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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Débat

11 février 2021


L’honorable Renée Dupuis [ - ]

Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour discuter des amendements proposés dans le projet de loi C-7, premièrement pour inclure l’accès à l’aide à mourir pour les personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible; deuxièmement, pour modifier les conditions d’accès pour les personnes dont la mort est prévisible; troisièmement, pour aborder la question des directives anticipées.

Le premier paragraphe du préambule du projet de loi C-7 prévoit ceci :

que le gouvernement du Canada s’est engagé à donner suite à la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Truchon c. le Procureur général du Canada;

Cette décision a été rendue le 11 septembre 2019.

Le deuxième paragraphe de ce préambule précise de plus ce qui suit :

que le Parlement estime indiqué de ne plus limiter l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible et de prévoir des mesures de sauvegarde additionnelles pour les personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible;

D’abord, le projet de loi C-7 propose l’abrogation de l’alinéa 241.2(2)d) actuel du Code criminel, qui exige que la mort soit raisonnablement prévisible pour avoir accès à l’aide à mourir.

Cette partie du projet de loi donne suite au jugement Truchon.

Ensuite, le projet de loi C-7 introduit deux types de procédures obligatoires pour avoir accès à l’aide à mourir : premièrement, il modifie la procédure actuelle pour les situations où la mort est raisonnablement prévisible pour en alléger l’exercice. Deuxièmement, il introduit une deuxième procédure pour les cas où la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible, en y ajoutant ce que certains appellent des mesures de sauvegarde, d’autres, des obstacles supplémentaires.

Ce faisant, le gouvernement choisit de créer deux voies pour l’accès à l’aide à mourir, ce qui est loin d’être nécessaire. De plus, dans la deuxième voie, dans les cas où la mort n’est pas prévisible, le projet de loi C-7 introduit des obstacles plus contraignants que dans la première voie.

En fait, les deux types de procédures introduisent un critère de distinction entre ces deux catégories de personnes, présumant que toutes les personnes sont vulnérables, ce qui ne correspond pas à la réalité. Cette distinction entre des catégories de personnes est arbitraire, sa portée est excessive et ses conséquences sont disproportionnées pour les personnes dont la mort n’est pas prévisible, ce qui va à l’encontre du droit à l’égalité protégé par l’article 15 de la Charte constitutionnelle des droits et libertés et du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité prévu à l’article 7 de la même Charte.

Le ministre de la Justice a reconnu devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles qu’il s’agit là, et je cite, de « mesures de sauvegarde accrues » quand la mort n’est pas raisonnablement prévisible, lorsque selon lui les risques sont plus grands. En réponse à une question lui demandant de préciser ce qu’il avait défini comme « risques plus grands » dans de telles situations, il a répondu qu’il faisait référence aux craintes exprimées au sujet de l’aide à mourir. Selon les explications qu’il nous a données, le gouvernement cherche un équilibre entre la protection du droit à l’autonomie dans ce type de décision et les craintes exprimées, qu’il a entendues lors des consultations. En fait, des mesures de sauvegarde doivent viser à protéger la personne. Elles ne doivent pas constituer des obstacles à ce que la volonté de la personne soit respectée. Surtout, elles ne peuvent être arbitrairement prises parce que des personnes s’opposent à l’aide à mourir.

Des témoins qui ont comparu devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles dans le cadre de son étude du projet de loi C-7 ont d’ailleurs relevé le fait que le concept de mort raisonnablement prévisible est confus et ambigu et ne peut être régulé, parce qu’il impose un fardeau aux médecins évaluateurs. Je cite le Dr Naud, qui a comparu devant le comité, quand il a dit que l’expression :

[…] ne répond à aucun concept ni aucune définition médicale. Elle n’existe dans aucun manuel de médecine. Pourtant, ce sont les médecins qui ont la responsabilité d’évaluer l’admissibilité des malades.

La procédure pour les personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible indique une série de critères, qualifiés de mesures de sauvegarde. Selon plusieurs témoins entendus devant le Comité des affaires juridiques, ces obstacles sont arbitraires et non fondés.

Certains de ces obstacles qu’on propose d’ajouter à l’article 241.2 actuel du Code criminel, dans un paragraphe 3.1, sont particulièrement problématiques. Par exemple, premièrement, l’obligation d’obtenir un deuxième avis écrit d’un autre médecin ou infirmier praticien qui confirme que tous les autres critères prévus ont été respectés; deuxièmement, l’obligation de consulter un médecin expert en ce qui concerne la condition à l’origine des souffrances du patient dans le cas où le médecin ou l’infirmier qui fournira l’aide à mourir ne possède pas d’expertise en cette matière. Cette obligation imposée par un amendement adopté par la Chambre des communes ne règle pas la question; troisièmement, l’exigence d’une discussion et surtout d’une entente prévue à l’alinéa 3.1h) ajoutée ici est particulièrement problématique. Elle prévoit que le médecin ou l’infirmier praticien s’assure qu’une discussion à trois sera menée, c’est-à-dire entre le médecin ou l’infirmier praticien, le deuxième médecin consulté qui a produit un avis écrit et la personne qui a fait la demande d’aide à mourir. Cette discussion doit porter sur les moyens raisonnables et disponibles pour soulager ses souffrances. Non seulement la discussion doit avoir lieu — ce que l’on comprend, par ailleurs —, mais on ajoute une autre condition, à savoir que le médecin ou l’infirmier doit s’assurer que les deux médecins s’entendent avec la personne qui a fait la demande sur le fait que celle-ci a sérieusement envisagé ces moyens.

Ces deux conditions additionnelles apparaissent non seulement arbitraires, mais leur portée est excessive et leurs conséquences sont disproportionnées pour les personnes dont la mort n’est pas prévisible.

Toutefois, le fait que l’aide à mourir est conditionnelle à un accord entre les deux autres médecins confirmant que la personne a « sérieusement envisagé » les autres moyens est trop contraignant.

Premièrement, il est trop vague pour être appliqué sérieusement. Selon quels critères la personne visée va-t-elle savoir si les médecins considèrent qu’elle a sérieusement envisagé les autres moyens? Qui devrait définir de tels critères? La personne qui demande l’aide à mourir se retrouve ainsi à la merci d’un accord entre deux médecins. En cas de désaccord entre les deux médecins sur cette question, la personne n’a aucun recours et se verra refuser l’aide à mourir.

Deuxièmement, cette exigence contredit le principe même que le projet de loi dit vouloir permettre : l’accès à l’aide à mourir pour des personnes adultes consentantes qui sont capables de donner un consentement libre et éclairé. Or, cette condition supplémentaire constitue un recul très explicite à l’égard du respect de l’autonomie de la personne en ce qui a trait aux choix fondamentaux pour tout ce qui concerne son intégrité corporelle et les soins médicaux, ce qui a été réitéré par les tribunaux. Cette condition additionnelle exorbitante est contraire au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité protégé par l’article 7 de la Charte.

Selon le témoignage d’un médecin que nous avons entendu en comité, la médecine paternaliste a évolué. On aimerait le croire.

Quatrièmement, le délai minimal de 90 jours entre le jour où commence la première évaluation et le jour où l’aide médicale est fournie est un délai qui apparaît inutile et sans objet, selon des témoins qui ont comparu devant le comité. De plus, il apparaît pour le moins arbitraire à la lumière des explications insatisfaisantes fournies aux membres du Comité des affaires juridiques. Comme l’a dit un témoin devant notre comité, on crée une pénalité pour les souffrances.

Enfin, dans son rapport sur l’étude du projet de loi C-7 déposé au Sénat le 8 février dernier, le Comité des affaires juridiques a conclu ceci relativement à la disposition portant sur la renonciation finale au consentement :

Les avis étaient aussi partagés sur l’exigence liée au consentement final donné à l’AMM immédiatement avant de la recevoir et sur la possibilité qu’une personne puisse y renoncer si elle compte perdre la capacité à le faire.

La renonciation au consentement final devrait s’appliquer à toute demande d’aide à mourir, que la mort soit prévisible ou non. Cette distinction artificielle entre des stades différents d’une maladie est arbitraire, comme on vient d’en discuter. Les témoignages de plusieurs personnes issues du milieu juridique nous l’ont rappelé.

L’expérience montre que c’est la capacité d’exprimer sa volonté qui est au cœur de la demande d’aide à mourir. Ainsi, c’est la possibilité de rédiger des directives anticipées qui est véritablement au cœur du respect de notre autonomie décisionnelle et de notre volonté quant à notre intégrité, peu importe que la mort soit prévisible ou non, et peu importe le diagnostic qui a été posé sur notre condition.

Son Honneur la Présidente intérimaire

Y a-t-il d’autres honorables sénateurs qui veulent intervenir sur le thème des mesures de sauvegarde et des demandes anticipées?

Sinon, le débat sur ce thème est conclu, et le Sénat abordera le débat sur le prochain thème, qui est celui des groupes vulnérables et minoritaires, des soins de santé (les soins palliatifs y compris) et de l’accès à l’aide médicale à mourir.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer [ - ]

Honorables sénateurs, je propose un amendement.

Je ne saurais dire à quel point je me sens privilégiée de prendre la parole aujourd’hui pour vous encourager tous à appuyer mon amendement proposant que les données fondées sur la race de toutes les personnes qui demandent et reçoivent l’aide médicale à mourir soient systématiquement collectées par le gouvernement du Canada.

L’amendement est véritablement l’aboutissement de décennies de travail et repose sur des principes de véritable justice et équité raciale. Honorables sénateurs, je suis consciente que la collecte de données est inadéquate pour d’autres groupes, mais les données fondées sur la race sont totalement inexistantes. Voilà pourquoi l’amendement que je propose porte sur la collecte de données fondées sur la race.

Honorables sénateurs, nous avons passé la dernière année à parler du racisme systémique et des injustices dont sont victimes les personnes racialisées. En étudiant le projet de loi C-7, j’ai relevé un cas où la race n’a pas été prise en considération, et je me suis dit qu’il nous incombait d’agir, car il s’agit d’un projet de loi très important.

Voici ce qu’a dit le sénateur Harder en comité :

J’ai une autre question, qui porte sur la collecte de données. Il n’est pas rare que, dans des projets de loi comme celui-ci, il soit question de modifications réglementaires ou de procédures réglementaires qui permettraient la collecte de données pertinentes pour l’examen de la question visée par le projet de loi.

Êtes-vous en train de dire que vous n’avez pas la capacité de recueillir les données que le projet de loi C-14 devait supposément permettre de recueillir pour éclairer l’examen de cette question à l’avenir? Si tel est le cas, le gouvernement envisagerait-il un amendement pour que ces données soient recueillies au moyen d’un cadre réglementaire?

Honorables sénateurs, c’est pourquoi l’intervention du sénateur Harder m’a incité à proposer une modification réglementaire, comme je l’ai fait. Mon amendement garantira la collecte de données sur les personnes racialisées, qui représentent un quart de la population.

En ce qui concerne le sous-alinéa 241.31(3)a)(i) de la Division B, la collecte de renseignements sur les personnes qui demandent et reçoivent de l’aide médicale à mourir sera élargie afin d’inclure la race d’une personne.

Grâce à l’alinéa 241.31(3)b) de l’amendement, le projet de loi inclura l’analyse et l’interprétation de ces renseignements, notamment dans le but de cerner les inégalités fondées sur la race et les secteurs où ces inégalités recoupent d’autres formes d’inégalité systémique dans le domaine de l’aide médicale à mourir.

S’il est adopté par l’autre endroit, l’amendement instaurera en fin de compte une approche systémique pour lutter contre le racisme et les effets cumulatifs des inégalités fondées sur la race et d’autres inégalités systématiques.

Honorables sénateurs, quand il s’agit d’expliquer pourquoi il faut examiner les points de rencontre et d’influence entre la race et les inégalités systémiques, je crois qu’une citation de la professeure Laverne Jacobs, l’une des quelque 80 témoins qui ont participé à notre étude préalable, l’explique parfaitement. Elle dit ceci :

La stigmatisation raciale est ancrée dans le racisme contre les Noirs [...]

Comme les structures sociales ont été bâties sur des interprétations faussées de l’existence sociale, l’inégalité n’est pas seulement un ensemble de circonstances individuelles, mais un réseau beaucoup plus vaste de discrimination systémique.

Comme nous le savons, le gouvernement actuel est conscient des enjeux que pose cet énorme manque d’information. Je suis très reconnaissante au ministre Lametti et aux fonctionnaires des ministères de la Justice et de la Santé d’avoir admis très franchement qu’on ne recueillait aucune donnée fondée sur la race. Vous savez, chers sénateurs, qu’on utilise l’analyse comparative entre les sexes plus pour s’assurer que les mesures législatives et les politiques tiennent bien compte de l’expérience que vivent les femmes, les hommes et les personnes ayant différentes identités de genre, ainsi que d’autres facteurs comme l’âge, l’orientation sexuelle, l’invalidité, la race, l’éducation, la langue, la géographie, la culture et le revenu.

En réalité, le gouvernement s’engage publiquement depuis 2016 à recueillir ces données dans le cadre de son analyse comparative entre les sexes plus. Quand nous avons reçu une copie des résultats de cette analyse afin de comprendre les répercussions du projet de loi C-7 sur les communautés racialisées, ces dernières n’avaient pas été prises en compte. J’avais demandé au ministre si les communautés racialisées avaient été prises en considération. Initialement, il avait répondu par l’affirmative. Toutefois, quand il a reçu le rapport, il a été franc en confirmant que ces communautés n’avaient pas fait partie de l’analyse.

Cet amendement a uniquement pour but de faire en sorte que le gouvernement respecte son engagement afin que les droits des personnes racialisées soient aussi respectés. Après tout, elles représentent près du quart de la population canadienne.

Le gouvernement a déjà accès depuis longtemps à des cadres qui lui permettraient de recueillir facilement des statistiques sur ces communautés d’un bout à l’autre du pays. L’Institut canadien d’information sur la santé a diffusé ceci en juillet 2020 :

Le manque de données fondées sur la race dans le secteur de la santé au Canada complique la mesure des inégalités en santé et la découverte des iniquités qui pourraient découler du racisme et de la discrimination.

L’Institut canadien d’information sur la santé propose des normes pancanadiennes de collecte des données fondées sur la race. De plus, en 2019, le gouvernement avait publié son propre document intitulé Construire une fondation pour le changement : La stratégie canadienne de lutte contre le racisme 2019-2022. Dans la section « Sensibiliser et changer les attitudes », on peut lire que l’un des meilleurs moyens d’y parvenir est d’augmenter la quantité de données et d’éléments d’information fiables.

Honorables sénateurs, cela fait longtemps que nous savons quelle est la voie à suivre, et aujourd’hui, nous avons une occasion sans précédent de dire au gouvernement que le temps du changement, c’est maintenant, pas demain ni l’année prochaine.

Comme je l’ai déjà dit, une personne sur quatre n’a pas été prise en compte dans la collecte de données. Même si nous sommes tous d’accord pour dire que c’est inacceptable, nous ne savons pas tous ce que c’est que d’être cette quatrième personne.

Très souvent, dans ma vie, il m’est arrivé de me retrouver au milieu de personnes auxquelles je ne ressemblais pas, dont l’accent était différent du mien et même les vêtements étaient différents des miens. Même si je suis très fière de qui je suis, je dois dire que c’est le genre de situation où on peut se sentir très seul.

Tout au long de ma vie, j’ai été victime de manifestations de racisme. Je ne me rappelle vraiment pas le nombre de fois où on m’a dit, alors que j’arrivais dans la salle du Sénat, que seuls les sénateurs étaient autorisés à y entrer.

Je suis très heureuse de représenter la province de la Colombie-Britannique au Sénat et je serai éternellement reconnaissante au premier ministre Chrétien de m’avoir offert cette occasion. J’ai toujours été déterminée à défendre les intérêts de la quatrième personne. C’est pourquoi je présente l’amendement. Il ne faut pas se contenter du statu quo, mais insister pour du changement.

Jusqu’à son dernier jour, mon père m’a toujours dit : « Ne laisse personne te dire que tu n’es pas leur égale. Tous les êtres humains sont égaux. » Voilà pourquoi nous avons tous droit au même degré de considération.

L’an dernier, dans cette enceinte, les sénateurs Plett, Lankin, Moodie et Bernard, entre autres sénateurs, ont amené le Sénat à prendre de nouvelles mesures et à s’opposer fermement au racisme en cet endroit et dans l’ensemble du Canada.

Honorables sénateurs, je vous prie humblement de vous joindre à moi pour faire en sorte que des données désagrégées — concernant la race en particulier — soient systématiquement recueillies à l’échelle nationale, pour que l’ensemble du pays puisse aller de l’avant.

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