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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

22 mars 2022


Propose que le projet de loi S-239, Loi modifiant le Code criminel (taux d’intérêt criminel), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je tiens à souligner que nous sommes rassemblés sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe.

Je suis heureuse de présenter enfin mon projet de loi visant à abaisser le taux d’intérêt criminel. J’ai déjà parlé de cet enjeu de nombreuses fois. L’appui que j’ai reçu dans cette enceinte me rend optimiste, mais, hélas, le projet de loi n’a pas encore été adopté.

La première fois, le projet de loi s’est rendu à l’étape du comité, mais des élections ont eu lieu. La deuxième fois, il a franchi l’étape du comité avec amendements, mais d’autres élections ont été déclenchées. Je l’ai ensuite déposé à nouveau le printemps dernier, mais, bien entendu, il y a encore eu des élections. Ainsi, voyons si nous pouvons réussir cette fois, avant que de nouvelles élections ne surviennent.

Parlons du projet de loi. Il réviserait l’article 347 du Code criminel, qui établit actuellement le taux d’intérêt criminel à 60 %.

Cette mesure législative établirait maintenant une limite de taux d’intérêt correspondant au taux de la Banque du Canada majoré de 20 %. Le taux actuel de la Banque étant de 0,5 %, cela établirait un taux d’intérêt maximal de 20,5 %. Tout taux supérieur serait considéré comme étant un taux d’intérêt criminel.

J’ai rattaché cette limite au taux de la Banque du Canada afin que la limite puisse évoluer en fonction des taux d’intérêt généraux et qu’elle reste pertinente au gré de l’évolution des marchés.

Le taux d’intérêt criminel a d’abord été établi en 1981, soit il y a 40 ans, alors que le taux bancaire était de 21 %. Aujourd’hui, ce taux se situe à 0,5 %. Pourquoi la Banque du Canada devrait-elle maintenir un taux aussi bas alors que les Canadiens paient des taux d’intérêt aussi élevés? Il peut en être autrement.

Avec la nouvelle limite proposée, soit le taux de la Banque du Canada majoré de 20 %, il n’y aura pas d’incidence sur la presque totalité des transactions financières normales. C’est au-dessus du taux imposé pour la majorité des cartes de crédit, des hypothèques et des prêts habituels. Comme une baisse du taux bancaire est peu probable — le taux devrait même augmenter bientôt —, cette nouvelle limite ne risque pas de se retrouver en dessous des taux normaux. Presque toutes les cartes de crédit offertes par les grandes banques offrent un taux de 19,99 % ou moins. En revanche, cela aurait une incidence sur certains frais abusifs comme les frais de retard imposés par les entreprises de téléphonie et de câblodistribution — vous n’avez qu’à consulter vos factures mensuelles —, et les taux des prêts à tempérament, des cartes de crédit à taux élevé, et cetera.

Dans bien des cas, les prêts à tempérament, les marges de crédit et d’autres produits sont offerts par des entreprises qui sont également très actives dans le secteur des prêts sur salaire.

Fairstone offre des prêts à tempérament à un taux allant de 26,99 à 39,99 %. Easyfinancial offre des prêts à tempérament sans garantie à un taux de départ de 29,99 %. Money Mart offre un taux de 29,90 à 46,90 %. Loans Canada offre des taux qui se situent entre 2,99 et 46,96 %. Capital Cash offre des prêts à un taux de 59 %.

Est-ce que vous vous demandez d’où vient ce chiffre?

Il y a également des cartes de crédit offertes par des magasins avec un taux élevé. Par exemple, le taux de la carte de Home Depot est de 28,8 %, et d’autres magasins offrent des cartes à taux semblable.

Ces prêts ciblent souvent les personnes financièrement vulnérables. Dans la publicité, on ne dit même pas que ce sont des prêts de dernier recours. On parle plutôt d’argent facile, et on ignore si les gens sont capables d’effectuer leurs paiements. Même le nom des entreprises met l’accent là-dessus, comme dans le cas d’easyfinancière. Ces entreprises disent qu’aucune approbation de crédit n’est nécessaire, qu’il s’agit d’argent rapide et ainsi de suite. Elles minimisent les coûts, tout en donnant l’impression que le prêt est consenti par pure gentillesse.

Les frais de retard seraient également visés par cette mesure. Par exemple, des entreprises comme Rogers et Bell exigent un taux d’intérêt de 42,58 % pour les frais de retard. Quant à l’Alberta Utilities Commission, après 31 jours, elle applique un taux d’intérêt de 30 % supérieur au taux d’intérêt préférentiel pour les entreprises indiqué dans le site Web de la Banque du Canada.

La plupart des instruments financiers ne sont donc pas touchés, mais nous pouvons cibler ceux que je considère comme excessifs, tout comme beaucoup d’entre vous.

Cette mesure législative ne cherche pas à criminaliser une activité financière légitime. Cependant, puisque c’est à l’article 347 du Code criminel que le taux d’intérêt maximal a été fixé, cette mesure constitue la façon la plus productive d’abaisser les taux d’intérêt. L’article 347 sert actuellement à régler des litiges civils, et non des affaires pénales; cette modification aurait donc pour effet de forcer une réduction des taux d’intérêt, pas de commencer à arrêter des gens.

J’aborderai très rapidement la question des prêts sur salaire, qui est très différente.

Ce projet de loi ne touche pas les prêts sur salaire courants, même si je les vois aussi comme un problème. Les prêts sur salaire ont été exemptés de l’article 347 en 2006, ce qui a eu pour effet de confier aux provinces la réglementation des petits prêts à court terme, c’est‑à‑dire les prêts de moins de 1 500 $ d’une durée de moins de 62 jours.

Les prêteurs sur salaire n’ont donc pas à offrir de prêts inférieurs à cette limite, reconnaissant que les prêts à court terme nécessitent des frais plus élevés par rapport au taux d’intérêt annualisé.

Chers collègues, la réglementation varie d’une province à l’autre. Généralement, il est question d’environ 15 $ par tranche de 100 $ empruntés, pour des prêts de deux semaines pouvant aller jusqu’à 1 500 $. Cela correspond à un taux d’intérêt annuel de 391 %. Le Québec interdit aux prêteurs d’exiger plus de 35 %, interdisant dans les faits les prêts sur salaire. Il s’agit de la seule province à avoir fait cela au pays.

Honorables sénateurs, nous avons également commis une erreur en 2006, lorsque nous avons accepté que les provinces réglementent l’industrie du prêt sur salaire. Le Parlement a commis une erreur et le Sénat aussi quand il a donné son aval sur ce point. J’espère que nous trouverons une façon d’annuler cette décision.

Les entreprises de prêt sur salaire n’ont pas chômé et ont créé des prêts auxquels s’appliquerait l’article 347 en ce qui a trait aux montants d’argent plus élevés et prêtés à plus long terme. Actuellement, ces prêts devraient être couverts par les dispositions sur les taux d’intérêt criminels, mais il y a des lacunes importantes en ce qui concerne l’application de la loi. Mon objectif avec ce projet de loi est d’envoyer un message fort et d’indiquer que nous ne tolérerons pas ces taux excessifs. Trop, c’est trop.

Ces dernières semaines, des collègues sont intervenus pour dire à quel point le taux d’inflation cause des difficultés aux familles canadiennes. Le taux d’inflation n’a pas encore descendu. Comment pensez-vous qu’une famille normale — qui ne gagne parfois que le salaire minimum, qui n’a pas augmenté — parvient à joindre les deux bouts, faire l’épicerie, faire le plein pour se rendre au travail et acheter des médicaments pour les enfants? Nous prenons la parole ici pour dire à quel point c’est terrible, que l’inflation est terrible pour nos concitoyens les plus vulnérables. J’espère que vous comprendrez que ce projet de loi n’est destiné à aucun d’entre nous. Il s’adresse à ceux qui sont vraiment dans le besoin. Malheureusement, les institutions bancaires ne sont pas naturellement disposées à aider ceux qui sont dans le besoin. Il y a toutefois d’autres institutions, comme easyfinancial, qui les accueillent à bras ouverts.

Certains pourraient dire que cela aura une incidence sur l’accessibilité aux prêts pour un grand nombre de personnes vulnérables, mais ce n’est pas bon pour les personnes vulnérables d’avoir accès à des prêts qu’elles n’arriveront pas à rembourser en raison de ces taux et frais extrêmement élevés. Je reconnais que c’est inquiétant, mais je ferai remarquer qu’il existe des exceptions, par exemple des prêteurs à faible taux comme Borrowell, dont le taux annuel en pourcentage se situe, en moyenne, à environ 11 % à 12 % — pas 59 % —, et le taux des prêts sur valeur domiciliaire se situe à environ 10 %. Il faut se poser la question suivante : si cette entreprise fait des profits en facturant ce taux d’intérêt, comment pourrons-nous accepter les autres entités qui se présenteront devant le Comité sénatorial des banques et qui allégueront devoir facturer un taux de 49 % faute de quoi elles devront fermer leurs portes? Comment pouvons-nous accepter cette situation?

Il existe aussi des options de crédit sûres pour établir une cote de crédit. Récemment, Postes Canada et la Banque TD se sont associées dans un projet pilote visant à offrir aux Canadiens qui vivent en région rurale ou dépourvue de banque de petits prêts à partir du bureau de poste à des taux concurrentiels de 6,33 % à 16,03 %. Ainsi, les Canadiens d’un océan à l’autre ont accès à des prêts offerts à des taux raisonnables. Le test de marché de ce projet pilote comptait plus de 200 bureaux de poste se trouvant dans des régions sélectionnées. Il visait à évaluer la demande et les répercussions dans les collectivités mal desservies. Postes Canada m’a informée que le projet pilote s’est avéré un franc succès pour ouvrir l’accès à des segments clés de la clientèle. Environ 80 % de ceux qui ont obtenu un prêt n’avaient pas de cote de crédit, ou bien celle-ci se situait sous la moyenne nationale. Le projet pilote ayant pris fin récemment, je suis très enthousiasmée pour la suite des choses. J’encourage fortement Postes Canada et la Banque TD à offrir ce programme à l’échelle du pays. Pour la première fois en plus de 19 ans au Sénat, je remercie et je félicite une banque. Elle le mérite bien. Je remercie donc la Banque TD d’avoir organisé ce projet pilote avec Postes Canada.

Si beaucoup affirment que des taux élevés sont le prix de l’accessibilité, il est clair que certaines entreprises sont en mesure de fonctionner avec des taux plus bas. De plus, je ne crois pas que la réponse à ce problème soit de se résigner à dire que les personnes financièrement vulnérables doivent payer des taux extrêmement élevés parce qu’elles représentent un risque. Nous devons nous en préoccuper et nous pencher sur la question de l’accès aux prêts pour les plus vulnérables. Une mouture précédente du projet de loi avait été modifiée et prévoyait un taux plus élevé avec lequel je n’étais pas d’accord. Bien que j’espère avoir un échange fructueux sur le choix d’un taux précis, je suis favorable à un taux de 20 %. Ce taux est valable pour la grande majorité des possibilités de crédit existantes, qu’il s’agisse de prêts hypothécaires, de cartes de crédit, de marges de crédit, de taux gouvernementaux, etc. Il permet notamment au taux des cartes de crédit les plus courantes de demeurer inchangé, soit un taux normal de 19,99 %; on peut donc dire que 20 % plus le rajustement du taux d’escompte fait mouche. On pourrait aussi me convaincre de l’abaisser, c’est à vous de voir.

Ces entreprises sont toutes en mesure de fonctionner avec des taux égaux ou bien inférieurs à cette nouvelle limite et, en fait, ces taux sont demeurés pratiquement inchangés eu égard à la dégringolade du taux d’escompte au cours des 10 dernières années. L’endettement des consommateurs est un problème croissant au Canada, et la pandémie a aggravé davantage la situation pour un trop grand nombre de Canadiens. Selon MNP, 6 Canadiens sur 10 sont au moins quelque peu susceptibles d’emprunter davantage avant la fin de cette année, et 3 personnes sur 10 affirment que la pandémie a aggravé leur crédit, leur dette ou augmenté le fardeau de la dette pour eux-mêmes ou leur famille. Le nombre de Canadiens qui déclarent être insolvables se situe à son plus haut niveau depuis 2017, à 30 %. Dans l’ensemble, la dette des consommateurs s’élève maintenant à 2,08 billions de dollars, ce qui représente une hausse de 0,62 % par rapport au trimestre précédent et une hausse de 4,78 % par rapport au premier trimestre de 2020.

Au cours de la pandémie, le gouvernement canadien a emprunté à des taux historiquement bas, tandis que les Canadiens eux-mêmes ont continué à s’endetter à des taux d’intérêt extrêmement lourds pour un trop grand nombre d’entre eux. Le gouvernement a utilisé ces fonds pour aider les Canadiens, mais la mesure à l’étude aidera les Canadiens à s’aider eux-mêmes, sans coûter un sou au gouvernement. Il n’en coûtera pas un seul sou pour aider les Canadiens.

Les gens ne s’endettent pas à la légère. Ils y sont souvent contraints par des événements indépendants de leur volonté, qu’il s’agisse de frais médicaux imprévus, de la perte d’un emploi, d’une panne de voiture ou, peut-être, d’une pandémie mondiale. C’est une question d’équité. Cela aidera les plus marginalisés, non pas en remboursant leurs dettes, mais en leur donnant la possibilité de le faire eux-mêmes. Il s’agit d’un coup de pouce, pas d’une aumône.

Je me réjouis à l’idée de débattre du projet de loi avec ardeur, et surtout, je me réjouis de votre soutien. Merci.

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