Le Sénat
Recours au Règlement--Report de la décision de la présidence
27 février 2020
Chers collègues, j’invoque le Règlement en ce qui concerne la motion no 26. La motion no 26 propose d’accorder au leader de l’opposition la prérogative unilatérale de convoquer les témoins ministériels qui pourraient comparaître en comité plénier, sans aucune consultation préalable avec les autres membres du comité ou avec la direction du Sénat, notamment le représentant du gouvernement et les coordonnateurs des principaux groupes. La motion no 26 est incompatible avec le Règlement, les traditions et les pratiques du Sénat en ce qui a trait aux délibérations du comité plénier. Le comité plénier n’est que cela, un comité.
En effet, on peut lire ce qui suit à la page 182 de l’ouvrage La procédure du Sénat en pratique :
Un comité plénier est constitué de tous les sénateurs.
L’article 12-32(3) prévoit que :
Le Règlement du Sénat s’applique en comité plénier [...]
En pratique, les témoins qui comparaîtront en comité sont habituellement choisis par des comités directeurs ou encore par des comités permanents. Dans le cas du comité plénier, c’est le comité, c’est-à-dire l’ensemble du Sénat, qui doit inviter les témoins.
L’article 12-32 du Règlement traite précisément de la participation des ministres aux travaux d’un comité plénier et de la comparution d’autres témoins devant un comité plénier. L’article 12-32(4) du Règlement est clair :
Lorsqu’un comité plénier examine une affaire, notamment un projet de loi, qui relève de la responsabilité administrative du gouvernement, il peut inviter un ministre qui n’est pas sénateur à participer au débat avec voix consultative.
Honorables sénateurs, cela cadre avec l’article 2-12(1) du Règlement, soit la règle générale qui s’applique aux délibérations du Sénat :
Lorsque le Sénat discute une affaire — notamment un projet de loi — qui relève de la responsabilité administrative du gouvernement, il peut inviter un ministre qui n’est pas sénateur à participer au débat avec voix consultative.
Le principe qui sous-tend l’article 12-32(4) est que, tant en théorie qu’en pratique, les décisions relatives aux témoins pour le comité plénier sont prises par l’ensemble du Sénat, où tous les sénateurs sont égaux. La motion 26 porterait atteinte à ce principe.
Dans cet ordre d’idées, on peut lire ce qui suit à la page 70 de la quatrième édition du Bourinot’s Parliamentary Procedure :
Le Sénat et la Chambre des communes ont le droit, inhérent aux organes législatifs qu’ils forment, de convoquer une personne et de l’obliger à témoigner, dans les limites de leur compétence respective, et de lui ordonner de produire les documents et dossiers requis aux fins d’enquête.
La motion no 26 est irrecevable, car elle reviendrait à donner à un seul sénateur un droit inhérent à l’ensemble du Sénat. En effet, la motion no 26 confère clairement au chef de l’opposition un pouvoir permanent d’inviter, au nom du Sénat tout entier, des ministres à comparaître en comité plénier pendant la présente législature.
Honorables sénateurs, je voudrais ajouter, à titre de point technique, que la motion no 26 ne contient pas d’article stipulant que le processus proposé doit s’appliquer nonobstant les autres règles et pratiques du Sénat.
Lorsque des témoins sont entendus par le comité plénier, la pratique, par le passé, a toujours été que les témoins sont déterminés par l’ensemble du Sénat. Par exemple, le 31 mai 2016, l’ensemble du Sénat a décidé, par la voie d’une motion, que le Sénat se forme en comité plénier afin d’étudier la teneur du projet de loi C-14 et de recevoir la ministre de la Justice et procureure générale du Canada ainsi que la ministre de la Santé. Le 13 décembre 2017, l’ensemble du Sénat a décidé, par la voie d’une motion, de se former en comité plénier afin d’étudier la teneur du projet de loi C-45 et de recevoir la ministre de la Justice et procureure générale du Canada, la ministre de la Santé et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Dans le cas des projets de loi de retour au travail, l’ensemble du Sénat a toujours décidé collectivement de recevoir des ministres en comité plénier.
J’attire également l’attention de la présidence sur la portion de la motion no 26 qui autoriserait le leader de l’opposition à faire « une courte déclaration » au cours de la période des questions. L’article 4-8(1) du Règlement prévoit ceci :
Pendant la période des questions, tout sénateur peut, sans préavis, poser une question orale [...].
L’article 4-8(2) dit :
Les questions ne sont pas sujettes à débat; seuls de brefs commentaires et explications sont permis.
De plus, à la page 73, le Document d’accompagnement du Règlement du Sénat dit :
Durant la période des questions, les sénateurs sont tenus de respecter les règles de conduite et de décorum. Seules de courtes explications peuvent accompagner les questions ou les réponses; toutefois, elles ne doivent pas donner lieu à un débat.
La motion no 26 ne précise pas ce qui est entendu par « courte déclaration » et cela pourrait être vu comme rien de plus qu’une forme de débat, qui pourrait faire s’écouler tout le temps accordé aux sénateurs par le Règlement pour poser des questions, qu’elles s’adressent aux présidents des comités ou à moi.
Dans une décision rendue le 10 mai 2006, le Président Kinsella faisait la réflexion suivante :
Si tout débat est interdit durant la période des questions et si la période réservée aux réponses différées a été créée, c’est en partie parce que la durée de la période des questions est limitée. Les 30 minutes prévues doivent favoriser la communication immédiate d’informations concernant les travaux d’un comité ou les politiques gouvernementales.
Votre Honneur, je crois avoir soulevé plusieurs points qui méritent votre attention, et j’avance, en tout respect, que la motion no 26 est irrecevable.
Votre Honneur, le leader du gouvernement a présenté différents points et il s’est servi de différentes parties du Règlement qui, à mon avis, ne s’appliquent pas tout à fait. Je demande l’indulgence de la présidence. J’aimerais savoir si elle consent à me donner le temps de faire des recherches concernant certaines affirmations du leader du gouvernement afin que je puisse y répondre lors de la prochaine séance, si le Président pouvait se montrer indulgent.
Je voudrais m’opposer à cette demande. La pratique au Sénat et les précédents veulent que, lorsqu’une personne invoque le Règlement et qu’elle veut présenter des arguments, elle doive le faire sur-le-champ, pas 24 heures ou 48 heures plus tard. Je souhaite donc que le Sénat respecte ce processus.
Les sénateurs savent que j’ai permis à deux reprises — une fois au cours de la dernière législature et une fois au cours de la présente — que le débat se poursuive lorsque j’ai appris, après la clôture du débat et après avoir pris la question en délibéré, que de nouvelles questions pouvaient être soulevées. Dans ces deux cas, j’ai dû dire au Sénat que j’étais prêt à entendre d’autres points de vue.
Il me semble important de pouvoir disposer d’une certaine marge de manœuvre pour ne pas être obligé de revenir encore et encore sur une question. Je n’aime pas l’idée de retarder un débat, mais je comprends ce que dit le sénateur Housakos. Il y a des informations très techniques qui ont été soulevées par le représentant du gouvernement. Si le sénateur Housakos répondait maintenant et découvrait plus tard qu’il dispose de nouvelles informations, nous serions obligés de retourner à la case départ.
Avec l’indulgence du Sénat, je vais accéder à la demande du sénateur Housakos. À notre retour de la semaine de relâche, nous reprendrons le débat sur le recours au Règlement du sénateur Gold.