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La Loi sur le casier judiciaire

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Motion d'amendement--Suite du débat

30 mai 2024


Honorables sénateurs, le débat sur cet article est ajourné au nom de l’honorable sénatrice McBean, et je demande le consentement du Sénat pour qu’il reste ajourné à son nom après mon intervention d’aujourd’hui.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Honorables sénateurs, l’amendement proposé par le sénateur Housakos au projet de loi S-212, qui porte sur l’expiration du casier judiciaire, rétablirait les délais de 5 et 10 ans. Or, au cours des 10 dernières années, ces délais n’ont pas permis d’améliorer la sécurité publique. Au contraire, des délais plus longs avant l’expiration du casier judiciaire risquent de miner la sécurité publique au lieu de l’accroître en créant davantage d’obstacles à l’obtention d’un logement stable, d’un emploi et d’autres outils nécessaires à la réussite des personnes qui s’efforcent de passer outre leur casier judiciaire pour contribuer à leur collectivité.

Le projet de loi S-212 fait fond sur des mesures progressives prises par le gouvernement pour respecter son engagement d’annuler les changements des conservateurs qui ont augmenté les coûts, accru la complexité et prolongé les délais, ce qui a multiplié les obstacles associés à l’obtention de la suspension du casier judiciaire.

Comme les débats sur ce sujet et des projets de loi précédents l’ont déjà révélé, les discussions sur le système de justice pénale génèrent souvent des craintes et des préoccupations bien réelles qui contribuent à l’émergence de mythes et de stéréotypes néfastes, qui sont alimentés par la joute politique pour marquer des points en opposant ceux qui font preuve de laxisme en matière de criminalité et ceux qui sévissent contre elle. Je nous exhorte à examiner attentivement les faits et à travailler ensemble pour mettre fin à ce qui ressemble trop souvent à un jeu de vrai ou faux. Ce n’est très certainement pas un jeu. Les conséquences sont bien trop importantes et potentiellement terribles.

Des décennies de recherches et de données probantes montrent clairement que les délais de 2 et 5 ans qui sont proposés dans le projet de loi S-212 créeront un système plus juste et plus sûr. Ces délais exigent que les personnes ne commettent aucun crime après l’expiration de chacune des peines. Contrairement à ce que le sénateur Housakos a laissé entendre, les délais de 2 et 5 ans ne commencent pas à la date de la condamnation. Tout dépendant de la durée de l’emprisonnement, de la libération conditionnelle ou d’autres éléments de la peine, il s’écoule souvent de nombreuses années, voire plusieurs décennies, entre la date de la condamnation et la fin de la peine, puis l’admissibilité éventuelle à l’expiration du casier judiciaire. Ce seul fait annule le risque perçu de récidive. Comme le révèlent les recherches et les données gouvernementales, après un nombre relativement faible d’années passées sans infraction au sein de la collectivité, les personnes ayant un casier judiciaire ne sont pas plus susceptibles de commettre un crime que qui que ce soit d’autre — même vous ou moi.

Voici ce que nous ont dit les témoins qui ont comparu devant le comité, y compris ceux de Sécurité publique Canada :

Il est vrai que les taux de récidive diminuent avec le temps. Un certain nombre d’études l’indiquent.

Et :

C’est vrai pour toutes les catégories

 — d’infraction.

[...] il est faux que les risques de récidive sont plus élevés pour toutes les infractions violentes

 — ou sexuelles —

, par exemple.

Lorsque les personnes sont en mesure d’aller de l’avant, de trouver un endroit sûr où loger et un emploi qui leur permet de subvenir à leurs besoins et de nouer des liens utiles au sein de leur collectivité, elles s’en sortent chaque fois incroyablement bien.

La Commission des libérations conditionnelles du Canada a indiqué lors de son témoignage devant le comité que, depuis 1970, près de 500 000 Canadiens ont obtenu un pardon ou une suspension de leur casier judiciaire, et que 95 % d’entre eux n’ont pas commis d’autre crime. Pour les 5 % restants, selon Sécurité publique Canada, la majorité des nouvelles condamnations concernaient des infractions liées à l’alcool et au code de la route ainsi que des crimes contre les biens. Il existe surtout une corrélation évidente entre les nouvelles condamnations et le chômage.

Lorsque le gouvernement conservateur précédent a porté les délais d’attente à 5 et 10 ans, mesures que le sénateur Housakos propose de rétablir dans le projet de loi S-212 au moyen de son amendement, ces délais et autres restrictions n’avaient aucune incidence sur le taux de réussite du système de pardon qui, à 95 %, était déjà très élevé. Les personnes qui obtenaient une suspension de leur casier judiciaire continuaient à bien s’en sortir. La différence, c’est que moins de gens, surtout dans les communautés marginalisées, avaient les moyens d’obtenir cette suspension et qu’ils devaient attendre plus longtemps pour ce faire.

On a souligné l’importance d’éliminer les obstacles à la suspension du casier judiciaire lors des consultations publiques sur le cadre fédéral visant à réduire la récidive en 2021-2022. Au lieu d’imposer d’autres conséquences punitives, ce cadre mettait l’accent sur les déterminants sociaux de la santé qui, on l’a prouvé, réduisent la récidive, par exemple, le logement, l’éducation, l’emploi, la santé et les réseaux de soutien positif.

C’est l’incapacité à s’intégrer dans la société, plutôt que la possession d’un casier judiciaire, est le facteur qui détermine le plus les risques qu’une personne retombe dans le crime ou soit condamnée de nouveau. L’expiration du casier judiciaire prévue dans le projet de loi S-212 améliorera les chances que ces personnes obtiennent une sécurité financière, aient un logement ou tissent des liens sociaux, améliorant ainsi leurs chances de bien s’intégrer et diminuant la probabilité qu’elles se livrent à des activités criminelles pour survivre.

Selon une étude, sur un échantillon aléatoire de 401 personnes libérées de prison, celles qui avaient pu trouver un emploi étaient deux fois moins susceptibles d’être arrêtées de nouveau. Une étude quinquennale portant sur 6 000 personnes a révélé que, quel que soit le type de condamnation, l’emploi était le facteur le plus important pour déterminer si une personne réussirait sa réinsertion sociale.

Le projet de loi S-212 et les délais d’attente qu’il propose visent à favoriser l’élimination des obstacles qui empêchent de trouver un emploi et d’autres moyens de trouver un sens à la vie, une place dans la société et un moyen de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille.

Toutefois, qu’en est-il des données présentées par le sénateur Housakos? Il a soulevé des préoccupations au sujet de l’expiration du casier judiciaire dans le cas des condamnations liées à la violence faite aux enfants en soulignant que le nombre d’infractions liées à la pédopornographie et à la traite des enfants a augmenté au cours des dernières années.

Cette augmentation s’est produite sur plus d’une décennie sans être touchée par les changements visant à rendre la suspension du casier judiciaire moins accessible. Les modifications à la loi visant à empêcher les personnes reconnues coupables de telles infractions d’être admissibles à la suspension du casier judiciaire n’ont ni prévenu ni empêché les méfaits dont a parlé le sénateur Housakos et elles n’ont pas entraîné non plus d’autres effets positifs.

L’ancien porte-parole pour le projet de loi S-212 a fait valoir que les personnes ayant commis des agressions sexuelles contre des enfants ne devraient pas être admissibles à l’expiration du casier judiciaire. Or, il n’y a aucune raison de traiter différemment certaines infractions dans le cadre de ce régime. Le système de détermination de la peine prévoit déjà des peines adaptées en fonction du type de condamnation et des circonstances propres à une personne. Un système d’expiration à deux vitesses créerait une seconde peine punitive pour des personnes qui ont déjà purgé leur peine et qui n’ont pas commis de crime dans la collectivité.

Avant d’avoir des enfants, j’ai travaillé avec des hommes qui avaient été condamnés pour des infractions sexuelles. La plupart étaient des gens racialisés. Certains avaient une déficience intellectuelle. Bon nombre avaient subi de la violence et des traumatismes par le passé. Tous étaient pauvres.

Par ailleurs, j’ai travaillé bénévolement auprès de femmes et d’enfants victimes de violence, en particulier des enfants victimes de viol incestueux et d’actes de violence. Dans la plupart des cas, les auteurs de ces actes qui étaient riches ou privilégiés n’avaient jamais été dénoncés à la police, et encore moins accusés, poursuivis ou condamnés. La plupart étaient des hommes et des garçons connus des victimes ou ayant un lien familial avec elles. Dans les rares cas qui se rendaient jusque devant les tribunaux, les accusations d’agression sexuelle étaient les premières à faire l’objet d’une négociation de plaidoyer. Si l’accusé en avait les moyens, il pouvait engager une armée d’avocats et de professionnels — des psychiatres, des travailleurs sociaux et des fournisseurs de traitements — pour élaborer des arguments juridiques tordus afin de l’excuser et de faire taire la victime.

Une fois que l’on connaît ces vérités, on ne peut plus prétendre qu’une autre réalité existe, ni adhérer à des mythes et des stéréotypes ou les perpétuer. Qu’est-ce que cela signifie?

Chers collègues, il va sans dire que je vis dans les mêmes collectivités que vous. Dès lors, pourquoi ferais-je la promotion de quelque chose qui exposerait mes enfants ou les vôtres à un plus grand danger?

Lorsque j’ai eu des enfants, sachant que la plupart des agressions sexuelles contre des enfants sont commises par des personnes qui ont un accès planifié ou opportuniste aux enfants, j’ai décroché des places dans des garderies professionnelles dotées d’un personnel nombreux, malgré le coût presque insupportable. Lorsque d’autres parents insistaient sur la vérification du casier judiciaire des travailleurs, je faisais remarquer que les casiers ne devaient pas tous être un obstacle et je plaidais plutôt en faveur d’une politique garantissant qu’aucun enfant ne soit laissé seul avec un seul adulte dans les toilettes ou les zones de repos.

Selon Noni Classen, directrice de l’éducation au Centre canadien de protection de l’enfance, les vérifications du casier judiciaire et du registre des cas d’enfants maltraités ne permettent pas, à elles seules, de détecter les agresseurs d’enfants. Elle insiste sur le fait que « la plupart des personnes qui posent problème [...] n’ont pas de casier judiciaire ».

Pourquoi est-ce que je m’oppose aux peines plus longues et aux approches plus punitives pour lutter contre la violence et les abus? Parce que ces approches ne fonctionnent tout simplement pas. Ce qui fonctionne, c’est d’exiger que les gens joignent le geste à la parole et qu’ils adoptent les comportements et les approches dont nous avons besoin et que nous souhaitons pour mettre fin aux idées, aux paroles et aux actes nuisibles, tant dans le cadre de l’éducation des enfants et des relations entre les hommes et les femmes que dans le contexte de l’intimidation ou de toute autre forme de maltraitance.

Les tribunaux sont clairs : « La double peine n’a pas sa place dans notre société, ni la discrimination fondée sur le casier judiciaire […] ». Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada :

Les individus qui ont acquitté leur dette envers la société ont droit de la réintégrer et d’y vivre sans courir le risque d’être dévalorisés et injustement stigmatisés.

Les politiciens et les décideurs présentent souvent l’exclusion de certains types de condamnations comme inévitable ou évidente, mais ces concessions et compromis ne servent qu’à prolonger les peines. Les données montrent qu’elles n’améliorent pas la sécurité des personnes et des collectivités.

Toutefois, même sous le régime du projet de loi S-212, toutes les infractions ne seraient pas nécessairement traitées de la même manière. Les condamnations pour maltraitance d’enfants et agression sexuelle continueraient de ressortir lors des vérifications des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables, qui sont exigées pour travailler ou faire du bénévolat auprès d’enfants, d’aînés ou d’autres personnes jugées vulnérables. Contrairement à d’autres casiers judiciaires, ces types de condamnations resteraient également sujets à révocation et à suspension dans des situations limitées, afin de tenir compte des obstacles au signalement des cas de violence et d’agression, qui peuvent faire en sorte que les informations pertinentes ne soient disponibles qu’après l’expiration d’un casier.

En vertu du projet de loi S-212, la police pourra toujours accéder aux casiers expirés à des fins d’enquête légitimes. Cette possibilité résulte d’un amendement que j’ai proposé en réponse aux préoccupations de certains collègues conservateurs et de la police.

Le projet de loi S-212 vise à rétablir les délais d’attente de deux et cinq ans prévus par la Loi sur le casier judiciaire. Lorsque cette loi a été adoptée en 1970, l’honorable Robert McCleave, porte-parole conservateur pour les dossiers relevant du solliciteur général, a offert le soutien unanime de son parti au projet de loi et aux amendements qui rendaient le pardon possible pour les condamnations par procédure sommaire plus tôt — après deux ans —, ce qu’il qualifiait de « très important ».

Récemment, en 2017, le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes a demandé, à l’unanimité et tous partis confondus, que le système de casiers judiciaires soit réexaminé dans l’optique de l’accessibilité. Quatre Canadiens sur cinq sont favorables à une certaine forme d’expiration automatique du casier. De plus, la majorité des Canadiens conviennent que les délais actuels sont trop longs et la plupart d’entre eux proposent des délais allant d’un à cinq ans pour les actes criminels.

Des sanctions plus sévères peuvent nous donner, ainsi qu’à certains citoyens, l’impression que nous accomplissons quelque chose. En réalité, si nous ne changeons pas les comportements et les conditions qui donnent lieu aux inégalités qui ont permis la criminalisation de masse et l’incarcération des personnes les plus marginalisées, nous ne répondrons pas aux attentes des Canadiens en ce qui concerne l’amélioration de la sécurité des collectivités.

Bref, les modifications législatives punitives n’améliorent pas notre sécurité. C’est précisément en raison des conséquences négatives de la restriction de l’accès à la suspension du casier judiciaire et de la décision de laisser les personnes marginalisées sans logement ou emploi sûr pendant des périodes plus longues qu’un ancien ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels a déclaré que les restrictions de 2010 et 2012 de l’accès à la suspension du casier judiciaire étaient vraiment stupides.

Chers collègues, veuillez vous joindre à moi pour insister sur les délais de deux et cinq ans proposés dans le projet de loi S-212 et pour rétablir l’intention initiale de la Loi sur le casier judiciaire et le consensus entre les parties qu’elle représentait, à savoir que la meilleure façon d’assurer la sécurité publique est de permettre aux gens de tourner la page sur la criminalité et de s’intégrer dans la société.

Meegwetch. Merci.

L’honorable Wanda Thomas Bernard [ - ]

La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

Sénatrice Pate, la semaine dernière, lorsque le sénateur Housakos a proposé cet amendement, il a déclaré ceci :

C’est pourquoi on nous enseigne dès le plus jeune âge — indépendamment de la race, de la couleur, de l’origine, du statut économique — qu’il faut travailler dur, respecter les règles et s’efforcer d’être un citoyen respectueux de la loi et de faire de bonnes choses dans la société, faute de quoi il doit y avoir des conséquences.

Êtes-vous d’accord?

Je pense que nous sommes tous d’accord là-dessus. La réalité, cependant, c’est que ce n’est pas ainsi que la loi est appliquée. Lorsque nous allons à la faculté de droit, nous apprenons que la loi s’applique de la même façon à tout le monde, mais nous constatons rapidement, lorsque nous entrons dans la société — surtout si nous entrons dans nos prisons —, que ce n’est pas vrai. Les personnes qui sont judiciarisées et emprisonnées sont les plus susceptibles d’être laissées pour compte par tous les autres systèmes : notre système d’aide à l’enfance, notre système d’éducation, notre système de santé et notre système de justice pour les adolescents.

Je suis d’accord avec le sentiment exprimé. Je pense que la réalité est très différente. C’est la seule raison pour laquelle, dans le système carcéral fédéral actuel, une femme sur dix est noire et une femme sur deux est autochtone. Et ces chiffres ont augmenté depuis le peu de temps que je siège au Sénat.

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