Le Sénat
Motion concernant les pêcheurs et les communautés mi’kmaq--Suite du débat
27 mai 2021
Honorables sénateurs, je prends la parole à l’appui de la motion no 40 présentée par le sénateur Francis. Je remercie le sénateur Francis et le sénateur Christmas d’avoir porté cette question très importante à notre attention l’automne dernier. Je suis solidaire des pêcheurs et de la communauté mi’kmaq.
En tant qu’institution, beaucoup d’entre nous ont exprimé le désir de lutter contre le racisme systémique. Appuyer cette motion est l’un des moyens d’y parvenir. Le racisme systémique et le colonialisme sont intrinsèquement liés et l’un ne peut être abordé sans examiner l’autre. Le racisme et la violence auxquels sont confrontés les pêcheurs mi’kmaq sont des formes de violence coloniale inacceptables et ils sont le résultat de décennies de discrimination systémique et de marginalisation normalisée. En tant qu’institution, nous devons nous élever contre cette violence et reconnaître les droits issus de traités.
Je tiens à souligner l’importance du maintien et du respect des traités. Nous vivons tous sur des terres autochtones. Nous sommes tous des personnes visées par un traité. En tant que Canadiens, nous avons la responsabilité de respecter les traités, et en tant que sénateurs, nous avons la responsabilité de les faire respecter. Les traités sont des accords ou des promesses faites pour respecter les droits des Mi’kmaq sur les terres et les ressources. En vivant en Nouvelle-Écosse, sur les terres des Mi’kmaq, je suis responsable de ces traités historiques.
En plus d’être une personne qui est en faveur des traités, je crois fermement au pouvoir de la solidarité interraciale. Comme beaucoup d’entre vous le savent, surtout les sénateurs de la Nouvelle-Écosse et de la côte Est, je vis à East Preston, une communauté afro-néo-écossaise. Les liens entre les Néo-Écossais d’origine africaine et les Mi’kmaqs sont profonds et remontent au début des années 1600, l’époque où le premier Africain à être venu au Canada, Mathieu Da Costa, a servi d’interprète entre les Mi’kmaqs et les Européens. Compte tenu de notre histoire commune, je soutiens les Mi’kmaqs parce que je comprends les répercussions multigénérationnelles de la colonisation et le contexte colonial dans lequel cette violence existe. J’honore notre histoire commune et nos différences.
Honorables sénateurs, j’appuie la motion no 40 qui vise à faire respecter les droits des Mi’kmaqs à une pêche de subsistance convenable, comme le prévoient les traités de paix et d’amitié signés en 1760 et en 1761. J’exhorte le Sénat à condamner la violence et à appuyer la protection des pêcheurs et des communautés mi’kmaqs. Asante. Merci.
Le sénateur Wells a la parole.
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de la motion no 40 présentée par le sénateur Francis, conjointement avec le sénateur Christmas, au sujet des pêcheurs et des communautés mi’kmaqs. Je remercie les sénateurs Francis et Christmas des efforts qu’ils déploient et du dévouement dont ils font preuve dans la défense des Mi’kmaqs. Je veux également remercier le sénateur Patterson et l’ensemble de mes collègues de reconnaître l’importance de cette question.
Beaucoup d’entre vous le savent, j’ai passé la majeure partie de ma carrière, soit plus de 35 ans, dans l’industrie de la pêche au Canada, alors je comprends l’importance de cette ressource. Pendant de nombreuses années, j’ai dirigé des usines de transformation du poisson sur les côtes de Terre-Neuve-et-Labrador — la première fois, j’avais 21 ans et c’était à Black Tickle, une collectivité éloignée sur la côte du Labrador.
Pendant de nombreuses années avant d’être nommé sénateur, j’ai été chef de cabinet et conseiller principal au ministère des Pêches et des Océans, ainsi que directeur des affaires régionales à Terre-Neuve-et-Labrador. En outre, au début des années 1980, j’ai acheté et vendu du hareng dans la baie de Fundy. J’étais basé à Yarmouth, dans la circonscription de South West Nova.
Toutes ces expériences font que je suis en mesure de proposer des changements positifs concernant des enjeux d’importance, pas seulement pour Terre-Neuve-et-Labrador, mais pour tout le Canada. Pendant toute ma carrière, j’ai cultivé les valeurs du développement responsable des ressources, de la durabilité à long terme et de la conservation, ce qui fait que je sais reconnaître les enjeux qui y sont liés. C’est le cas aujourd’hui.
J’ai vu de mes propres yeux la dévastation que cause trop souvent le non-respect des pratiques exemplaires en matière de conservation et d’environnement. En 1992, j’ai été témoin de l’effondrement de la pêche à la morue de l’Atlantique, une situation qui a eu de terribles conséquences pour les communautés, les familles et le gagne-pain de milliers de personnes. Elle s’est répercutée sur le tissu même de ma province.
Chers collègues, les droits issus de traités sont importants et doivent être respectés, un point c’est tout. La décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire R. c. Marshall a confirmé que les droits des Autochtones vont au-delà de la possibilité de pêcher à des fins alimentaires, sociales ou rituelles et incluent aussi le droit à une « subsistance convenable ». Bien que la Cour n’ait pas défini ce terme, je comprends son sens et son importance. Cette décision historique, que je salue, a été rendue le 17 septembre 1999; beaucoup de gens la citent en la présentant comme la protection du droit de pêche des Autochtones.
Comme le savent de nombreux sénateurs, le 17 novembre 1999, soit deux mois après avoir rendu sa décision, la Cour suprême a publié des précisions. Le plus haut tribunal du pays y dit notamment ceci :
Les gouvernements fédéral et provinciaux ont le pouvoir de réglementer, dans les limites de leurs champs respectifs de compétences législatives, l’exercice d’un droit issu du traité, lorsque de telles mesures sont justifiées pour des raisons de conservation ou pour d’autres motifs. L’arrêt Marshall fait état des principaux énoncés de la Cour sur les divers motifs justifiant la réglementation de l’exercice de droits issus de traités. L’objectif prépondérant en matière de réglementation est la conservation de la ressource, et cette responsabilité incombe carrément au ministre responsable et non aux personnes autochtones et non autochtones qui exploitent la ressource.
La Cour suprême du Canada a jugé nécessaire de préciser sa propre décision antérieure en raison de la manière dont on pourrait l’interpréter. Cela montre clairement qu’il y a des limites aux droits issus de traités, car la gouvernance nécessite l’établissement d’un équilibre entre de nombreux objectifs, dont la conservation et les droits issus de traités.
La cour a statué que la durabilité et la conservation d’une ressource n’incombent pas aux utilisateurs de la ressource, qu’ils soient Autochtones ou non-Autochtones. Cette précision de l’arrêt Marshall nous permet d’établir un juste équilibre entre les objectifs d’une manière qui pourrait mener à des pratiques de pêches responsables et durables en prévision de l’avenir.
À long terme, il n’y aura pas de pêche commerciale ni de pêche à des fins de subsistance convenable pour quiconque si nous ne gérons pas les stocks conformément à la réglementation. Depuis 1844, environ 109 espèces indigènes du Canada ont disparu, et beaucoup d’autres sont menacées ou en péril. Les règlements sur la pêche existent pour une bonne raison. Ils ne sont pas que paperasse et bureaucratie. Ils sont conçus pour assurer la conservation et la durabilité à long terme de la ressource et pour assurer l’équité dans une industrie complexe.
Dans le Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, la saison de pêche réglementée dure en général de la fin novembre à la fin mai. C’est intentionnel. Les homards sont plus susceptibles de muer durant la morte-saison, ce qui, en fait, explique pourquoi c’est la morte-saison. Il est interdit de pêcher durant la morte-saison parce que les carapaces des homards sont souples à la suite de la mue.
Il y a aussi d’autres règlements en vigueur, notamment l’interdiction de pêcher les homards femelles œuvées. On a signalé que cela s’est produit en Nouvelle-Écosse et cette pratique nuit à notre population de homards, car la pêche d’une femelle œuvée élimine immédiatement plusieurs homards de nos futurs stocks.
À Terre-Neuve-et-Labrador, nous pratiquons le marquage par encoche en V, ce qui signifie que tout pêcheur qui attrape une femelle œuvée doit couper sa queue avec l’outil de marquage par encoche en V et la remettre à l’eau. Il est illégal d’attraper et de conserver un homard qui a cette caractéristique. En pratique, il s’agit d’une gestion responsable des ressources.
Le 3 mars dernier, le ministère des Pêches et des Océans a publié une décision sur le sujet et a présenté un plan visant à trouver un juste milieu entre les divers objectifs en jeu. Selon la déclaration du ministère des Pêches et des Océans, il s’agit d’assurer « [...] la mise en œuvre des droits issus de traités conclus avec les Premières Nations, la conservation et la durabilité des stocks de poissons, et la gestion transparente et stable de la pêche ».
Selon le plan, la conservation est au cœur de tout ce que fait le ministère des Pêches et des Océans, et les stocks de homard sont sains sur la côte Est, en grande partie grâce aux limites et aux pratiques de pêche exemplaires auxquelles ils faut adhérer si on veut pouvoir atteindre l’objectif de conservation de façon constante.
On explique dans la décision que la pêche visant à assurer des moyens de subsistance convenables sera autorisée et que des permis seront accordés à cet égard, mais que toutes les pêches doivent se pratiquer pendant les saisons établies. Je cite la déclaration du ministère des Pêches et des Océans :
Les saisons garantissent que les stocks sont exploités de façon durable, et elles sont nécessaires pour assurer une pêche ordonnée, prévisible, et bien gérée. Dans les pêches axées sur l’effort comme le homard, les saisons font partie de la structure de gestion globale qui préserve la ressource, veille à ce qu’il n’y ait pas de surpêche et distribue les avantages économiques dans l’ensemble du Canada atlantique [...]
Qu’est-ce que la motion no 40 nous demande d’appuyer? Comme bon nombre de mes collègues l’ont également indiqué, la motion dit que le Sénat devrait confirmer et honorer la décision rendue dans l’affaire Marshall. Je suis on ne peut plus d’accord, honorables collègues. Cependant, nous devons la confirmer dans son entièreté, y compris le principe selon lequel « [...] [l]es gouvernements [...] ont le pouvoir de réglementer [...] l’exercice d’un droit issu du traité, lorsque de telles mesures sont justifiées pour des raisons de conservation ou pour d’autres motifs » et l’objectif de conservation « [...] incombe carrément au ministre responsable et non aux personnes autochtones et non autochtones qui exploitent la ressource ».
Nous devons donc nous acquitter de la tâche qui nous a été déléguée par la Cour suprême pour défendre l’objectif réglementaire primordial de la conservation. Comme je l’ai dit, chers collègues, les droits issus de traités de nos communautés autochtones sont importants. Soyons absolument clairs quant à ce que cette motion nous demande de soutenir ou condamner. Les actes criminels ne sont jamais acceptables et devraient toujours être condamnés. Il est donc est extrêmement troublant d’entendre parler des conflits entourant ces questions en Nouvelle-Écosse. Nous sommes tous ici parce que nous croyons en la primauté du droit et nous devons condamner tout acte criminel.
Nous sommes une assemblée législative. Cette motion nous demande-t-elle de ne pas tenir compte de la législation qui a été consacrée ici même, de ne pas tenir compte de ce que la Cour suprême a confirmé puis clarifié, et de ne pas tenir compte de la récente décision du ministère des Pêches et des Océans qui était équilibrée et sensée? Nous demande-t-on de ne pas tenir compte de tout cela?
C’est pour les raisons que j’ai expliquées dans mon discours que je propose un amendement à la motion. Je ne le fais pas pour l’affaiblir, mais pour affirmer ce qui s’y trouve et pour le renforcer. Chers collègues, je l’ai fait avec le concours des sénateurs Francis et Christmas, ainsi que d’autres. Mon amendement respecte l’arrêt Marshall et il fait ressortir l’importance de trouver le juste équilibre entre le respect de la conservation et l’autorisation d’une pêche de subsistance convenable. L’amendement vise aussi à préciser que les actes criminels, y compris ceux qui briment les droits issus des traités, sont condamnés par le Sénat.
Chers collègues, je pense que nous sommes tous d’accord pour affirmer que le rôle du Sénat consiste à améliorer les choses, qu’il s’agisse de réaliser des progrès législatifs ou de réclamer des changements qui amélioreront la vie quotidienne des Canadiens. Nous nous efforçons de respecter la loi dans son intégralité, et il en va de l’intérêt de tous que la loi soit respectée par l’ensemble des citoyens. Voilà le principe qui se trouve au cœur de mon amendement.