La Loi sur le Parlement du Canada
Projet de loi modificatif--Troisième lecture
6 mai 2021
Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture pour exprimer mon appui au projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada (artiste visuel officiel du Parlement).
Je tiens d’abord à remercier la marraine de ce projet de loi, la sénatrice Patricia Bovey, qui fait preuve d’une détermination sans faille pour que ce projet de loi soit adopté dans cette Chambre très bientôt, enfin je l’espère.
Je tiens aussi à souligner l’engagement exceptionnel de la sénatrice Bovey dans la défense des arts et des artistes au Canada depuis de nombreuses décennies. Sa contribution est remarquable et mérite toute notre admiration. Merci, madame la sénatrice.
Chers collègues, le projet de loi S-205, s’il est adopté, marquera une étape importante dans le dialogue que les parlementaires canadiens entretiennent entre eux avec l’art de façon générale. Nous avons déjà le privilège d’avoir un poète officiel au Parlement, mais il est plus que temps que d’autres artistes se joignent à nous.
Au Parlement du Canada, vous le savez, les seuls moyens de communication et d’expression officiels qui sont permis dans les enceintes que sont la Chambre des communes et le Sénat sont la parole et l’écrit. Au cœur de nos débats, les mots et les idées qui les sous-tendent sont les instruments qui nous permettent d’approfondir les projets de loi que nous devons examiner et les sujets d’intérêt dont nous devons traiter.
Or, ce flot de mots auxquels nous sommes confrontés, bien que ces mots soient essentiels et fondamentaux à nos travaux, nous submergent parfois, j’en conviens. Ils occupent souvent toutes nos pensées et notre esprit et laissent bien peu de place à l’utilisation de nos sens, qui sont aussi des atouts nous permettant d’appréhender le monde qui nous entoure, de le comprendre et de le transformer en élargissant la vision que nous en avons.
Comme le précise Valérie Gauthier, professeure associée au Département des langues et cultures à l’École des hautes études commerciales de Paris, dans une chronique publiée en 2016 et portant le titre « Le sens du monde », et je cite :
Tout d’abord l’utilisation de nos sens premiers – la vue, l’ouïe, le toucher, le goût, l’odorat – est une source incomparable de compréhension du monde. Nos sens nous permettent d’entrer en relation directe et vraie avec la nature et avec les gens. Pourvu que l’on parvienne à laisser cette relation s’installer sans que notre cerveau n’y mette quelque interprétation ou analyse pour la brouiller! Les sens nous procurent alors des sensations [...] où « les parfums, les couleurs et les sons se répondent », comme le dit Baudelaire. La sensibilité est ainsi une capacité cognitive à capter la réalité de ce qui est, des choses et des personnes telles qu’elles sont et non pas pour ce que l’on voudrait qu’elles représentent.
Mme Gauthier poursuit ainsi :
J’évoque ici l’intelligence sensible à l’origine de l’empathie, cette capacité rare d’un leader à écouter l’autre pour ce qu’il dit, et non pour ce qu’il a envie d’entendre ou de lui faire dire. Arme redoutable contre les conflits, elle engendre un respect plus grand pour l’intégrité de l’autre et de soi-même.
L’art fait appel à toutes ces dimensions, chers collègues. Or, pour certains, l’art n’est pas d’un grand intérêt, il est considéré souvent comme une décoration ou un simple divertissement, ou pire encore, comme une échappatoire permettant de fuir la réalité. Pourtant, si l’art fait partie intégrante des civilisations humaines depuis 30 000 ans, ce n’est pas le fruit du hasard. Le rôle de l’art est beaucoup plus important que cela, et c’est sans doute pourquoi les neurosciences se sont penchées sur les réactions du cerveau quand un individu contemple une œuvre d’art. La réponse a de quoi nous étonner puisque notre cerveau sécréterait de la dopamine, l’hormone du bonheur, notamment associée à l’état amoureux. Un lien irréfutable est donc établi et confirmé par des études entre l’art et les émotions humaines. En d’autres mots, l’art nous prend souvent de court, et nous interpelle en stimulant les émotions les plus intimes et les plus profondes qui sommeillent en nous.
Selon une étude, l’art abstrait nous est particulièrement attirant puisqu’il permettrait au cerveau de se libérer de l’emprise de la réalité en lui donnant accès à certains états autrement inaccessibles et en le dotant de la capacité de créer divers assemblages émotionnels et cognitifs. Être en contact avec des œuvres d’art plus difficiles à comprendre et dont l’esthétique est plus difficile à apprécier suscite une réelle réflexion en nous. Nous ne faisons pas que contempler une œuvre d’art, nous l’examinons et l’observons, nous cherchons à la comprendre, et nous tentons même de la déchiffrer. Toutes ces actions contribuent au développement de notre capacité d’abstraction et accroissent conséquemment nos habilités de résolution de problèmes.
L’art est source de conversation et d’échange, il permet d’accroître notre sentiment d’empathie, cette faculté essentielle à notre société — tout comme à notre Parlement — puisqu’elle nécessite une écoute active et la compréhension d’autrui.
En bref, chers collègues, l’art nous apprend à écouter, à regarder, à observer, à comprendre et à imaginer. Il en est ainsi de toutes les formes d’art, y compris celles qui n’utilisent pas la parole, comme les arts visuels, la musique, la danse et les arts performatifs.
En tant que législateurs, nous sommes entourés d’œuvres d’art magnifiques dans les différents édifices du Parlement où nous travaillons. La majorité de ces œuvres sont d’une autre époque, certaines relatent des pans de l’histoire de notre pays. Or, l’arrivée d’un artiste visuel contemporain au Parlement du Canada nous incitera à porter un nouveau regard sur notre institution et influencera sûrement notre manière d’assumer notre rôle de parlementaires, car, de tout temps les œuvres d’art cherchent à transformer nos regards et nous poussent à nous indigner et à agir face aux injustices.
Voilà pourquoi je voterai en faveur de ce projet de loi et vous invite à faire de même.
J’en profite pour remercier tous les artistes canadiens qui illuminent notre monde et toutes les associations qui les soutiennent, comme l’Association des groupes en arts visuels francophones dont je respecte énormément le travail.
Enfin, honorables sénateurs, permettez-moi d’exprimer le souhait que nous puissions aussi, dans un avenir rapproché, créer un poste de compositeur officiel du Parlement, comme cela existe ailleurs, pour le bien de tous. Vous pouvez compter sur moi pour vous le rappeler dans le cadre d’un projet de loi. Si cela n’est pas suffisant, je le ferai en chantant, en dansant et en utilisant tous les sens et les moyens à ma disposition pour vous en convaincre.
Je vous remercie de votre attention.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)