Le Code criminel—La Loi sur les Indiens
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
11 avril 2024
Honorables sénateurs, cet article a été ajourné au nom de la sénatrice Martin, et je demande le consentement du Sénat pour que, à la suite de mon intervention, le reste de son temps de parole sur cet article lui soit réservé.
Le consentement est-il accordé?
Il en est ainsi ordonné.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-268, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les Indiens.
Pour remettre les choses en contexte, en 1985, le Parlement a modifié le Code criminel afin d’autoriser et d’étendre la compétence provinciale en matière de loteries et de jeux. À l’époque, on n’a pas réfléchi ou tenu compte de la compétence inhérente des Premières Nations en matière de loteries et de jeux dans leurs réserves respectives.
Le projet de loi S-268 vise à corriger cette erreur historique en proposant de modifier l’article 207 du Code criminel et l’article 81 de la Loi sur les Indiens. Essentiellement, il donnera au corps dirigeant d’une Première Nation la possibilité d’exercer le pouvoir exclusif de mettre sur pied et d’administrer des loteries et de délivrer des licences dans la réserve, conformément à la Loi sur les Indiens. Pour exercer cette compétence, une Première Nation devra d’abord informer le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial concerné de son intention d’exercer cette compétence.
Je tiens à remercier le sénateur Tannas et son équipe, en particulier Mehek Noorani, pour tout le travail qu’ils ont accompli dans le cadre de cette importante mesure législative.
Chers collègues, j’ai une connaissance et une expérience directes de la valeur que les revenus de jeux peuvent apporter à une communauté des Premières Nations. En tant qu’ancien chef de la nation mi’kmaq Paqtnkek, je peux témoigner du fait que les communautés des Premières Nations dépendent des profits générés par les recettes des appareils de loterie vidéo dans les réserves. Ces revenus permettent d’offrir des programmes et des services indispensables à la santé et au bien-être de la communauté.
Comme c’est le cas pour la plupart des Premières Nations du Canada, des accords provinciaux encadrent l’administration des jeux dans les réserves. En Nouvelle-Écosse, ces accords sont largement dépassés et ne tiennent pas compte des tendances démographiques croissantes ni de l’évolution des besoins des communautés des Premières Nations. Ils ne respectent pas non plus le droit inhérent des Premières Nations à gouverner leurs affaires conformément à leurs coutumes, leurs valeurs et leurs traditions.
Je termine actuellement une tournée d’écoute dans le Mi’kma’ki, le territoire traditionnel du peuple mi’kmaq, qui s’étend de Terre‑Neuve jusqu’à la péninsule gaspésienne au Québec et jusqu’à certaines parties du Maine. J’ajouterais que « Gaspé » est le nom d’un district mi’kmaq; il signifie « dernière terre ».
Bien que j’aie été chef et chef régional, je ne voulais pas présumer connaître tous les problèmes auxquels sont confrontés les dirigeants et les organisations des Premières Nations. J’ai donc rendu visite à beaucoup de communautés, de conseils tribaux, de chefs traditionnels et d’organisations autochtones afin d’entendre directement d’eux ce qu’ils ont à dire sur les enjeux, les défis et les préoccupations qui leur tiennent le plus à cœur. Tout au long de cette tournée, plusieurs communautés m’ont parlé de l’importance du jeu en tant que générateur de revenus.
Chers collègues, les peuples autochtones sont touchés de manière disproportionnée par les handicaps, les dépendances et les problèmes de santé physique et mentale; tous ces problèmes sont plus fréquents chez les peuples autochtones que dans les autres communautés canadiennes. Je suis conscient qu’il s’agit d’une déclaration générale et j’aimerais donc vous donner un peu plus de contexte.
Durant ma tournée, un membre du conseil de la Première Nation de Sipekne’katik m’a appris que l’espérance de vie dans sa communauté est de 54 ans. Sa communauté d’environ 3 000 membres a connu 29 décès l’an dernier. Il a aussi mentionné qu’en quelques années seulement, le nombre de survivants des pensionnats est passé de 100 à 37.
Chers collègues, le projet de loi S-268 offre aux Premièrs Nations la possibilité d’administrer, de délivrer des licences et de gérer les jeux de hasard dans leur communauté de manières responsable et transparente. Il place les gouvernements des Premières Nations sur un pied d’égalité avec leurs homologues provinciaux. Le fossé entre les Canadiens autochtones et non autochtones est bien documenté, et il n’y aura jamais assez de financement gouvernemental pour le combler complètement.
Les traités de paix et d’amitié, qui ont été reconnus et affirmés par le plus haut tribunal du pays, la Cour suprême du Canada, ont été signés par deux nations. Avant l’arrivée des Européens, les Premières Nations se gouvernaient selon leurs propres coutumes, valeurs et traditions. Ce fait est à la base de notre droit inhérent à l’autonomie dans le droit autochtone, national et international — un droit reconnu et affirmé par la loi suprême du pays, la Loi constitutionnelle de 1982.
Si les Premières Nations entretiennent véritablement une relation de nation à nation avec le Canada, comme l’a déclaré le premier ministre Trudeau en 2015, et comme l’ont répété les ministres de son cabinet à maintes reprises, alors les Mi’kmaqs, comme les autres Premières Nations, doivent être traités en tant que nations. Cela signifie que nous devons avoir le contrôle de nos territoires et de nos ressources. Les Premières Nations devraient avoir la capacité de générer des revenus autonomes, sans dépendre du Canada ou des provinces.
Compte tenu du sous-financement chronique des programmes et des services pour les Autochtones, qui dure depuis des dizaines d’années, les revenus autonomes, chers collègues, sont cruciaux. Voilà pourquoi le contrôle et la compétence sur les activités génératrices de revenus sont indispensables à la survie des Premières Nations partout au pays. Lorsque les Autochtones disposent de ressources suffisantes, la réussite s’ensuit, devenant une source d’espoir relativement à tout ce que les Premières Nations peuvent accomplir lorsqu’on les traite comme des nations.
On sait que, lorsque les Premières Nations commencent à devenir un peu trop prospères, il y a des gens qui exploitent toutes les failles possibles et qui invoquent le moindre petit détail technique pour éviter que cette prospérité perdure.
Chers collègues, n’alimentons ce genre d’étroitesse d’esprit. Adoptons le concept de réconciliation économique dans le respect des lois de notre pays. Donnons l’exemple aux générations futures.
Pour conclure, je voudrais de nouveau féliciter le sénateur Tannas pour son travail sur ce projet de loi. Je soutiens de tout cœur le projet de loi S-268 et le principe sous-jacent de rétablissement de la compétence autochtone sur nos territoires et nos ressources. J’exhorte mes collègues à soutenir le renvoi de ce projet de loi à un comité. Wela’lioq. Merci beaucoup.
Le débat sur cette motion est ajourné au nom de la sénatrice Martin.