La Loi sur le droit d'auteur
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Débat
6 mai 2021
Propose que le projet de loi S-225, Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur (rémunération pour les œuvres journalistiques), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour soutenir le projet de loi S-225, Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, à l’étape de la deuxième lecture. Par ce projet de loi, je vise à recréer un équilibre entre les médias traditionnels et les plateformes numériques et, surtout, à faire en sorte qu’une rémunération équitable soit attribuée à ceux qui produisent du contenu, pour que des compensations soient versées par ceux qui en profitent gratuitement actuellement.
La crise que traversent les médias traditionnels depuis une bonne dizaine d’années ne semble pas vouloir se résorber d’elle-même et nos gouvernements tardent à agir. Les plateformes numériques reçoivent des revenus publicitaires, et ce, sans verser de compensations ou de redevances aux producteurs de contenu. Ce transfert financier a de graves conséquences sur la survie de bon nombre de quotidiens et de médias traditionnels. Nous sommes impuissants face à cette hécatombe et nous ne pouvons que la déplorer, car le tarissement des sources d’information multiples éclairées et vérifiées ne peut que nuire à la connaissance avérée des citoyennes et des citoyens.
On le dit souvent, l’information est l’un des piliers de nos démocraties modernes. Ces sources crédibles de connaissances doivent contrer le phénomène des fake news que l’on voit apparaître en grand nombre sur les médias sociaux. Cependant, le problème est réellement pernicieux, car ces mêmes réseaux sociaux viennent s’emparer des revenus publicitaires des médias traditionnels. Cela a pour effet de placer ces derniers dans un état d’agonie, car les médias doivent continuer à produire du contenu vérifié et pertinent, mais n’obtiennent pas les revenus générés par l’intérêt à l’égard de leurs produits. Ce déséquilibre dans l’écosystème médiatique ne permet plus aux médias de jouer leur rôle essentiel dans notre société, soit celui d’informer adéquatement et avec justesse la population.
On estime que les revenus publicitaires tirés du contenu des médias écrits par les GAFAM — Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft — atteignent de 200 à 600 millions de dollars par année au Canada, de l’argent qui est versé principalement aux États-Unis.
À Ottawa, le gouvernement Trudeau n’a toujours pas proposé de cadre qui permettrait aux médias écrits de toucher une part des revenus que génère leur contenu.
Le 17 février dernier, le même jour où je déposais mon projet de loi, de nombreux éditeurs québécois ont interpellé le premier ministre Trudeau à ce sujet dans une lettre ouverte et à grands coups de publicité dans... les journaux, notamment.
Le message que ces éditeurs avaient à transmettre au premier ministre était essentiellement celui-ci, et je cite :
Nous sommes privés de notre juste part des revenus numériques. […]
Nous exhortons le gouvernement et le Parlement du Canada à agir le plus rapidement possible […]
La lettre était entre autres cosignée par les patrons de La Presse, du Journal de Montréal et du Journal de Québec et des coopératives de l’information, qui comptent Le Droit, Le Nouvelliste, Le Soleil, Le Quotidien, La Tribune et La Voix de l’Est.
Ce message dit tout, et je crois que la démonstration de la crise que traverse la presse écrite n’a plus besoin d’être faite. Elle frappe le Canada, certes, mais aussi tous les pays du monde. Par exemple, en France, selon un quotidien économique, c’est une véritable lame de fond qui a bouleversé les médias traditionnels. Dans un contexte de crise économique et de révolution technologique, presse, télévision ou encore radio ont subi de plein fouet la montée en puissance des GAFAM. Les chiffres d’une étude menée par le cabinet de conseil BearingPoint pour le ministère de la Culture et le Conseil supérieur de l’audiovisuel sont spectaculaires : entre 2000 et 2017, sur un marché publicitaire de la communication et des médias qui est passé de 12 à 10,3 milliards d’euros, les recettes des médias historiques français, comme la télévision, la presse, la radio, l’affichage et le cinéma se sont effondrées de 43 % pour atteindre 6,7 milliards d’euros. Dans le même temps, la part des revenus publicitaires d’Internet — principalement Google et Facebook — est passée de quasiment 0 % à 35 %, et se monte à 3,6 milliards d’euros.
Je mentionnais précédemment qu’ici, on estime qu’entre 200 et 600 millions de dollars de revenus publicitaires seraient redirigés vers les GAFAM. C’est énorme, surtout si l’on tient compte du fait que ces revenus publicitaires se font sur la base de contenu produit très largement par les médias traditionnels. Cherchez l’erreur. C’est comme si un producteur vinicole trimait dur toute une saison, payait des salaires et des fournitures et dépensait son énergie, mais que c’était son voisin producteur de laitues qui vendait une bonne partie de ses bouteilles de vin sans lui verser de dividendes. C’est insensé, mais c’est pourtant ce qui se passe avec les médias traditionnels qui se font littéralement écumer leur contenu journalistique.
L’Australie vient tout juste d’adopter une loi qui oblige les plateformes numériques à s’entendre avec les médias écrits sur un partage de revenus. Ainsi, le gouvernement proposait d’adopter un code des médias. Son projet de loi vise à contraindre les plateformes numériques, principalement Google et Facebook, à rémunérer les médias pour leur contenu, au risque de devoir payer de lourdes amendes. Il s’agit de l’une des initiatives les plus dynamiques contre les deux géants du Web, qui la combattent. Ce « code de conduite contraignant », qui est censé gouverner les relations entre des médias en grande difficulté financière et les géants qui dominent Internet, arrive après 18 mois de négociations qui n’ont pas permis de rapprocher les deux camps.
Outre l’obligation de payer en échange des contenus, ce « code de conduite contraignant » traite de questions comme l’accès aux données des usagers, la transparence des algorithmes et l’ordre d’apparition des contenus dans les flux d’information des plateformes et les résultats de recherche.
Vous en avez certainement entendu parler, les GAFAM de ce monde n’ont pas beaucoup apprécié ceci et sont allés jusqu’à retirer de leur plateforme numérique les nouvelles du pays. Comme le gouvernement australien a tenu tête à ces géants du Web, ces derniers n’ont eu d’autre choix que d’accepter de négocier et d’en arriver à une entente. Quelques jours avant l’adoption du projet de loi, le gouvernement australien a présenté une nouvelle disposition qui accorde dorénavant deux mois de délai pour favoriser les négociations entre les médias numériques et les médias traditionnels avant que le code ne s’applique et qu’un arbitre ne tranche en faveur de l’un des deux protagonistes. L’Australie est devenue ainsi le premier pays à mettre en œuvre une loi pour rétablir un certain équilibre entre les plateformes numériques et les médias écrits.
De son côté, l’Union européenne a adopté en mars 2019 de nouvelles règles sur le droit d’auteur sur Internet. Le partage d’extraits d’articles d’actualité expressément exclus du champ de la directive pourra continuer comme avant. Toutefois, la directive contient également des dispositions visant à éviter que les agrégateurs de nouvelles n’abusent de cette possibilité. L’extrait pourra donc continuer d’apparaître sur un fil d’actualités Google News, par exemple, ou lorsqu’un article est partagé sur Facebook, à condition qu’il soit « très court ».
La France a été le premier pays européen à mettre en vigueur cette directive, par le biais de la Loi no 2019-775. Pour répondre à la loi, Google a décidé unilatéralement de ne pas afficher les extraits d’articles, les photographies, les infographies et les vidéos, sauf si les éditeurs lui en donnaient l’autorisation à titre gratuit.
En avril 2020, l’Autorité de la concurrence, en France, a enjoint à Google de négocier avec les éditeurs et les agences de presse la rémunération qui leur est due au titre de la Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins pour la reprise de leurs contenus protégés. Un extrait du texte donne l’explication suivante :
Saisie en novembre 2019 par plusieurs syndicats représentant les éditeurs de presse (Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l’Alliance de la presse d’information générale) ainsi que par l’Agence France-Presse (AFP) de pratiques mises en œuvre par Google à l’occasion de l’entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2019 sur les droits voisins, l’Autorité de la concurrence ordonne aujourd’hui des mesures d’urgence dans le cadre de la procédure de mesures conservatoires. L’Autorité a estimé que les pratiques de Google à l’occasion de l’entrée en vigueur de la loi sur les droits voisins étaient susceptibles de constituer un abus de position dominante, et portaient une atteinte grave et immédiate au secteur de la presse.
Elle enjoint ainsi à Google, dans un délai de trois mois, de conduire des négociations de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse sur la rémunération de la reprise de leurs contenus protégés. Cette négociation devra couvrir, de façon rétroactive, les droits dus à compter de l’entrée en vigueur de la loi le 24 octobre 2019.
L’Autorité de la concurrence a imposé des mesures d’urgence dont l’objectif était de permettre aux éditeurs et aux agences de presse qui le désirent :
[...] d’entrer en négociation de bonne foi avec Google en vue de discuter tant des modalités d’une reprise et d’un affichage de leurs contenus que de la rémunération pouvant y être associée.
Google a fait appel de la décision de l’Autorité de la concurrence le 3 juillet 2020. Comme vous le constatez, chers collègues, il s’agit d’enjeux majeurs où le nerf de la guerre tourne autour de profits mirobolants que les géants du Web rechignent à partager avec les médias traditionnels, qui en sont pourtant les auteurs.
Toutefois, je constate que ces deux régimes ouvrent la porte à de multiples négociations entre les GAFAM et l’ensemble des médias écrits, ce qui multiplie les risques de dérapage.
Parlons maintenant du Canada.
En janvier 2020, le Groupe d’examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications a publié un rapport à l’intention des ministres Bains et Guilbeault intitulé L’avenir des communications au Canada : le temps d’agir. L’introduction comprend la recommandation suivante, et je cite :
une intervention réglementaire visant à garantir que les créateurs de nouvelles soient rémunérés pour l’utilisation de leur contenu original par les fournisseurs de plateforme en ligne;
La section 3.4.2, qui s’intitule « Moderniser le cadre réglementaire du CRTC », est également fort intéressante. En voici un extrait :
Il y a également un déséquilibre entre les plateformes de médias sociaux et les organisations médiatiques de nouvelles. Un très petit nombre de plateformes dominantes constitue une source cruciale de lecteurs pour les organismes médiatiques de nouvelles. En raison de déséquilibre dans les rapports de force en matière de négociations, les créateurs de contenu de nouvelles ne sont pas en mesure de négocier individuellement les modalités d’utilisation de leur contenu par les plateformes de médias sociaux. Le CRTC devrait également avoir la compétence de déterminer et d’approuver les modalités des ententes commerciales s’il juge que cette mesure est nécessaire pour équilibrer les rapports de force en ce qui a trait au contenu des nouvelles.
Le gouvernement Trudeau est en poste depuis l’automne 2015 et rien n’a encore été fait. C’est incompréhensible, car c’est vraiment un enjeu de taille. Si une société libre et démocratique s’appuie notamment sur une presse libre et forte, elle doit également s’appuyer sur des règles du jeu équitables et égalitaires. Or, ce qui se passe actuellement dans le monde de l’information est tout à fait déséquilibré et inéquitable.
Le projet de loi vise à créer un cadre pour que les médias traditionnels se voient compensés pour leur matériel journalistique qui est récupéré et diffusé par les GAFAM sans compensation financière. Il permettra de créer un nouveau droit, soit le droit à la rémunération pour les œuvres journalistiques.
En modifiant la Loi sur le droit d’auteur, je suggère d’utiliser le système législatif actuel pour la protection et la gestion du nouveau droit à la rémunération sur les œuvres journalistiques. Cet ajout des œuvres journalistiques permettra de bénéficier d’un cadre connu, qui a su démontrer son efficacité pour les autres droits d’auteur au Canada.
Le projet de loi ne crée pas un nouveau droit d’auteur. Il crée un nouveau droit de rémunération au profit des organisations journalistiques pour la reproduction ou la publication sur une plateforme numérique des œuvres journalistiques dont elles sont titulaires. Ce droit de rémunération est distinct de tout autre droit octroyé par la Loi sur le droit d’auteur. La rémunération que le projet de loi vise à procurer s’additionnerait donc à tout revenu obtenu par ces organisations en raison de l’exploitation de leurs droits d’auteur.
La loi prévoit que les organisations journalistiques pourront se regrouper pour former une société de gestion collective. Cette société, une fois reconnue par la Commission du droit d’auteur, entreprendra des négociations avec les plateformes désignées par le gouvernement, soit les GAFAM.
Qu’est-ce qu’une société de gestion exactement? Avant toute chose, parlons du droit d’auteur. Le droit d’auteur est l’un des trois principaux champs de la propriété intellectuelle, avec le droit des brevets et celui des marques de commerce. Le droit d’auteur vise à maintenir un juste équilibre entre, d’une part, le fait d’encourager la créativité et de lutter contre la contrefaçon et, d’autre part, le fait d’assurer la circulation des idées et du savoir et de protéger la liberté d’expression. Le droit d’auteur y parvient en régissant certaines pratiques commerciales applicables à des biens incorporels circonscrits. Le droit d’auteur octroie notamment au titulaire d’une œuvre les droits exclusifs d’en reproduire, exécuter ou représenter en public et d’en publier la totalité ou une partie importante ou, si l’on veut, des « droits économiques ».
Les droits économiques permettent à leur titulaire de contrôler l’exploitation commerciale de l’œuvre afin d’en tirer un revenu. Le titulaire peut notamment tirer un revenu de l’œuvre en cédant un ou plusieurs droits d’auteur ou en accordant une « licence » à une tierce partie en échange de redevances. Pour empêcher que les titulaires de droits d’auteur s’approprient une partie du discours public et entravent ainsi la création d’œuvres futures, le droit impose des limites et des exceptions aux droits économiques. L’une de ces limites est la durée des droits. Au Canada, les droits économiques s’éteignent généralement 50 ans après la mort de l’auteur ou la publication de l’œuvre, selon le cas.
Il existe cependant une exception à cette règle : la Loi no 1 sur le plan d’action économique de 2015 a étendu à 70 ans la durée de la protection du droit d’auteur sur un enregistrement sonore publié ou sur une prestation fixée au moyen d’un enregistrement sonore publié.
Il peut être peu pratique pour un utilisateur d’obtenir la permission d’utiliser plusieurs œuvres. Prenez par exemple le cas d’une station de radio qui diffuse des dizaines, voire des centaines de chansons dans le cadre de sa programmation quotidienne. Dans ce cas, la direction de la station devrait obtenir la permission de chacun des titulaires pour diffuser chacune des œuvres musicales. Il en résulterait d’énormes coûts qui pénaliseraient à la longue les titulaires de droit d’auteur. Dans de telles conditions, il est probable que peu de radiodiffuseurs accepteraient d’accorder les sommes et les efforts nécessaires pour ajouter des œuvres protégées à leur programmation.
Ainsi, pour réduire ces coûts transactionnels, la Loi sur le droit d’auteur met en place un régime de gestion collective des droits d’auteur dans certains secteurs d’exploitation. Les titulaires de droits d’auteur peuvent ainsi confier l’administration de leurs droits à une société de gestion collective de droits d’auteur. Pour maintenir l’efficacité du régime, plusieurs de ces sociétés détiennent un monopole sur la gestion collective dans leur secteur respectif. Puisque ces monopoles risquent d’encourager des pratiques anticoncurrentielles, la loi confie à la Commission du droit d’auteur du Canada la tâche d’arbitrer les relations entre les sociétés de gestion et les utilisateurs. Composée d’experts indépendants, la commission établit les redevances devant être versées pour l’utilisation d’œuvres dont l’administration est confiée à une société de gestion.
C’est ainsi que, par l’intermédiaire de mon projet de loi, les médias écrits pourront se constituer en société de gestion, qui devra ensuite se faire reconnaître par la Commission du droit d’auteur. La société de gestion établira ses tarifs et les fera approuver par la commission. En vue de l’établissement des redevances à verser relativement aux droits qu’elles administrent, les sociétés de gestion peuvent déposer un projet de tarif auprès de la commission.
Si les GAFA refusent de négocier et de s’entendre, ils ne pourront tout simplement plus autoriser la publication d’articles de presse sur leurs plateformes, puisqu’ils s’exposeraient à des sanctions pour violation des droits d’auteur d’œuvres journalistiques. Ils auront donc tout intérêt à négocier et à s’entendre avec la société de gestion collective.
L’un ou l’autre peut, en cas de mésentente, interpeller la commission afin qu’elle tranche le litige. À défaut d’une entente sur les redevances à verser relativement aux droits prévus ou sur toute modalité afférente, la société de gestion ou l’utilisateur peut, après en avoir avisé l’autre partie, demander à la commission de les fixer, à l’exclusion des redevances visées aux paragraphes 29.7(2) ou (3) ou à l’alinéa 31(2)d).
Soulignons que les médias écrits n’auront pas l’obligation de se constituer en société de gestion.
Enfin, l’article 26.2 du projet de loi donne au gouverneur en conseil le pouvoir de désigner un fournisseur de plateforme numérique qui aura l’obligation de rémunérer les organisations journalistiques pour la reproduction ou la publication de contenu sur lesdites plateformes.
En ce sens, le projet de loi ne diffère pas du régime australien. Le Sénat pourrait amender le projet de loi pour établir un ou plusieurs critères objectifs conformément auxquels on désignerait ces fournisseurs, mais le contexte spécifique dans lequel le projet de loi est présenté mènerait à un résultat semblable : ces critères seraient développés pour englober le petit nombre de fournisseurs qui sont déjà reconnus comme étant au cœur du problème, comme Facebook, Google et Twitter.
Le 29 mars dernier, devant le Comité permanent du patrimoine canadien des Communes, le dirigeant de Facebook Canada, M. Kevin Chan, a déclaré qu’il tenterait d’éviter une répétition du black-out de nouvelles qui avait été imposé par le géant technologique en Australie, « pourvu que la législation imminente au pays ne l’oblige pas à agir de la sorte ». Il a vraiment dit : « pourvu que la législation au pays ne l’oblige pas à agir de la sorte ». La menace est à peine voilée. Il faisait référence au fait que Facebook a bloqué toutes les actualités sur sa plateforme en Australie pendant cinq jours le mois dernier pour répondre à un projet de loi qui aurait obligé les géants du numérique à payer des redevances aux médias d’information pour les liens vers leur contenu.
Toutefois — et j’en ai eu la confirmation tout récemment —, il faut que les pays agissent en bloc et de manière déterminée pour faire plier les géants du Web. En ce sens, un mouvement de concertation est en train de naître. J’ai reçu tout récemment un appel de Berlin de la part d’une entreprise de médias et de technologie active qui œuvre dans plus de 40 pays. Cette entreprise tente actuellement de créer un réseau formé d’un très grand nombre de médias traditionnels à travers le monde sur cet enjeu des médias électroniques. À leur avis — et je le partage —, la force du nombre viendra mettre une pression énorme sur les plateformes électroniques, et il est donc essentiel que le plus grand nombre de législatures possible à travers le monde adoptent des lois encadrant les GAFA. Sinon, c’est l’un des piliers de nos démocraties, soit la presse écrite et le journalisme traditionnel dans son ensemble, qui s’en trouvera gravement affaibli.
Pour conclure, honorables sénateurs, vous en conviendrez, cet enjeu est important et fait couler beaucoup d’encre. Ce projet de loi nous donnera l’occasion d’entendre des témoins fort intéressants qui pourront nous éclairer davantage sur tous les aspects entourant la question des plateformes électroniques et de l’usage des contenus produits par les médias traditionnels.
Je vous invite donc à appuyer ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture afin qu’il puisse être étudié en comité dans les meilleurs délais.
Je vous remercie de votre attention.
Trois sénateurs ont levé la main. J’aimerais souligner qu’il sera 21 heures dans environ trois minutes et demie.
Honorables sénateurs, je vais tenter d’être brève.
Sénateur Carignan, je suis emballée par votre projet de loi. J’appuie l’objectif que vous tentez d’atteindre.
J’ai une question précise sur les ententes que les nouveaux médias ont maintenant sur le partage de contenu. Par exemple, un regroupement de journaux nationaux possède et exploite un service de presse qui leur envoie des nouvelles. C’est une entente contractuelle. Le même type d’entente s’applique aux agrégateurs de nouvelles et aux banques d’images, comme Getty Images.
Je me demande si la structure des tarifs ou des redevances aurait des répercussions sur les tarifs actuels qui ont été négociés et qui s’appliquent pour ces services de partage. Merci.
En fait, ce sont des compagnies de gestion collective qui pourront être créées et, si elles le désirent, être accréditées. Ces compagnies pourront négocier des tarifs en fonction de leur intérêt et de leur propre société. Elles pourront également établir leur stratégie de négociation et identifier ce qui pourrait représenter une compensation équitable. Elles pourront faire la demande de négociation avec les membres des GAFA, les membres des sociétés ou les plateformes numériques qui seront identifiées par le gouverneur en conseil. On peut présumer que les Google et Facebook de ce monde en feront partie.
En cas de mésentente, le litige sera tranché par la Commission sur le droit d’auteur. Tout cela fera partie de la négociation. Le projet de loi vise à créer ce cadre de négociation entre les parties pour pouvoir en arriver à une entente qui sera adaptée à chacune des situations, y compris celle que vous venez de nous exposer.
Merci, sénateur Carignan.
La question est complexe, et je suis heureuse que vous alliez de l’avant dans ce dossier, et ce, pour de multiples plateformes. Je vais aborder un autre aspect.
Vous avez parlé des musiciens et du fait que des artistes pourraient joindre des regroupements, mais qu’ils n’y seraient pas obligés. J’aimerais en savoir plus sur la façon dont vous entrevoyez les recoupements entre les créateurs — les artistes — de toutes les disciplines qui travaillent avec un média ayant recours à ces grandes plateformes électroniques.
Nous avons vu ce qui s’est passé à l’international lorsque des œuvres se sont retrouvées sur Internet. J’aimerais vous entendre sur le sujet, si possible. Je suis certaine que nous aurons l’occasion d’en discuter plus en profondeur.
En fait, c’est la société de gestion. Comme vous le savez, pour les écrivains, par exemple, selon les différentes œuvres ou les différents artistes, une société d’intérêts communs se crée. Il peut s’agir d’organes de presse, de médias écrits ou de groupes de producteurs de contenu, et ce sera à eux de se faire accréditer et de procéder aux négociations pour l’artisan ou la personne qui produit des œuvres. Tout cela est compris dans le cadre contractuel avec le média ou avec le journal. C’est donc prévu dans le cadre de rémunération, mais rien n’empêcherait, lors de la négociation de la rémunération de l’artiste ou du journaliste, de négocier un contenu ou une redevance à cette publication ou à son nom lorsque le cadre et les conventions seront créés.
Une fois que tout cela sera mis en place, je crois que les différents producteurs de contenu — par exemple, un journaliste — pourront négocier une partie de cette redevance dans leur rémunération. Alors, tout sera ouvert à ce moment-là.
Sénateur Carignan, il est maintenant 21 heures. Cependant, je désire vous informer qu’il vous reste toujours 17 minutes de temps de parole dans le cadre de ce débat pour répondre aux questions des sénateurs lorsque cet article sera appelé à l’ordre du jour.