La Loi sur le casier judiciaire
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
9 décembre 2021
Honorables sénateurs, je vous parle aujourd’hui depuis le territoire traditionnel non cédé des Mississaugas. J’ai l’intention d’appuyer le projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement. Je remercie la sénatrice Pate de l’avoir présenté à nouveau.
À l’heure actuelle, le processus de demande d’expiration du casier judiciaire est prohibitif. Pour beaucoup de détenus qui ont purgé leur peine, la réintégration dans la société est déjà suffisamment difficile. Ceux qui ne peuvent participer à ce processus sont donc pénalisés le reste de leur vie. Le processus d’expiration du casier judiciaire n’est clairement pas une question de justice. C’est un processus désuet qui ne bénéficie à personne. Il nuit à ceux qui tentent de remettre de l’ordre dans leur vie pendant une période de transition très éprouvante.
Le processus par lequel les gens doivent demander l’expiration de leur casier judiciaire est injuste car il est inaccessible et inutile. Accessibilité rime avec égalité; c’est faire en sorte que les personnes confrontées à des barrières structurelles comme le racisme, la pauvreté et le capacitisme puissent être incluses. Contrairement à la croyance populaire, les personnes qui sortent de prison sont souvent vulnérables. Cela inclut, sans toutefois s’y limiter, les Noirs, les Autochtones et les personnes souffrant de maladie mentale et de toxicomanie.
Le premier défi en matière d’accessibilité est la disponibilité des ressources nécessaires pour soumettre une demande. Il faut investir du temps et des ressources, dont des frais exorbitants de 657,77 $. Ces frais ont augmenté de 481 $ en 2012 et, selon des données provenant de 2017-2018, 40 % moins de personnes ont soumis une demande.
La chute du nombre de demandes prouve que les frais exigés constituent un obstacle important, puisque la majorité des anciens prisonniers n’arrivent pas à décrocher un bon emploi avec leur casier judiciaire.
Les Noirs et les femmes sont deux groupes parmi les segments de la population qui ont le plus de difficulté à se trouver un bon emploi avec un casier judiciaire. La combinaison des taux de chômage et d’un montant si élevé de frais associés au processus n’est pas raisonnable. L’accès à ce processus ne doit pas être un privilège réservé aux mieux nantis.
Selon mes recherches, l’autre obstacle à l’accessibilité est la compréhension du processus. Un grand nombre de gens ne comprennent pas comment présenter une demande d’expiration du casier judiciaire. En plus de bien comprendre le processus, ces personnes doivent prendre conscience des conséquences qu’elles pourraient subir pour le reste de leur vie si elles ne font rien pour changer l’état de leur casier judiciaire.
Beaucoup de personnes ne savent probablement pas quel est l’impact d’un casier judiciaire en suspens. Par exemple, cela peut accroître les difficultés pour trouver un emploi, se loger ou voyager. Un casier judiciaire en suspens peut avoir une grave incidence sur les décisions relatives à la garde des enfants et l’accessibilité à de l’aide financière ou à du crédit.
Comme autre obstacle à l’accessibilité, on retrouve la littératie. Combien d’entre vous connaissez l’énorme défi que représente un formulaire à remplir où apparaissent quantité de termes juridiques incompréhensibles, au point d’en être si frustrés que vous baissez les bras? Beaucoup de personnes n’ont ni les capacités de lecture et d’écriture requises pour arriver à aller jusqu’au bout de ce processus ni la confiance ou l’habileté de demander de l’aide pour faire leur demande d’expiration. La solution est simple. L’expiration du dossier criminel devrait se faire de façon automatique et gratuitement.
Honorables sénateurs, il y a quelque temps, je me suis retrouvée à une station de police pour signaler un crime dont j’avais été victime. L’agent m’a montré une série de photos signalétiques qui correspondaient à la description générale du suspect recherché. Tandis que j’examinais les photos de la série, j’ai reconnu celle d’un jeune homme noir, non pas la personne que j’étais censée identifier, mais le fils d’un de mes bons amis. Je connaissais son histoire. Je me suis souvenu que, lorsqu’il était un jeune homme, à peine passé l’âge de la majorité, il avait été mis en accusation en tant qu’adulte pour un crime qu’il avait commis. Il avait purgé sa peine et tourné la page. Depuis, il a réussi des études postsecondaires et occupe un bon emploi dans le domaine qu’il a choisi.
Malgré le fait qu’il soit passé à un autre chapitre de sa vie, une photo de son visage est toujours activement utilisée dans des séances d’identification, ce qui veut dire qu’à n’importe quel moment, il pourrait être rappelé en tant que suspect d’un crime dans l’avenir.
Vous pouvez imaginer ma consternation lorsque j’ai vu son visage alors qu’on me demandait d’identifier une personne à la suite d’un crime auquel il n’avait rien à avoir. Pourquoi montrerait-on son visage parmi des suspects possibles d’un crime futur, alors qu’en fait, une personne qui a été déclarée coupable par le passé n’est pas plus susceptible de commettre un crime, après une certaine période, qu’une personne qui ne l’a jamais été?
J’ai décidé d’informer sa mère de ce que j’avais vu afin qu’elle puisse en aviser son fils. Il a pu présenter une demande pour que son casier soit supprimé et que sa photo ne soit donc plus utilisée lors des séances d’identification.
Je pense à cet homme et à ce qui aurait pu arriver s’il n’avait pas présenté de demande pour que son casier soit supprimé. Que se serait-il passé plus tard si, à la suite d’un crime, une autre personne avait regardé la même photo signalétique et avait cru le reconnaître par erreur, malgré son innocence? Que se serait-il passé si ce témoin avait été son employeur, un collègue ou un client? Quelles auraient été les conséquences pour sa carrière et sa réputation? Que se serait-il passé si on l’avait arrêté pour un contrôle routier? En tant qu’homme noir, il est déjà vulnérable au profilage racial.
Selon le rapport Wortley sur les contrôles de routine à Halifax, les hommes noirs à Halifax sont 9,2 fois plus susceptibles d’être arrêtés pour un contrôle de routine que le reste de la population.
Que serait-il arrivé si le policier avait vu l’homme dont j’ai parlé, s’il l’avait reconnu à cause de sa photo signalétique, et si cela l’avait convaincu que cet homme était mal intentionné? Ces situations sont peut-être hypothétiques, mais malheureusement, elles arrivent trop fréquemment à des hommes noirs.
Il est injuste qu’il puisse continuer à être puni pour le reste de sa vie. Il est possible d’éviter carrément des situations comme celles-ci, qui entraînent de la discrimination envers d’anciens prisonniers, en rendant automatique l’expiration du casier judiciaire pour certaines accusations.
Honorables sénateurs, le processus d’expiration du casier judiciaire ne sert à rien d’autre qu’à continuer de punir des personnes vulnérables pour un crime qu’elles ont déjà expié. La modification de la Loi sur le casier judiciaire est le strict minimum pour assurer un traitement équitable aux Canadiens autochtones, noirs et racialisés vulnérables, que le processus actuel d’expiration du casier judiciaire empêche injustement d’aller de l’avant.
J’appuierai ce projet de loi et j’espère que mes collègues comprendront à quel point ce changement pourrait s’avérer bénéfique pour tant de personnes qui travaillent d’arrache-pied pour remettre leur vie sur les rails.
Asante. Merci.
Est-ce que la sénatrice accepterait de répondre à une question?
Oui, certainement.
Ce qui est un peu discutable, c’est que vous prenez des cas d’exception et que vous faites des généralités pour les appliquer à tous les criminels. Prenons l’exemple d’un individu qui sort de prison parce qu’il a été condamné pour avoir vendu de la drogue à des enfants — et on connaît les conséquences — et qui demande à l’État d’effacer son dossier criminel. Qui est responsable de payer pour effacer son dossier? Un honnête citoyen ou le criminel lui-même?
Je vous remercie de la question, monsieur le sénateur. Il est vrai que pour certaines accusations, la suspension automatique du casier judiciaire ne constituerait pas la meilleure marche à suivre. Ce projet de loi propose de créer des conditions favorables à ceux pour qui il s’agit de la meilleure marche à suivre.
Beaucoup de personnes vulnérables ont des démêlés avec la justice. Elles purgent leur peine et elles ont le droit de remettre leur vie sur les rails par la suite afin de réintégrer la société sans obstacle. À mon avis, il nous incombe d’éliminer les obstacles pour permettre à ces personnes de se réadapter et de réintégrer la société.
Est-ce que la sénatrice accepterait de répondre à une autre question?
Vous avez encore quatre minutes et demie. Accepteriez-vous de répondre à une autre question du sénateur Boisvenu?
Oui.
Dans notre société, le principe de la réhabilitation repose sur la responsabilisation. Quand l’État prend en charge toutes les dépenses des citoyens, on déresponsabilise les citoyens. Si un individu commet une infraction au Code de la sécurité routière, comme la conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles à une autre personne, le système de justice va lui imposer l’installation d’un démarreur électrique qui coûtera environ 800 $. Le système fait en sorte que c’est l’individu qui a commis l’infraction qui doit payer pour son antidémarreur. Lorsqu’on efface un dossier criminel, pourquoi impose-t-on à la société de payer des frais qui devraient être à la charge du criminel?
Lorsqu’une personne a commis une infraction, a été reconnue coupable et a reçu une peine en conséquence, elle a été punie et a payé pour la faute commise. Pourquoi devrait-on continuer de la punir en l’empêchant d’avoir accès aux possibilités lui permettant de refaire sa vie et de réintégrer la société?
Pour certaines personnes, il pourrait ne pas s’agir d’une réintégration, mais plutôt d’une intégration dans une société qui les avait déjà placées dans la marge, d’une façon ou d’une autre.