Projet de loi sur le Mois du patrimoine arabe
Deuxième lecture--Ajournement du débat
22 mars 2023
Propose que le projet de loi C-232, Loi instituant le Mois du patrimoine arabe, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, c’est un plaisir de prendre la parole aujourd’hui à titre de parrain du projet de loi C-232 au Sénat. Cette mesure, qui vise à instituer le Mois du patrimoine arabe, a été présentée à l’autre endroit par le député David McGuinty et adoptée à l’unanimité le 28 mars 2023. Le Sénat en est maintenant saisi.
Les mois du patrimoine donnent aux Canadiens l’occasion de célébrer la diversité du pays et d’échanger au sujet de leur culture et d’autres cultures. Nous célébrons déjà plusieurs autres mois du patrimoine, qui sont consacrés aux patrimoines tamoul, irlandais, asiatique, caribéen, italien, portugais, musulman, noir, sikh, juif, autochtone, philippin, allemand, hispanique et latino-américain, sans oublier, bien sûr, le Mois de l’histoire des femmes. J’espère qu’au cours des prochaines semaines, nous voterons tous en faveur de l’ajout du Mois du patrimoine arabe à cette liste importante.
Le premier immigrant arabe arrivé au Canada s’appelait Ibrahim Abu Nadir; il s’est installé à Montréal en 1882, il y a environ 140 ans. Les communautés arabes du Canada ont pris de l’ampleur depuis et comptent maintenant plus de 1 million de personnes. Ce sont nos voisins, nos amis, nos collègues, nos professeurs, nos infirmiers, nos médecins et nos avocats. Nous mangeons dans leurs restaurants, faisons des emplettes dans leurs commerces, dansons au son de leur musique et lisons leurs livres. Bref, nous vivons ensemble dans ce merveilleux pays.
Chers collègues, il est logique, approprié et opportun de reconnaître l’importante contribution des Canadiens d’origine arabe au Canada puisque cet apport a été et continue d’être remarquable dans tous les secteurs de la société canadienne. Néanmoins, il est également important de découvrir l’expérience vécue par les nouveaux venus pour se bâtir une nouvelle vie au Canada. Désigner avril comme le Mois du patrimoine arabe donnera à l’ensemble des Canadiens l’occasion de faire tout cela.
De nombreux Canadiens d’origine arabe sont très bien connus des Canadiens même si tout le monde ne connaît pas leur origine. Je songe notamment à l’acteur Keanu Reeves, au rappeur Belly, à la chanteuse Zaho, à l’humoriste Rachid Badouri, qui fait carrière dans ma province, et — ici je dévoile mon âge, chers collègues — aux chanteurs populaires Paul Anka et Andy Kim. Il y a des politiciens, comme les anciens premiers ministres Joe et Robert Ghiz, de l’Île-du-Prince-Édouard, ainsi que de nombreux parlementaires d’hier et d’aujourd’hui, dans les deux Chambres.
Il y a d’éminents chefs de file dans le monde des affaires, comme Ablan Leon, qui a fondé la chaîne de magasins d’ameublement Leon’s en 1901, et des personnalités des médias, comme Kevin O’Leary; des journalistes, par exemple Mohamed Fahmy et Nahlah Ayed, tous les deux des correspondants de guerre et des auteurs primés; et, bien entendu, l’auteur Rawi Hage, qui a remporté un prix Giller et qui jouit d’une renommée internationale; des athlètes, comme le joueur de hockey de la LNH Nazem Kadri, ou encore Fabian Joseph, qui a été capitaine de l’équipe masculine de hockey sur glace représentant le Canada aux Jeux olympiques, où il a remporté deux médailles d’argent. La liste est longue.
Il y a d’innombrables autres Canadiens d’origine arabe dont la contribution à notre pays est tout aussi remarquable, mais ils ne sont pas aussi connus du public ou pas connus du tout. J’aimerais donc prendre quelques minutes pour vous parler de trois personnes que j’ai appris à connaître et qui m’ont rendu très fier d’être le parrain de ce projet de loi au Sénat.
Amal Elsana Alh’jooj possède un doctorat en travail social de l’Université McGill et a déjà été directrice générale du Réseau international d’action communautaire de l’Université McGill. Née dans un village bédouin non reconnu de la partie nord du Néguev, en Israël, Amal est une ardente défenseure des droits des Bédouins en Israël, des droits des femmes au sein des communautés bédouines, ainsi qu’une promotrice active de la consolidation de la paix entre les communautés tant au Canada qu’à l’étranger. Mise en nomination pour le prix Nobel de la paix en 2005, Amal a reçu de nombreux prix pour son travail en faveur des droits de la personne. Elle réside de façon permanente à Montréal depuis 2012.
J’ai rencontré Amal pour la première fois il y a plus de 20 ans. C’était en lien avec un travail philanthropique que je faisais au nom de la communauté juive de Montréal. J’ai eu le privilège de faire partie de plusieurs projets innovateurs dont elle a été l’instigatrice, et notre relation de travail s’est rapidement transformée en une véritable amitié. Amal m’a beaucoup appris, notamment sur le courage, la persévérance et, surtout, la façon dont une seule personne peut être une source de véritable changement tant au pays qu’à l’étranger. Son travail ici, au Canada, et ailleurs dans le monde devrait servir d’inspiration à tous ceux qui aspirent à faire de notre pays et de notre monde un meilleur endroit où vivre.
La deuxième personne dont je voudrais parler est le professeur Karim Benyekhlef, de la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Bien qu’il ne soit pas connu en dehors des cercles juridiques, c’est une personne qui apporte une contribution importante à notre pays.
Karim est un universitaire et un innovateur de renommée mondiale dans le domaine de l’accès à la justice. En 1995, il a fondé la toute première revue juridique francophone en ligne, Lex Electronica. Il a fondé le Laboratoire de cyberjustice en 2010 et en assure actuellement la direction. De plus, il dirige maintenant un projet national et international qui vise à mettre l’intelligence artificielle (IA) au service des justiciables et des acteurs judiciaires afin d’accroître l’accès à la justice. Enfin, à l’invitation du ministère de la Justice Canada, il représentera le Canada dans le cadre du dialogue Canada-Europe sur la numérisation de la justice.
J’ai rencontré Karim pour la première fois il y a plus de 30 ans, lorsque je suis devenu membre du conseil de direction du Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal, où j’avais passé une année sabbatique dans les années 1980. J’ai appris à le connaître encore mieux au cours de ces huit années où il a été directeur de ce centre de recherche. J’ai été alors, et je le suis toujours, émerveillé par son intelligence, sa productivité et, surtout, son engagement à explorer et à promouvoir la technologie pour faire avancer la cause de l’accès à la justice pour les Canadiens.
Enfin, laissez-moi vous parler de Khalid Elgazzar, un avocat canadien, en fait un avocat d’Ottawa, d’origine égyptienne, que j’ai rencontré lorsque j’étais le parrain au Sénat du projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale.
J’ai été présenté à Khalid par le père d’un jeune garçon qui avait été placé sur la liste d’interdiction de vol alors qu’il n’était encore qu’un enfant, non pas en raison de ce qu’il avait fait ou de la menace qu’il représentait, mais simplement à cause de son nom. Alors qu’il voyageait avec son père Sulemaan pour assister à un match entre les Canadiens de Montréal, son équipe de hockey préférée, et les Maple Leafs, Adam Ahmed, un jeune garçon, a été signalé comme une menace potentielle pour la sécurité. Il avait six ans. Cela s’est produit une deuxième fois, quatre ans plus tard, lors d’un autre voyage qu’il avait entrepris pour voir sa chère équipe.
Sulemaan, le père d’Adam, a été l’un des fondateurs du groupe #NoFlyListKids, un regroupement populaire déterminé à inciter le gouvernement à apporter des modifications au Programme de protection des passagers du Canada qui ont été intégrées au projet de loi C-59.
Khalid Elgazzar était conseiller juridique et partenaire du regroupement. Pendant quatre ans, il a travaillé dans les coulisses, bénévolement, alors que le regroupement cherchait à réparer une injustice subie par des milliers d’enfants canadiens. Sulemaan me dit que Khalid a joué un rôle essentiel dans la réalisation de cet objectif.
Cependant, l’engagement pris par M. Elgazzar pour aider ses concitoyens canadiens ne s’est pas arrêté là. Il a également participé à Conquer COVID-19, une initiative populaire qui a permis de livrer plus de 3 millions d’articles d’équipement de protection individuelle aux travailleurs de la santé de première ligne et aux communautés vulnérables au cours des premiers mois de la pandémie.
Bien que M. Elgazzar ne soit pas connu en dehors de son cercle personnel et professionnel, son engagement envers la justice sociale et sa volonté d’aider ses concitoyens illustrent une fois de plus l’importance du projet de loi.
Jusqu’à maintenant, je me suis concentré sur une fraction des nombreuses contributions apportées au Canada par les Canadiens d’origine arabe, mais il y a une autre facette à cette histoire, une facette moins flatteuse liée à l’expérience individuelle de nombreux Canadiens d’origine arabe qui cherchent à s’intégrer dans la vie canadienne — une expérience vécue qui témoigne à nouveau de l’importance du projet de loi.
Tous les immigrants sont confrontés à des difficultés et à des épreuves lorsqu’ils arrivent dans un nouveau pays. Cela a été le cas de ceux qui venaient de pays arabes, du Maghreb ou d’ailleurs. Ces immigrants et leurs enfants ont lutté contre la discrimination et l’exclusion dans la recherche d’un logement et d’un emploi et dans leur vie quotidienne. Cependant, depuis les événements du 11 septembre, les obstacles auxquels ils se heurtent se sont multipliés, de même que les attaques contre les personnes, les centres communautaires et les lieux de culte, une réalité bien trop fréquente pour beaucoup trop d’entre eux.
Les mois du patrimoine servent surtout à célébrer les différentes cultures, mais ils peuvent aussi nous rappeler qu’une culture peut très facilement être déformée et marginalisée. Pour que le multiculturalisme fonctionne, nous devons demeurer vigilants.
Je fais partie d’un organisme à but non lucratif de Montréal, Ensemble pour le respect de la diversité, qui s’attaque depuis plus d’une vingtaine d’années aux préjugés envers les Arabes. Les éducateurs chevronnés qui y travaillent interviennent chaque année auprès de milliers d’élèves pour les aider à comprendre les répercussions que les préjugés et les stéréotypes peuvent avoir sur nos concitoyens et pour donner du soutien aux Arabo-Canadiens qui sont victimes d’intimidation et ciblés par des stéréotypes dans les écoles.
En faisant du mois d’avril le mois du patrimoine arabe, nous donnerons aux Canadiens d’origine arabe la chance non seulement de mettre leur culture en lumière, mais aussi de faire connaître les difficultés qu’ils doivent encore surmonter pour se faire une vie au Canada.
Chers collègues, nous aimons à dire que la diversité est la force du Canada, et j’y crois de tout mon cœur, mais pour que la diversité soit pleinement appréciée et pour que le Canada devienne encore plus fort, nous devons trouver des occasions de nous intéresser aux autres et d’apprendre les uns des autres.
C’est ce que fait ce projet de loi. Comme nous le rappelle l’éminent philosophe Charles Taylor, la reconnaissance de nos différences n’est pas qu’une simple politesse, mais bien un besoin humain vital. Le mois du patrimoine arabe nous permettrait justement de comprendre à quel point les Canadiens d’origine arabe sont devenus partie intégrante de l’identité canadienne.
J’aimerais terminer en lisant un extrait d’un texte que ma chère amie Amal m’a remis hier. Je le modifie un peu, car c’est hier que j’étais censé aborder ce sujet.
Hier, soit mardi, c’était :
[...] la fête des Mères dans le monde arabe. La valeur de la famille, et plus particulièrement de la mère, est le socle sur lequel s’est bâtie la société arabe. Faire du mois d’avril le mois du patrimoine arabe nous donnerait à nous, Arabo-Canadiens, l’occasion de faire connaître notre culture et nos talents au grand public d’ici, de la célébrer avec eux, mais aussi d’apprendre d’eux.
Chers collègues, le mois d’avril approche à grands pas, alors je vous demande de vous joindre à moi pour que ce projet de loi soit adopté rapidement et que nous puissions souligner le mois du patrimoine arabe dès cette année.
Honorables sénateurs, je vois deux sénateurs se lever, probablement pour poser des questions. Il est maintenant 16 heures. Le sénateur Gold dispose de tout le temps qu’il veut. Nous poursuivrons donc avec les questions à la prochaine séance.