même si c’est une possibilité pour certains, les personnes vivant de l’aide sociale courraient le risque qu’on vienne récupérer leur soutien au revenu déjà ridiculement bas parce qu’ils ont reçu ce genre de cadeau d’un ami ou d’un parent. Trop nombreux également sont ceux qui risquent d’être la proie d’entreprises qui prétendent leur venir en aide, mais qui facturent des frais exorbitants pour une aide négligeable dans le processus d’expiration du casier judiciaire.

Essayons d’imaginer combien de mois et d’années il faudrait pour économiser 657,77 $ tout en payant pour des besoins fondamentaux qui nous enfoncent un peu plus dans la dette mois après mois. Dans un pays aussi riche que le Canada, un pays qui prétend valoriser la justice, des gens qui ont purgé leur peine et qui ont dû répondre de leurs actes ne devraient pas devoir souffrir de la faim ou finir dans la rue pour pouvoir se débarrasser d’un casier judiciaire qui les maintient dans une spirale de pauvreté, en marge de la société.

Outre les avantages sur les plans humain et social liés à l’expiration sans frais des casiers, l’approche adoptée dans le projet de loi S-212 comporte deux avantages financiers convaincants. Premièrement, les responsables de la sécurité publique admettent que chaque dollar que le gouvernement investit dans l’expiration des casiers rapporte deux dollars, car les gens peuvent alors décrocher un emploi et payer de l’impôt sur le revenu.

Deuxièmement, le fait que les casiers expirent après un certain nombre d’années si les personnes concernées ne commettent pas d’acte criminel permet de grandement réduire les tracasseries administratives qui ont fait augmenter les coûts et les délais d’expiration des casiers.

Selon une perspective de sécurité publique, il est plus efficace que les casiers judiciaires expirent tout simplement sur la base du passage du temps.

Les ressources de la Commission des libérations conditionnelles ont été étirées au maximum en raison des changements fragmentaires dans le système de suivi des casiers judiciaires, créant quatre types de demandes de dossiers différents — chacun ayant ses particularités — que la Commission doit gérer. Le premier de ces types de demandes est le processus général de suspension de casier; le deuxième, l’ancien processus de pardon pour ceux qui pouvaient encore y recourir; le troisième, le processus de radiation pour les personnes criminalisées en raison d’une discrimination historique à l’encontre des membres des communautés 2SLGBTQ+; et le quatrième, la suspension du casier lié au cannabis.

Le projet de loi S-212 les remplacerait tous par un seul système qui autoriserait la Commission à rediriger ses ressources limitées vers d’autres aspects importants de son mandat.

La sixième question porte sur le système simplifié : le Canada dispose-t-il de la technologie requise pour gérer les expirations des casiers judiciaires?

Lors d’une audience du Comité sénatorial des affaires juridiques, un ancien ministre de la sécurité publique a déclaré que l’administration de l’expiration des dossiers judiciaires sans applications requerrait un système national complet de conservation des dossiers. Au titre du projet de loi S-212, les policiers appelés à communiquer un dossier criminel non expiré seraient tenus de confirmer que ce dernier est enregistré dans la base de données du Centre d’information de la police canadienne de la GRC. Ce centre servirait alors de système centralisé des dossiers pour les expirations automatisées, sans que la personne ait besoin de présenter une demande.

La mise en œuvre d’une expiration automatique des casiers judiciaires, sans avoir à en faire la demande, serait faisable sur le plan technologique. Des pays comme le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et la Nouvelle-Zélande ont tous mis en œuvre différents types d’expiration automatique des casiers judiciaires. Signalons que cette approche existe déjà au Canada pour la gestion des casiers criminels des jeunes contrevenants.

Cela m’amène à la septième et dernière question : le gouvernement ne travaille-t-il pas déjà sur un projet de loi concernant les casiers judiciaires?

Le projet de loi C-31, présenté juste avant la dernière élection fédérale, marquait un pas dans la bonne direction. Il ne répondait toutefois pas aux besoins mis en lumière pendant les consultations du gouvernement. En effet, plus de 80 % des Canadiens sont favorables à une expiration du casier judiciaire automatique plutôt que sur demande. Malgré cela, le projet de loi C-31 prévoit toujours des exigences complexes à propos des demandes.

Dans le même ordre d’idées, 80 % des Canadiens considèrent que les frais à payer pour soumettre une demande représentent un obstacle majeur pour les personnes qui souhaitent obtenir une suspension de casier judiciaire; plus de 60 % considèrent que les frais et le processus de demande sont une punition de plus. Le gouvernement s’est engagé à réduire les frais, mais il n’a pas fourni de détails à propos des montants envisagés ni de l’échéancier.

Pour constater que le projet de loi C-31 ne permettra pas d’atteindre l’objectif formulé par le gouvernement, qui est de réduire les inégalités systémiques dans le système de casiers judiciaires, il suffit de regarder les précédents projets de loi sur la réforme des casiers. On pense particulièrement aux projets de loi C-66 et C-93, qui ont apporté quelques changements fragmentés et réduit quelques-uns des obstacles auxquels se butaient des catégories étroites de demandeurs, comme ceux dont le casier était lié à une discrimination historique contre les communautés 2SLGBTQ+, et ceux qui avaient été reconnus coupables de possession de cannabis.

Ces projets de loi supprimaient les frais de demande, mais pas le projet de loi C-31.

Étonnamment, malgré ces tentatives pour créer un processus de demande plus facile d’utilisation que ce que prévoit le projet de loi C-31, peu de personnes ont accédé aux formulaires de demande de suspension du casier judiciaire. Lorsque la possession de cannabis a été décriminalisée, on estimait à 250 000 le nombre de Canadiens ayant une infraction pour possession simple de cannabis inscrite à leur casier judiciaire. Pourtant, on s’attendait à ce que le projet de loi C-93 n’aide que 10 000 personnes à éliminer de leur casier judiciaire l’infraction pour possession de cannabis. Plus de deux ans plus tard, seulement 484 personnes ont obtenu ce pardon. Parallèlement, le système a refusé environ 300 personnes qui ne répondaient pas aux critères et aux exigences du processus de demande.

Au cours des trois années qui ont suivi l’entrée en vigueur du projet de loi C-66, sur un total estimé à 9 000 personnes ayant un casier judiciaire en raison de la discrimination exercée à l’endroit de la communauté 2SLGBTQ+ — à peine un dixième de 1 % —, seulement 9 personnes ont obtenu la suspension de leur casier judiciaire. C’est simplement inacceptable.

Nous ignorons si le gouvernement représentera le projet de loi C-31 avec les changements nécessaires pour faire en sorte que la suspension du casier soit véritablement accessible ni quand il le fera. S’il le fait, je serai la première à appuyer un projet de loi d’initiative ministérielle efficace. Entretemps, je nous exhorte humblement à agir.

Les injustices systémiques du système de casiers judiciaires marginalisent des personnes, des familles, des communautés et nous devons y accorder notre attention dès maintenant.

En conclusion, je cite Le rapport final sur l’examen du système de justice pénale du Canada publié par le gouvernement en 2019. Voici l’une des recommandations formulées dans le rapport :

[...] Adopter une approche pangouvernementale pour rendre la réhabilitation plus accessible, afin d’assurer que certains délinquants ont la possibilité de tourner la page sans qu’un casier judiciaire les empêche de se concentrer sur l’avenir.

Le système actuel n’est pas accessible. Il est indûment coûteux et lourd. Il n’améliore pas la sécurité des Canadiens. En fait, il affaiblit la sécurité publique. Il crée des barrières à la réintégration et sape la capacité des gens à contribuer à leur collectivité. Il marginalise les gens, les prive d’occasions de travailler, de faire des études et du bénévolat et de se procurer des choses nécessaires comme un logement sûr et des soins de santé.

À cause du racisme omniprésent dans le système judiciaire et pénal, le système actuel perpétue et amplifie la discrimination systémique et les inégalités auxquelles font face les communautés autochtones et afro-canadiennes.

Le gouvernement a reconnu que le système de casier judiciaire est injuste et inacceptable. Pourtant, malgré les bonnes intentions qui les sous-tendent, des mesures d’aide comme celles prévues dans les projets de loi C-66 et C-93 n’ont pas permis de venir en aide à la plupart des personnes auxquelles elles étaient particulièrement destinées.

Le projet de loi C-31 a également raté la cible. Ces mesures ont à peine changé le statu quo. Par conséquent, même si c’était involontaire, elles ont contribué à maintenir ces situations injustes. Il incombe encore aux particuliers de composer avec un coûteux processus de demande. Le projet de loi S-212 obligerait plutôt le gouvernement à veiller à ce que la punition associée à une condamnation au criminel ne soit pas injustement prolongée bien au-delà de la peine qui a été purgée.

Une fois qu’une personne a purgé sa peine, elle a payé sa dette à la société. Comme la Cour fédérale l’a affirmé : « La double peine n’a pas sa place dans notre société, ni la discrimination fondée sur le casier judiciaire [...] »

En ce qui concerne la vie des personnes qui ont purgé leur peine, la Cour suprême du Canada a affirmé ceci :

Les individus qui ont acquitté leur dette envers la société ont droit de la réintégrer et d’y vivre sans courir le risque d’être dévalorisés et injustement stigmatisés.

Le projet de loi tient compte de l’avis des tribunaux canadiens. Il vise à mettre en œuvre ce que le gouvernement avait l’intention de faire avec le projet de loi C-31. Plus important encore, le projet de loi reflète l’idée que des intervenants canadiens comme la coalition Nouveau départ ainsi que la population en général se font de la justice et de l’équité. Les consultations ont révélé qu’une grande partie de la population convient que les coûts et les procédures en vigueur pour la suspension du casier judiciaire sont injustes et punitifs.

Honorables sénateurs, travaillons ensemble pour apporter au système de casier judiciaire du Canada des modifications fondées sur les données probantes qui se font attendre depuis longtemps. Il me tarde que vous apportiez votre précieuse contribution à l’étude de ce projet de loi.

Meegwetch, merci.

L’honorable Ratna Omidvar [ - ]

La sénatrice Pate accepterait-elle de répondre à une question?

Absolument.

La sénatrice Omidvar [ - ]

Sénatrice Pate, merci de votre engagement soutenu pour réformer le système de justice pénale. Au comité, lorsque nous avons discuté des différents aspects de la réforme du système de justice pénale, on nous a toujours cité en exemple le modèle des pays scandinaves. Ma question est la suivante : serons-nous des précurseurs avec ce projet de loi ou allons-nous suivre ce qui se fait dans d’autres pays?

Merci de votre question. Nous ne serions pas des précurseurs étant donné que certains pays comme l’Allemagne, la Nouvelle-Zélande et d’autres ont déjà adopté la suspension du casier judiciaire. Vous avez mentionné les pays scandinaves, mais en fait ce sont des pays comme le Portugal qui sont essentiellement à l’origine des processus d’expiration des casiers, simplement ils ne les appellent pas ainsi. Je pense que nous avons beaucoup à apprendre des différents types d’approches qui existent si nous ne voulons pas de l’approche proposée dans ce projet de loi, même si cette dernière n’est qu’une méthode visant à simplifier l’expiration des casiers judiciaires, comme cela a été suggéré par le gouvernement.

L’honorable Colin Deacon [ - ]

Sénatrice Pate, accepteriez-vous de répondre à une question?

Tout à fait.

Le sénateur C. Deacon [ - ]

Sénatrice Pate, l’énoncé de mission du Service correctionnel du Canada dit que ce dernier « [...] contribue à la protection de la société en incitant activement et en aidant les délinquants à devenir des citoyens respectueux des lois [...] ».

Savez-vous quels indicateurs de rendement le Service correctionnel surveille pour s’assurer qu’il s’acquitte de ce mandat? Avez-vous songé à quels indicateurs de rendement vous aimeriez voir pour que l’on puisse s’assurer que le Service correctionnel remplit sa mission?

En fait, sénateur C. Deacon, la sénatrice Forest-Niesing et moi travaillions à un projet de loi que je présenterai probablement sous peu et qui, espérons-le, tentera de régler certains de ces problèmes. Je suis impatiente de présenter cette mesure la semaine prochaine.

Comme vous le faites remarquer, avec raison, il n’existe pas nécessairement d’indicateurs de rendement, mais il existe certainement des principes et des valeurs que Service correctionnel Canada est censé respecter. D’abord et avant tout, il y a les mesures les moins restrictives possible, de même que l’intégration communautaire et, bien entendu, la sécurité publique. Tout cela doit se faire dans ce même cadre.

Comme nous l’avons appris lorsque nous avons examiné le projet de loi C-83, il y a beaucoup de travail à faire pour améliorer la reddition de comptes de Service correctionnel du Canada non seulement par rapport aux aspects les plus punitifs ou restrictifs de ses activités, mais par rapport à tous les aspects de ses activités. Merci.

Le sénateur C. Deacon [ - ]

Merci.

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